Alors que le Kazakhstan débutait officiellement en août la construction d’un nouveau réacteur nucléaire, la région connaissait une chaleur extrême. Le changement climatique est d’autant plus sensible en climat continental : dans un pays où les températures peuvent déjà atteindre 49°C, toute augmentation supplémentaire est une menace. Malgré cela, les efforts pour tendre vers la neutralité carbone ne sont pas sans grandes difficultés. Décryptage.
Les températures au Kazakhstan, comme partout ailleurs, sont à la hausse. Avec des valeurs dépassant la normale de 2 à 6 degrés, l’hiver 2024-2025 a déjà été officiellement classifié comme anormalement chaud. Le printemps et l’été ont également été extrêmement chauds : les relevés mensuels font état de nouveaux records régionaux de température en 2025. Pendant les 75 dernières années, la température annuelle moyenne a augmenté de 6 degrés.
Dans ce contexte, les efforts pour enrayer le changement climatique ou du moins l’atténuer viennent à point nommé. Mais la situation de départ rend très lointaines les perspectives d’un « futur vert ».
En toile de fond, une forte dépendance aux ressources
En 2023, le président Kassym-Jomart Tokaïev avait approuvé l’ambitieuse Stratégie pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. Mais pour ce pays centrasiatique dont l’économie dépend fortement de l’extraction, le raffinage et l’exportation de ressources comme le pétrole et le gaz, la transition vers les énergies renouvelables ne sera pas facile.
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Le business est bien trop lucratif pour y renoncer ou envisager du moins une réduction des volumes d’extraction. Cela doit malgré tout avoir lieu. Si ce n’est pour des raisons écologiques, alors cela adviendra par nécessité. D’après les prévisions, les réserves pétrolières actuelles ne pourront tenir que 30 ans au rythme d’extraction actuel. Cet état de fait pourrait venir appuyer la stratégie climatique, mais l’Etat continue la prospection de territoires prometteurs à la recherche de nouveaux gisements.
Le principal problème : le charbon
Le pétrole n’est qu’une partie du problème. Le secteur énergétique pris dans son ensemble est le principal émetteur de gaz à effets de serre au Kazakhstan. Bien que les besoins énergétiques de l’industrie constituent plus d’un cinquième de la consommation finale d’énergie, le bâtiment couvre plus d’un tiers du besoin. C’est là que le charbon entre en jeu.
Le pays dispose d’abondantes réserves de charbon dont l’extraction est fort peu coûteuse. Les principaux gisements kazakhs ne sont pas profonds et sont très denses. En 2023, en sortie de mine, la tonne de charbon se vendait à 9 000 tengués, soit environ 18 euros à cette époque, bien en-deçà des prix du marché mondial. Bien que pour le consommateur final dans le pays le prix puisse aller jusqu’à doubler en raison des coûts logistiques, le charbon reste la source d’énergie la moins onéreuse pour la production d’énergie. Le charbon est ainsi responsable de la moitié des émissions de gaz à effet de serre au Kazakhstan.
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Le Kazakhstan utilise la plus grande part du charbon extrait pour sa consommation domestique, avant tout pour l’approvisionnement des centrales thermiques. 99 % de la production de chaleur urbaine est issue du charbon ; plus de la moitié de l’électricité produite l’est à partir de charbon. Mais les centrales sont vieilles et certaines vétustes : la plupart datent de l’Union soviétique et ont depuis longtemps dépassé la durée d’exploitation initialement prévue. Les technologies en place sont dépassées, ne respectent aucun standard écologique et vont de pair avec de fortes pertes énergétiques.
Une des causes du smog
Le gouvernement ne semble pas non plus très enclin à renoncer complètement au charbon. « Nous vivons sur une richesse. L’électricité charbonnée est la moins chère. De plus, la construction de centrales thermiques rend possible le contrôle de l’approvisionnement en chaleur. Comme vous le savez, nos villes sont alimentées par des centrales thermiques et par un approvisionnement centralisé en chaleur. C’est sur cette base que nous devons poursuivre », a expliqué le ministre de l’Energie du Kazakhstan, Erlan Aqkenjenov, cité par zakon.kz.
En guise d’alternative, le ministre propose d’équiper les centrales thermiques avec de nouvelles cuves permettant de brûler du charbon sans laisser de résidus. Jusqu’en 2035, « toutes les centrales thermiques doivent être équipées étape par étape de technologies propres. »
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Dans la République du Kazakhstan, moins de la moitié des foyers est raccordé à un réseau de chaleur urbain. Dans les maisons individuelles, le charbon est souvent le principal combustible utilisé pour le chauffage, ce qui renforce le smog conséquent déjà généré par les centrales thermiques des grandes villes comme Almaty. Une part considérable de l’énergie est de plus perdue : le bâti kazakh est vieux et le prix de la modernisation énergétique est plus élevé que les coûts liés à la déperdition de l’énergie.
Une décarbonisation à la traîne dans le secteur des transports
Dans le secteur des transports, le deuxième plus gros consommateur du pays, la situation semble être la même. La Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE) a recommandé au Kazakhstan de décarboniser 15 % des véhicules individuels d’ici 2050. Actuellement, au Kazakhstan, 6,17 millions de véhicules sont immatriculés, dont seulement 0,003 % de véhicules électriques.
Il y a 25 ans, il n’y avait pas encore de véhicules électriques. Cependant, ce délai reste optimiste eu égard aux objectifs kazakhs : presque la moitié des véhicules personnels sont vieux de plus de 20 ans, ne passeraient plus au contrôle technique ou ne respecteraient plus les standards écologiques. Bien que le gouvernement prévoie des amendes pour les propriétaires de véhicules dépassant les normes d’émission, un financement direct, spécifique des initiatives environnementales n’est pas dans les cartons. Beaucoup de conducteurs ne changent de véhicule qu’à partir du moment où il n’est plus possible de le faire rouler, et alors il y a encore l’option du marché d’occasion.
