Depuis l’indépendance de l’Ouzbékistan, seulement deux présidents se sont succédé à la tête du pays. En tant que nouvel Etat indépendant, le pays a eu à cœur de se façonner une image sur la scène internationale, notamment au travers des prises de parole de ses représentants. Si certaines thématiques ont été soulevées de façon récurrente, l’approche a pu différer selon le président alors en charge.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 8 octobre 2020 par le média ouzbek Hook Report. Après la chute de l’URSS, l’Ouzbékistan a été admis parmi les Etats membres de l’Organisation des nations unies (ONU). Il a ainsi acquis une reconnaissance internationale en tant qu’Etat souverain. Du point de vue du droit international, la reconnaissance d’un Etat est un acte que seuls les autres pays peuvent accomplir, notamment par la création de relations diplomatiques. L’ONU en tant qu’organisation internationale n’est pas habilitée pour effectuer une telle reconnaissance. Néanmoins, le processus d’admission à l’ONU impliquant un vote de tous les Etats membres, cet acte constitue dans les faits une réelle reconnaissance internationale. L’admission de l’Ouzbékistan le 2 mai 1992 a donc marqué l’arrivée de ce pays sur la scène politique internationale.
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La question de l’image que souhaitait renvoyer l’Ouzbékistan au monde s’est rapidement posée. L’ONU est l’un des lieux d’échanges internationaux les plus importants : en être membre et y lancer des initiatives permet à chaque Etat de se présenter au monde et de se façonner une image.
L’arrivée d’Islam Karimov
Les présidents ouzbeks ont eu pour tradition de s’exprimer lors de la cérémonie d’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU, qui a lieu chaque année à la mi-septembre. La tradition veut que lors de la cérémonie d’ouverture, les chefs d’Etat issus de différents pays abordent dans leur discours les questions qui leur semblent de première importance et sur lesquelles ils souhaitent attirer l’attention de la communauté internationale. L’Assemblée générale de l’ONU est en effet une tribune de choix pour mobiliser l’attention du monde entier. Chacun des deux présidents ouzbeks a eu l’occasion de s’exprimer plusieurs fois devant cet auditoire particulier, l’occasion de revenir sur les prises de position de ces deux chefs d’Etat et d’analyser tant leurs points de convergence que de divergence. Le premier président ouzbek, Islam Karimov, s’y est pour la première fois exprimé en 1993, soit un an et demi après l’admission du pays, lors de la 48ème session de l’Assemblée générale de l’ONU. Lire aussi sur Novastan : Islam Karimov : Un orphelin devenu « père de la Nation » L’enjeu était alors de présenter l’Ouzbékistan au reste du monde en tant qu’Etat indépendant et non plus comme l’une des quinze républiques socialistes soviétiques. Lors de sa première prise de parole, Islam Karimov a présenté les valeurs de son pays depuis l’indépendance et le modèle de développement qu’il envisageait, fondé sur cinq piliers politiques.
Les cinq piliers du régime politique ouzbek
Le premier pilier du nouveau régime ouzbek est la « désidéologisation de l’économie », c’est-à-dire l’idée de ne plus associer le courant communiste à tous les aspects de la politique et de l’économie. Au cours de la période soviétique, l’économie a été très fortement influencée par l’idéologie officielle communiste. Suivant ce pilier, l’exécutif ouzbek a mis en avant sa volonté d’exclure de l’économie toute influence d’ordre idéologique. Le deuxième pilier concerne le pouvoir étatique. Il affirme que l’Etat est le seul acteur compétent et légitime pour mener des réformes. Islam Karimov a explicitement déclaré s’engager en faveur d’un Etat fort, qui interviendrait dans toutes les affaires du pays et pas uniquement les affaires économiques. Le troisième pilier affirme que rien ni personne n’est au-dessus des lois. Le but était de ne pas laisser la possibilité à une institution ou à un groupe de personnes de porter préjudice à l’image du pays en ne respectant pas les nouvelles politiques et règles mises en place après l’indépendance et de donner l’image d’un pays organisé. Le quatrième pilier repose sur une forte politique sociale. Tout au long de la période soviétique, l’accent a en effet été mis sur la politique sociale, et Islam Karimov a là aussi explicitement dévoilé son intention de poursuivre dans cette voie. Cela implique une forte ingérence de l’Etat dans l’économie nationale. Lire aussi sur Novastan : Le FMI encourage l’Ouzbékistan à accélérer la libéralisation de son économie Enfin, le cinquième pilier est un passage progressif à une économie de marché. Avant son discours à l’ONU, Islam Karimov a vivement critiqué les transitions économiques brutales qui avaient fleuri dans l’espace postsoviétique, les « thérapies de choc », estimant qu’elles étaient en fin de compte particulièrement dangereuses, tant pour le pays que pour sa population.
