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Comment l’économie du Kazakhstan s’adapte au changement climatique

Au Kazakhstan, les risques liés au changement climatique sont souvent évalués sous un angle économique. Dans un entretien accordé au média kazakh Vlast.kz, Dana Yermolenok explique comment l’utilisation de modèles macroéconomiques permet de mieux identifier et prévenir cette menace, mais insiste sur le fait que la réponse doit être globale.

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Des organisations travaillent à adapter l'économie du Kazakhstan au changement climatique (illustration).

Au Kazakhstan, les risques liés au changement climatique sont souvent évalués sous un angle économique. Dans un entretien accordé au média kazakh Vlast.kz, Dana Yermolenok explique comment l’utilisation de modèles macroéconomiques permet de mieux identifier et prévenir cette menace, mais insiste sur le fait que la réponse doit être globale.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 3 mars 2021 par le média kazakh Vlast.kz.

Dana Yermolenok est la responsable régionale du projet Climate resilient economic development (CRED). Une journaliste de Vlast.kz s’est entretenue avec elle sur la volonté du Kazakhstan de s’adapter au changement climatique et de la présence d’arguments économiques pour favoriser ce processus.

Vlast.kz : Dana Yermolenok, quel est l’objet du projet CRED et quelle fonction y occupez-vous ?

Dana Yermolenok : Le projet est associé à l’agence allemande pour la coopération internationale (GIZ), et s’inscrit dans le cadre des initiatives internationales du ministère allemand de l’Environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire. Ce programme global soutient différents projets visant à lutter contre les effets du changement climatique.

Le projet pour lequel je travaille est le CRED, qui a trois pays pilotes : la Géorgie, le Kazakhstan et le Vietnam. Au Kazakhstan, le projet a débuté en 2019 et se clôturera fin 2022. Nous souhaiterions aider le Kazakhstan, ainsi que la Géorgie et le Vietnam, à planifier leur développement à long terme afin de prendre en compte les risques liés au changement climatique pour le développement économique de différents secteurs. Nous souhaiterions comprendre ces risques et aider les pays à prendre des mesures pour les réduire.

Notre projet se décompose en trois aspects. D’une part, nous voulons développer des outils permettant de calculer les dommages que le changement climatique peut causer à l’économie. Pour ce faire, nous utilisons la modélisation macroéconomique. Nous avons développé un modèle spécial pour le Kazakhstan, qui aide à évaluer l’impact économique du changement climatique et des mesures d’adaptation possibles sur différents secteurs de l’économie, et ce à long terme, jusqu’en 2050.

Autrement dit, nous recueillons d’abord des données sur l’impact du changement climatique sur différents secteurs : ce qu’il se passe, quels sont les risques, à quel point le pays est vulnérable. Ensuite, le modèle macroéconomique nous aide à calculer en termes monétaires ce que cela signifie pour l’économie, c’est-à-dire ce qui peut se produire, par exemple, dans le secteur de l’énergie ou dans le secteur agricole.

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Nous savons qu’il existe plusieurs scénarios mondiaux de changement climatique. Par exemple, si personne ne fait rien, alors les conséquences seront plus graves pour tout le monde. Et si des efforts sont faits au niveau mondial pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, alors quel en sera l’impact ? Nous examinons l’impact économique que ces mesures peuvent avoir sur différents secteurs. Notons que nous choisissons également ces mesures avec nos partenaires kazakhs, en fonction de la situation.

La modélisation macroéconomique est la première composante de ce projet.Notre deuxième grande tâche est que ce modèle survive à notre projet, qu’il ne disparaisse pas avec le départ d’experts de passage venus le créer. Nous voulons que ce modèle soit créé avec des experts kazakhs. À ce titre, nous travaillons avec notre partenaire, l’Institut de recherche économique du Kazakhstan, pour développer notre modèle macroéconomique et organiser des formations. Dans l’ensemble, nous avons un large éventail d’experts et un programme de formation, à la fois pour les concepteurs de modèles et pour les utilisateurs.

