Les citoyens chinois d’ethnie kazakhe sont, à l’instar des Ouïghours, la cible d’une répression extrêmement violente en Chine. Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont été détenus dans les camps d’internement créés par le gouvernement chinois afin de « ré-éduquer » les populations musulmanes du Xinjiang, soupçonnées de radicalisation religieuse et de séparatisme. Après avoir subi torture et travail forcé, certains ont pu fuir la Chine mais leur calvaire ne s’est pas arrêté à la frontière. Témoignages.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 4 septembre 2020 par le média kazakh Vlast.
Dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine se trouvent pas moins d’1,5 million de Kazakhs, plus de 11 millions d’Ouïghours, près d’un million de Dounganes et environ 200 000 Kirghiz. La politique de répression extrêmement violente du pouvoir central chinois depuis le tournant des années 2010 et qui vise ces populations, majoritairement musulmanes et turciques, a conduit à l’enfermement du plus d’un million d’individus, selon Amnesty International.
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La minorité kazakhe n’y fait pas exception et Pékin n’hésite pas à traquer ses citoyens hors de son propre territoire. L’enfer vécu par les Kazakhs de Chine parvenus à fuir les camps pour rejoindre le Kazakhstan témoigne de l’ambiguïté de Nur-Sultan et des pressions politiques exercées par la Chine.
Gülzira Awelkhan, restée 15 mois dans un camp
Gülzira Awelkhan, âgée de 41 ans, est née dans la préfecture autonome kazakhe d’Ili, en Chine. En 2014, elle déménage au Kazakhstan avec sa fille cadette et son mari. Une partie de sa famille, dont sa fille aînée, reste en Chine.
En 2017, Gülzira Awelkhan se rend en Chine afin de rendre visite à son père, qui est gravement malade. Mais après avoir traversé la frontière, la police lui confisque son passeport et l’interroge. Quelques heures plus tard, elle est transférée dans un camp où elle est détenue pendant 15 longs mois. Son sort ressemble à celui de centaines de Kazakhs partis de Chine, qui pour une raison ou pour une autre, y sont retournés et se sont retrouvés piégés dans les camps chinois.
« Mon passeport a été saisi à Khorgos (le point de passage à la frontière sino-kazakhe, ndlr) et transmis à la police locale. Le policier m’a dit : Si tu essaies de retourner au Kazakhstan, je ne te laisserai jamais partir. Je n’ai pas compris et j’ai demandé : Pourquoi ? Ma famille est là-bas. Ai-je tué quelqu’un ? Ai-je braqué une banque ? Il m’a répondu : je t’emmènerai dans un endroit dont tu ne pourras jamais sortir. Je l’ai donc provoqué et j’ai dit : allez-y ! », se souvient Gülzira Awelkhan dans un entretien avec le média kazakh Vlast. La police chinoise l’interroge, prélève ses empreintes digitales puis lui fait lire un livre à haute voix pour enregistrer sa voix.
« Ensuite, on m’a amenée chez mon beau-frère où j’ai passé la nuit. Le lendemain matin, la police chinoise est venue me chercher. J’ai dit que je venais voir mon père car il était malade. Ils m’ont répondu que je rentrerai dans 15 jours. Alors j’ai dit que j’avais besoin de prendre quelques vêtements, mais on m’a répondu que ce n’était pas la peine, qu’on me donnerait des vêtements spéciaux, puis on m’a emmené dans le camp. Les 15 jours se sont transformés en 15 mois », raconte Gülzira Awelkhan.
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Dans le camp se trouvaient près de 800 femmes : Ouïghoures et Kazakhes notamment. Pour empêcher toute communication entre elles, les femmes d’une même ethnie ne partagent jamais la même cellule.
« Certaines avaient des toilettes, d’autres, non »
« Le matin, nous allions en cours en rang, comme du bétail, puis le soir ils nous emmenaient dans des dortoirs collectifs. Lorsqu’ils nous donnaient l’ordre de se coucher ou de se lever, on obéissait. Certaines avaient des toilettes, d’autres, non », décrit Gülzira Awelkhan. « On dormait sur le côté, car les chambres étaient surpeuplées et nous n’avions pas assez de place. Ils nous interdisaient de s’allonger sur le dos parce qu’ils pensaient que dans cette position, nous pourrions prier. On sortait vers cinq heures du matin puis on revenait le soir, entre 21 heures et 22 heures », ajoute-t-elle.
« Entre les chambres et les salles de travail, il y avait une ligne jaune au sol. Les « étudiants » suivaient la ligne jaune en deux rangs. De part et d’autre, il y avait des lignes blanches. D’un côté, les instituteurs, de l’autre, les gardiens. S’il nous arrivait de tousser et ou faire le moindre geste, les gardiens nous frappait la tête avec des bâtons. Chaque personne avait deux minutes pour faire ses besoins et sa toilette. Si nous restions davantage, ils nous battaient jusqu’à ce qu’on arrive dans la classe. À cause de ça, on avait des œdèmes, les yeux rouges et une mauvaise haleine », raconte Gülzira Awelkhan.
Des produits stérilisants
Pour chaque geste, il faut demander l’autorisation en chinois. « Si nous nous déplacions sans permission, on nous disait qu’on était repérés par la caméra et on nous amenait dans une pièce à part. Dans cette pièce se trouvait une chaise à laquelle nous étions attachées avec des menottes. Au moindre mouvement, les menottes se resserraient sur nos poignets », se souvient-elle.
