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Pourquoi l’intérêt pour l’Asie centrale pourrait diminuer en 2024

L'année 2023 a été marquée par un intérêt croissant pour l'Asie centrale, fruit notamment d’une activité diplomatique intense. Cependant, l’analyse d’Eldaniz Gusseinov souligne quatre raisons majeures qui suggèrent un déclin potentiel de cet intérêt en 2024.

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Le président français Emmanuel Macron s'est rendu au Kazakhstan auprès du président Kassym-Jomart Tokaïev en 2023. Photo : Akorda.

L’année 2023 a été marquée par un intérêt croissant pour l’Asie centrale, fruit notamment d’une activité diplomatique intense. Cependant, l’analyse d’Eldaniz Gusseinov souligne quatre raisons majeures qui suggèrent un déclin potentiel de cet intérêt en 2024.

L’année 2023 en Asie centrale a été marquée par une activité diplomatique intense, durant laquelle les dirigeants régionaux se sont rassemblés près d’une douzaine de fois. L’année s’est conclue au milieu d’une série d’interactions suivant le cadre du format C5+1. Cependant, plusieurs signes indiquent un possible changement de cap concernant l’attention portée à la région.

Le recentrage des grandes puissances sur leurs affaires intérieures, en particulier en raison des élections présidentielles aux États-Unis et en Russie, pourrait entraîner un affaiblissement de l’intérêt pour l’Asie centrale sur la scène internationale. Ce réajustement souligne la nécessité pour les pays d’Asie Centrale de rester alertes et de se préparer aux défis émergents, même avec une possible accalmie temporaire des conflits internationaux : une gestion efficace des affaires intérieures devient alors cruciale pour maintenir la paix et la stabilité dans la région.

Dans le contexte plus large de la rivalité stratégique de l’Occident avec la Chine et la Russie, l’Asie centrale suscite un intérêt accru, en particulier en raison de ses liens historiques plus prononcés avec la Russie. Or, pour de nombreuses nations occidentales, dont les États-Unis, la Russie apparaît comme une menace significative pour la sécurité nationale.

Une analyse des stratégies de sécurité nationale des États-Unis, de l’Allemagne, de la France et du Japon révèle un fil conducteur commun : à l’exception du Japon, la Russie est plus fréquemment citée comme une préoccupation que la Chine, l’Iran ou la Corée du Nord. Cela est particulièrement observable au sein de l’administration de Joe Biden, où la Russie et l’Iran sont mentionnés aussi souvent que la Chine.

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Cette tendance indique qu’au cours des deux à trois prochaines années, ces pays sont susceptibles de donner la priorité à la menace russe dans leurs agendas de sécurité nationale. Parallèlement, des efforts sont déployés pour atténuer la détérioration des relations avec la Chine, en partie pour éviter une alliance plus étroite entre Pékin et Moscou.

Des discussions établies entre les États-Unis et la Chine à propos de la reprise des contacts militaires en sont un exemple, comme rapporté par le Financial Times, citant une réunion de 2023 entre l’assistant adjoint du Pentagone Michael Chase et l’attaché militaire chinois Liu Zhan. De plus, les déclarations faites en octobre 2023 par le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi au secrétaire d’État américain Antony Blinken sur la stabilisation des relations sino-américaines soulignent cet équilibre stratégique.

Une différence de perception de la Russie et de la Chine au sein du paysage international

Le discours entourant la Chine serait plus nuancé. Tandis que la Russie est considérée comme une menace directe, la Chine est perçue comme un rival, une position qui n’implique pas nécessairement une menace immédiate, permettant ainsi une réponse plus mesurée.

Dans ce contexte géopolitique, les pays d’Asie centrale gagnent en importance. La contraction des voies économiques et commerciales européennes de la Russie a conduit à une redirection accrue des activités commerciales russes vers l’Asie centrale. Une tendance confirmée par le nombre croissant d’entreprises étrangères russes enregistrées au Kazakhstan.

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Cette transition n’a pas échappé à l’Union européenne, au Japon et au Royaume-Uni, qui la perçoivent comme une expansion potentielle de l’influence russe en Asie centrale, représentant ainsi un risque pour les intérêts économiques collectifs de l’Occident dans la région.