L’idée est que les personnes formées puissent ensuite facilement appliquer les connaissances acquises dans le cadre de leur travail. Le modèle est assez universel, il peut non seulement évaluer l’impact du changement climatique, mais aussi s’appliquer à d’autres cas, comme par exemple pour évaluer les effets du Covid-19. Ces formations permettent de créer un ensemble d’experts qui savent utiliser et mettre à jour le modèle, mais aussi l’appliquer dans différents contextes.

Et la troisième grande composante de ce projet se concentre sur l’interprétation et l’utilisation des résultats de nos simulations. Nous aimerions que ces résultats soient ensuite utilisés dans différents processus décisionnels. Par exemple, quand il existe un programme de développement à long terme, nous aimerions que, lorsque les responsables analysent la situation et les risques possibles, ils prennent également en compte les risques climatiques. Et, par conséquent, nos résultats de simulation pourraient s’avérer d’une grande aide. Parce qu’en termes monétaires, c’est plus compréhensible : ils permettent de se projeter à long terme.

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Le Kazakhstan émet des gaz à effet de serre et son économie a une lourde empreinte carbone (illustration).

Voici les trois parties principales. Nous aimerions que d’autres organisations, notamment les pays voisins, soient informées de nos résultats. Autrement dit, l’essence de notre projet est de partager le plus possible notre connaissance.

Quelle expérience a été acquise au Kazakhstan, quelles mesures d’adaptation ont déjà été mises en œuvre ? Y a-t-il des exemples encourageants ?

Certaines mesures sont mises en œuvre dans différents secteurs et avec différentes approches. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Banque asiatique de développement (BAD), par exemple, y travaillent et de tels exemples sont nombreux.

Le secteur privé y travaille aussi. Les agriculteurs qui planifient leur efficacité économique à long terme, par exemple, examinent quelles cultures sont adaptées à leurs conditions climatiques. Bien sûr, ils remarquent les changements qui se produisent dans leur région. Ils ont peut-être déjà subi des pertes par le passé, dues soit à la sécheresse, soit à des chutes de neige précoces. Nous connaissons ces exemples. Les agriculteurs sont flexibles, ils peuvent, par exemple, changer certaines cultures, se diversifier et utiliser différents types de cultures sur un même territoire, avec des dates de récolte différentes.

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Nous savons que d’autres secteurs évaluent aussi leurs risques. Dans une certaine mesure, la prise en compte de ces changements est déjà en cours. Tenir compte de ces risques devrait faire partie du processus habituel de planification à long terme. Lorsque nous planifions nos activités économiques, nous examinons comment les marchés vont changer au niveau mondial, s’il y aura de la demande, si nous avons des ressources. Nous prenons en compte différents facteurs. Le climat et la façon dont il va changer sur un territoire donné ne sont qu’un autre facteur à considérer dans notre planification.

Sous quel autre angle que celui de l’économie peut-on et doit-on considérer l’importance des mesures d’adaptation au changement climatique?

Je voudrais aborder un aspect. Très souvent, lorsque nous parlons du changement climatique, nous le partageons en deux concepts. D’un côté il y a la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce qu’on appelle la mitigation ou l’atténuation des effets du changement climatique, et d’autre part il y a l’adaptation.

Nos actions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ont un impact mondial parce que nous avons une atmosphère commune, alors que l’adaptation concerne plus directement les individus. Par exemple, des coulées de boue se produisent de plus en plus souvent et des inondations régulières détruisent les routes.

Il est bien souvent impossible de séparer ces deux défis liés au changement climatique que sont la réduction des émissions et l’adaptation. Si je prévois de réduire mes émissions, disons en créant une plantation d’arbres qui absorbera le dioxyde de carbone, je dois prendre en compte les risques climatiques. Si je plante des arbres qui nécessitent d’être arrosés alors que dans 50 ans l’eau se sera raréfiée, cela signifie qu’il y a un risque climatique lié à mes actions de réduction des émissions.