« Trois mois plus tard, ils ont commencé à nous injecter des produits, sans jamais qu’on nous explique vraiment de quoi il s’agissait. On nous a dit que cette piqûre était administrée pour la toux. Après ces injections, beaucoup de femmes n’avaient plus leurs règles », dit Gülzira Awelkhan. « Ils nous faisaient cette piqûre tous les jours, puis ils nous donnaient des petits cachets blancs. Les médecins et les infirmières venaient contrôler. Ils nous obligeaient à manger du porc, ils appelaient ça « la nourriture familiale ». Au début, on refusait, on pleurait, mais après ces piqûres, on oubliait tout et on ne pensait qu’à manger. »
« C’est mon certificat de mariage qui m’a sauvé du viol »
Puis, les autorités chinoises ont donné un travail à Gülzira Awelkhan : « Ils m’ont dit que j’allais travailler, grâce à la bonne politique du gouvernement chinois », se souvient-elle. « Je pensais faire du ménage, quelque chose d’ordinaire, mais j’ai atterri dans un endroit où on mettait des femmes à disposition des hommes. Je rangeais leurs affaires, je faisais leur lit. Puis des hommes entraient dans leur chambre et fermaient les rideaux pendant plusieurs heures. J’ai fait ça pendant six mois puis on m’a ramené au camp. C’est mon certificat de mariage qui m’a sauvé du viol. Les femmes veuves ou divorcées étaient violées, on venait les cherchait en pleine nuit et elles ne revenaient pas », décrit Gülzira Awelkhan.
Dans le camp, les interrogatoires étaient incessants. « Ils nous demandaient si nous étions allées à l’étranger, si nous faisions la prière, si nous croyions en Allah. On m’a interrogé 27 fois durant 15 mois », décrit Gülzira Awelkhan. « Parfois je pensais à ma famille, à mes proches et je pleurais. Si nous pleurions, on nous attachait à la chaise avec les menottes pendant 12, 16 ou 24 heures », explique la rescapée.
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Dans le camp, les gardiens chinois brûlaient des exemplaires du Coran et les tapis de prière. « Il y en avait beaucoup. Ils disaient aux familles des détenus d’apporter tout ce qu’elles possédaient qui était lié à la religion, comme le Coran et les tapis de prière. En échange, le Parti les pardonnerait », décrit Gülzira Awelkhan. « On nous disait : apprenez le chinois, il n’y a pas d’autres langues ni d’autres ethnies : Kazakhs, Ouïghours, Kirghiz, vous ressemblez aux Chinois. Vous vivez sur les terres chinoises, grâce à l’argent chinois. »
Des examens de langue chinoise
Il y avait parfois des contrôles de dirigeants du Parti communiste chinois : « Lorsqu’ils venaient, ils nous teignaient nos cheveux blancs, nous maquillaient et nous parfumaient. Nos chambres étaient décorées. Ils mettaient au premier rang les gens qui parlaient chinois. Nous devions les accueillir avec un sourire, puis sortions à l’extérieur du camp et nous dansions. Nous chantions des chansons à la gloire de la nation chinoise », raconte Gülzira Awelkhan.
Un examen de langue chinoise avait lieu chaque semaine. « Nous étions obligées de tricher car il était difficile d’apprendre la langue. Nous écrivions les réponses sur nos doigts. Ils nous disaient que si l’on réussissait, on aurait le droit de sortir », décrit Gülzira Awelkhan.
« Il nous était permis de voir nos proches une fois par mois, pendant 15 minutes. Je ne voyais pas mon mari car il était au Kazakhstan. Quant aux proches, je les voyais à travers la grille. Ils venaient une fois tous les trois mois car ils habitaient loin. Leurs téléphones ont été contrôlés, on notait tous leurs contacts. Six mois après, la « bonne politique du gouvernement » nous a permis de se voir tête à tête. Mais nous ne voulions pas que nos proches viennent de peur qu’on ne les retienne dans les camps », confie t-elle.
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La fille aînée de Gülzira Awelkhan, restée en Chine, a également été internée dans un camp. Les autorités chinoises ont échafaudé une raison pour la convoquer. « Comme elle était institutrice, elle pouvait circuler plus librement mais je ne sais pas dans quel camp elle était », explique Gülzira Awelkhan.
Des fonctionnaires chinois chez soi
Après 15 mois, Gülzira Awelkhan est libérée. En rentrant à son domicile en Chine, elle y découvre trois inconnues : deux Ouïghoures et une Chinoise. « Elles m’ont observé. Puis nous nous sommes saluées, nous avons mangé ensemble et pris des photos. En partant le lendemain, elles ont laissé 20 yuans. J’ai demandé à la femme chinoise pourquoi elle me donnait de l’argent, elle m’a répondu : « Votre famille est notre famille » », décrit Gülzira Awelkhan. Comme le relate Human Rights Watch, depuis 2014, des fonctionnaires chinois se rendent systématiquement dans les familles musulmanes du Xinjiang pour observer leurs membres et contrôler leur intégration dans la société chinoise.
Le lendemain de sa libération, Gülzira Awelkhan est convoquée pour faire de la propagande en faveur des camps auprès des habitants de son village. « Je devais mentir et convaincre les gens qu’aller dans un camp pour étudier le chinois et suivre des formations était une belle opportunité », dit-elle.
Peu de temps après, les autorités chinoises autorisent Gülzira à rentrer au Kazakhstan. « On m’a demandé de me rendre au Kazakhstan et dire à mon mari que j’étais tombée malade, que j’avais perdu mon passeport », se souvient Gülzira Awelkhan. « J’ai demandé à récupérer mes papiers, mais ils m’ont dit que je partirai seulement avec mon permis de séjour, qu’ils me donneraient 250 000 yuans, et qu’à la frontière je serai accueillie par leurs agents. On m’a dit de ne rien dire sur les camps. J’avais peur de prendre de l’argent, mais j’ai promis que je reviendrai en Chine et que je ne dirai pas un mot sur le camp. »
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Mais la Chine n’a pas laissé Gülzira Awelkhan tranquille bien longtemps. Après quatre jours au Kazakhstan, les autorités chinoises l’ont appelée pour la faire travailler dans une usine pendant trois mois. « Nous y avons cousu des gants », dit-elle. « Tous les samedis, nous rentrions à la maison et la semaine nous étions logées dans une auberge. J’ai cousu environ 20 gants par jour. Ma fille aînée y travaillait également », décrit Gülzira Awelkhan.
