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Contaminer son épouse puis l’accuser : ces femmes tadjikes séropositives face aux discriminations sociales

Au Tadjikistan, les femmes atteintes du VIH se voient refuser l’aide de leur famille. En grande précarité, beaucoup ne bénéficient pas d’accompagnement médical et ne trouvent pas de travail.

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Manifestation contre la stigmatisation des personnes atteintes du VIH, Minneapolis, 2013. Photo : Asia-Plus.

Au Tadjikistan, les femmes atteintes du VIH se voient refuser l’aide de leur famille. En grande précarité, beaucoup ne bénéficient pas d’accompagnement médical et ne trouvent pas de travail.

Les femmes séropositives sont un des groupes les plus discriminés au Tadjikistan. La société entière se détourne d’elles, y compris leur famille proche. Exclues, elles ne peuvent plus travailler ni avoir accès à une aide médicale adaptée. Pourtant, la plupart du temps, ces femmes ne représentent aucun risque pour la santé de leur entourage. 

A l’occasion de l’événement « 16 jours d’action contre les violences de genre » et de la journée internationale de lutte contre le VIH (virus de l’immunodéficience humaine), Asia-Plus se penche sur les discriminations que ces femmes rencontrent.

Diverses lois et documents existent au Tadjikistan pour empêcher directement ou indirectement la discrimination des personnes atteintes du VIH, rassemblées dans un article de l’ONG Foreign Policy Centre. En 2023, cette liste a été complétée d’une nouvelle loi sur l’égalité et l’élimination de toutes les formes de discrimination. Selon les défenseurs des droits humains, elle fait apparaître le concept de « discriminations indirectes » auxquelles les groupes vulnérables sont souvent confrontés. Cependant, les femmes séropositives ne sont pas pleinement rassurées par cette nouvelle mention légale car elles font déjà face à des discriminations directes au quotidien.

Des discriminations s’étendant de la famille à la communauté médicale

« Malgré le fait que le VIH ne se transmet pas dans la vie quotidienne et que le traitement antirétroviral (ARV) (un traitement qui ralentit le développement du virus et la maladie, ndlr) atténue au minimum la charge virale, les femmes séropositives sont discriminées à chaque coin de rue. Et avant tout dans leur famille », explique Tahmina Khaïdarova, porte-parole pour le Tadjikistan du Réseau des femmes eurasiennes sur le SIDA.

« A peine son diagnostic est-il connu que sa famille restreint ses contacts avec elle et l’évite. Puis, cette attitude la suivra partout où sa situation est connue. »

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Aussi étrange que cela puisse paraître, les femmes séropositives rapportent souvent des discriminations de la part des travailleurs de la santé. Parmi eux, dentistes, chirurgiens, sages-femmes ou gynécologues. Des médecins refusent de porter assistance aux femmes atteintes du VIH et elles doivent trouver des docteurs plus amicaux en passant par des connaissances.

« Pourtant, la médecine moderne a fait disparaître tout risque. Aujourd’hui, le VIH est une maladie chronique comme le diabète. Avec un traitement ARV adéquat et un suivi médical, les femmes séropositives deviennent mères d’enfants en bonne santé, mais même certains travailleurs de la santé n’ont pas ces informations », explique Tahmina Khaïdarova.

Les discriminations banalisées dans les médias 

Les journalistes locaux discriminent également les femmes atteintes du VIH. Les contenus consacrés à ce thème prennent souvent un angle péjoratif. Les médias confirment des stéréotypes, des stigmatisations et des préjugés, sans expliquer au public ce que représente aujourd’hui le VIH.

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« Encore aujourd’hui, on rencontre chez les journalistes locaux des formulations comme « le sida : la peste du XXIème siècle », « la terreur du VIH » et autres affirmations qui n’ont rien à voir avec la réalité », raconte Tahmina Khaïdarova.