De même avec l’adaptation. Par exemple, nous voulons utiliser plus d’engrais pour nous adapter au changement car nous savons que les rendements diminuent. Nous commençons à utiliser de plus en plus d’engrais, mais les engrais minéraux sont également générateurs d’émissions de gaz à effet de serre. Autrement dit, nos actions d’adaptation peuvent entraîner une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. L’adaptation et la mitigation sont des choses inséparables, comme les deux faces d’une même médaille.

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Quand on parle d’adaptation, ici, on ne prend pas seulement en compte les pertes économiques. Par exemple, je ne perds pas seulement ma récolte. L’augmentation des risques de catastrophe naturelle a toujours des conséquences sociales, environnementales, écologiques et sanitaires.

Les risques pour la santé liés au changement climatique comprennent divers aspects. On reconnaît déjà que les zones géographiques de transmission de certaines maladies sont en pleine expansion. Par exemple, les moustiques, porteurs du paludisme, apparaissent maintenant beaucoup plus au nord que leur région d’origine. Nous trouvons aujourd’hui de nouveaux agents pathogènes qui n’avaient jamais été rencontrés auparavant. Ce sont des exemples très parlants.

D’autre part, l’augmentation de la température ou l’augmentation du nombre de jours avec des vagues de chaleur en milieu urbain peut entraîner une aggravation des maladies, notamment cardiovasculaires. Et tous ces changements nécessitent la mise en place de mesures. Est-il possible d’envisager l’environnement urbain différemment ? Y a-t-il des moyens d’améliorer le microclimat ?

La climatisation est un autre bon exemple présentant à la fois des avantages et des inconvénients. Il fait chaud, il y a des vagues de chaleur. Comment pouvons-nous nous adapter ? Nous pouvons utiliser davantage de climatiseurs mais leur utilisation augmente la consommation d’énergie, et en conséquence, augmente les émissions de gaz à effet de serre, car notre énergie est produite à partir de charbon. Ce sont des liens que nous devons prendre en compte.

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Il existe des solutions jugées beaucoup plus durables puisqu’elles peuvent aider à la fois à réduire les émissions et à s’adapter. Par exemple, l’utilisation durable des pâturages ou le reboisement. Ces solutions peuvent être des mesures d’adaptation, et parallèlement, cela aide à retenir le carbone dans le sol et donc à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Ce sont des solutions dites naturelles. Elles peuvent également s’appliquer dans les villes lorsque nous utilisons les écosystèmes naturels pour aider les gens à s’adapter à un changement. Par exemple, lorsque nous augmentons le nombre d’espaces verts dans une ville, nous pouvons faire d’une pierre deux coups : créer un environnement plus favorable en améliorant le microclimat et en même temps dire que certains écosystèmes urbains aident à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

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Plusieurs approches s’avèrent efficaces. Comment peuvent-elles être mises en œuvre au niveau local, au niveau national ? De telles discussions sont en cours. Et nous aimerions vraiment que cela devienne un sujet important pour le Kazakhstan, car le pays est très vulnérable au changement climatique.

Nous savons que la fonte des glaciers en Asie centrale aura un impact considérable sur la disponibilité des ressources en eau, en particulier dans les régions qui dépendent du ruissellement des rivières de montagne. Enfin, nous sommes très vulnérables, mais d’un autre côté, nous sommes un pays qui émet des gaz à effet de serre et nous avons une économie à empreinte carbone élevée.

Le terme d’adaptation est apparu pour la première fois en 2020 dans le nouveau code de l’Environnement, adopté en janvier 2021 et remplaçant celui de 2007. Pour autant que je sache, votre projet y est pour quelque chose. Peut-on dire que la rédaction de ce code peut encourager le changement et accélérer la réduction de ces émissions ? Le code de l’Environnement peut-il être perçu comme un outil qui commence à nous orienter dans la bonne direction ? Les attentes sont-elles trop radicales ?

