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L’année 2023 en Asie centrale

Comme au début de chaque année, Novastan résume ce qui a fait bouger l'Asie centrale l'année précédente, à travers nos articles marquants.

Asie centrale drapeaux
2023 en Asie centrale (illustration). Image : Novastan Deutsch.

Comme au début de chaque année, Novastan résume ce qui a fait bouger l’Asie centrale l’année précédente, à travers nos articles marquants.

En 2023, les crises globales comme le réchauffement climatique, la guerre en Ukraine et la progression de l’autoritarisme ont affecté les Etats centrasiatiques.

Au Kazakhstan, le gouvernement du président Kassym-Jomart Tokaïev a pu se stabiliser en s’appuyant sur une forte répression, et a cherché le rapprochement avec l’Occident malgré l’influence toujours importante de la Russie. Bien que les relations entre le Kirghizstan et le Tadjikistan soient toujours crispées par le conflit dormant autour de la frontière commune, longue de presque 1000 kilomètres, les intenses négociations ont permis une désescalade notable, les deux pays s’étant entendus sur de grandes portions du tracé de la frontière.

Tandis que l’année passée a été marquée par des problèmes d’approvisionnement et d’environnement au Turkménistan, la vie politique en Ouzbékistan s’est déroulée sous le signe d’un changement de Constitution et de la réélection de Chavkat Mirzioïev.

Kazakhstan : manifestations locales, ouverture globale

Au Kazakhstan, après une année marquée par les événements de janvier 2022, la situation s’est de nouveau stabilisée en 2023. L’influence de la famille de l’ex-président Noursoultan Nazarbaïev a été contenue. Lors des élections parlementaires du 19 mars qui ont vu le parti au pouvoir Amanat rafler plus de 54 % des sièges, des candidats indépendants ont à nouveau été autorisés à se présenter.

Pourtant, le régime agit de manière extrêmement répressive envers l’opposition. Ainsi, des activistes du mouvement politique Oyan, Qazaqstan (Réveille-toi Kazakhstan, en kazakh) ont été condamnés à 15 jours de détention pour avoir manifesté contre les résultats des élections. De nouvelles manifestations ont également agité la ville pétrolière de Janaozen. Cette fois-ci, elles ne se sont pas propagées au reste du pays comme en janvier 2022.

En cette deuxième année de guerre en Ukraine, la relation du Kazakhstan avec la Russie est demeurée ambivalente. Le Kazakhstan envisage par exemple la création d’un registre des agents de l’étranger, pour lequel une loi russe équivalente aurait servi de modèle selon certains observateurs. Le territoire du Kazakhstan a servi de plateforme pour le contournement des sanctions malgré la coopération avec l’Occident réaffirmée par le président.

Dans le même temps, la coopération avec les Etats-Unis et l’Union Européenne s’est intensifiée. La visite du président français témoigne de l’intérêt que porte la France au Kazakhstan au vu du contexte géopolitique.

Macron Tokaïev Kazakhstan Astana France
Le président français Emmanuel Macron s’est rendu au Kazakhstan auprès du président Kassym-Jomart Tokaïev en 2023. Photo : Akorda.

La société civile est de plus en plus sceptique à l’égard de la Russie. C’est ce qu’ont pu ressentir les musiciens russes dont les concerts en Asie centrale ont été fréquemment annulés. Ces annulations sont aussi à resituer dans un contexte de débats intenses qui animent la société kazakhe autour de la question de la décolonisation. L’Etat kazakh questionne lui aussi son passé et a déclassifié en octobre plus de 2,4 millions de dossiers liés aux répressions sous l’ère soviétique.

La multinationale de l’acier ArcelorMittal s’est retrouvée dans la tourmente au Kazakhstan. Suite à l’accident ayant causé la mort de 46 mineurs le 28 octobre dernier dans l’une des mines de la compagnie, le gouvernement a rompu les accords de coopération qui le liaient avec ArcelorMittal. La compagnie du magnat indien Lakshmi Mittal qui, en plus de l’aciérie de Temirtaou, exploite de nombreuses mines dans la région de Karaganda, a dû quitter le pays. Le groupe, connu pour son laxisme en matière de consignes de sécurité, avait déjà dû essuyer des critiques massives après un accident mortel au mois d’août.

Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : fin des accords avec ArcelorMittal après une explosion dans la mine de Kostenko

Les villes industrielles comme Temirtaou et Atyraou ont fait les gros titres au début de l’année 2023 en raison de la forte pollution de l’air qui accable de plus en plus les habitants. Mais ce n’est pas le seul problème environnemental dont souffre le Kazakhstan. La capitale Astana a été touchée par une pénurie d’eau en mai. Le niveau de la mer Caspienne recule dangereusement : si rien n’est fait, elle pourrait s’assécher.

Kirghizstan : changement de drapeau et revirement autoritaire

Le Kirghizstan débute 2024 avec un nouveau drapeau. Le président Sadyr Japarov a signé le 22 décembre dernier la loi entérinant la légère modification du symbole national. Pour les initiateurs de la loi, le changement marque un jalon dans le développement du pays. Les critiques en revanche y voient plutôt une nouvelle étape dans l’établissement de structures autoritaires, qui se sont révélées tout au long de l’année par des attaques contre la liberté de pensée, de la presse, par des interpellations d’opposants politiques et une nouvelle tentative d’adoption d’une loi sur les agents étrangers. De plus, certains voient dans le changement de drapeau national une manœuvre de diversion afin d’occulter des problèmes structurels comme la pauvreté et la pollution.

Le combat très médiatisé des forces de sécurité du pays contre le crime organisé peut être interprété comme un renforcement du monopole de l’Etat sur la violence, ce qui est perçu par certains observateurs comme l’établissement d’une mafia d’Etat. En témoigne également le fait que plusieurs dizaines de bâtiments des services de renseignement, le GKNB, ont été ouverts ou rénovés au cours de l’année.

Le Kirghizstan a restreint les conditions de séjour pour les étrangers : toute personne pouvant entrer au Kirghizstan sans visa doit respecter un délai de carence de 120 jours entre deux séjours.

Sur la scène politique extérieure, l’année s’est écoulée sous le signe d’efforts redoublés pour fixer la frontière avec le Tadjikistan, sans négliger les relations avec les Etats voisins. La Chine reste un partenaire privilégié pour les investissements.

Kirghizstan Tadjikistan Soldats Pain et sel
Des soldats tadjiks se voient offrir le pain et le sel au Kirghizstan. Photo : ministère des Armées du Kirghizstan.

Sur fond d’agression russe en Ukraine, le Kirghizstan tente, comme toute la région, de garder un équilibre entre le maintien des relations avec Moscou, emprisonnant et expulsant des opposants russes, et un partenariat avec les Etats européens et les Etats-Unis. Du point de vue économique, le pays pourrait même profiter des tensions géopolitiques. En effet, le commerce extérieur réalise des chiffres d’affaires records, notamment en raison du contournement des sanctions contre la Russie.

Les concepts de décolonisation et de politique mémorielle gagnent en popularité auprès des élites urbaines. Cela se répercute aussi sur la politique linguistique :  l’idée de latiniser l’alphabet kirghiz a fait surface au cours de l’année et une nouvelle loi a été adoptée malgré les protestations de Moscou, exigeant des employés du secteur public la connaissance du kirghiz. Dans ce contexte, une bonne nouvelle pour les germanophones qui s’intéressent à la langue kirghize : une grammaire complète en allemand de la langue a paru en mai dernier.

Tadjikistan : conflit frontalier sans fin et efforts diplomatiques

Le conflit frontalier entre le Tadjikistan et le Kirghizstan, qui a donné lieu à des combats en septembre 2022, continue de perturber les relations entre les deux pays. Les répercussions sur la population locale sont lourdes puisque les tensions impliquent la fermeture de la frontière aux marchandises et aux personnes. C’est notamment le cas de l’autoroute du Pamir, la M41. Les montagnes du Pamir sont de plus fortement affectées par le changement climatique.

M41 Pamir Route Tadjikistan Haut Badakhchan
La route M41 dans le Pamir tadjik. Photo : Matthieu Audiffret.

Les tensions se sont progressivement apaisées au cours de l’année. Des commissions se sont plusieurs fois rassemblées pour fixer de larges tronçons de la frontière : plus de 664 kilomètres (environ deux tiers) de la frontière commune ont été renégociés. Dans ce contexte, la visite du président Emomali Rahmon au Kirghizstan lors du sommet UE-Asie centrale a revêtu un caractère symbolique.

Emomali Rahmon était également présent au sommet avec les pays du Golfe et à celui avec les Etats-Unis. La relation bilatérale avec l’Iran, parent linguistique, est en constant développement, ce qui ne doit pas faire oublier l’influence chinoise. Enfin la nomination d’un représentant du régime des talibans au consulat de Khorog a fait les gros titres.