La menace d’un retour dans les camps
Après un certain temps, les ouvriers ont été autorisés à appeler leurs proches. « Mon mari me demandait de revenir mais je n’avais pas de passeport. Nous avons donc attendu trois mois », dit-elle. « Un jour, les Chinois nous ont demandé de signer un document. Si on refusait de le signer, on nous emmenait à nouveau dans un camp. J’ai alors demandé : Ça fait presque deux ans que je suis ici, quand aurais-je le droit de rentrer chez moi ? On m’a alors répondu : Quand tu signeras ce papier, nous le remettrons au bureau des affaires intérieures, après quoi nous recevrons de l’argent et vous serez libérée. Alors, j’ai écrit à mon mari et je lui ai demandé de me ramener au Kazakhstan par tous les moyens, que je risquais de mourir s’il ne m’aidait pas. Il s’est alors adressé à Atajourt, une organisation qui soutient les Kazakhs de Chine réfugiés au Kazakhstan, et on m’a conseillé de ne pas signer ce document », explique-t-elle.
Le 29 décembre 2018, à l’occasion des célébrations du Nouvel An, les ouvriers sont autorisés à partir plus tôt. Mais au moment de partir, ils sont de nouveau réunis et menacés. Comme Gülzira Awelkhan et sa fille refusent de signer le document, elles sont emmenées au commissariat. Une fois là-bas, les policiers chinois analysent le téléphone de Gülzira Awelkhan et trouvent la conversation qu’elle a eu avec son mari. Ils l’interrogent et elle est obligée d’avouer qu’elle lui a tout raconté au sujet du camp.
Gülzira Awelkhan et sa fille sont alors emmenées au sous-sol du commissariat. « C’était effrayant. J’ai cru vivre mes derniers instants. Ils m’ont posé une question en chinois, à laquelle je n’ai pas pu répondre. Puis ils m’ont électrocuté. Quand j’ai perdu connaissance, ils m’ont jeté de l’eau au visage et j’ai repris mes esprits. Ils ont repris l’interrogatoire en chinois. Ils m’ont planté des clous dans les mains, auxquels ils ont attaché mes cheveux. J’ai cru que ma nuque allait se casser. Puis ils m’ont rentré des aiguilles sous les ongles », raconte-t-elle.
« Tu as trahi ta patrie en mangeant leur pain et en buvant leur eau »
Le lendemain matin, Gülzira Awelkhan est présentée à des policiers kazakhs. En les voyant, elle fond en larmes. « Pourquoi tu pleures ? Nous sommes là pour toi. Que faisais-tu dans une organisation illégale ? Tu as trahi ta patrie en mangeant leur pain et en buvant leur eau », affirment les policiers. Gülzira Awelkhan cherche alors à comprendre pourquoi on l’empêche de retourner au Kazakhstan alors qu’elle a une carte de séjour. Elle leur explique que les policiers chinois ont confisqué son passeport, son acte de mariage et sa carte de séjour. Puis ils emmènent Gülzira Awelkhan dans un café et lui offrent à manger. Ils lui promettent qu’elle rentrera bientôt au Kazakhstan. Deux jours plus tard, Gülzira Awelkhan est autorisée à rentrer.
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« Au poste de contrôle frontalier, j’ai été déshabillée et on a fouillé toute ma valise. Quand nous sommes arrivés au contrôle des passeports, le policier a parlé avec les agents et ils m’ont laissé passer sans contrôle. Je crois qu’il a dit que j’avais passé « la rééducation ». Après cela, j’ai passé la frontière et j’étais enfin au Kazakhstan. J’ai fondu en larmes », explique Gülzira Awelkhan.
De nombreux signes de traumatisme
Deux semaines après son retour, elle décide de raconter ce qu’elle a vécu. « On m’a demandé pourquoi j’avais été absente pendant deux ans et comment j’avais pu rentrer sans passeport. Alors j’ai décidé de tout expliquer, malgré le serment que j’avais fait aux Chinois. Au début, je voulais tenir cette promesse, mais trop de gens disparaissent, trop de gens souffrent. Je suis devenu proche des autres détenus, nous avons partagé le pain. Quand j’ai pu partir, d’autres personnes m’ont supplié de les sauver. Il y avait des gens fragiles, des personnes âgées et handicapées. Certains devenaient fous », explique Gülzira Awelkhan.
Avec un titre de séjour temporaire, les Kazakhs de Chine sont obligés de rentrer sur le territoire chinois tous les six mois. Gülzira Awelkhan a donc sollicité les autorités kazakhes pour obtenir la nationalité. Mais sa demande est restée lettre morte. Elle s’est donc tournée vers les médias et les ONG, ce qui lui a permis de recevoir l’aide d’un avocat et d’obtenir le statut de réfugiée, puis la nationalité kazakhe.