En ce qui concerne cette innovation qui est apparue dans le code de l’Environnement, en effet, nous n’avions pas de cadre législatif définissant la portée des responsabilités au niveau national. Qui devrait être responsable de la planification des mesures d’adaptation, comment cela devrait se produire, à quels niveaux ?

Quant à l’apparition d’un nouveau chapitre dans le code de l’Environnement, je crois que c’est une première étape importante pour déterminer la portée de certaines mesures d’adaptation au Kazakhstan. Nous sommes également en train d’élaborer le plan national d’adaptation. Je sais que nos collègues du PNUD travaillent dans ce sens et nous, au sein du GIZ, soutenons pleinement nos partenaires. Nous avions aussi un projet en partenariat avec le ministère de l’Écologie, de la géologie et des ressources naturelles du Kazakhstan qui avait pour but de coordonner tous ces travaux afin de les inclure dans le code de l’Environnement.

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Les décharges à ciel ouvert contribuent à la mauvaise qualité de l’air (illustration).

Nous pensons que c’est une étape importante, mais bien sûr, nous savons qu’il reste beaucoup de travail à faire. Cependant, il faut désormais comprendre les procédures pour que les informations climatiques puissent être traduites et interprétées par les personnes compétentes. Cette compréhension des risques climatiques sera intégrée dans des outils de planification. Enfin, ce sera utilisé pour évaluer les mesures d’adaptation.Toutes ces choses restent à développer. Il y aura une sorte de phase pilote, nous obtiendrons certaines choses, nous en changerons d’autres par la suite.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises la nécessité de collecter et d’interpréter les données. Quelle est la qualité des données disponibles pour une évaluation complète des menaces et des dommages?

Je peux dire que nous avons de très bonnes prévisions à long terme du changement climatique pour le Kazakhstan. Le centre national d’hydrométéorologie, Kazhydromet, a un département qui s’occupe de la prévision à long terme de l’impact du changement climatique dans différentes régions du Kazakhstan.

Ils intègrent également les données des prévisions mondiales et ces scénarios peuvent fournir des informations plus détaillées, par exemple sur la manière dont les températures et les précipitations vont changer. Ils ont eu de bons résultats sur la prédiction des catastrophes naturelles au Kazakhstan. L’information climatique est là.L’autre question est : comment l’utiliser ? À l’heure actuelle, nous avons une sorte de base de données, mais elle doit être interprétée.

Il faut réussir à comprendre ce que signifient ces chiffres de changement de température et ce qu’ils impliquent sur un territoire ou pour une industrie particulière. Par exemple, si nous disons qu’il y aura plus de crues sur ce territoire, qu’est-ce que cela signifie pour lui et quels sont les impacts pour le transport, l’énergie ou d’autres industries?Nous avons encore des lacunes dans la façon d’organiser le processus de traduction de ces informations climatiques et de créer une ligne de conduite claire. Je pense que c’est exactement dans ce domaine que les capacités des organismes et des experts gouvernementaux ou du secteur privé seront renforcées.

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C’est un grand terrain de jeu. Par exemple, je peux vous dire que nous n’avons pas de processus déterminé pour collecter ces données, particulièrement celles sur les conséquences et les dommages liés au changement climatique. Quelques informations sont collectées par les autorités responsables de la prévention des situations d’urgence, ou encore par le service national d’hydrométéorologie du Kazakhstan.

Mais si vous souhaitez obtenir des bases de données agrégées, telles que l’ensemble des dommages ou des pertes causées par les fermetures de routes dues à des phénomènes météorologiques extrêmes, la localisation de ces évènements, ou encore les dommages causés par la sécheresse, il est malheureusement difficile de trouver une plateforme où ces informations sont disponibles. Elles sont peut-être disponibles quelque part de manière disparate, mais pour notre projet, nous avons eu du mal à les collecter.

