Pour la deuxième année consécutive, les autorités ont autorisé une manifestation pour les droits des femmes le 8 mars à Almaty, dans le sud du Kazakhstan. Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant l’Académie des sciences avec un mot d’ordre : « Les femmes ont toute leur place en politique. »Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 mars 2022 par notre version allemande. Plusieurs centaines de manifestantes et manifestants se sont rassemblés ce 8 mars 2022 à Almaty, dans le sud du Kazakhstan, pour protester à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. L’année précédente, la ville avait déjà été le théâtre de la plus grande marche des femmes jamais autorisée dans le pays. Les féministes, femmes et hommes, espéraient alors que cette marche contribuerait à ouvrir la voie à d’autres manifestations pacifiques au Kazakhstan.
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Il n’en a rien été. L’akimat (l’administration publique locale) a interdit cette année la marche féministe sur l’artère initialement prévue, prétextant des travaux de réfection de voirie. Mais les organisateurs ont persévéré et une simple manifestation a fini par être autorisée.
39 femmes censées en représenter 9,8 millions
Pour la deuxième année consécutive, le 8 mars à Almaty est une journée maussade et fraîche. Une demi-heure avant le début de la manifestation, un petit groupe d’une dizaine de personnes s’avance sous la conduite de la coorganisatrice Mira Oungarova vers le point de rendez-vous fixé au pied du monument de l’ethnographe kazakh Tchokhan Valikhanov devant l’Académie des sciences. Elles scandent de nombreux slogans, par exemple : « Le féminisme sauvera le Kazakhstan », réussissant ainsi à transformer leur action en une petite marche spontanée. Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : après une Journée internationale des femmes historique, comment le pouvoir va-t-il réagir ? La partie officielle de la manifestation commence à 14 heures par une minute de silence en mémoire des victimes des événements de janvier. Le mot d’ordre est cette année : « les femmes ont toute leur place en politique. » Les quelques 9,8 millions de femmes kazakhes, plus de la moitié de la population, sont nettement sous-représentées politiquement. C’est ce qu’explique dans son discours la militante des droits de l’Homme Tatiana Tchernobil. Au niveau de l’État, seuls 37 sièges sont occupés par des femmes au parlement. Un seul ministère et une seule administration régionale sont dirigés par des femmes.
Tatiana Tchernobil indique que les administrations locales des villes de Nur-Sultan, Petropavl et Aktioubé ont interdit les manifestations féministes. Quant aux organisateurs d’Almaty, eux aussi sont censurés et n’ont pas le droit de s’écarter de l’ordre du jour toléré par les autorités. Cependant, quelques drapeaux ukrainiens sont apparus dans la foule. La manifestation se déroule heureusement presque sans incidents. Peu après qu’elle a débuté, une participante fait un malaise. Les bénévoles et les infirmiers de garde lui viennent en aide. D’une manière générale, il n’y a que peu de policiers. En revanche, comme très souvent dans ce genre de manifestations au Kazakhstan, plusieurs hommes en noir, sans doute des policiers en civil, sont présents. Ils restent en marge et photographient discrètement les manifestants.
D’avantage de représentation pour toutes les femmes
La coorganisatrice Fariza Ospan attire l’attention de la foule sur trois dames qui se tiennent à distance. Elles brandissent de grandes pancartes rouges réclamant l’abaissement de l’âge de la retraite pour les femmes à 58 ans. Actuellement, le départ à la retraite au Kazakhstan est fixé à 60 ans et doit être porté à 63 ans d’ici 2027. Selon Fariza Ospan, l’akimat avait interdit avant la manifestation toute action portant sur cette question. « Pouvons-nous espérer une retraite qui garantisse notre subsistance quand nous serons âgées ? Non ! L’akimat n’écoute pas les revendications de ces femmes, pas plus qu’il n’écoute les nôtres ! Arrêtons de laisser les hommes décider pour nous », lance-t-elle en soutien. Elle ose alors scander : « La place des femmes est dans la révolution. »Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : un rassemblement pour les droits des femmes aura finalement lieu à Almaty«Je ne vois pas de femme qui me représente » : c’est ainsi que Janar Sekerbaïeva commence son discours. Elle fait partie des organisatrices de la manifestation et est cofondatrice de l’initiative Feminita représentant la communauté féministe queer. «Les femmes ne laissent pas tomber leurs consœurs lesbiennes, bisexuelles, trans, queer, malades du sida, en situation économique difficile, migrantes, travailleuses du sexe. Le féminisme, la liberté et l’égalité sont des idées totalement étrangères aux hommes du parlement. Qu’ils dégagent !», lance Janar Sekerbaïeva en exhortant les manifestantes à s’engager politiquement.