Gülzira Awelkhan présente de nombreux signes de traumatisme. « Durant ces 18 mois, j’ai vu de mes propres yeux la façon dont ils bafouent les droits humains. Je n’arrive plus à regarder les informations à la télévision car cela me rappelle les camps. Je ne comprends même pas la télévision au Kazakhstan », décrit-elle. « En Chine, il n’y a pas de films, on montre Xi Jinping du matin au soir et on répète sans cesse que la Chine est riche et prospère, par rapport aux autres pays où il n’y a que des guerres et des manifestations. Je n’ai plus de force, même pour pétrir de la pâte. J’ai sans cesse des migraines. Ma mémoire est défaillante. Une fois, j’ai oublié le chemin pour ramener ma fille de l’école », explique-t-elle.
« Je ne peux plus travailler, seul mon mari travaille et tout ce qu’il gagne, je le dépense pour acheter des médicaments. Mais les médecins ne savent pas comment me soigner. Parfois, mes règles durent plus de deux semaines. Je ne sais pas si je pourrai de nouveau avoir un enfant », s’inquiète Gülzira Awelkhan.
« Nous combattons sur deux fronts à la fois »
« Après que le Kazakhstan a obtenu son indépendance, près de 200 000 Kazakhs ont quitté la Chine pour rejoindre leur patrie grâce à un programme d’incitation au retour », explique à Vlast, Serikjan Bilach, un Kazakh lui-même rentré de Chine en 2000. Son association Naghyz Atajurt Eriktileri, « les Vrais Volontaires de la Patrie » en kazakh, soutient les Kazakhs du Xinjiang qui ont réussi à fuir les camps et à s’installer au Kazakhstan.
« Si on compte ceux qui y résident avec un titre de séjour temporaire, les Kazakhs qui sont passés de Chine au Kazakhstan serait environ 500 000. Tous ont de la famille en Chine. Les enfants de certains étudient ici, alors que leurs parents sont restés en Chine », décrit Serikjan Bilach. « Des hommes font des affaires ici, tandis que leurs femmes et enfants habitent en Chine. Des retraités reviennent vivre au Kazakhstan alors que leurs enfants travaillent en Chine. Beaucoup de familles sont partagées entre les deux côtés de la frontière. Il n’existe aucune étude statistique à ce sujet, mais nous estimons qu’entre 700 -000 et 800 000 Kazakhs sont dans cette situation », assure-t-il.
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Serikjan Bilach a commencé à travailler avec des Kazakhs citoyens de Chine en 2009. Fin juin de cette année-là, il est arrivé à Ürümqi de Hongkong. Le 5 juillet au soir, des tirs de mitraillette retentissent près de chez lui. Serikjan Bilach retrouve des impacts de balles sur les murs de sa maison. C’est plus tard que les émeutes de 2009 et la violente répression qui en a découlé ont pris le nom d’Événements de juillet. Ils ont servi de prétexte pour mettre en place un contrôle répressif systématique des populations musulmanes de Chine. Des camps d’internement sont créés au cours des années 2010. Les autorités chinoises présentent ces camps comme des centres éducatifs où les Ouïghours, les Kazakhs et les autres peuples musulmans du Xinjiang doivent apprendre le chinois et se soumettre à la politique de Pékin. Tout élément en lien avec l’islam et avec leurs cultures d’origine est proscrit.
Une accélération en 2016
« Après 2009, j’ai commencé à conseiller aux Kazakhs de Chine de partir », se souvient Serikjan Bilach. Il publie alors plusieurs articles sur Internet pour les convaincre de rallier le Kazakhstan. Puis, en 2014, Serikjan Bilach propose son aide aux personnes désireuses de venir étudier ou chercher un emploi au Kazakhstan. Au même moment, la politique répressive de Pékin s’intensifie.
« Les autorités chinoises ont commencé en confisquant les passeports des Kazakhs qui vivaient en Chine. Puis ils ont persécuté ceux qui utilisaient WeChat en vérifiant leurs téléphones et en copiant leurs contacts. Ils ont traqué ceux qui consultait des sites étrangers : leur téléphone pouvait être saisi pour trois à cinq jours, ils le contrôlaient et puis le rendaient. Certains sont repassés aux anciens téléphones basiques dès 2011, pour éviter tout problème », témoigne-t-il.
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En 2016, Serikjan Bilach reçoit pour la première fois un message faisant état d’une disparition. « Nous avions créé un groupe WhatsApp pour réunir les Kazakhs de Chine. Ils y échangeaient et racontaient leurs déboires. L’un deux a raconté que son frère, simple berger, avait disparu depuis un mois. Son frère disait que ses affaires étaient prêtes pour déménager au Kazakhstan. » La même année, Serikjan Bilach et ses amis créent l’association Atajourt, « patrie » en kazakh.
Les autorités chinoises ne tardent pas à exercer leur pression sur les Kazakhs ethniques qui travaillaient dans la fonction publique : il leur est interdit de démissionner tant que leurs enfants étudient au Kazakhstan. Les étudiants originaires de Chine inscrits dans l’enseignement supérieur au Kazakhstan commencent alors à rentrer.
« On arrêtait les Kazakhs petit à petit, cinq dans un village, dix dans un autre »
En 2017, Atajourt organise une conférence de presse lors de laquelle une femme raconte que son mari a été condamné par la justice chinoise à 13 ans de prison en 2005, jugé coupable d’espionnage au profit du Kazakhstan. Sa faute principale serait en fait d’avoir déménagé au Kazakhstan avec sa famille. Ces persécutions envers les Kazakhs de Chine sont d’abord passées inaperçues, puis sont peu à peu devenues visibles. « On arrêtait les Kazakhs petit à petit, cinq dans un village, dix dans un autre. Au début, personne n’a remarqué ce qui se passait. Au début, lorsque les proches des personnes arrêtées en Chine s’exprimaient dans les médias étrangers, ces personnes étaient libérées. Si la famille avait peur et ne réagissait pas, certains pouvaient être envoyés en prison pour 10 ou 20 ans« , raconte Serikjan Bilach.