L’image d’un Etat interventionniste
L’Ouzbékistan a depuis le départ semblé prendre la posture d’un état paternaliste à qui revient un rôle prépondérant dans tous les secteurs de la vie quotidienne afin de guider la population à travers les réformes entamées en 1991. L’accent mis sur la politique sociale, que le premier président ouzbek a désignée comme sa priorité, souligne la prépondérance accordée à l’Etat dans l’organisation de l’économie. L’image donnée par Islam Karimov en 1993 a été celle d’un Etat interventionniste, qui s’efforce de conjuguer le meilleur des anciennes politiques de l’URSS et des pratiques issues de l’Occident.
Une prise de position ferme sur la non-nucléarisation de la région
Au travers de ces cinq principes, Islam Karimov a également soulevé d’autres enjeux, plus spécifiques à l’Ouzbékistan. Il a abordé en premier lieu l’amélioration de la sécurité dans la région et a suggéré de faire de l’Asie centrale une zone sans armes nucléaires. Il a réaffirmé l’appartenance du pays au Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dont il fait partie depuis 1992. Le TNP est un texte fondateur concernant le développement et l’utilisation de l’arme nucléaire. Sa finalité est d’empêcher tout élargissement du « club des Etats dotés ». Historiquement, aucune arme nucléaire n’a jamais été détenue sur le territoire ouzbek. Cependant, des essais nucléaires soviétiques ont eu lieu au Kazakhstan, dans la région de Semipalatinsk en particulier. Les conséquences de l’irradiation des sols de la région sur l’écologie et sur la santé des habitants vivant autour du polygone dédié aux essais ont été catastrophiques. Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : une zone de sûreté nucléaire va être créée sur le territoire de Semipalatinsk C’est dans ce contexte qu’Islam Karimov a appelé les Nations unies à accorder à l’Asie centrale le statut de région dénucléarisée. Un tel statut obligerait les Etats dotés à ne pas utiliser l’arme nucléaire contre les pays de la région et à ne pas les stocker sur leurs territoires. Le 9 décembre 1997, l’Assemblée générale de l’ONU a pris une résolution concernant le statut dénucléarisé de la région. Cette reconnaissance a permis à l’Ouzbékistan de bénéficier de l’image d’un nouveau membre actif et responsable.
Les préoccupations majeures
Après la question nucléaire, Islam Karimov a également évoqué la lutte contre le trafic de drogue, en lien notamment avec l’Afghanistan. Il a aussi mentionné la menace de l’extrémisme religieux, soulevant notamment le Mouvement islamique d’Ouzbékistan. Enfin, il a évoqué la situation de la mer d’Aral. Lire aussi sur Novastan : L’ONU a-t-elle définitivement entériné la disparition de la mer d’Aral ? Depuis ce jour, l’Ouzbékistan a eu à cœur de faire reconnaître la région centrasiatique comme une zone dénucléarisée, d’attirer régulièrement l’attention sur la situation préoccupante de la mer d’Aral et de suivre activement l’évolution des événements en Afghanistan et au Tadjikistan.
La seconde prise de parole d’Islam Karimov en 2000
Islam Karimov a prononcé son second discours en 2000, lors de la 55ème session de l’Assemblée générale des Nations unies, dite « du millénaire ». Le premier président de l’Ouzbékistan a alors débuté sa prise de parole par une discussion sur le thème du terrorisme, considérant que la « sécurité [était] un bien indivisible » et que toutes les parties intéressées devaient s’unir afin qu’elle soit pleinement réalisée. Islam Karimov a ensuite abordé la question afghane, relevant qu’il y proliférait des phénomènes tels que le terrorisme ou le trafic de drogue, phénomènes qu’il était indispensable de combattre. Dans la continuité de la Déclaration de Tachkent de 1999 relative aux principes fondamentaux d’un règlement pacifique du conflit en Afghanistan, l’ancien président ouzbek a appelé l’ONU à faciliter la résolution de cette crise. Les attentats sur le sol américain en 2001 ont malheureusement fait cesser toutes les discussions relatives à une telle aide. En 2000, l’Ouzbékistan a soutenu la création d’une conférence placée sous l’égide de l’ONU, consacrée à la lutte contre le terrorisme, une initiative déjà soutenue par le pays un peu plus tôt lors de la conférence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Istanbul en 1999. Lire aussi sur Novastan : Les menaces terroristes en Asie centrale, réalité ou fiction ? Les débats s’y étaient déroulés sur fond des attentats de Tachkent, survenus en février 1999, confirmant qu’une position internationale devait être prise en réponse au terrorisme. C’est dans ce contexte et notamment à la suite des attentats du 11 septembre 2001 que le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté en 2001 une résolution créant un Comité de lutte contre le terrorisme.