Souvent, les journalistes utilisent des formules intimidantes pour parler de cas d’affaires pénales (article 125 du code pénal tadjik, ndlr) ouvertes contres des femmes atteintes du VIH et accusées d’avoir consciemment contaminé leur mari.

Les discriminations, sources de violences faites aux femmes 

La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, dont le Tadjikistan est signataire depuis 30 ans, affirme que l’inégalité et la discrimination de genre sont les raisons premières des violences faites aux femmes.

En fait, tout couple sérodiscordant (dont un des partenaires est séropositif et l’autre non, ndlr) peut tomber sous le coup de la première partie de l’article 125 du code pénal tadjik. Celle-ci indique : « placer consciemment une autre personne en position de risque de contamination au VIH. » Ainsi, elle fait référence non pas à la contamination factuelle, mais au risque d’infection. Et tous les séropositifs qui ont un partenaire sexuel le placent de fait face au risque d’être contaminé.

VIH Campagne sensibilisation
Capture d’écran d’une campagne écossaise de sensibilisation sur la discrimination due au VIH. Photo : Asia-Plus.

« Mais en réalité, les choses ne fonctionnent pas ainsi. Si une personne est sous traitement ARV, la charge virale est diminuée et même en cas de relation sexuelle non protégée, son partenaire n’attrapera pas le VIH », explique Tahmina Khaïdarova.

Les femmes atteintes de VIH plus discriminées que les hommes

La porte-parole raconte qu’à la douzième conférence internationale pour la recherche contre le VIH, qui a eu lieu du 23 au 26 juillet dernier à Brisbane, l’Organisation mondiale de la santé a présenté de nouvelles recommandations scientifiques et méthodiques en relation avec le VIH. Parmi elles, l’indication des seuils de charge virale nécessaires à la contamination par le VIH.

Ainsi, les personnes séropositives qui atteignent un niveau de charge virale inférieur à ce seuil grâce à l’observance du traitement ARV ne transmettent pas le VIH à leurs partenaires sexuels. Elles n’ont qu’un risque faible de transmettre verticalement le virus à leurs enfants.

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« De nombreuses affaires pénales qui ont résonné au Tadjikistan ont été lancées en s’appuyant sur la première partie de l’article 125. Mais en réalité, aucune des « victimes » n’a été contaminée par le VIH », révèle Tahmina Khaïdarova. Selon elle, bien que les hommes atteints de VIH soient aussi soumis à la discrimination, les femmes le sont davantage.

Des difficultés face à la justice

Le fait est que la société considère toujours qu’une femme atteinte du VIH a eu beaucoup de partenaires sexuels. Cependant, selon les statistiques, les travailleuses du sexe représentent seulement 1,7 % des femmes séropositives au Tadjikistan en 2022. Toutes les autres sont des femmes menant une vie ordinaire, parfois femmes au foyer, qui ont contracté le virus par leur mari.

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« Il y a peu, nous avons été contactées par une femme séropositive. Elle était mariée, a eu un enfant, et son mari la battait. Il l’a battue même pendant sa grossesse, si bien qu’elle a perdu son deuxième enfant », raconte Tahmina Khaïdarova. « Bien que ce soit son mari qui lui a donné le VIH, sa famille l’a accusée, elle. »

« Elle est partie avec son enfant, loue une chambre et a trouvé un travail. Mais son ex-mari a récupéré l’enfant et la menace de la priver de ses droits sur lui parce qu’elle est séropositive, sans éducation et avec un salaire modeste avec lequel elle ne peut pas s’occuper de son enfant. »

Les tribunaux aussi discriminent les femmes, mêmes non atteintes du VIH. C’est pourquoi rien ne garantit que si son mari tente effectivement de la priver de son enfant, le juge s’aperçoive de l’absurdité et de l’injustice de la situation.

La rédaction d’Asia-Plus

Traduit du russe par Paulinon Vanackère

Édité par Coraline Grondin

Relu par Elise Medina

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