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Cette position occidentale pourrait, à son tour, inciter la Russie à intensifier son engagement dans la région pour sauvegarder ses intérêts. La Russie pourrait voir d’un mauvais œil les activités occidentales en Asie centrale, s’alignant sur son concept de sécurité nationale qui pose certains pays comme des instigateurs de la désintégration au sein de la Communauté des États indépendants (CEI), sapant les liens de la Russie avec ses alliés traditionnels. Ce scénario crée les conditions d’un jeu complexe où les actions de la Russie pourraient être à la fois une réaction aux tensions croissantes avec l’Occident et leur catalyseur.

Une crise de l’eau menaçant la stabilité et l’approvisionnement en ressources

L’approche de l’Union européenne pour l’Asie centrale est conçue pour aborder des problèmes critiques, avec un accent sur les défis liés à l’eau dans la région. Cette stratégie est cependant ralentie par des limitations budgétaires, comme le montre le contexte de concurrence des projets d’infrastructure avec la Chine.

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Des analyses antérieures ont souligné le retard comparatif de l’UE par rapport à la Chine dans la réalisation de projets d’infrastructures, tant en Asie centrale qu’à l’échelle mondiale. En réponse, l’UE a lancé « Global Gateway« , un programme conçu comme une alternative à l’initiative expansive « Belt and Road » (les Nouvelles routes de la soie, ndlr) de la Chine. En Asie centrale, l’UE se concentre sur la transformation de la gestion de l’eau, de l’énergie et du climat de la région.

Une étude de la Banque eurasiatique de développement prévoit une menace imminente de pénurie d’eau en Asie centrale d’ici cinq ans, associée à une forte augmentation de la demande en électricité. Cette situation est exacerbée par la construction du canal de Qosh-Tepa sur la rivière de l’Amou Darya, qui représente un défi urgent pour l’Ouzbékistan et le Turkménistan.

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En juin 2023, cette crise était déjà palpable dans la province de Lebap au Turkménistan, où les agriculteurs avaient du mal à irriguer les champs de coton en raison d’un accès insuffisant à l’eau. Cet obstacle agricole a des effets en cascade sur la disponibilité alimentaire, provoquant des manifestations contre les pénuries alimentaires, et incitant à l’intervention gouvernementale dans la régulation des prix.

Développement stable : clé du transit en Asie centrale

L’attrait de l’Asie centrale en tant que point de transit économique n’a pas échappé à l’attention des puissances externes, comme en témoigne la réunion de haut niveau « Asie centrale – Union européenne » réunissant les ministres des Affaires étrangères d’Asie centrale à Luxembourg le 23 octobre 2023. Les discussions ont cette fois porté sur l’amélioration du secteur de l’énergie, l’extraction et la transformation des matières premières, ainsi que le renforcement des mesures de sécurité et des fortifications frontalières.

De cette réunion a émergé une feuille de route stratégique commune, définissant les principaux domaines de collaboration entre les nations des deux régions. Ce partenariat se concentre notamment sur l’intégration de l’infrastructure de transport d’Asie centrale dans le Réseau de transport transeuropéen (RTE-T), le financement d’initiatives environnementales et l’élargissement de la coopération dans les secteurs phytosanitaires et vétérinaires.

Josep Borrell Global Gateway Forum Bruxelles
Josep Borrell au forum Global Gateway à Bruxelles. Photo : Commission européenne

Pendant ce temps, la route Russie-Kazakhstan-Chine a enregistré une augmentation substantielle de 69 % du transit de conteneurs au cours des 11 premiers mois de 2023, signalant un intérêt marqué non seulement de l’UE, mais aussi de la Russie et de la Chine.

Au Turkménistan, cet intérêt géopolitique et économique croissant a été souligné par le président Serdar Berdimouhamedov lors d’une réunion élargie du cabinet présidentiel. Le président turkmène a détaillé les priorités de sa politique étrangère, soulignant l’importance de maintenir des relations avec les pays voisins et de poursuivre un engagement plus large avec les États eurasiatiques. Une manière claire de réaffirmer les aspirations de cette nation au sein de ce paysage régional en évolution.