La dénucléarisation de la région et la mer d’Aral
Poursuivant sur le thème de la sécurité, Islam Karimov s’est prononcé en faveur de la création d’un accord spécifique sur le statut dénucléarisé de l’Asie centrale. Cette volonté a finalement été concrétisée avec la ratification du traité de Semipalatinsk en 2006, créant une zone exempte d’armes nucléaires en Asie centrale. Le cas de la mer d’Aral a également été évoqué. L’insistance de l’ancien président ouzbek à alerter sur cette tragédie écologique a rencontré les nouveaux enjeux du réchauffement climatique et a également mis en lumière le préjudice causé au pool génétique végétal dans la région, le plus grand problème des riverains étant la salinisation extrême de l’air. A cette occasion, il a de nouveau suggéré des initiatives pour répondre à ce problème déjà connu, et proposé d’établir un Conseil de la région de l’Aral.
Une prise de position sur la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU
Islam Karimov a évoqué l’éventualité d’augmenter le nombre de membres permanents, composés par la Russie, les Etats-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et la France. Selon lui, le Japon et l’Allemagne devraient rejoindre le groupe, dans la mesure où ils sont désormais des puissances économiques et politiques majeures dans les échanges internationaux. La composition des membres permanents est largement discutée. D’une part, elle ne correspond plus au contexte politique international actuel, et d’autre part, la possibilité de bloquer toute décision avec le droit de véto est critiquée.
En plus des cinq membres précités, dix membres non permanents élus tous les deux ans siègent au Conseil de sécurité. Islam Karimov a également émis l’idée d’augmenter le nombre de pays en développement : l’Ouzbékistan n’a par exemple encore jamais été un membre non permanent. Actuellement, l’attribution des sièges des membres non permanents est faite suivant une répartition géographique afin que toutes les régions soient représentées. L’ancien président ouzbek a enfin proposé d’augmenter le champ des compétences réservées au Secrétaire général, mais également d’avoir plus souvent recours à des mécanismes coercitifs dans le cas de règlements de conflits en cours depuis plusieurs années. En effet, les mécanismes des mesures coercitives de la charte des Nations unies dépendent de l’utilisation ou non du droit de véto des membres permanents.
Le troisième discours lors de l’assemblée des objectifs du millénaire
Son dernier discours a été prononcé lors du sommet de l’ONU consacré aux objectifs du millénaire, en septembre 2010. A l’instar de ces précédentes élocutions, Islam Karimov a débuté son discours par le conflit en Afghanistan. Selon lui, la situation ne demandait pas de résolution militaire et il a exprimé son mécontentement vis-à-vis de l’intervention américaine des administrations de Georges Bush et Barack Obama. Il a ainsi souligné que la question afghane devait être résolue par les Afghans eux-mêmes et a estimé que la création du Groupe de contact 6+3, proposée par son pays dès 2008, pourrait jouer un rôle significatif dans ce sens.