Notre modélisation repose donc sur des données disponibles sur demande auprès des autorités publiques. Nous avons également passé en revue les publications dans les médias pour nous faire une première idée. Les données que nous utilisons pour le modèle sont incomplètes. Mais je dois dire que notre modèle permet d’inclure de nouvelles données à n’importe quelle étape, de faire des améliorations, des ajouts. Avec les données disponibles, vous pouvez déjà travailler, modéliser et planifier des mesures.

Il se trouve qu’en plus des données sur le climat et de leur interprétation, vous avez aussi besoin d’informations économiques, n’est-ce pas ? Y a-t-il d’autres indicateurs de dommages, d’autres chiffres ou caractéristiques dont la collecte devrait également devenir régulière ?

Oui, en particulier pour la modélisation macroéconomique, de telles données concrètes et précises sont importantes. Bien entendu, la gestion des risques climatiques et la planification de l’adaptation ne nécessitent pas toujours de modélisation économique. De telles mesures peuvent être prises sans données précises sur les dommages ou autres calculs particuliers. Nous modélisons parce que cela permet d’avoir des arguments économiques concrets.

Ainsi, lorsque nous devons évaluer les avantages de certaines mesures d’adaptation, leur capacité à prévenir ou à réduire les dommages, ces données sont d’une grande aide. Cela aide généralement aussi à lancer le débat au niveau national. Nous avons maintenant énormément besoin de cet appui et de ce raisonnement économique pour que le problème soit pris au sérieux et reconnu comme un problème auquel tous les secteurs sont confrontés.

Si vous prenez conscience de tous les dommages qui existent déjà maintenant, qui ne feront que s’intensifier, vous pouvez comprendre toute la gravité de la situation et cela peut vous inciter à prendre des mesures. Nous espérons vivement que cela suscitera un débat plus large.

Vous avez peut-être entendu parler du rapport Partha Dasgupta. Il s’agit d’un document de 600 pages intitulé L’Économie de la biodiversité, écrit par Partha Dasgupta, économiste à l’Université de Cambridge. Il écrit que l’économie moderne, continuant sa rhétorique de richesse nationale et de prospérité, ne prend en compte ni l’épuisement des ressources naturelles ni le prix extrêmement élevé déjà payé par les écosystèmes pour fournir l’eau potable, l’air pur et la nourriture à l’humanité.

Voici quelques arguments : le stock de capital naturel par habitant a diminué de 40 % entre 1992 et 2014. Depuis 1970, les populations animales ont diminué en moyenne de 68 % et il ne reste aujourd’hui que 4 % de mammifères à l’état sauvage, le reste étant la population humaine et ses animaux domestiques.

Il écrit que la notion généralement acceptée de Produit intérieur brut (PIB) ne correspond absolument pas aux réalités de notre époque et qu’une nouvelle forme de comptabilité nationale est maintenant nécessaire pour prendre en compte l’état du capital naturel en déclin. Fait intéressant, cette revue a été commandée et publiée par le ministère britannique des Finances, et non par le ministère de l’Environnement. Il s’avère que le point de vue économique est jusqu’à présent le moyen le plus efficace pour faire prendre conscience de l’ampleur de la catastrophe et pour prendre des décisions. Le reste n’est que du romantisme…

Malheureusement, nous ne pouvons attirer l’attention que lorsque nous parlons d’argent. L’année dernière, il y a eu une très bonne publication du Fonds Monétaire International (FMI), où des experts ont examiné toutes les questions économiques liées au changement climatique et ont indiqué qu’une augmentation de la température moyenne mondiale de 0,04 °C par an réduirait le PIB réel mondial par habitant de 7,2 % d’ici 2100.

Il a également été indiqué dans cet examen que les banques centrales et les régulateurs financiers de nombreux pays ont déjà commencé à intégrer les risques liés au changement climatique dans différents systèmes de surveillance de la stabilité financière. Lorsqu’une décision est prise sur le financement d’un projet, le système de décision prend également en compte la résilience du projet face au changement climatique.