En ce qui concerne les droits humains, le Tadjikistan reste sous le feu de la critique. La répression est permanente, malgré les appels de certains représentants des Nations unies. Les autorités maintiennent une forte pression sur la population et sur les médias, d’où la mauvaise position du pays dans le classement de la liberté de la presse. Exercer le métier d’avocat y est également difficile.

Lire aussi sur Novastan : Le journalisme au Tadjikistan, une activité dangereuse

Après les événements sanglants de mai 2022, la région du Haut-Badakhchan est toujours soumise à une forte pression. Parmi les personnes arrêtées, le principal chef religieux de la région purge une peine de prison. La fondation Aga Khan voit sa marge de manœuvre de plus en plus restreinte : les dispositifs de formation et de soin de la fondation dans le Haut-Badakhchan ont été nationalisés.

Le Tadjikistan est aussi affecté par des problèmes transrégionaux comme cela a été le cas au début de l’année avec la crise de l’oignon. De plus, les conditions de recrutement dans l’armée nationale sont toujours critiquées, tandis que l’armée russe recrute des migrants tadjiks.

Turkménistan : entre crise climatique et droits humains malmenés

Même après la passation de Gourbangouly Berdimouhamedov à son fils, Serdar Berdimouhamedov, l’ancien président garde le pouvoir fermement en main au Turkménistan. Le retour d’un parlement unicaméral au début de l’année a renforcé la position de l’ex-chef d’Etat et met à jour les rapports de pouvoir informels qui règnent dans le pays.

Sur le plan économique, le Turkménistan a aussi été touché par la crise de l’oignon, une pénurie de denrées alimentaires résultant d’un hiver glacial ayant frappé l’Asie centrale.

En termes de politique extérieure, le pays fait le grand écart entre l’Europe et la Russie. Le pays dispose de réserves de gaz immenses qui représentent une alternative intéressante au gaz russe pour les marchés européens eu égard aux sanctions européennes. La Russie, quant à elle, s’efforce de conserver son influence dans le pays et bloque le projet de pipeline transcaspien qui relierait le Turkménistan à l’Europe via la Turquie.

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La situation des migrants turkmènes en Turquie continue de se dégrader. Les autorités turques se durcissent contre la main-d’œuvre clandestine d’origine turkmène. Le retour au Turkménistan n’est pourtant pas une option pour les migrants turkmènes à cause du risque de représailles.

De plus, la crise du pain ne semble pas vouloir finir. Dans ce pays fermé, de larges pans de la population dépendent des denrées subventionnées. Au cours de l’année, les dépêches se sont accumulées au sujet de livraisons en retard de farine et de beurre générant la colère au sein de la population.

Sur la côte turkmène de la mer Caspienne, un recul du niveau de la mer allant jusqu’à 40 centimètres a été observé. La diminution du débit de la Volga, s’ajoutant aux effets du changement climatique, serait responsable de la baisse du niveau des eaux. Si rien n’est fait, ce niveau pourrait poursuivre son recul de 8 à 30 mètres en l’an 2100. Un assèchement coûterait cher aux Etats riverains. Ces dernières années, le Turkménistan a investi dans la construction de gigantesques complexes portuaires censés contribuer au développement des voies commerciales entre l’Europe et la Chine.

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Sur le plan des droits humains et de l’égalité des sexes, le Turkménistan accumule un certain retard. Quant à la liberté de la presse, le pays se classe parmi les cinq pires pays au monde. Avec l’arrivée au pouvoir de Serdar Berdimouhamedov, la censure dans ce pays autoritaire s’est même renforcée.

Ouzbékistan : Modification de la Constitution et élection présidentielle

Au printemps 2023 s’est tenu en Ouzbékistan un référendum à portée constitutionnelle. Des voix critiques s’élevaient déjà en 2021 contre ce dispositif. Celui-ci servirait seulement à prolonger les mandats du président Chavkat Mirzioïev, en remettant son temps en poste virtuellement à zéro.

En revanche, les exactions à l’encontre des manifestants de l’année précédente au Karakalpakstan ont été passées sous silence. De nouveaux activistes et blogueurs ont été condamnés à de lourdes peines de prison, bien que la nouvelle Constitution ne comporte finalement pas de remise en question de l’autonomie de la région.

