Le métro de Tachkent, tel un musée souterrain, est un véritable symbole de la ville et fait la fierté de ses habitants. Son architecture et ses œuvres d’art reflètent l’histoire de la capitale ouzbèke de la période soviétique à l’époque actuelle.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 25 janvier 2021 par le média ouzbek Hook.
En 1977, cent ans après l’invention du métro, celui de Tachkent ouvrait. Il devint le septième en URSS et le 37ème dans le monde. Cible d’un attentat en 1999 et considéré jusqu’en 2018 comme un matériel militaire, il ne pouvait pas être photographié. Une interdiction levée par le président ouzbek Chavkat Mirzioïev. Aujourd’hui, le métro de Tachkent, qui est encore l’un des seuls en Asie centrale avec celui d’Almaty, fait la fierté des habitants de la capitale ouzbèke.
L’idée d’un nouveau mode de transport en Ouzbékistan est émise à la fin des années 1950 par le géologue Khabib Abdoulaïev, alors président de l’Académie des sciences de la République soviétique d’Ouzbékistan, et par Massaritdine Khalmouradov, qui devient plus tard directeur du projet de construction du métro. Mais à l’époque, personne ne prend l’idée au sérieux. C’est seulement en 1963, quand la population de Tachkent atteint le million d’habitants, que les autorités commencent à envisager ce projet.
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La proposition est initialement rejetée à cause des risques sismiques. Cependant, grâce à la collaboration de géologues, physiciens et sismologues, un projet de métro, pouvant résister à un séisme de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, est proposé aux autorités.
Vidéo de l’inauguration du métro
Grâce à la détermination du Premier secrétaire du parti communiste ouzbek de l’époque, Charov Rachidov (1959-1983), l’accord est donné pour débuter les préparatifs en 1972 et la construction l’année suivante. L’Ouzbékistan couvrira la moitié des frais de construction sans la participation de Moscou.
Des acteurs venant principalement d’Ouzbékistan
La construction du métro se déroule en plusieurs étapes. Le maître d’œuvre est Tachmetroproïekt, une organisation créée en 1973, responsable de la recherche et de l’ingénierie et dirigée par Massaritdine Khalmouradov.
Tachmetroproïekt exploite 15 sous-traitants qui s’occupent directement de la création du métro : des organisations scientifiques et de construction, des concepteurs. Dans les années 1970 et 1980, les institutions du projet sont dirigées par Sabir Adylov, l’architecte en chef de Tachkent, mais c’est bien souvent Charov Rachidov qui a le dernier mot.
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La construction, en elle-même, est effectuée par la compagnie Tonnelniy Otriad n°2 et par un fonds qu’elle a créé, Tachmetrostroï. Tachmetroproïekt et les sous-traitants dirigent les travaux d’ingénierie, d’architecture et d’art.
Les peintres, sculpteurs et artisans s’occupent de la décoration des stations. Les entreprises impliquées sont le complexe artistique Rassom, la filiale samarcandaise de la Fondation des arts, le Combinat expérimental de production de sculpture (ESPK), l’usine de céramique de Tachkent et le Combinat de Riga des arts appliqués de la Fondation des arts de Lettonie.
Pourquoi transformer les transports en musée ?
Dans l’histoire du métro en URSS, la position vis-à-vis de l’ornementation a changé en fonction de l’évolution du parti. Les premières lignes du métro moscovite ressemblaient à des palais constructivistes ou de style impérial stalinien. Dans les années 1930, il était indispensable de montrer la puissance de l’économie soviétique et la grandeur du pays. En cela, le luxe des intérieurs a indubitablement rempli son rôle.
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En 1955 paraît le décret de Nikita Khrouchtchev (1958-1964) « L’élimination du superflu dans la conception et la construction ». La composante artistique est reléguée au second plan : l’important est de construire beaucoup, vite et efficacement. Apparaissent alors des stations types, quelconques du point de vue artistique, appelées sorokonojki (« mille-pattes » en français) à cause du nombre standard de 38 colonnes soutenant l’ensemble.
Dans les années 1970, la situation évolue à nouveau : la tendance est à la combinaison de la fonctionnalité et de l’esthétique. Les projets ne sont plus aussi luxueux et grandioses qu’à l’époque stalinienne, mais la composition architecturale et artistique demande de l’attention et des moyens.
L’élaboration des projets pour le métro de Tachkent se déroule pendant cette période. Ainsi, des spécialistes de Moscou, le directeur de l’Institut d’Etat de recherche pour la construction du métro et des moyens de transport, Anatoli Lougovtsov, et l’ingénieur en chef Vladimir Alikhachkine, considèrent qu’il faut éviter le superflu et les décorations excessives. « Le métro est un moyen de transport, pas un musée », disait Anatoli Lougovtsov.
Les auteurs du projet et l’architecte en chef de Tachkent, Sabir Adylov, essayent au contraire de faire des stations aussi éclatantes et évocatrices que possible. Ce malentendu est dû également au fait que pendant les premières années de travaux, les architectes ont peu d’expérience et suivent les modèles des stations moscovites de la période stalinienne.
D’un autre côté, les auteurs du projet s’efforcent d’accéder aux demandes de Charov Rachidov. Le Premier secrétaire considère que « chaque station doit avoir son aspect particulier, et que le métro de Tachkent deviendra pour les générations futures un témoignage des richesses naturelles de la république et du professionnalisme des architectes, des peintres et des experts nationaux ».