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Passer à un véhicule électrique au Kazakhstan n’est pas simple : toutes les stations de chargement se situent dans le périmètre des trois grandes villes Astana, Almaty et Chymkent et leur disponibilité est limitée. A cause du risque d’incendie, il est par exemple interdit d’installer un point de chargement sur le parking d’un immeuble. Les propriétaires sont donc contraints d’utiliser les stations sur les parkings publics et les centres commerciaux, qui, souvent, ne proposent pas d’électricité verte.
D’après les recherches internes d’un constructeur automobile dans la région, plus de la moitié des propriétaires de véhicules n’envisagent pas la voiture électrique comme potentielle option. Depuis le boom des années 2022-2023, alors que les véhicules étaient importés en masse depuis la Chine, l’engouement est retombé. Le créneau semble maintenant s’être résorbé. Le segment de population urbaine dont le revenu est supérieur à la moyenne et qui pouvait acquérir un véhicule électrique s’en est déjà doté. Pour les autres, c’est bien trop cher, trop peu pratique, trop peu connu. Les vendeurs de véhicules se concentrent à la place sur des modèles hybrides qui peuvent servir de solution de transition, mais ceux-ci ne présentent pas d’intérêt au vu de l’état actuel des infrastructures.
Une fraction seulement d’énergie propre ?
Il ne serait pas juste d’affirmer que le Kazakhstan ne produit pas d’énergie propre.
Que les centrales hydroélectriques jouent un rôle négligeable est tout à fait logique. Elles appartiennent en grande partie à la même génération que les centrales thermiques. De plus, les réserves d’eau s’amenuisent et reste à savoir s’il y aura assez d’eau pour la production d’électricité dans les prochaines années.
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Malgré les conditions géographiques favorables, les énergies solaire et éolienne sont étonnamment peu utilisées. En 2024, il n’y avait dans la République que 59 parcs éoliens et 46 parcs solaires, bien que les steppes largement inhabitées du Kazakhstan se prêtent particulièrement à ces modes de production.
Dans les régions du Sud, on compte de 2 200 à 3 000 heures d’ensoleillement par an, de deux à trois fois plus qu’en Allemagne par exemple. Le pays est aussi très attractif pour l’énergie éolienne ; dans tout le Kazakhstan, la vitesse moyenne du vent requise de 5 à 6 m/s est observée. Dans de nombreux secteurs, elle s’élève à 8,27 m/s. D’après les estimations des experts, le potentiel énergétique de l’énergie éolienne de la République est de 920 TWh par an.
Un potentiel inexploité
Ce potentiel n’est toutefois pas suffisamment exploité. Il n’y a pas de raison simple : pour les investisseurs non-étatiques, le secteur des énergies vertes n’est pas attractif au vu des prix actuels. Les installations plutôt onéreuses doivent d’abord être importées, tandis que l’électricité n’est vendue au plus qu’à 7 centimes par kWh au consommateur final et la plupart du temps le prix de vente se situe autour de 3,5 centimes par kWh. Cela couvre à peine les frais d’entretiens.
L’horizon de placement est ici bien trop long ; avant un quelconque retour sur investissement, les installations ont eu le temps de vieillir et ont besoin de capital frais pour être modernisées.
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Il était attendu que les prix de l’énergie augmentent inévitablement pour couvrir les coûts de modernisation et la transition énergétique. Et le retour sur investissement du nouveau réacteur nucléaire controversé, qui ne sera probablement pas le dernier, demandera du temps. D’après les experts, pendant les 15 premières années, le prix de l’électricité d’origine atomique sera de 12,5 centimes par kWh. Les énergies renouvelables devront toutefois dominer le marché.
D’après Sergueï Agafonov, le président de l’Association kazakhe des compagnies de l’énergie, un bilan énergétique idéal voudrait que les énergies renouvelables couvrent au moins la moitié de la production. Quant à la part de l’énergie atomique dans le mix kazakh, elle devrait approcher le pourcentage de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique mondial, soit peu ou prou 12 % en 2040. « Oui, les énergies renouvelables vont devoir dominer les autres sources de production dans notre bilan énergétique. Le principal est que nous menions la transition avec soin », disait Sergueï Agafonov dans une interview avec Orda.kz.
Il y a lieu de douter
La Stratégie 2060 ne comporte ni de plan d’implémentation, ni d’indicateurs de succès ni d’ailleurs de sanctions en cas d’écart aux objectifs. En 2017, lors de l’événement EXPO, il avait été annoncé que la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici à 2030 devait s’élever à 30 %. Actuellement elle est de seulement 6,2%.
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Cela représente certes un taux de croissance de 4 % pendant les sept dernières années, mais l’estimation de croissance était sans aucun doute trop optimiste. Quatre ans plus tard, l’objectif a été divisé de moitié dans les déclarations officielles.
Le scénario où le Kazakhstan manque les objectifs de la Stratégie 2060 n’est pas à exclure. Climate Action Tracker fait montre d’un certain doute quant à la stratégie et qualifie les mesures de protection du climat du Kazakhstan d’insuffisantes, « parce que les émissions dans le cadre politique actuel vont continuer à augmenter (au moins) jusqu’en 2035. » La volonté politique tout comme la marge de manœuvre pour faire efficacement face aux défis existants semblent faire défaut.
Anna Wilhelmi
Rédactrice pour Novastan Deutsch
Traduit de l’allemand par Arnaud Behr
Relu par Léna Marin
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La neutralité carbone en 2060 ? La stratégie du Kazakhstan sur le banc d’essai