Les membres d’Atajourt commencent donc à collecter des informations sur les disparus et sur ceux qui sortaient des camps pour les transmettre aux médias et aux organisations de défense des droits de l’Homme. « Nous luttons sur deux fronts : à la fois avec la Chine mais aussi avec les prochinois au Kazakhstan« , explique-t-il.
Des pressions côté kazakh
En effet, Atajourt a subi de nombreuses pressions. En février 2019, Serikjan Bilach doit répondre devant un tribunal des accusations de participation à une organisation illégale. Le tribunal le déclare coupable et le condamne à payer une amende équivalente à 100 fois le salaire de base au Kazakhstan. Le mois suivant, il est arrêté pour « suspicion de commettre une action préméditée ayant pour but d’inciter à la haine sociale ou interethnique ». Après cela, il est assigné à résidence pendant plusieurs mois. En août 2019, le tribunal interdit à Serikjan Bilach de diriger une organisation publique.
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« Le 31 décembre 2019, la période de contrôle judiciaire a pris fin. Dès le 1er janvier 2020, j’ai déclaré que je travaillais pour Atajourt en tant qu’agent d’entretien. Je fais le ménage et parfois je sers comme conducteur. Selon la décision du tribunal, je ne peux pas être dirigeant. Je trouve cela risible ; que craignent-ils, que je veuille diriger Nour-Otan ? », s’interroge Serikjan Bilach, en référence au parti politique présidentiel kazakh.
En septembre 2019, le département de justice d’Almaty valide l’inscription au registre l’organisation Atajourt Eriktileri, « Les Volontaires de la Patrie » en kazakh, dont la reconnaissance a été saluée par le département d’État américain. Serikjan Bilach avait tenté à de nombreuses reprises de faire reconnaître Atajourt par les autorités kazakhes, en vain. Selon lui, l’organisation ainsi enregistrée est une coquille vide.
« Si on refuse de nous enregistrer, c’est pour nous empêcher d’obtenir cette aide internationale »
Accompagné de certains anciens compagnons, il décide de reprendre son engagement en créant une structure officieuse, Nagyz Atajourt Eriktileri, « les Vrais Volontaires de la Patrie » en kazakh.
« Si on nous enregistrait légalement, nous pourrions obtenir des subventions importantes de la part de donateurs internationaux. Cet argent pourrait aider les Kazakhs qui ont souffert dans les camps, physiquement et psychologiquement. Si on refuse de nous enregistrer, c’est pour nous empêcher d’obtenir cette aide internationale. Les autorités ont enregistré une association bidon pour faire diversion et éviter la pression internationale« , explique Serikjan Bilach.
En mars 2020, il dissout officiellement son association à cause du manque de moyens. Quatre mois plus tard, il est à nouveau condamné pour « participation à une organisation illégale ». Il explique au tribunal son action en faveur des Kazakhs fuyant le Xinjiang, mais le tribunal ne fait aucun cas de son engagement. Serikjan Bilach est poursuivi dans deux autres affaires liées à ses activités militantes. Son patrimoine immobilier, sa voiture et ses comptes bancaires sont alors saisis.
30 000 plaintes de Kazakhs du Xinjiang
Malgré cela, l’association Nagyz Atajourt Eriktileri poursuit son travail. Plus de 30 000 plaintes émanant des Kazakhs du Xinjiang ont été transmises à des ONG de défense des droits de l’Homme.
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Le nombre de plaintes a diminué depuis le début de l’année 2020. « Cela démontre que les pressions internationales sur la Chine ont produit des résultats. Mais le problème est loin d’être résolu. Les autorités chinoises ont emprisonné tous ceux qui pouvaient l’être. Le reste de la population musulmane est étroitement surveillé et les persécutions se poursuivent après la sortie des camps », affirme Serikjan Bilach. « Ceux qui finissent par revenir sont physiquement et psychologiquement abîmés. Il leur est impossible de reprendre leur vie normalement et retourner au travail », décrit-il.
D’après lui, nombreux sont les proches de détenus qui se replient sur eux-mêmes et se murent dans le silence. « Je me souviens d’un homme à qui j’ai montré une photographie de ses enfants. Je lui ai demandé combien d’enfants il avait. Deux. Où sont-ils ? En Chine. Depuis combien de temps ? Deux ans. Avez-vous des nouvelles ? Non. Il a souri », décrit Serikjan Bilach. « J’ai continué doucement : Ça vous manque ? Oui. De quoi vous occupez vous ? Je garde le bétail. Si vous perdez une vache, partez-vous à sa recherche ? Oui, le jour-même. Ça fait deux ans que vos enfants ont disparu, pourquoi vous ne les cherchez pas ? Et là, il a commencé à pleurer. Leurs cœurs sont fermés à double tour. Il faut ouvrir ce verrou », affirme le militant.
« Nous avons déménagé au Kazakhstan pour ne pas perdre notre enfant »
Nagyz Atajourt Eriktileri aide les familles sur le plan psychologique, mais aussi financier . « Quatre familles sont confiées à un homme d’affaires, trois à un autre. Il est responsable d’eux et chaque mois, il leur donne de l’argent. Les employés ordinaires prennent en charge une seule famille. Chacun fait ce qu’il peut en fonction de ses moyens », décrit Serikjan Bilach.
La famille de Bikamal Kaken est une des familles aidées par Serikjan Bilach. « Mon mari, Adilgazy Mouqaï, a été condamné à 9 ans de prison. Il se trouve dans la prison de Qaramay. Il a 48 ans », témoigne Bikamal Kaken.