Vous avez tout à fait raison de dire que tout repose sur l’écosystème de la Terre, qui garantit que nous recevions tous ces avantages, ce que nous appelons les services écosystémiques : air pur, eau, nourriture. Et il y a la notion de capital naturel, l’estimation du coût d’un service écosystémique particulier. Cela semble être une chose triviale, que nous dépendons de la nature, mais en réalité, tout notre bien-être économique dépend de l’état des écosystèmes. Et la question de l’intégration du capital naturel, de la prise en compte de son état, de sa sécurité et des services écosystémiques produits est très importante dans la planification du développement à long terme.

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Il y a même des tentatives au niveau de la modélisation macroéconomique pour lier, dans un modèle, non seulement les émissions de gaz à effet de serre avec les risques climatiques, mais aussi avec un troisième domaine, le capital naturel. C’est-à-dire de lier l’impact de nos actions sur l’écosystème et l’effet de l’écosystème sur le bien-être économique des gens. C’est un très grand sujet qui, je l’espère, recevra de plus en plus d’attention.

Dites-moi, utilisez-vous le concept de « diplomatie climatique » dans votre milieu professionnel ? Si oui, pouvez-vous décrire le contexte dans lequel se trouve actuellement le Kazakhstan?

Notre rôle dans le dialogue sur le changement climatique, en tant qu’organisation de coopération internationale, est de fournir un soutien technique à nos partenaires. S’ils ont besoin d’une expertise technique, d’une aide pour renforcer leurs capacités au Kazakhstan, nous le faisons. Les dirigeants de notre pays prennent des décisions sur l’agenda climatique, choisissent ce qu’ils veulent mettre au premier plan.

Notre projet n’est pas engagé dans la diplomatie climatique, c’est la prérogative de nos partenaires politiques, c’est-à-dire du gouvernement du Kazakhstan. Le président, Kassym-Jomart Tokaïev, a déclaré lors du Sommet sur les ambitions climatiques du 12 décembre 2020 que le Kazakhstan était prêt à passer à la neutralité carbone et qu’il aimerait y parvenir d’ici 60 ans. C’est une vision politique qui existe dans le pays. Et, bien sûr, nous intervenons, sous forme de projets, afin d’éclairer le pays sur la façon dont cela peut être réalisé, ce qui peut être fait, dans quelles industries cela pourrait se modéliser économiquement.

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Le Kazakhstan s’est fixé des objectifs ambitieux lors du Sommet des ambitions climatiques en décembre 2020 (illustration).

Notre partenaire politique au Kazakhstan est le ministère de l’Économie nationale, c’est-à-dire le principal organe gouvernemental chargé de la planification économique à long terme. Au sein de GIZ, nous avons également un projet qui soutient le développement à faible émission carbone du Kazakhstan et la transition vers une économie verte. Ils travaillent beaucoup dans le domaine de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Au fait, pourquoi le discours du président Kassym-Jomart Tokaïev au Sommet de l’ambition climatique en décembre 2020 a-t-il suscité un tel enthousiasme dans votre équipe ? Sa déclaration est-elle vraiment un grand pas en avant ?

Je pense que oui. Tout d’abord, je dirai que c’est la première fois lors d’un haut sommet que se posent les questions du changement climatique, et non seulement au sujet des engagements du Kazakhstan en matière de réduction des émissions, mais aussi concernant notre vulnérabilité face au changement.

Cela donne un signal très important à tous les habitants du pays et à ceux qui prennent des décisions : nous allons aller dans cette direction. Et je pense que la prochaine grande étape est de parvenir à un consensus dans le pays sur la manière dont nous irons dans cette direction. Si nous nous orientons vers un développement à faible émission de carbone, nous devrons faire des sacrifices. Il y a des industries qui vont perdre dans cette transition, et il y en a, au contraire, qui bénéficieront grandement d’une ambition climatique accrue et qui pourront devenir les moteurs d’un nouveau développement.