Les problèmes régionaux
En Asie centrale, l’année 2010 a été placée sous le signe des affrontements ethniques au Kirghizstan, dont des dizaines de milliers d’Ouzbeks ethniques vivant dans la ville d’Och ont souffert. Islam Karimov a alors déclaré que ces pogroms ethniques avaient été orchestrés par une troisième partie profitant du chaos sévissant dans la région. L’ancien président avait alors en tête la révolution kirghize de 2010, au cours de laquelle les citoyens ont protesté contre le président de l’époque, Kourmanbek Bakiev. Il a appelé de ses vœux la création d’une commission d’enquête internationale et évoqué les actions entreprises du côté de l’Ouzbékistan pour venir en aide aux survivants, comme l’accueil des réfugiés. Comme lors de ses précédents discours, le président ouzbek a de nouveau tiré la sonnette d’alarme quant à la mer d’Aral, rappelant que les conséquences catastrophiques se répercutaient bien au-delà de ses seuls rivages. L’ancien président a appelé à protéger ses deux principaux affluents : les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, dont les sources se trouvent dans les montagnes du Tadjikistan. Lire aussi sur Novastan : Afghanistan et Tadjikistan s’accordent pour préserver les bassins du Piandj et de l’Amou-Daria Enfin, le président a récapitulé tous les succès de l’Ouzbékistan vis-à-vis des objectifs du millénaire. Il a entre autres distingué les éléments suivants : une croissance du PIB annuelle supérieure à la moyenne mondiale, la croissance du salaire moyen, notamment parmi les fonctionnaires, une augmentation de l’espérance de vie parmi les hommes et les femmes et une faible dette nationale. Ces réalisations doivent toutefois être nuancées par l’interprétation propre au gouvernement ouzbek de l’époque vis-à-vis des chiffres énoncés.
Le regard de l’ONU sur l’Ouzbékistan
La visite du Secrétaire général Ban Ki-moon en 2010 a été un événement marquant dans la relation entre l’ONU et l’Ouzbékistan. Le Secrétaire général a visité Tachkent et la région de la mer d’Aral, a salué au cours de sa visite la dénucléarisation officielle de la région et remercié l’Ouzbékistan pour sa coopération active dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue. Le Secrétaire général a également félicité l’Ouzbékistan pour ses progrès dans la sphère des droits et de l’éducation. Il a en effet salué l’abolition de la peine de mort et la signature du Statut de Rome acceptant l’autorité de la Cour pénale internationale, bien que le pays ne l’ait pas encore ratifié. Dans le prolongement des actions précitées, Ban Ki-moon a appelé au cours de sa visite à renforcer la coopération de l’Ouzbékistan avec l’ONU afin de remplir pleinement ses obligations internationales en termes de droits humains. Lire aussi sur Novastan : Pourquoi l’Ouzbékistan est loin d’être une démocratie Ban Ki-moon a ouvertement critiqué le manque d’investissement du pays en matière de droits humains. Il s’agit d’un des moments clefs à partir duquel l’Occident a activement critiqué Islam Karimov et sa politique. La visite de Ban Ki-moon à la mer d’Aral a été l’un des moments forts de la visite, où il s’est rendu compte par lui-même de l’étendue de la catastrophe. Il a alors félicité l’Ouzbékistan pour les mesures prises afin d’enrayer au maximum les conséquences de cette catastrophe.
L’arrivée de Chavkat Mirzioïev
En septembre 2016, Islam Karimov décède. C’est alors le Premier ministre de l’époque, Chavkat Mirzioïev, qui prend la fonction de président. En décembre 2016, il sort vainqueur de l’élection présidentielle et devient officiellement le second président d’Ouzbékistan. Lire aussi sur Novastan : Qui est Chavkat Mirzioïev, le nouveau président de l’Ouzbékistan ? Chavkat Mirzioïev a tenu son premier discours à l’ONU le 20 septembre 2017. Sa prise de parole, en russe comme son prédécesseur, a consisté à présenter sur la scène internationale une nouvelle image du pays. Il a en effet commencé par présenter un nouvel Ouzbékistan fort de sa gouvernance attentive, illustrée par des réformes pratiquement menées à leur terme en à peine un an de présidence. Il a réaffirmé son objectif de construire un Etat démocratique où les intérêts des citoyens seraient prépondérants. Il n’a pas manqué d’évoquer l’année 2017, qu’il a baptisée « Année du dialogue avec le peuple », et la création des réunions virtuelles au cours desquelles il a prononcé une de ses plus célèbres répliques : « Ce n’est pas au peuple de servir les organes gouvernementaux, mais bien à eux de servir le peuple ».
