L’investiture de Donald Trump bouleverse les relations internationales. De plus, la suppression de la majeure partie des aides par l’Agence de développement des Etats-Unis pèse déjà sur de nombreuses régions, dont l’Asie centrale. Mais que faut-il attendre pour la suite du mandat ?
Le média centrasiatique Cabar Asia a interrogé trois experts, qui estiment que l’administration du nouveau président américain poursuivra sa politique précédente à l’égard de l’Asie centrale. D’après l’un d’eux, les pays de la région ne se concentrent pas sur les États-Unis. Dans certains cas, les décisions de Donald Trump risquent de prendre un caractère inattendu et imprévisible. Cependant, les principales orientations de sa politique resteront inchangées, affirme un autre.
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Cabar Asia : Le président nouvellement élu, Donald Trump, а conclu la formation de sa future administration. Dont le nouveau Secrétaire d’Etat, Marco Rubio, connu pour sa position ferme envers la Chine et l’Iran. Cependant, les experts affirment que la nouvelle administration est formée selon le principe de la loyauté et que Donald Trump prendra les décisions les plus importantes de manière indépendante. Peut-on s’attendre à une politique stable, prévisibile, de la nouvelle administration par rapport aux pays d’Asie centrale ?
Roustam Bournachev : Les pays d’Asie centrale ne sont pas seulement une faible priorité pour les États-Unis, ils ne constituent même pas un axe central de leur politique. L’agenda américain pour ces pays reste stable et ne change pas avec une nouvelle administration, même lorsque l’attention portée aux pays augmente, comme ce fut le cas après le début de l’opération militaire de la coalition antiterroriste en Afghanistan en 2001.
Une telle « indifférence positive » des États-Unis envers l’Asie centrale a pu être observée pendant le premier mandat de la présidence de Donald Trump, bien qu’à cette époque, les États-Unis aient maintenu une présence militaire et politique en Afghanistan et que, par conséquent, l’attention portée à l’Asie centrale ait été relativement élevée. À cet égard, je ne m’attends à aucun changement majeur dans la position des États-Unis concernant les pays d’Asie centrale après l’investiture de Donald Trump.
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La région centrasiatique n’a pas joué de rôle spécifique ces dernières années dans la politique américaine. Washington avait uniquement garanti que les pays d’Asie centrale respecteraient les sanctions contre la Russie, afin d’empêcher l’exportation vers la Fédération russe de marchandises à double usage.
La nouvelle administration poursuivra-t-elle une politique plus active dans la région ? Que peut-elle offrir aux pays d’Asie centrale ?
Non, je ne m’attends à aucune intensification de l’activité des États-Unis dans les pays d’Asie centrale. La situation peut certainement évoluer en raison des transformations des lignes des conflits entre les États-Unis et la Russie ainsi qu’entre les États-Unis et la Chine. Cependant, il est difficile de dire actuellement comment cette transformation se déroulera ou si elle se produira du tout.
Comment le format C5+1 fonctionnera-t-il à l’avenir ? Peut-on même parler de sa disparition ?
Le format « C5+1 », où « 1 » désigne les États-Unis, a un caractère purement diplomatique : celui-ci fonctionne au niveau des ministres des Affaires étrangères. Par conséquent, il sera exactement conservé dans le format qui existe actuellement.
Quel pays de la région peut devenir un partenaire clé de Washington ?
Je suis d’accord avec la position exprimée dans l’une des questions précédentes, selon laquelle les pays d’Asie centrale n’ont pas joué un rôle spécifique dans la politique américaine. De plus, je présume qu’ils n’en joueront pas davantage dans un avenir proche. Par conséquent, la question d’un « partenaire clé » perd sa pertinence.
Donald Trump déclare vouloir une paix rapide en Ukraine. S’il parvient à mettre fin aux hostilités, quel impact cela aura-t-il sur les pays d’Asie centrale ? La Russie pourra-t-elle rétablir dans la région l’influence qu’elle exerçait avant l’invasion de l’Ukraine ?
Je pense qu’il y a plusieurs scénarios envisageables. L’impact sur les pays d’Asie centrale dépendra du développement qui se concrétisera. Quoi qu’il en soit, parler d’une « restauration de l’influence » de la Russie dans le pays d’Asie centrale me semble peu pertinent, car ces dernières années cette influence n’a pas diminué. Et je mets ce terme entre guillemets car il ne correspond pas à ma manière de concevoir la question.