Un mois avant que la famille déménage au Kazakhstan, Adilgazy Mouqaï avait pris sa retraite pour raisons de santé. Bikamal Kaken était alors enceinte depuis quatre mois. « Lorsque mon mari a commencé à travailler, il y avait des rumeurs selon lesquelles les familles qui auraient plus d’un enfant seraient obligées de payer une amende. Or nous avions déjà une fille. Nous étions inquiets qu’on nous impose une amende et qu’on nous arrête après la naissance de notre deuxième enfant. Nous avions aussi entendu que certaines avaient été obligées d’avorter. Nous avons décidé de déménager au Kazakhstan pour ne pas perdre notre enfant », raconte-t-elle.
Après le déménagement, l’époux de Bikamal Kaken se rend régulièrement en Chine et n’a jamais eu aucun problème. En mai 2017, il est convoqué par la compagnie pétrolière pour laquelle il travaillait en Chine. En cas d’absence, on le menace de suspendre le versement de sa retraite.
La nouvelle de l’arrestation arrive par les médias
« La police a arrêté mon mari après le passage du poste-frontière à Khorgos. Trois jours plus tard, la police chinoise a apporté son sac chez sa sœur et a annoncé qu’il avait été arrêté. Ils n’ont jamais expliqué la raison de son arrestation. Trois ans se sont écoulés depuis et nous n’avons aucune nouvelle, aucune information », décrit à Vlast Bikamal Kaken. C’est trois ans après son arrestation qu’elle apprend la condamnation de son mari à neuf ans de prison pour radicalisation religieuse. « Je l’ai appris dans un article du Global Times (un média d’État chinois, ndlr). Dans cet article, l’ambassadeur de Chine au Kazakhstan, Jiao Siao, évoque la condamnation de mon mari à neuf ans de prison pour extrémisme et terrorisme », raconte-t-elle. Lors de son arrestation, Adilgazy Mouqaï avait dans son sac les clés de la maison dans laquelle il vivait avec Bikamal Kaken, en Chine. « La police a pris ses clés et a fouillé la maison. Ils ont trouvé un exemplaire du Coran que nous avions acheté dans une librairie. Rien d’illégal… », explique-t-elle.
Bikamal Kaken a pu avoir des nouvelles de son mari par des proches qui sont parvenus à le joindre par téléphone. Il disait courir un grave danger et ne pas être certain de survivre encore longtemps, il a demandé à ses amis de prendre soin de son épouse et de ses filles.
Mais avec les premières apparitions médiatiques de Bikamal Kaken, l’entourage de son mari a changé de ton. « Ils m’ont dit avoir réussi à parler avec lui via WeChat. Après cela, ma belle-sœur m’a dit qu’il allait bien et qu’il était en sécurité mais elle m’a demandé de ne plus les appeler. Je n’ai donc plus eu de contact après cela. »
Aucune aide kazakhe
« Ma fille aînée connaît son père car il est parti quand elle avait 18 mois. Elle joue souvent dans la cour avec d’autres enfants. Quand ceux-ci accourent pour accueillir leurs pères après le travail, ma fille rentre à la maison en pleurant et demande quand son père va rentrer. Quant à ma fille cadette, elle ne comprend même pas le mot papa « , décrit la mère de famille.
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Bikamal Kaken et ses filles ont pu obtenir la nationalité kazakhe mais n’ont droit à aucune aide sociale. « J’ai demandé une aide pour mes enfants auprès du gouvernement du Kazakhstan mais on m’a répondu que pour obtenir une allocation, il me fallait un document attestant que mon mari était bien emprisonné en Chine. Mais c’est impossible. Je me suis quand même adressée au Ministère des affaires étrangères. Ils ont dit qu’ils m’enverraient une note. Je l’attends toujours », affirme-t-elle.
Actuellement, Bikamal Kaken et ses filles sont aidés par l’association Nagyz Atajourt Eriktileri.
« On m’a dit que j’aurais la nationalité si je me taisais »
De son côté, Qaycha Aqan raconte qu’elle a traversé la frontière kazakhe illégalement, parce qu’elle risquait un long internement dans le camp. L’école où se trouve la maison de ses parents au Xinjiang s’est transformée en un de ces camps.
« En face de notre maison, il y avait une école secondaire chinoise qui s’est subitement transformée en camp. Tous les écoliers ont été transférés dans une autre école. Après cela, le portail de ce bâtiment a été peint en noir. On a construit des murs d’enceinte de sept mètres de hauteur avec des barbelés », décrit Qaycha Aqan à Vlast. « On a fait de l’école une prison. Des caméras ont été installées à un mètre d’intervalle, autour du camp. Désormais, personne n’approche ce bâtiment et il est interdit de le photographier. Puisque nous habitions à côté, les autorités chinoises nous ont déplacés. C’est exactement à ce moment-là que j’ai été convoquée à la police . »
En 2017, Qaycha Aqan ouvre une entreprise à Khorgos, et se rend régulièrement en voyages d’affaires au Kazakhstan. Pendant le premier interrogatoire, la police s’intéresse aux raisons de ces voyages réguliers puis lui pose des questions sur sa pratique religieuse. « J’ai répondu que je ne faisais pas la prière et je n’allais pas à la mosquée. Mais je n’ai pas caché le fait que je faisais le ramadan », décrit Qaycha Aqan. L’année suivante, les autorités installent en ville des postes de contrôle et vérifient les smartphones. Qaycha Aqan est hospitalisée pendant un mois, puis elle est à nouveau convoquée au commissariat car elle n’a pas enregistré son domicile. La police fouille alors dans son téléphone et l’accuse d’avoir consulté un site kazakh.
