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Kirghizstan : la marche de solidarité pour la journée des droits des femmes interrompue par des agresseurs masqués

Le 8 mars dernier, une marche pacifique devait avoir lieu dans la capitale Bichkek à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Elle a cependant été interrompue suite à des agresseurs masqués et à l'intervention de la police. À Och, une marche semblable a été entièrement annulée à cause des menaces.

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La marche planifiée le 8 mars 2020 à Bichkek a été interrompue par des assaillants masqués.

Le 8 mars dernier, une marche pacifique devait avoir lieu dans la capitale Bichkek à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Elle a cependant été interrompue suite à des agresseurs masqués et à l’intervention de la police. À Och, une marche semblable a été entièrement annulée à cause des menaces.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 mars 2020 par notre version allemande.

Vers midi le 8 mars dernier, une centaine de personnes se sont rassemblées à Bichkek sur la place de la Victoire pour une marche pacifique, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Dans les mois ayant précédé ce jour symbolique, de plus en plus de cas de femmes blessées ou assassinées par leur mari ont fait la Une des journaux au Kirghizstan. C’est pourquoi la principale préoccupation des manifestants et manifestantes était d’envoyer un signal d’alerte contre la violence à l’égard des femmes.

Mais avant que la marche ne puisse commencer, un groupe d’hommes masqués, dont beaucoup portaient le traditionnel couvre-chef « Ak Kalpak », a violemment attaqué et déchiré les banderoles des manifestant-e-s.

« L’attaque s’est passée très rapidement, lorsque les hommes des Kalpaks ont commencé à détruire tout ce qui les entourait. La police a d’abord observé l’attaque, et a ensuite arrêté non pas les assaillants, mais les personnes qui étaient venues participer à la marche pacifique », a raconté Begimai Bekbolotova, qui arrivait juste à ce moment-là, à Novastan. « J’ai couru pour aider, j’ai appelé des avocats, puis j’ai moi-même été arrêtée par trois policiers, et mon affiche anti-patriarcat a été déchirée sous mes yeux ».

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En plus de Begimai Bekbolotova, environ 70 autres manifestant-e-s ont été arrêté-e-s et conduit-e-s au poste de police concerné, selon le média kirghiz Kloop.kg, qui a suivi les événements en direct. Les assaillants sont restés impassibles tandis qu’un groupe de femmes âgées a orienté la police vers les participant-e-s de la marche.

Un poste de police comme lieu de manifestation

S’en sont suivies des scènes mi-lugubres mi-étranges au sein du poste de police, qui est rapidement devenu le nouveau site de la manifestation. Les manifestant-e-s ont scandé « honte » et « leçons de patriarcat, de violence et de droits de la police », d’après Kloop.kg. Lorsque les personnes arrêtées dans la salle de réunion ont chanté l’hymne national ensemble, les forces de police présentes se sont également levées.

Par ailleurs, certain-e-s participant-e-s ont fait des malaises à cause du manque d’eau ou de la pression psychologique subie, décrit le média américain Eurasianet. Le passeport d’une participante aurait ainsi été déchiré lors de l’enregistrement de ses données personnelles.

« Les policiers se sont comportés de manière agressive, ont enlevé les affiches et ordonné le silence, nous ont poussé-e-s et insulté-e-s, certain-e-s d’entre nous ont eu des contusions », a déclaré Begimai Bekbolotova. Il n’y a pas eu de véritables plaintes contre les participant-e-s, mais les policiers ont noté les données personnelles de toutes les personnes présentes.

Après environ trois heures, tous les participant-e-s ont été libéré-e-s. Dix d’entre eux ont été sanctionnés d’une amende de 3000 soms (38 euros) pour désobéissance civile, a rapporté l’agence kirghize 24.kg.

Désaccords sur le droit de réunio

Le service de presse du Premier ministre Moukhammetkaly Abylgaziev a expliqué le déploiement de la police par le fait que la manifestation n’avait pas été enregistrée par la mairie. Selon la Constitution kirghize, le défaut d’enregistrement ne constitue cependant pas une base valable pour restreindre le droit de réunion pacifique.

