Le 8 mars 2021, des centaines de manifestants ont défilé sur les cinq kilomètres de la rue Chevtchenko, une des grandes artères d’Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, et la police n’est pas intervenue. Cette célébration de la Journée internationale des femmes est une première au Kazakhstan, mais les réactions de certains membres du parti au pouvoir, Nour Otan, indiquent que si le changement est en marche, le chemin à parcourir est encore long.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 13 avril 2021 par notre version anglaise.
Au Kazakhstan, la Journée internationale des femmes est traditionnellement l’occasion pour les hommes de fêter leur bien-aimée par un bouquet de fleurs et des cadeaux. Toutefois, en 2021 cette journée a été totalement inédite : pour la première fois dans l’histoire moderne du pays, la municipalité d’Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, a autorisé un rassemblement organisé par plusieurs collectifs féministes. Le 8 mars, des centaines de femmes ont défilé sur les cinq kilomètres de la rue Chevtchenko, l’une des grandes artères du centre-ville.
Comme le rapporte Radio Free Europe / Radio Liberty, des militants de tous âges, hommes et femmes, portaient des banderoles arborant des slogans comme : « Stop aux violences domestiques » et « Les femmes veulent vivre en sécurité ». La foule demandait l’égalité et le respect pour les femmes et les LGBT, ainsi que la criminalisation des violences domestiques et des mesures en faveur de la parité des salaires.
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Selon le média indépendant Vlast basé à Almaty, le député Bekbolat Tleoukhan au Majilis, la chambre basse du parlement kazakh, a en réponse demandé au gouvernement le 31 mars de considérer ce défilé et les revendications des manifestants comme une « atteinte aux valeurs spirituelles ». Dans une question au gouvernement adressée au vice-Premier ministre Eraly Togianov, ce député a remis en cause la légalité du défilé et proposé un projet de loi pour interdire le mariage homosexuel.
Une marche pacifique
Un premier groupe de manifestants comptant plus de 500 personnes s’est rassemblé dans le parc Gandhi du centre-ville. En pleine pandémie, tous les participants portaient un masque. Le défilé a pris fin à environ cinq kilomètres de là, devant l’Académie des sciences, où des organisateurs et des participants ont pris la parole, suffisamment à distance d’une foule disciplinée, respectant les consignes de distanciation sociale.
Parmi les orateurs se trouvait l’activiste Irina Poukhnatova, mieux connue du public sous le nom d’Arina Osinovskaïa, arrêtée en 2020 pendant la Journée internationale des femmes en compagnie d’une autre militante féministe, Fariza Ospan, pour « troubles à l’ordre public ». S’adressant à la foule, elle a déclaré : « Nous souhaitons que cette journée soit une date historique pour le Kazakhstan, cette première marche sera suivie de nombreuses autres en cette journée de luttes… c’est ce que nous avions promis lors de la manifestation de l’année dernière, nous avons tenu parole et espérons continuer à le faire à l’avenir. »
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Parmi les collectifs féministes impliqués dans l’organisation de cette journée figuraient KazFem, Feminita, FemAgora, FemSreda et SVET. Selon Vika Kim de Human Rights Watch, la police était présente mais n’est pas intervenue et aucun participant n’a été arrêté et incarcéré. Depuis la démission de l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev en 2019, des manifestations plus limitées, comme celles dirigées contre le gouvernement cette année, ont été violemment réprimées par la police et de nombreuses personnes ont été appréhendées. Cette fois-ci, la retenue de la police s’explique sans doute par les violentes critiques internationales dont le gouvernement kazakh a récemment fait l’objet pour avoir infligé de lourdes peines à plusieurs militants des droits de l’Homme et ONG.
Pourquoi cela est-il sans précédent ?
C’est la première fois qu’une marche féministe de cette importance est autorisée dans le Kazakhstan moderne. En 2020, 200 personnes s’étaient rassemblées mais la manifestation était interdite. En 2017, ils n’étaient qu’une demi-douzaine d’activistes à défiler. FemAgora, l’un des groupes féministes à l’initiative du défilé de cette année, avait organisé en 2018 un festival pour sensibiliser le public aux questions liées à l’égalité des droits pour les femmes et les LGBT, et qui célébrait le troisième anniversaire de cet évènement en 2021.