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« Je leur ai dit : d’accord, démontrez-moi que j’ai commis une faute qui s’oppose à la politique du gouvernement. Si vous pouvez me le prouver, je reconnaîtrai ma faute », décrit Qaycha Aqan.
« Pourquoi vous me torturez et me détenez sans preuves ? »
On l’emmène pour l’interroger sur la même chaise que Gülzira Awelkhan. « C’était une chaise avec des menottes. J’étais habillée en vêtements d’hiver donc je ne pouvais pas m’y asseoir. Ils m’ont dit d’enlever mes vêtements. Je n’ai pas eu choix, même si sortais à peine de l’hôpital. Ensuite ils m’ont mis les menottes », explique Qaycha Aqan.
« J’ai demandé : Pourquoi vous me torturez et me détenez sans preuves ? On m’a répondu que durant dix ans, j’avais voyagé au Kazakhstan et que j’avais peut-être adopté une culture occidentale. Mes fautes étaient nombreuses : je visitais le Kazakhstan, je faisais le ramadan, je faisais partie d’une organisation terroriste, j’étais en contact avec des étrangers et j’écoutais les cours « Jarqyn jeti » », décrit Qaycha Aqan, faisant référence aux cours de préparation à l’installation au Kazakhstan de Serikjan Bilach. « Le plus dur, c’était que ce qu’ils appelaient « étrangers » était mon peuple, les Kazakhs. On m’aurait condamné pour tout ça à huit ans de prison. Ils m’ont renvoyé chez moi en me faisant jurer de ne rien raconter à personne. Je devais revenir le lendemain pour faire des analyses. On m’a également demandé de ramener mon passeport », explique-t-elle.
A quatre heures du matin, Qaycha Aqan est partie à Khorgos en taxi. Mais plutôt que d’aller remettre son passeport à la police chinoise, elle a décidé de fuir la Chine définitivement. « La police m’appelait toutes les cinq minutes. Je n’avais pas d’autre choix que de fuir. J’ai donc traversé illégalement la frontière kazakhe pour fuir la Chine. Je refusais d’aller en prison. »
La quête de la nationalité
Au Kazakhstan, Qaycha Aqan a été condamnée à six mois de prison avec sursis pour passage illégal de la frontière, sans expulsion vers la Chine. « J’ai demandé l’asile au Kazakhstan. On m’a donné une attestation de demande d’asile qui se renouvelle tous les trois mois. Selon la loi, on peut la prolonger quatre fois mais je vais le faire pour la cinquième fois », explique-t-elle. « Le Kazakhstan ne m’a toujours pas accordé le statut de réfugié. Certains disent que si je me fais discrète, les autorités kazakhes me donneront la nationalité. Mais ça fait deux ans et demi que j’attends et rien ne vient », décrit la Kazakhe ethnique.
En septembre 2019, les autorités chinoises ont accusé Qaycha Aqan de malversation financière. « Ils m’ont accusé d’avoir pris de l’argent dans plusieurs entreprises avant de fuir au Kazakhstan. Ces histoires m’ont rendue insomniaque », affirme-t-elle.
« Nous pensions que notre patrie serait accueillante »
Deux autres Kazakhs de Chine, Qaster Musaqanuly et Murager Alimuly, se trouvent dans une situation similaire. Ils ont fui le Xinjiang en 2019, et depuis ils sont toujours en attente d’une reconnaissance de leur qualité de réfugié, privés de perspectives d’avenir.
Le 4 octobre 2019, le ministre des Affaires étrangères Moukhtar Tléouberdi annonce qu’il n’y a plus aucun Kazakh dans « les centres éducatifs » chinois. « Notre président a fait une visite d’État en Chine. Cette information a été confirmée dans les hautes sphères. Actuellement, il n’y a plus de Kazakhs ethniques vivant en Chine dans « les centres éducatifs ». Dans ces centres, il n’y a que des criminels », a-t-il répondu aux journalistes.
La veille, deux Kazakhs du Xinjiang, Qaster Mousaqanouly, 30 ans et Mourager Alimouly, 25 ans ont traversé la frontière sino-kazakhe, après dix jours de marche. Lors d’une conférence de presse à Almaty, Qaster Mousaqanouly raconte sa détention dans les camps chinois. « Dire qu’il n’y a plus de Kazakhs dans les camps est un mensonge. Quand cinq personnes sont libérées, dix autres sont arrêtées », affirme-t-il, réfutant les paroles du ministre.
Les deux jeunes hommes avaient l’intention de déposer une demande d’asile. Mais immédiatement après la conférence de presse, ils sont arrêtés par la police des frontières kazakhe. Menacés d’extradition vers la Chine, leur avocate, Lazzat Akhatova les défend en agitant le risque qu’on les condamne à la peine capitale. Ils y échappent mais sont néanmoins condamnés à un an de prison pour avoir franchi la frontière illégalement. Ils sont sortis de prison le 22 juin dernier et n’ont toujours pas obtenu le statut de réfugié.
« Comment pouvais-je avouer des crimes que je n’ai pas commis ? »
Qaster Mousaqanouly raconte qu’avec Mourager Alimouly, ils faisaient commerce ensemble pendant deux ans. Puis de mars 2013 à novembre 2017, Qaster Mousaqanouly a été en détention.
« En 2009, j’étais à Urumqi lorsque la révolte a commencé. Je n’y avais même pas participé mais j’ai été interrogé et condamné à quatre ans et huit mois de prison », se souvient Qaster Mousaqanouly. » Au début, j’étais régulièrement torturé par électrocution. Comment pouvais-je avouer des crimes que je n’ai pas commis ? Ils ne me croyaient pas. Avant mon transfert dans un camps, j’ai subi de nombreux sévices : tabassages, violences, humiliations. Tous les deux ou trois jours, ils me torturaient, me plongeaient la tête dans l’eau. Puis j’ai été envoyé dans un camp. Là-bas, il était interdit de parler kazakh, de faire la prière, les ablutions, le ramadan. Pendant quatre ans, j’ai marché menotté, sans lever la tête. Désormais, j’ai les lombaires coincées. Je n’arrive pas à rester assis et à me tenir droit », raconte-t-il.