Conformément aux attentes, le changement de Constitution a été accepté le 30 avril dernier par une large majorité avec un taux de participation élevé. Certains aspects ont été positivement accueillis par les observateurs internationaux, comme l’introduction d’un droit au logement, l’interdiction de la discrimination sur la base du sexe et la revalorisation de la profession d’enseignant. D’autres changements ont été critiqués comme trop superficiels, certains ont été qualifiés de piliers d’un revirement autoritaire. La censure de la presse reste également scrupuleusement appliquée.

Chavkat Mirzioiev Ouzbékistan
Le président Chavkat Mirzioïev a renforcé son pouvoir grâce à la nouvelle Constitution. Photo : president.uz.

L’élection présidentielle anticipée du 9 juillet dernier n’a pas suscité de surprises. Comme cela avait été supposé, la concurrence politique, tout comme une opposition à prendre au sérieux, ont fait défaut au scrutin, ce qui a logiquement conduit à la réélection de Chavkat Mirzioïev. La carrière de l’une des filles du président, Saïda Mirzioïeva, a fait un bond avec son accession à la fonction de directrice de l’administration présidentielle.

L’Ouzbékistan n’a pas seulement intensifié les échanges avec les autres Etats turciques, mais aussi sa participation au dialogue international. Malgré la crise énergétique en Ouzbékistan, l’accord d’exportation d’électricité avec l’Afghanistan a été prolongé, tandis que le projet de chemin de fer transafghan se heurte à de nouveaux obstacles. Les échanges avec l’Iran, Singapour et les Etats du Golfe s’intensifient.

Lire aussi sur Novastan : L’Ouzbékistan fait difficilement face à une crise énergétique majeure

L’interdépendance économique de la région avec la Russie conduit de manière répétée à des frictions entre intérêts russes et européens. Comme le Kazakhstan, le pays a reçu la visite du président français, Emmanuel Macron, propulsant davantage le partenariat avec l’Ouzbékistan, notamment autour de l’uranium.

Les empiètements sur les droits humains en Ouzbékistan entachent le bilan de cette année 2023. Bien que les droits des femmes se soient améliorés en apparence, les poursuites pénales contre les délits sexuels restent trop laxistes. Des viols de mineurs dans un orphelinat de la région du Khorezm ont particulièrement suscité l’indignation de la société civile, du fait des peines prononcées contre les coupables, perçues comme trop légères.

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La vie des femmes en Ouzbékistan est tout sauf un conte de fées, comme le porte à croire un compte-rendu de recherches. Malgré tout, les violences conjugales ont été criminalisées en Ouzbékistan. La loi signée par Chavkat Mirzioïev en octobre dernier pénalisant la polygamie est ardemment débattue sur les réseaux sociaux et ne trouve pas que des défenseurs, mais aussi des opposants.

Enfin, la relocalisation du festival électro ouzbek Stihia vers Boukhara, alors qu’il se tenait habituellement au bord de la mer d’Aral, a également créé la polémique.

Novastan

Pour Novastan, 2023 a été l’année du renouvellement de notre présence sur Internet. Depuis avril dernier, la quatrième version du site est en ligne. Celle-ci doit permettre une utilisation plus aisée et plus transparente. Chaque article est accompagné d’un encadré d’information qui indique s’il agit d’une traduction ou de notre propre production.

En novembre, environ 30 Novastanais provenant de nos équipes germanophone, anglophone et francophone se sont rassemblés lors d’un congrès à Berlin. Plusieurs ateliers nous ont permis de plancher sur l’amélioration des procédures de travail que nous avons en commun. Cela a été aussi l’occasion de créer du lien entre nous. Comme les années précédentes, la rencontre a pu se tenir grâce au soutien généreux du Fonds citoyen franco-allemand.

Novastan Berlin Congrès
Une trentaine de bénévoles se sont réunis à Berlin les 4 et 5 novembre. Photo : Kelley Luyken.

Au-delà du travail rédactionnel, l’association a organisé de nombreux événements pour les personnes intéressées par l’Asie centrale, notamment « Dance with the Stans » à Berlin.

Pendant l’année à venir, nous voulons poursuivre notre travail de rapprochement entre l’Asie centrale et l’Europe et nous nous réjouissons d’avance de votre participation et de votre soutien !

Florian Copperath, Michèle Häfliger, Jan Ritter, Robin Roth et Berenika Zeller
Rédacteurs pour Novastan Deutsch

Traduit de l’allemand par Arnaud Behr

Edité par Paulinon Vanackère

Relu par Elise Medina

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