Chaque année, les femmes kazakhes s’enhardissent, se sentent davantage habilitées à manifester pour leurs droits et revendiquer l’égalité. Aery Asiyeva, membre de KAZFem, estime que la manifestation a été couronnée de succès. « Nous avons travaillé pendant des mois pour organiser la plus grande marche féministe de l’histoire du Kazakhstan. Des nationalistes et d’autres groupes traditionnalistes d’extrême droite ont essayé de nous mettre des bâtons dans les roues, mais le soutien que nous avons obtenu grâce aux donations et aux bénévoles a fait notre force », raconte-t-elle.
Les femmes continuent de lutter pour l’égalité
Selon une étude effectuée en 2018, les violences domestiques et les abus sexuels sont toujours largement répandus dans le pays. 17 % des femmes entre 18 et 75 ans ont été victimes de violences ou abusées sexuellement par leur partenaire, et 21 % ont souffert de violences psychologiques. Selon la fondation publique Don’t Be Quiet (NeMolchiKZ), huit femmes et deux enfants sont en moyenne violés par jour au Kazakhstan. Chaque année, 400 femmes succombent aux violences domestiques.
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Au Kazakhstan une tradition d’oppression par stigmatisation culturelle perdure et les victimes, forcées de se conformer aux normes sociales, restent souvent trop terrifiées ou honteuses pour demander justice. Le mot kazakh « uyat », « honte » en français, est fréquemment employé en référence à la culpabilité que l’on impose aux femmes pour justifier leur oppression. Les femmes sont souvent tenues responsables des mauvais traitements dont elles sont victimes. Elles sont accusées par exemple d’avoir « provoqué » leurs bourreaux. C’est pourquoi nombre de violences restent souvent secrètes, donc les chiffres avancés sont probablement inférieurs à la réalité.
Des lois insuffisantes
La loi ne protège pas les femmes de manière adéquate et il leur est impossible d’obtenir justice. En juillet 2017, les peines sanctionnant les violences physiques faites aux femmes ont été réduites, passant de délit criminel à celui d’infraction administrative. En janvier dernier, le président Kassym-Jomart Tokaïev a signé une loi punissant les violences contre les membres de la famille d’un simple avertissement écrit, alors que dans son premier discours à la nation, il avait déclaré que le Kazakhstan avait « un besoin urgent de renforcer les sanctions contre les violences sexuelles et domestiques faites aux femmes ».
Selon Human Rights Watch, les autorités kazakhes et la police dissuadent les femmes de porter plainte et les encouragent à se réconcilier avec leurs bourreaux, se gardant bien de leur dire qu’elles ont le droit de se mettre à l’abri et de demander une protection juridique. Cela signifie que les hommes ne sont pas éduqués à améliorer leur conduite ni ne sont tenus pour responsables devant la loi, ce qui ne fait que perpétuer le cycle de la violence.
Une représentation renforcée
Le thème de la Journée internationale des femmes 2021 retenu par le Programme des Nations unies pour le développement était : « Leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 », afin de mettre en lumière les efforts considérables déployés par les femmes et les filles partout dans le monde pour façonner un futur plus égalitaire suite à la pandémie de Covid-19.
Le Kazakhstan a été félicité pour avoir augmenté la représentation féminine dans le management des entreprises qui participent à l’État, mais aussi pour avoir introduit des quotas de femmes et de jeunes dans les listes des candidats au Majilis et aux Maslikhats, les assemblées municipales. Comme le rapporte le communiqué commun de l’Organisation des Nations unies publié le 6 mars dernier, le pays a également été crédité du rôle actif qu’il assume dans le cadre du Forum Génération Égalité, où il est prévu qu’il participe à deux coalitions d’action, l’une sur les violences basées sur le genre et l’autre sur la justice et les droits économiques.
Lily Shanagher
Rédactrice pour Novastan
Traduit de l’anglais par Bruno Cazauran
Édité par Luna-Rose Durot
Relu par Anne Marvau
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