En Chine, la famille de Qaster Mousaqanouly subit des pressions. Il ne peut pas les appeler car leurs téléphones ont été mis sur écoute.
» Nous n’avions plus le droit d’être Kazakh «
Mourager Alimouly raconte qu’après la libération de son ami, il a décidé de fuir avec lui. « Je suis venu au Kazakhstan car c’est mon pays, ma terre. Je voulais fuir les persécutions que nous vivions en Chine. Nous n’avions plus le droit d’être Kazakh, d’aller prier sur la tombe de nos ancêtres et de lire le Coran. Ils ont interdit les enterrements et ont détruit des mosquées », décrit-il.
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Les deux jeunes hommes pensaient recevoir un bon accueil au Kazakhstan. Ils ne s’attendaient pas à être jugés ni emprisonné. Néanmoins, ils se disent reconnaissants de ne pas avoir été extradés.
Bawirkan Azanov, leur deuxième avocat, explique que selon la convention de Genève de 1951, ratifiée par le Kazakhstan, les personnes qui arrivent sur le territoire pour demander l’asile ne doivent pas être reconduites à la frontière. C’est une violation du droit international.
Serikjan Bilach abonde en ce sens. « Ils sont considérés comme demandeurs d’asile pendant une certaine période. Après cela, ils risquent d’avoir à nouveau des problèmes, peut-être d’être renvoyés en Chine. Lorsque les réfugiés vont en Europe pour obtenir l’asile et déclarent avoir été persécutés à cause de leur religion, de leur race ou de leur opinions politiques, on ne les arrête pas pour avoir traversé la frontière illégalement », explique le responsable de Nagyz Atajourt Eriktileri.
Après avoir renouvelé trois fois leur attestation de demandeur d’asile, Qaster Mousaqanouly et Mourager Alimouly attendent que les autorités kazakhes prennent enfin une décision. Ils n’excluent pas d’aller demander l’asile ailleurs. « Pour l’instant, nous n’avons rien planifié. Depuis notre arrivée au Kazakhstan, Atajourt nous vient en aide. Nous ne comprenons pas les lois du Kazakhstan », explique Qaster Mousaqanouly.
« Lutter par l’écriture »
Sayragul Sauytbay, une Kazakhe de Chine qui enseignait le chinois dans un camp, a été la première à témoigner de l’horreur des camps de rééducation chinois.
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Début 2018, elle fuit le Xinjiang et se rend au Kazakhstan pour rejoindre son mari et ses enfants, partis avant elle. Ils étaient parvenus à obtenir la nationalité kazakhe. Au mois de mai, elle est arrêtée par les services de sécurité kazakhs. Durant le procès, en juillet 2018, Sayragul Sauytbay déclare avoir été obligée de franchir la frontière illégalement pour protéger sa propre vie. Le tribunal la condamne finalement à une peine d’emprisonnement avec sursis et l’astreint à un contrôle judiciaire, mais elle ne sera pas expulsée vers la Chine. Ne parvenant à obtenir le statut de réfugié au Kazakhstan, Sayragül Sauytbay se réfugie en Suède avec sa famille en juin 2019.
En Suède, elle entend poursuivre sa lutte pour le droit des minorités ethniques et religieuses au Xinjiang. En juin 2020, elle publie un livre qui relate son internement dans les camps chinois, co-écrit avec l’écrivaine allemande Alexandra Cavelius. Intitulé Die Kronzeugin, « la témoin » en allemand, il est actuellement en cours de traduction en anglais, russe, kazakh et de nombreuses autres langues.
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« Le livre occupe la deuxième place des meilleures ventes en Autriche et la huitième place en Suisse. A travers ces chiffres, on constate qu’un large public s’intéresse à notre cause. Nous recevons de très nombreuses lettres de reconnaissance et c’est pour nous une grande victoire », se réjouit-elle auprès de Vlast. Mais elle déclare également avoir subi des pressions de « gens qui travaillent pour les intérêts de la Chine » et qui ont essayé d’empêcher la publication du livre.
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« Après ce que j’ai vécu dans les camps chinois, ma santé s’est détériorée. À cela se sont ajoutées les difficultés que j’ai rencontrées au Kazakhstan. J’ai de nombreux rhumatismes et je ne suis plus capable de me lever d’une chaise toute seule. Il m’est difficile de descendre les escaliers » , décrit Sayragul Sauytbay. « J’ai aussi des problèmes de tension et de sommeil. Je rêve très souvent des camps. Depuis mon arrivée en Suède, je me soigne et ma santé s’améliore. Je me sens en sécurité et je suis heureuse d’être ici avec ma famille. Je continue de lutter pour nos droits. Je vais faire tout ce qui est possible pour nos frères restés en Chine soient libérés« , explique-t-elle.
Sayragul Sauytbay reconstruit désormais sa vie en Suède. Elle apprend le suédois et cherche un travail. Elle rêve que ses enfants fassent des études supérieures.
Olga Loguinova, Nazerke Qurmangazinova, Alina Jartieva
Journalistes pour Vlast
Traduit du russe par Talgat Abdrakhmanov
Édité par Guillaume Gérard
Relu par Clément Beuselinck
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Pascal Rollin, 2021-01-12
Comment est-ce possible ? C’est comme si le Kazakhstan assistait passivement à tout ça…
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