Ceci est bien démontré par l’analyse du chiffre d’affaires commercial de la Russie avec les pays d’Asie centrale, le volume des investissements et le nombre de projets réalisés avec la participation de la Russie.
L’administration de Donald Trump accentuera la pression sur la Chine, un pays qui est devenu un partenaire clé des tous les pays d’Asie centrale ces derniers années. Comment cela impactera-t-il les interactions entre l’Asie centrale et Chine ?
Tout dépend de la stratégie des États-Unis sur cette question et de la réponse stratégique de la Chine.
Comme le montre la pratique, jusqu’à présent, toutes les tentatives de « pression » sur le voisinage d’Asie centrale ont conduit au renforcement de leurs liens avec les pays de la région.
Quel avenir attend les projets d’infrastructures intergouvernementales et interétatiques dans la région, d’autant plus que beaucoup d’entre eux réduisent la présence économique de la Russie ? Par exemple, en 2021, l’administration de Donald Trump avait exprimé son soutien au développement d’un gazoduc transcaspien reliant le Turkménistan à l’Azerbaïdjan. Cependant, la République populaire de Chine et l’Iran sont impliqués dans bon nombre de ces projets et ils en sont potentiellement les principaux bénéficiaires. Donald Trump interférera-t-il avec la mise en œuvre de ces projets ?
Je ne suis pas d’accord avec ces affirmations. Tout d’abord, la majorité des projets d’infrastructure réalisés ces dernières années dans les pays d’Asie centrale, avec leur participation, ne contredisent pas les intérêts de la Russie, bien au contraire, ils sont alignés sur ceux de la Russie.
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Ensuite, les bénéficiaires de ces projets, d’une manière ou d’une autre, sont tous des participants, et il est extrêmement difficile de déterminer un leadership clair dans ce contexte. En ce qui concerne la possibilité d’une influence des États-Unis sur ces projets, il convient de soulever deux questions cruciales : existe-t-il un intérêt significatif pour les États-Unis à y investir ses ressources ? Pour l’instant, je répondrais négativement à ces deux questions.
Ensuite, il est également possible de prévoir un resserrement de la politique de sanctions envers l’Iran, un partenaire clé du Tadjikistan. Cela aura-t-il un impact sur le pays ?
Dans une certaine mesure, les sanctions de l’Iran affectent tous les pays d’Asie centrale. Au moins en termes de restrictions sur la mise en œuvre de projets d’infrastructures dans lesquels l’Iran peut être impliqué. Cependant, les relations des pays d’Asie centrale, y compris le Tadjikistan, avec l’Iran dans les secteurs « réels » (économiques, militaires, etc.) ne sont pas à ce point fondamentaux que leur changement pourrait affecter d’une manière significative la situation dans ces pays.
Quelle sera la politique de Donald Trump envers les talibans ? Rappelons que c’est sous sa présidence que la décision a été prise de retirer les troupes américaines d’Afghanistan. Va-t-il d’une manière ou d’une autre renforcer la pression sur le régime à Kaboul ? Ou, au contraire, essaiera-t-il de légitimer en entamant des négociations avec lui ?
Je ne vois aucune raison pour que la position des Etats-Unis sur l’Afghanistan change.
L’Union européenne sera-t-elle un remplacement efficace pour les États-Unis qui contrebalancera la présence de la Chine et de la Russie dans la région ?
Les États-Unis ne sont pas un instrument pour contrebalancer la présence de la Chine et de la Russie en Asie centrale. Par conséquent, l’Union européenne n’a personne à remplacer.
Aux États-Unis, il existe déjà une diaspora assez importante provenant des pays d’Asie centrale. Souvent, ces personnes soutiennent financièrement leur famille dans leur pays d’origine. Pendant ce temps, Donald Trump promet de renforcer les expulsions de migrants clandestins. Cela pourrait-il compliquer la situation sociale dans les pays centrasiatiques ?
Les statistiques que je connais ne permettent pas de dire que le nombre de migrants, en particulier illégaux ou avec un statut non réglementé, des pays d’Asie centrale aux États-Unis, est à ce point important pour que son changement puisse d’une manière ou d’autre affecter l’économie de ces pays.
Vous retrouverez les entretiens sur le même sujet avec un politologue tadjik, qui a demandé l’anonymat, ici, et avec Temour Oumarov, chercheur au centre Carnegie de Berlin, ici.
Marat Mamadchoïev
Journaliste pour Cabar Asia
Traduit du russe par Lisa D’Addazio
Edité par Paulinon Vanackère
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