Un symbole d’espoir et un moment de grande tristesse
La coorganisatrice Mira Oungarova, âgée de 18 ans, invite une fillette d’environ cinq ans à monter sur l’estrade. La petite Essenia a écrit sur sa pancarte : « J’ai renoncé à ma sieste pour vous rappeler vos droits ». La petite fille est acclamée : « C’est peut-être notre prochaine présidente ! » Ensuite, à l’initiative du groupement KazFem, la foule respecte une minute de silence, laissant passer un cortège funèbre. Des militantes portent un cercueil de carton noir sur lequel figure le chiffre 67 : le nombre de femmes assassinées en 2021 par leurs partenaires au Kazakhstan selon KazFem. Sur ses flancs, l’on peut lire : « les violences domestiques sont un problème d’ampleur nationale. » L’un des projets de KazFem est le site schiteatsya.kz qui présente des témoignages de survivantes de violences domestiques, illustrant la présence du problème. « C’est notre tragédie à nous toutes, et nous lutterons jusqu’à ce que toutes les femmes soient en sécurité », commente la directrice du projet, Veronika Fonova.
Après une pause, la deuxième partie de la manifestation commence. Des militantes et des spécialistes en études de genre prennent la parole et expriment leur mécontentement sur la situation actuelle du pays. Puis les manifestants entonnent en russe Debout les femmes, hymne du Mouvement de libération des femmes originellement écrit en français et devenu un des symboles internationaux du mouvement féministe. Les organisatrices lisent la résolution rédigée en amont de la manifestation, puis des fumées bleues et jaunes s’élèvent tandis que la foule scande : « Nous sommes pour la paix ! » et « Non à la guerre ! »
Combat pour le droit de manifester
Dès novembre 2021, des militantes avaient demandé l’autorisation d’organiser une marche pour ce 8 mars. Deux semaines plus tard, l’akimat le leur a refusé, au motif que d’autres manifestations de masse étaient prévues à cet endroit et que la rue Chevtchenko où devait se dérouler la marche était en travaux. En février, les activistes ont renouvelé leur demande. La marche est restée interdite mais la manifestation a cette fois-ci été autorisée. C’est ainsi la deuxième fois qu’une action est autorisée à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, depuis la marche de 2021. Lire aussi sur Novastan : Comment le 8 mars était célébré en Ouzbékistan entre 1920 et 1990« L’année dernière, il était dans l’intérêt de l’akimat d’autoriser cette marche puisqu’il voulait ainsi montrer que la nouvelle loi sur les réunions pacifiques fonctionnait. » C’est ce que suppose Arina Osinovskaïa, l’une des coorganisatrices de la manifestation et militante du groupement KazFem interviewée par le média en ligne The Village Kazakhstan. Au terme de la loi votée en mai 2020, tout cortège silencieux est tenu d’être déclaré aux autorités et les manifestations ou défilés de masse doivent faire l’objet d’une demande.
Dans les deux cas, il faut attendre une réponse positive de l’akimat. Les habitants d’Almaty n’ont le droit de protester que dans trois endroits éloignés du centre-ville et ne peuvent défiler que sur cinq kilomètres, sur un tronçon de la rue Chevtchenko situé au centre-ville. Le nombre maximal de participants est fixé à 1000 personnes. Les militants des droits humains affirment que cette loi ne correspond pas aux standards internationaux et qu’elle va à l’encontre des droits fondamentaux.
Est-il possible de manifester après les troubles de janvier ?
Les tergiversations des autorités quant à l’attribution d’une autorisation sont sans doute en rapport avec les troubles de janvier 2022. C’est ce que pensent d’autres organisatrices. « Les événements de janvier ont conduit vraisemblablement les agents de l’État à se montrer plus prudents, mais cela ne signifie pas que notre droit de nous réunir pacifiquement puisse être limité », déclare Janar Sekerbaïeva. Depuis les troubles, l’akimat a autorisé deux autres manifestations : l’une pour la pureté de l’air qui a réuni le 26 janvier plus de 200 personnes et une autre contre la guerre en Ukraine avec quelque 2 000 participants le 6 mars. Comme le rappelle Arina Osinovskaïa, la première manifestation de femmes au Kazakhstan a eu lieu le 18 mars 1907 dans la ville de Semipalatinsk, aujourd’hui Semeï : « Cela fait 115 ans que le féminisme existe au Kazakhstan ! Si quelqu’un vous dit qu’il n’y a pas de féminisme au Kazakhstan, que les manifestations et les marches, ça n’est pas pour les femmes, eh bien montrez lui les photos de toutes nos manifs ! », déclare-t-elle. « Et pourtant, on constate que 115 ans plus tard, il faut toujours une autorisation pour manifester en faveur des droits des femmes. Nul n’a le droit de dire que le Kazakhstan peut se passer du féminisme ! »
Aïzere Malaïsarova Rédactrice pour Novastan
Traduit de l’allemand par Bruno Cazauran
Édité par Paulinon Vanackère
Relu par Swann Herrenschneider
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