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L’importance des routes de transport sécurisées a été vivement soulignée par les attaques des Houthis yéménites contre les navires de fret traversant le canal de Suez, obligeant les navires à naviguer autour de tout le continent africain. Au sein d’un monde interconnecté, les routes de transport sont devenues des artères décisives du progrès économique. La montée en puissance de l’Asie centrale est alors également liée au développement de la Route de transport international transcaspien, dont le potentiel total dépend du développement continu et de la stabilité des pays d’Asie centrale.

Déferlante diplomatique : l’année des sommets en 2023

Tout au long de 2023, les nations d’Asie centrale ont activement maintenu leurs liens et dialogues diplomatiques. L’année a vu la cinquième réunion consultative des leaders d’Asie centrale, avec la participation de l’Azerbaïdjan, aux côtés de divers autres forums internationaux. Le président français Emmanuel Macron a effectué ses visites inaugurales au Kazakhstan et en Ouzbékistan, ainsi que ses homologues d’Allemagne et d’Italie, Frank-Walter Steinmeier et Sergio Mattarella, ainsi que le Premier ministre tchèque, Petr Fiala. Enfin, la région a accueilli un nouveau partenaire diplomatique avec la visite du Président togolais Faure Gnassingbe au Kazakhstan.

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Ces formats variés de rencontres entre acteurs externes et pays d’Asie centrale mettent en lumière l’intérêt croissant de la communauté internationale pour la région, stimulé par sa proximité stratégique avec la Russie, la Chine et l’Afghanistan.

En 2023, les leaders d’Asie centrale se sont réunis à une fréquence sans précédente, marquant un record de collaboration régionale. Ils se sont rencontrés environ 12 fois, participant à des formats variés avec d’autres chefs d’État et organisations internationales. De manière notable, tous les cinq leaders ont assisté au défilé de la Victoire à Moscou.

Organisation des Etats Turciques Dixième Sommet Samarcande Présidents Turquie Türkiye Azerbaïdjan Chypre du Nord Hongrie Kazakhstan Kirghizstan Turkménistan Ouzbékistan
Les présidents des Etats membres et observateurs de l’OET – Photo : president.az

Cette montée de l’attention des acteurs externes pour l’Asie centrale témoigne d’une perception de la région en tant qu’entité cohérente. Plutôt que de se replier, comme cela aurait pu être le cas au début des années d’indépendance, ces nations s’engagent activement avec la communauté internationale, reflétant une volonté collective de faire face aux défis contemporains, y compris ceux liés à leur politique intérieure.

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Malgré la hausse de l’activité diplomatique, la portée de ces engagements reste constante, suggérant que les pays d’Asie centrale naviguent dans leurs relations internationales à travers des partenaires traditionnels. Cela indique à la fois une dépendance aux formats établis de coopération, tels que le développement de la Route de transport international transcaspienne, la sécurité et le commerce, et que, une fois ces processus coopératifs stabilisés, l’intensité de l’engagement externe avec la région pourrait diminuer.

Saisir l’instant : l’opportunité de l’Asie centrale en 2024

Dans ce contexte, il est crucial pour les gouvernements d’Asie centrale de mobiliser le soutien de l’opinion publique et de se préparer à des crises imminentes. Selon le nouveau système de prévision des conflits internationaux du projet de données sur les lieux et les événements des conflits armés (ACLED), une diminution notable des conflits mondiaux est prévue après un pic en octobre 2023, jusqu’à mai 2024. Cette tendance se caractérise par une réduction des conflits en Ukraine, juxtaposée à des tensions croissantes en Palestine et au Liban.

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Dans ce contexte, il est impératif pour les pays d’Asie centrale de se concentrer sur leurs problèmes internes et régionaux, renforçant leur résilience et assurant une stabilité continue. Leurs gouvernements devraient donner la priorité à l’engagement communautaire, fournir un soutien social et mettre en œuvre des réformes essentielles pour renforcer la stabilité intérieure.

En résumé, bien que 2024 puisse connaître une baisse temporaire des conflits internationaux, les nations devraient rester vigilantes et prêtes à affronter des défis émergents. S’attaquer efficacement aux problèmes intérieurs jouera un rôle crucial dans le maintien de la paix et de la stabilité dans la région.

Eldaniz Gusseinov
Rédacteur pour Cabar.Asia

Traduit du russe par Macha Toustou

Édité par Helmand Gardezi

Relu par Elise Medina

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