En 2020, la Chine a publié son « Livre jaune sur l’Asie centrale », dont le contenu vient d’être rendu public. Rédigé par une équipe d’experts, il offre l’occasion d’explorer les nouvelles tendances de la politique extérieure chinoise. La stratégie en Asie centrale y est décrite en détails. L’ouvrage est d’autant plus important que cette région est au cœur du projet chinois « la ceinture et la route », aussi appelé Nouvelles routes de la Soie. Il permet donc de tirer un grand nombre d’estimation sur le développement de cette initiative.
Novastan reprend ici et traduit du russe un article publié initialement le 15 juin 2020 par le Central Asia Analytical Network.
C’est un texte important qui montre les ambitions chinoises en Asie centrale. En juin dernier, le « Livre jaune sur l’Asie centrale » a été révélé au grand public. L’ouvrage a été rédigé par une équipe d’experts chinois sur la région, principalement issus de deux structures de recherche de l’Académie chinoise des sciences sociales : l’Institut sur la Russie, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale et le Centre de recherche de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Des experts d’autres think tanks chinois ont également participé à la rédaction de certains chapitres.
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Le livre revêt une importance particulière pour les chercheurs qui s’intéressent aux relations entre la Chine et l’Asie centrale et, plus généralement, à la stratégie de politique étrangère globale de la Chine et ce pour plusieurs raisons.
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Tout d’abord, contrairement à la plupart des pays du monde, la Chine ne dispose pas de document spécifique concernant sa politique étrangère, ce qui complique considérablement l’analyse de la stratégie de politique étrangère chinoise, des mécanismes de prise de décision, des méthodes d’évaluation de la conjoncture mondiale actuelle et des futures directives de Pékin.
Ensuite, la spécificité du système politique chinois empêche toujours les experts chinois d’exprimer librement leurs opinions, de partager leurs estimations et d’avancer des prévisions. Sans autorisation préalable du gouvernement, ils risquent en effet leur travail.
Enfin, le système de prise de décision en Chine a beaucoup changé au cours des dernières années. Le président chinois Xi Jinping a mis en place un système de pouvoir hypercentralisé, notamment en créant de nouveaux organismes gouvernementaux. Ces changements ont eu un impact sur la politique étrangère vis-à-vis de l’Asie centrale.
Les Livres jaunes, pis-aller pour les chercheurs
Un Livre jaune est un rapport d’analyse rédigé par une équipe composée des meilleurs spécialistes de la région. L’examen des précédentes éditions montre qu’à travers ce livre, les autorités chinoises offrent à la communauté internationale des messages et des clés pour comprendre leur politique.
Le premier rapport, dont le contenu est publié sur le site de l’Académie chinoise des sciences sociales, date de 2005 et est consacré à l’analyse de la situation en Russie et à sa politique étrangère. À cette époque, on ne parlait pas encore de Livre jaune. Depuis, ces ouvrages sont publiés annuellement. L’Asie centrale n’était toutefois pas concernée chaque année : certains Livres jaunes portaient sur des sujets tels que la Russie ou l’OCS.
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D’après le site spécialisé sur le sujet Pishu.com, le premier rapport complet sur l’évolution de la situation en Asie centrale date de 2012. Jusque-là, les analyses portaient sur des domaines plus larges, notamment la situation en Russie. Depuis 2012, l’Académie chinoise des sciences sociales publie chaque année un Livre jaune spécifique pour l’Asie centrale et fournit une analyse et une évaluation détaillée des cinq républiques de la région. Le document ne peut toutefois être obtenu dans son intégralité.
L’innovation et la coopération mises en avant
Le livre se compose cette année de six sections, allant d’un rapport général intitulé « L’Asie centrale : à la recherche d’un nouveau moteur d’innovation et de coopération » jusqu’à la place de la Chine dans la région et un profil de chaque Etat.