Les droits de l’Homme
Le président a ensuite abordé le sujet plus délicat des droits de l’Homme, déclarant que l’Ouzbékistan avait commencé à prendre des mesures visant à abolir le travail forcé ainsi que le travail des enfants suite au boycott de certaines marques. La création de nouveaux instruments de défense des droits de l’Homme, l’annulation des visas de sortie de territoire et une politique de libre déménagement ont fait partie de ses arguments. Il a également fait remarquer la coopération de l’Ouzbékistan avec l’Organisation internationale du travail et des ONG internationales de défense des droits de l’Homme telles que Human Rights Watch. Lire aussi sur Novastan : Une ONG de défense des droits de l’Homme autorisée en Ouzbékistan, une première depuis 2003 Chavkat Mirzioïev n’a pas esquivé la question de la liberté de la presse en Ouzbékistan, assurant qu’il y avait eu une amélioration sensible de leur rôle dans la vie du pays. Il s’agissait en effet d’un des aspects de la politique d’Islam Karimov qui avait souvent été critiqué par les autres Etats. Le rôle croissant des différents partis politiques a également été mis en avant, de même que celui de la société civile, l’indépendance des tribunaux ainsi que l’action du ministère de l’Intérieur dans la défense des droits de l’Homme.
Des réformes économiques
Le président a ensuite évoqué les réformes économiques déjà menées lors de première année de présidence. L’une des réformes les plus importantes a été le passage à une gratuité du taux de change de la monnaie nationale visant à supprimer le marché noir des devises. De même, les impôts pour les entreprises ont été réduits, l’accès au crédit élargi, de nouvelles zones de liberté économique créées, représentant des avantages pour les investisseurs. Des partenariats avec des institutions financières internationales ont été signés. A l’instar de son prédécesseur, Chavkat Mirzioïev a insisté sur la nécessité de réformer l’institution de l’ONU. Selon lui, cette réforme devrait s’opérer progressivement, en commençant par un élargissement des membres du Conseil de sécurité.
Sur ce sujet néanmoins, son intervention a été plus générale, se bornant seulement au seul sujet du Conseil de sécurité alors que son prédécesseur avait formulé plusieurs propositions concrètes s’inscrivant dans une réforme générale de l’ONU.
Le problème de l’eau
Peu avant la fin de son discours, il a choisi de se concentrer sur l’Asie centrale. Il a exprimé sa volonté de trouver des compromis raisonnables concernant certaines questions régionales et fait remarquer la signature d’un accord concernant les frontières officielles des Etats kirghiz et ouzbek. Il a enfin exprimé son espoir de voir exister des consultations régulières entres les chefs d’Etat de la région. Lire aussi sur Novastan : À la frontière kirghize-ouzbèke, un début de coopération autour de l’eau L’actuel président a ensuite abordé le thème de l’eau et réitéré son soutien à la position du Secrétaire général sur cette question. Cela concerne le projet de convention sur l’utilisation des ressources en eau des rivières Amou-Daria et Syr-Daria, rédigé par le centre régional de l’ONU pour la diplomatie préventive. Chavkat Mirzioïev a conclu son discours par un plaidoyer concernant la catastrophe qui se poursuit en mer d’Aral, essayant d’attirer une fois de plus l’attention de la communauté internationale sur ce problème.
La question afghane
Le président a présenté l’Afghanistan comme le gage de la sécurité dans la région. L’Ouzbékistan était en faveur d’un dialogue direct et sans conditions préalables entre toutes les parties au conflit, c’est-à-dire en incluant déjà les talibans. Le président ouzbek a assuré à la communauté internationale que son pays aiderait l’Afghanistan d’un point de vue économique, pour développer ses infrastructures de transport et d’énergie. Lire aussi sur Novastan : Joe Biden, un souffle nouveau dans la relation États-Unis – Asie centrale ? Le président a relevé que la jeunesse était très sensible à l’influence terroriste, et que dès lors, les méthodes de lutte antiterroriste n’étaient pas aussi efficaces que prévu. La jeunesse est une préoccupation importante de l’Ouzbékistan, étant donné qu’un tiers de sa population est âgée de moins de 20 ans. Il a ainsi exhorté au développement d’un partenariat multilatéral et suggéré de créer une convention internationale onusienne pour les droits de la jeunesse. Sa conclusion a été un des points les plus atypiques de son discours. Le président a en effet décidé de parler de l’islam, et plus particulièrement de son rôle dans le monde actuel. Le président a ainsi insisté sur le fait que l’islam appelle au bien et à la paix, et non à la violence, et que dès lors, nombreux sont ceux qui comprennent mal le sens profond de cette religion. Enfin, Chavkat Mirzioïev a souligné l’indépendance de l’Ouzbékistan vis-à-vis de tout type de bloc partisan. En 2012, le pays était déjà sorti de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et a depuis lors adopté une politique extérieure farouchement opposée à toute alliance politico-militaire. Sur ce point, l’actuel président ouzbek a suivi la voie de son prédécesseur.