Quelques jours avant la marche, un tribunal de Bichkek, à la demande de la mairie, avait interdit tout rassemblement public dans la ville jusqu’au 1er juillet. Officiellement, il s’agissait d’une mesure de précaution dans le contexte de l’épidémie de Coronavirus Covid-19. Le 6 mars, l’administration de la ville a annulé cette ordonnance, mais l’interdiction a été officiellement levée avant le week-end dans un seul des quatre districts. La marche du 8 mars a donc été planifiée dans cet unique district.

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À Och, la deuxième plus grande ville du pays, la marche publique pour la Journée internationale des droits des femmes a été annulée après que les organisateurs ont reçu des menaces à peine voilées de la part de policiers. Le bureau de presse de la police d’Och a déclaré, en réponse aux demandes des journalistes, qu’il n’était pas informé de telles menaces et qu’il mènerait une enquête interne à ce sujet.

À Almaty aussi, dans la ville kazakhe frontalière, la marche de solidarité n’a pas non plus été autorisée par les autorités. Néanmoins, elle a pu se dérouler pacifiquement, sans incidents, décrit le média kazakh Vlast.kz.

L’influence des nationalistes sur la politique

Certains des assaillants masqués qui ont contribué à entraver la marche de Bichkek se sont révélés être des membres du mouvement nationaliste « Kyrk Shoro » (Quarante cavaliers). Officiellement, ce mouvement, fondé en 2010, est engagé dans la préservation de la culture kirghize et de la cohésion nationale. Il a attiré l’attention pour la première fois en 2013 et 2015 en formentant des raids contre les travailleurs étrangers illégaux et contre la prostitution.

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Ces derniers temps, le mouvement « Kyrk Shoro » s’est montré particulièrement opposé aux engagements LGBTI et féministes, tout en faisant preuve d’une certaine influence politique sur ces sujets. En décembre dernier déjà, la directrice du Musée d’art de Bichkek a démissionné après que des nationalistes ont vivement critiqué le contenu de l’exposition « Feminnale ».

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« – Choukher ! Un flic nous a vus, courons !
– Du calme ! Tant que nous portons un Ak-Kalpak et des masques, il ne nous touchera pas. Fais ce que tu veux ! »
Un dessin ironise les arrestations ciblées de la police du 8 mars.

La marche à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes en 2019 avait suscité une polémique nationale en raison de la présence de symboles LGBTI. Avant le rassemblement prévu cette année, un représentant de l’administration de la ville de Bichkek avait déclaré que les autorités ne toléreraient pas de tels symboles cette année.

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Parmi d’autres événements politiques, le thème LGBTI se retrouve instrumentalisé comme spectre des nationalistes afin de discréditer des revendications politiques tout à fait différentes. Par exemple, dans le cadre des manifestations contre la corruption en décembre 2019, des trolls en ligne avaient répandu des rumeurs selon lesquelles les manifestants faisaient secrètement campagne pour les droits LGBTI. Lors d’autres événements, il arrive que des provocateurs surgissent avec des drapeaux arc-en-ciel.

« Une perturbation préméditée »

Pour les manifestant-e-s arrêté-e-s le 8 mars, cet incident est une preuve supplémentaire que de telles actions sont nécessaires. « Il s’agissait d’une perturbation préméditée de la marche contre la violence à l’égard des femmes et cela me fait de la peine de comprendre que la police et les agresseurs masqués étaient du même côté. Ils devraient être punis avec toute la force de la loi », commente Begimai Bekbolotova, toujours sous le choc.

Selon leurs propres déclarations, la police a arrêté cinq des agresseurs le 9 mars, qui avaient été ignorés la veille. D’autres enquêtes seraient en cours. Une autre marche avec le slogan « #NetNasiliju » (« Contre la violence ») s’est tenue le 10 mars. En plus des slogans de la première marche, les organisateurs et organisatrices exigent des sanctions pour les agresseurs, une enquête détaillée sur les événements et une couverture équilibrée par les médias publics.

Florian Coppenrath
Rédacteur en chef de Novastan

Traduit de l’allemand par Anne-Chloé Joblin

Edité par Anna Bellocq

Corrigé par Aline Simonneau

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