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Quand la liberté de parole est une blague : le créateur d’un média satirique arrêté au Kazakhstan

Temirlan Yensebek, créateur et auteur sur Qaznews24, un média satirique, a été arrêté à Almaty. Il va vraisemblablement être déféré devant la justice pour incitation à la haine. Le tribunal l'a placé en détention provisoire pour la durée de l’enquête préliminaire. S’il est reconnu coupable, il risque jusqu'à sept ans de prison.

Rédigé par :

Anna Wilhelmi 

Temirlan Yensebek Presse Kazakhstan
Une capture d'écran provenant de la page Instagram du média satirique Qaznews24, annonçant le jugement de Temirlan Yensebek, samedi 19 janvier au soir. Capture d’écran: Qaznews24 / Instagram.

Temirlan Yensebek, créateur et auteur sur Qaznews24, un média satirique, a été arrêté à Almaty. Il va vraisemblablement être déféré devant la justice pour incitation à la haine. Le tribunal l’a placé en détention provisoire pour la durée de l’enquête préliminaire. S’il est reconnu coupable, il risque jusqu’à sept ans de prison.

Le militant et blogueur à l’origine du média satirique Qaznews24, qui se présente comme une agence de presse, a été arrêté le 18 janvier dernier à son domicile d’Almaty lors d’une perquisition. Le soir même, il a subi une première audition et a quitté le tribunal menotté. L’activiste reste en détention provisoire pour les deux prochains mois en attente des conclusions de l’enquête préliminaire.

L’avocate du militant, Janar Balgabaïeva, a indiqué aux journalistes que l’arrestation avait pour motif la chanson humoristique « Yo, orystar », qui se traduit par « Yo les Russes ». Temirlan Yensebek l’a jointe à une publication humoristique au sujet de la présentatrice de télévision russe Tina Kandelaki. Un représentant du parquet général a porté plainte contre lui à cause de ce post, ce qui a mis en branle la machine judiciaire.

La satire dans le viseur

Qaznews24 est l’équivalent du Gorafi pour les francophones, publiant des articles satiriques et des commentaires acerbes sur l’actualité politique et sociale. Depuis sa création en 2021, Qaznews24 a accumulé des dizaines de publications, que ce soit sur la pauvreté, la corruption, le népotisme, le culte des puissants, moquant les complotistes, les hypocrites moralisateurs et les sycophantes du monde politique.

Bien que la page Instagram rappelle ouvertement la nature satirique du contenu, les publications suscitent une certaine confusion, puisque celles-ci sont parfois prises pour d’authentiques articles de presse. En 2021, Temirlan Yensebek avait été accusé de répandre la désinformation et, après une perquisition à son domicile, avait été entendu par la police. La police avait publié un communiqué affirmant que Qaznews24 « répandait de fausses informations et induisait les citoyens en erreur », qualifiant le satiriste d’auteur de fake news.

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Les collègues de Temirlan Yensebek avaient alors lancé la campagne « La satire n’est pas un crime », exigeant l’arrêt des persécutions et la défense de la liberté d’expression, dont la Constitution du Kazakhstan se veut garante. La campagne avait été notamment soutenue par les organisations internationales de défense des droits humains comme Human Rights Watch. Des experts linguistiques avaient démontré que le contenu humoristique ne pouvait être qualifié d’information sciemment faussée et l’enquête avait été classée sans suite.

Comme les récents événements l’ont montré, les autorités n’en ont cependant pas fini avec Qaznews24.

Nouveau Kazakhstan, vieilles méthodes

Le 18 janvier dernier, le domicile de Temirlan Yensebek a été de nouveau perquisitionné, cette fois sous le prétexte qu’il aurait « incité à la haine ethnique ». Le juge a ordonné son placement en détention provisoire pour une durée de deux mois dans l’attente des résultats de l’enquête préliminaire. C’est l’option la plus sévère que prévoit la loi.

Après deux mois d’enquête, il sera probablement déféré devant un juge. S’il est reconnu coupable, il risque une peine allant d’une simple amende à un emprisonnement d’une durée de deux à sept ans.

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Le 19 janvier dernier, le journaliste et ancien rédacteur en chef du portail dédié à l’art et à la culture Art of Her, Rous Biketov, a manifesté seul en soutien à Temirlan Yensebek à Almaty. Il a immédiatement été interpellé par la police. Le même jour, il a été condamné à 15 jours de détention pour violation de la loi sur la procédure d’organisation et de déroulement des assemblées pacifiques.

Pas de quoi en rire

Le Kazakhstan n’a jamais brillé en matière de liberté d’expression et de liberté de la presse. D’après le rapport Freedom on the Net établi par Freedom House, le Kazakhstan obtient le score de 34 sur 100, ce qui le place dans la catégorie « sans liberté ». Dans le World Press Freedom Index de Reporters sans frontières, le pays chute de la place 134 en 2023 à la place 142 sur 180 en 2024. Le Global Expression Report classe le Kazakhstan comme « très contraint ».

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Une légère amélioration dans l’indice Freedom of Expression du V-Dem Project ne change pas vraiment la donne. Cet indice rend compte de « la meilleure estimation de la latitude avec laquelle les individus peuvent discuter de sujets politiques à leur domicile ou dans la sphère politique, de la liberté dont disposent les médias et la presse pour présenter des perspectives politiques divergentes ainsi que des libertés académique et culturelle. » Le score du Kazakhstan est de 0,43 sur 1, soit assez médiocre.

Les poursuites judiciaires contre des opposants politiques ne sont pas un phénomène nouveau. Les autorités kazakhes font preuve d’un manque d’humour ainsi que d’une incapacité à encaisser la critique. Dans un pays où la police a recours à la torture et où le crime organisé est en pleine expansion, un post satirique semble pourtant représenter une menace. Tout ceci n’a cependant rien d’anodin. L’idée est de ne pas s’attaquer aux grands maux de la société, mais de faire taire ceux qui osent en parler.

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Bien que l’exemple de Temirlan Yensebek paraisse absurde, son arrestation est l’illustration d’une tendance inquiétante à la restriction de la liberté de parole. Plus important encore, cela envoie un message à la société civile. Comme l’éditeur de Factcheck.kz Adil Jalilov le souligne dans sa tribune : « Le résultat escompté de l’arrestation et des poursuites judiciaires envers Temirlan Yensebek [est manifestement] la progression de l’auto-censure au sein de la communauté médiatique. »

Anna Wilhelmi
Rédactrice pour Novastan English

Traduit de l’anglais par Arnaud Behr

Relu par la Charlotte Bonin

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