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Le rapport général se compose de 23 articles, dont un éditorial. Le thème du rapport reflète les grands changements qui se sont produits tant dans les pays d’Asie centrale eux-mêmes que dans la politique des puissances mondiales et régionales vis-à-vis de la région. Les auteurs soulignent notamment l’apparition de nouvelles formes de transfert de pouvoir et de nouveaux problèmes qui en découlent ou encore l’émergence de la quatrième révolution industrielle et son économie numérique comme nouveau moteur du développement des républiques centrasiatiques.
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Le rapport général décrit la poursuite des investissements de la part des puissances mondiales dans les ressources stratégiques d’Asie centrale. Il se concentre sur les politiques de la Russie, des États-Unis, de l’Union européenne, du Japon et de l’Inde dans la région. Le rapport appelle en outre à augmenter la recherche universitaire sur le sujet de l’Asie centrale, car celle-ci permet de couvrir presque tous les domaines et de mieux encadrer la recherche sur ce thème en Chine.
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Enfin, les auteurs ont cherché à mettre en lumière les caractéristiques de la région. Comme l’indique le livre, en s’intégrant activement au système international, les États d’Asie centrale ont en même temps créé de nombreux symboles régionaux uniques. Parmi ceux-ci : le double sens, culturel et politique, du Norouz, le nouvel an persan et une fragmentation, une diversification et une transnationalisation des menaces à la sécurité, qui s’entremêlent.
Stabilité régionale
Les auteurs notent qu’en 2019, les pays d’Asie centrale ont réussi à maintenir un développement stable. En outre, certains problèmes demeurent spécifiques à chaque pays. Le ralentissement général de l’économie mondiale a accru les risques économiques dans la région. Les autorités ont donc adopté des mesures opportunes pour lutter contre la crise.
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Dans le même temps, le problème afghan continue de peser sur la sécurité en Asie centrale. Xu Tao, expert à l’Institut chinois des relations internationales contemporaines, précise que la situation en matière de menaces non conventionnelles à la sécurité dans la région est restée stable entre 2018 et 2019. Les effets négatifs de ces facteurs, tels que la démographie, l’écologie, l’eau et la nourriture, augmentent toutefois progressivement.
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Enfin, les experts chinois notent que le jeu d’influence des grandes puissances en Asie centrale s’intensifie et que les États-Unis demeurent une force importante dans la région. Pour les auteurs, 2020 sera l’année du choix en matière de stabilité politique pour les États d’Asie centrale. La formule C5 + 1, réunissant les Etats centrasiatiques autour d’une grande puissance, sera l’un des outils-clés pour équilibrer les relations avec les acteurs mondiaux.
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Pékin doute cependant que les États d’Asie centrale parviennent à une percée en matière d’intégration régionale.
Le Kazakhstan mis en avant
La section des thèmes régionaux spécifique consacre deux articles au Kazakhstan. L’un d’eux, intitulé « Le concept de gestion de l’État de Tokaiev : la continuité et l’ajustement » et rédigé par un spécialiste du Centre de recherches gouvernemental chinois, souligne que le Kazakhstan vit une période historique et que la capacité du président Kassym-Jomart Tokaiev à construire une politique qui va s’adapter à la réalité actuelle tout en poursuivant la stratégie de son prédécesseur Noursoultan Nazarbaïev sera déterminante.
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Weng Longjie, rédacteur en chef de l’agence de presse chinoise Zhongxinshe, estime de son côté que le président élu n’est qu’un homme de paille et que le pouvoir est toujours entre les mains de Noursoultan Nazarbaïev. Mais des problèmes ont fini par affleurer en raison de divergences d’opinions entre eux sur la question des fonctionnaires. Pour Weng Longjie, il est nécessaire que le pouvoir revienne au président élu.
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Plus largement, le contenu du Livre jaune pour l’Asie centrale a gagné en qualité grâce à la précision des informations collectées et à l’amélioration de la liberté d’expression dont bénéficient les experts chinois. Cette édition démontre ainsi à nouveau le niveau et la profondeur des connaissances des spécialistes et dirigeants politiques chinois sur l’Asie centrale.
Rouslan Izimov
Rédacteur pour le Central Asian Analytical Network
Traduit du russe par Pierre François Hubert
Édité par Christine Wystup
Relu par Guilhem Sarraute
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