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Ce consensus doit être atteint. Il y a différentes parties prenantes, différentes industries, différentes régions, différentes opinions à ce sujet, mais cette compréhension commune est très importante. Bien sûr, sans avoir d’abord une telle vision de l’endroit où nous voulons aller, il est difficile d’entamer un dialogue. Je pense que ce sera un travail très important et difficile, car il y aura des industries qui n’auront rien à perdre, mais qui auront du mal à s’engager dans cette transition.

C’est la raison pour laquelle nous devons regarder le problème dans sa globalité, considérant toutes les pertes et tous les gains possibles. Qu’est-ce que cela peut signifier pour nous et comment contribuer, au niveau mondial, à réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en réduisant les risques climatiques pour nous-mêmes ? Encore une fois, il s’agit des deux côtés d’une même médaille : l’adaptation et la mitigation vont de pair.

L’adaptation peut sembler être une correction artificielle des systèmes naturels, comme les plantations compensatoires ou la régulation d’une population de poissons. Dans le même temps, d’énormes ressources sont dépensées pour mettre en œuvre des mesures d’adaptation sans même considérer leur impact à long terme sur les écosystèmes ouverts et les effets imprévisibles qu’elles peuvent avoir sur toutes les chaînes alimentaires.

On soigne d’un côté, on détruit de l’autre. Les experts le reconnaissent ouvertement.Même les écoliers savent que le moyen le plus rapide de résoudre la question du climat consiste à éliminer les principales sources d’émissions de CO2, c’est-à-dire d’arrêter l’extraction et la combustion de matières fossiles. Il est clair que d’un point de vue politique, les choses ne sont pas aussi simples que le pensent les écoliers.

Mais l’expérience d’autres pays montre que cette tâche n’est pas insurmontable. Peut-être que leurs économies ne sont pas aussi gourmandes en carbone que celle du Kazakhstan. Cependant, on dirait que ça ne fait absolument pas partie des plans du Kazakhstan. Quelle est votre impression ?

Je n’ai pas l’impression que la question de l’adaptation prévale dans l’agenda ou que les questions de réduction des gaz à effet de serre soient moins discutées. En fait, pendant de nombreuses années, c’était le contraire. Si vous regardez les engagements du Kazakhstan dans l‘Accord de Paris sur le climat, il n’y avait alors rien concernant l’adaptation au changement climatique.

Autrement dit, le Kazakhstan en 2015 s’est engagé à réduire les gaz à effet de serre, mais il n’a rien dit de ses risques et de la nécessité d’adapter le pays lui-même.Je pense que cette situation va changer, car nous sommes en train de renouveler ces engagements, c’est-à-dire notre contribution au niveau national, et j’espère que les questions de l’adaptation et des risques climatiques y apparaîtront.

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Il existe de nombreux programmes de financement international pour le climat qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est un effort au niveau mondial. C’est dans l’intérêt de tous les pays de réduire les émissions. Les questions d’adaptation ont toujours plus d’intérêt pour le pays lui-même. C’est le Kazakhstan qui souffre des manifestations concrètes du changement climatique sur son territoire. Un pays voisin peut faire face à d’autres manifestations, à d’autres problèmes.L’équilibre, je pense, sera là. D’autant qu’il y a un intérêt économique à réduire les risques climatiques.

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La réduction des émissions à effet de serre est un processus long et difficile (illustration).

En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, je voudrais souligner une fois de plus qu’un consensus est nécessaire et il est clair que ce n’est pas un miracle qui va se produire en un jour. C’est un processus très complexe, difficile et long. Il s’agit d’un changement de direction. Il faut peser les conséquences économiques et sociales, environnementales. Nous devons nous entendre sur la façon dont nous allons le faire.