La seconde prise de parole de Chavkat Mirzioïev
Le second discours de Chavkat Mirzioïev à la tribune des Nations unies a eu lieu le 23 septembre 2020, en ligne en raison de la pandémie due au coronavirus. Sur la forme, la différence la plus notable se situe sur le terrain de la langue utilisée. En effet, pour la première fois dans l’enceinte de l’ONU, un discours a été prononcé en langue ouzbèke. La structure est très similaire à celle du discours précédent, à l’exception de l’ordre des sujets abordés. Le président a commencé par discuter du contexte exceptionnel de 2020 et a suggéré de créer un code international encadrant la bonne volonté des Etats en période de pandémie. Il s’agirait d’un code instituant ce que les Etats devraient entreprendre en de telles circonstances. Il a ensuite salué la lutte contre la pandémie en Ouzbékistan. Après cette brève introduction, le président a soulevé les élections parlementaires de 2019, qui lui ont servi d’exemple pour montrer que des réformes politiques étaient en cours en Ouzbékistan, soulignant l’éveil politique du pays. Cependant, à la lecture du rapport du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme de l’OSCE sur les élections parlementaires, des doutes existent quant aux véritables buts poursuivis par ces réformes.
L’égalité des sexes
Pour la première fois, le président ouzbek a parlé de la politique de genre menée en Ouzbékistan et a estimé que les femmes participaient activement à la vie politique du pays. Ces dernières années, le nombre de femmes sur les bancs du parlement et dans d’autres structures de l’Etat a fortement augmenté. L’exemple le plus parlant dans ce domaine est bien sûr celui de Tanzila Narbaïeva, à la tête du Sénat, ce qui correspond à la deuxième plus haute fonction de l’Etat après la présidence. Tout de suite après la question de la parité, le Président a abordé celle des droits de l’Homme. Il a tenu à souligner l’amélioration de la situation et a donné à titre d’exemple les lois garantissant la liberté de conscience et de foi, récemment adoptées, ainsi que le travail mené auprès des apatrides. En effet, l’Ouzbékistan a facilité la procédure d’obtention de la citoyenneté, et près de 50 000 apatrides ont ainsi pu devenir citoyens ouzbeks. Lire aussi sur Novastan : Vers une libéralisation de la pratique religieuse en Ouzbékistan Le président est ensuite passé aux questions régionales et a parlé de l’amitié qui lie les pays d’Asie centrale. Il a alors évoqué les deux rencontres consultatives de Nur-Sultan en 2018 et de Tachkent en 2019. En plus de l’implication de l’Ouzbékistan dans la tenue de ces rencontres, Chavkat Mirzioïev a vanté l’augmentation des échanges commerciaux bilatéraux avec ses voisins. Il a également évoqué la participation des pays d’Asie centrale dans la stratégie antiterroriste globale de l’ONU et a suggéré de mener deux conférences internationales consacrées à l’Asie centrale et à la sécurité. Comme toujours, Chavkat Mirzioïev a abordé la question afghane, affirmant son soutien aux accords de paix de Doha, signé en février 2020 par les Etats-Unis et les talibans, pour laquelle la conférence de Tachkent en 2018 a joué un grand rôle. Il a conclu le thème afghan en suggérant d’établir un comité pour l’Afghanistan au sein de l’ONU. Chavkat Mirzioïev a conclu son discours sur la thématique de la lutte contre la pauvreté et a suggéré d’organiser un sommet global consacré à la résolution de ce problème. L’Ouzbékistan travaille en effet en étroite collaboration avec la Banque mondiale sur cette question, afin de lutter durablement contre la pauvreté.