Nous devons comprendre quelles étapes mettre en place et ce dont nous avons besoin pour cela : quelles ressources, quelles connaissances. Vous parlez aussi de pays où l’empreinte carbone de l’économie est beaucoup plus faible. Mais dans n’importe quel pays, c’est une question à plusieurs niveaux, multifactorielle, qui doit prendre en compte de nombreux autres aspects. Par conséquent, la base est d’instaurer un dialogue dans le pays, et c’est ce que nous allons faire.

Le dialogue ne fait que commencer ?

Il est en cours et je pense qu’il va prendre de l’ampleur, surtout en ce qui concerne les objectifs ambitieux que le Kazakhstan se fixe. Nous allons donc non seulement observer, mais aussi, je l’espère, participer.

Quels sont, pour vous, les succès de votre projet ou de programmes similaires ?

Je peux vous parler spécifiquement de notre programme. Nous considèrerons que notre programme est un succès si les processus de planification à long terme au Kazakhstan prennent en compte les risques climatiques. Si nos ministères comprennent les risques climatiques, savent ce qu’ils sont et prévoient des mesures pour les réduire, alors c’est un succès.

Et pour cela, nous proposons une série d’étapes : modélisation, formation et autres mesures. Mais le résultat le plus important est que, lors de la prochaine mise à jour du plan stratégique de développement du Kazakhstan, la question ne sera pas seulement de savoir comment la situation du marché mondial nous affecte, mais aussi comment le changement climatique nous affecte. Si cela est pris en compte dans l’analyse des problèmes, ce sera un succès pour nous.

Vous devez sûrement faire face à un manque de connaissances, à des malentendus et peut-être même à des gens qui refusent d’admettre la réalité du changement climatique. Qu’est-ce qui vous donne la force de continuer ?

Je vois des changements se produire. Je vois des gens qui sont très favorables à ces questions, je vois comment le niveau d’expertise au Kazakhstan sur les risques climatiques augmente. Il y a eu la mise en place d’un cadre législatif, les questions de changement climatique se discutent maintenant dans les hautes sphères, des spécialistes du sujet et des modèles climatiques pour le Kazakhstan sont apparus. Tout cela est, pour moi, une bonne motivation pour continuer. Il ne s’agit pas du travail que d’une seule organisation, nous travaillons ensemble, ONG, organisations privées, publiques et internationales, et soutenons nos partenaires au Kazakhstan.

Les organisations nationales sont capables de modéliser et de travailler avec des modèles macroéconomiques, c’est le cas notamment de l’Institut de recherche économique du Kazakhstan. Ils ont les connaissances nécessaires pour modéliser le développement à faible émission carbone et prendre en compte les risques climatiques. Et c’est une institution qui aide à préparer des informations techniques pour la prise de décision.

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Barrage hydroélectrique.

Au ministère de l’Écologie, par exemple, il y a un service relevant de l’organisme Jasyl Damou (fondé dans le but de protéger l’environnement, ndlr), qui s’occupe également de la modélisation de la Contribution déterminée au niveau national, c’est-à-dire de l’engagement pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.

La société civile a aussi un rôle très important. Les experts des organisations non gouvernementales nous soutiennent beaucoup. Il est clair que les changements dans le système de prise de décision et la planification liée au changement climatique nécessitent non seulement de nouveaux documents, mais aussi de nouvelles formations et des simulations.

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Pour que cela fonctionne, il est nécessaire qu’il y ait une prise de conscience du problème, du même ordre que celle sur l’impact du changement climatique. Elle apparaîtra si les entreprises, l’État et la société dans son ensemble veulent comprendre les risques auxquels ils seront confrontés en raison du changement climatique et les actions nécessaires pour s’y préparer. Des signes d’intérêt sont déjà là, mais il reste encore beaucoup à faire.

Nastya Gontcharova
Journaliste pour Vlast.kz

Traduit du russe par Justine Portier

Édité par Frédérique Faucher

Relu par Anne Marvau

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