Une comparaison des discours des deux présidents
En premier lieu, les deux présidents ouzbeks ont toujours présenté une image proactive du pays et une grande prise d’initiative, insistant dans leurs discours sur les moyens de résoudre les conflits évoqués et en proposant leurs services. L’Ouzbékistan a tenté de prouver son soutien, dans la mesure de ses moyens, aux actions de l’organisation et aux efforts du Secrétaire général. Les deux présidents se sont efforcés de lier les moindres manifestations à caractère international avec la participation des Nations unies. Ensuite, dans des périodes différentes, tant Chavkat Mirzioïev en 2017 qu’Islam Karimov en 2000 se sont prononcés en faveur d’une réforme de l’ONU. Leur approche diffère seulement au niveau de la profondeur des propositions présentées. Islam Karimov a présenté des actions plus concrètes dans la direction d’une réforme effective. Lire aussi sur Novastan : L’affaire Goulnara Karimova portée devant les Nations unies Les présidents ont tous deux mentionné deux sujets à chacune de leur prise de parole : le conflit afghan, en insistant toujours sur le fait que le problème doit être réglé par les Afghans eux-mêmes, et la mer d’Aral. Enfin, il est intéressant de noter que la structure des discours d’Islam Karimov en 1993 et de Chavkat Mirzioïev en 2017 est identique. Ils ont tous deux commencé par des remarques sur les changements issus de leur première année de présidence avant d’aborder l’agenda régional.
Les divergences
L’une des différences les plus notables est l’utilisation de la langue ouzbèke par Chavkat Mirzioïev, ce qui le démarque fortement de son prédécesseur qui, jusqu’alors, s’était exprimé exclusivement en russe. Ensuite, Chavkat Mirzioïev s’est exprimé sur des thèmes sensibles, pour lesquels Islam Karimov avait déjà été sous le feu des critiques. Il a fait un état des lieux de la situation des droits de l’Homme et de la politique de genre, abordant les réformes judiciaires et politiques menées dans le pays ainsi que la lutte contre la corruption. L’actuel président ouzbek a consacré une majeure partie de ses discours aux enjeux de politique intérieure, contrairement à son prédécesseur qui n’a que peu évoqué le sujet.
Par ailleurs, Chavkat Mirzioïev a frontalement reconnu le recours au travail forcé, en particulier des fonctionnaires, et au travail de mineurs dans les champs de coton. Il a néanmoins immédiatement ajouté que la République avait pris des mesures cruciales visant à l’éradiquer. La différence majeure entre le positionnement des deux chefs d’Etat réside dans le fait qu’Islam Karimov a largement préféré passer sous silence voire nier cette situation, tandis que Chavkat Mirzioïev a publiquement évoqué le problème ainsi que les mesures prises pour y mettre fin. Chavkat Mirzioïev a abordé la question de l’islam : à cette occasion, il a ouvertement défendu cette religion devant la communauté internationale. A contrario, Islam Karimov ne s’est jamais exprimé sur ce sujet, hormis pour parler des islamistes fondamentalistes. Enfin, Chavkat Mirzioïev a annoncé que les efforts du pays seraient dirigés vers l’agenda régional.
Une formule typique avec des passages diamétralement opposés
En analysant les discours d’Islam Karimov, il apparaît que le premier président d’Ouzbékistan s’est essentiellement concentré sur des thèmes très larges, sur lesquels il pouvait manœuvrer : la sécurité régionale, les questions liées à la protection de la région, l’Afghanistan et la mer d’Aral. Il a largement laissé de côté la politique intérieure pour mettre l’accent sur la politique extérieure. Le président actuel, bien qu’il aborde bien sûr des thèmes habituels pour l’Ouzbékistan, a structuré ses prises de paroles devant la communauté internationale autour des réformes internes, mais également des questions concernant l’ensemble de la région centrasiatique.
Les prises de parole de Chavkat Mirzioïev peuvent surprendre parce qu’il associe l’Ouzbékistan à la région centrasiatique et s’efforce de se présenter comme son réformateur principal. Il a suggéré des pistes pour résoudre certaines questions fondamentales et renforcer la coopération régionale. Ainsi, il a commencé à construire la nouvelle image de l’Ouzbékistan sur la scène internationale, en particulier à l’ONU, en tentant de se départir de l’ancienne image laissée par son prédécesseur. Il semble alors que la formule forte pour un discours à l’ONU consisterait à évoquer la situation dramatique de la mer d’Aral, celle également problématique de l’Afghanistan, et de tenter d’y apporter des solutions en affichant continuellement un soutien fort aux initiatives onusiennes.
La rédaction de Hook
Traduit du russe par Elizabeth Lallier
Édité par Sixtine Doineau
Relu par Charlotte Bonin
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