Des difficultés particulières
Le métro est un lieu particulier, et tous les travaux artistiques et architecturaux dépendent énormément des spécificités de l’ingénierie. Toutes les stations ont pratiquement les mêmes caractéristiques : 102 mètres de longueur, 18 mètres de largeur, 10 mètres de largeur pour les quais, 4 à 8 mètres de hauteur et 6 mètres de distance entre les colonnes. Dans ces conditions, il fallait créer un design unique pour chaque station et, répondant aux exigences de l’architecte en chef « les concevoir de sorte que les passagers soient à l’aise dans le métro, qu’ils ne se sentent pas dans un espace fermé ».
La structure, en colonnes ou en voûtes, doit s’adapter à la situation sismique, aux particularités du sol, à la localisation des nappes phréatiques et à l’urbanisme. Tous ces facteurs constituent une série de difficultés, résolues par des recherches scientifiques et des calculs. Il en résulte des structures coûteuses et des méthodes de construction complexes.
La livraison des matériaux soulève d’autres difficultés : les blocs de marbre et de granit, utilisés pour la finition des murs, des colonnes et du sol, sont expédiés au combinat de Gazalkent à partir de différentes régions ouzbèkes, d’Ukraine, de Russie, de Biélorussie, du Kazakhstan et du Kirghizstan. Ils sont redécoupés et retravaillés au combinat puis les plaques prêtes à l’emploi sont envoyées sur le chantier.
Toutes les stations de métro de la première ligne, construite entre les années 1970 et 1980, ont été décorées avec quantité de marbres, de granits, de cristaux, de verres, de bronzes, de céramiques et de gemmes. Elles sont riches en matériaux rares, avec des technologies coûteuses et les contributions de spécialistes venus de toutes les républiques.
La première ligne, la plus prestigieuse
Les stations ouvrent en plusieurs étapes. Le lancement de la première a lieu en 1977. Il y a neuf stations sur la ligne Chilonzor, d’Olmazor, initialement nommée Sabir Rakhimov avant 2010, à Amir Temur Xiyoboni, de son premier nom Oktiabrskaïa revolioutsia (Révolution d’Octobre), puis Tsentralnyi skver (Place centrale).
La première station à ouvrir est Plochtchad imeni V. I. Lenina, renommée Mustaqillik Maydoni en 1991, car elle est située sous la place centrale de la ville. Pour la direction générale, cette station devait servir d’exemple. Aux comités d’État, un aspect prestigieux et une certaine perfection d’exécution sont exigés. L’architecte en chef, Lev Nikolaïevitch Popov, est venu de Moscou.
En travaillant à Tachkent, Lev Popov s’est efforcé d’unir étroitement l’architecture et les finitions, de donner au lieu ses couleurs orientales. Pour plonger complètement les passagers dans des décors typiquement ouzbeks, il a étudié des monuments architecturaux de Samarcande et de la vieille ville de Tachkent et il a discuté avec les habitants, les experts et les artisans locaux.
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L’allure prestigieuse du lieu est créée grâce au revêtement des colonnes et des murs avec du marbre blanc de Nourata, aux lustres sophistiqués en cristal, d’où pendent des lampes en forme de grappes de raisin, et à l’ornement géométrique du plafond, gravé dans un mélange traditionnel d’argile et de gypse. Bien que les décors de ce type soient habituellement réalisés à la main par des artisans spécialisés, dans ce cas-ci les moulures ont été coulées dans des moules en métal pour que ce soit moins cher. Le sculpteur I. Charipov était chargé de la décoration des plafonds. Dans cet ornement, la répétition du motif de la lettre M, l’emblème du métro est visible.
Dans le sillage de la Lettonie
Des sculpteurs du combinat de Riga des arts appliqués de la Fondation des arts de Lettonie ont travaillé sur la station Chilonzor (1977). Gounar Krollis, Izabella Krollè, M. Mentelè, M. Ozolinych et K. Ozolini exécutèrent les panneaux de céramique représentant des villageois ouzbeks sur fond tantôt de campagne, tantôt de ville. A cette station, il y a aussi la tour de transmission de Tachkent et le musée d’Histoire, anciennement musée Lénine. Les auteurs se sont appuyés sur le design de monuments de Samarcande et de Boukhara.
Le plafond est orné de neuf lustres de cinq mètres de diamètre finement sculptés et sertis de pierres colorées. L’auteur des lustres est le peintre sur métal letton Khaïm Rysine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il avait été évacué à Tachkent et y travaillait dans l’industrie militaire. Il est revenu en ville dans les années 1970 pour travailler sur le chantier du métro.
Une autre peintre lettone, Irena Lipené, est l’artiste des lustres de la station Mustaqillik Maydoni. Elle a aussi travaillé sur l’architecture d’intérieur des stations Hamid Olimjon et Pushkin (1980), les plus sophistiquées de la ligne Chilonzor.
Le travail d’Irena Lipené sur la station Pushkin, crée une atmosphère poétique et reposante. Visuellement, l’accent a été mis sur la colonnade d’une longueur de 100 mètres avec des luminaires en forme de chandeliers, qui éclairent la salle de marbre d’une lumière douce et tiède. Cet éclairage donne à l’espace une ressemblance avec les palais impériaux du temps d’Alexandre Pouchkine. L’artiste Iouozas Lipas a réalisé le bas-relief de bronze situé au-dessus des escaliers, représentant le poète et ses muses.
A la station Hamid Olimjon, Irena Lipené a imaginé des colonnes luminaires, faites d’un alliage de marbre blanc de Sayan et de smalt, un minéral qui sert de pigment. Ce minéral est produit à l’usine Neman, à Biarozawka en Biélorussie, d’où il était acheminé en avion jusqu’à Tachkent et directement installé à la station.
Les murs et le plafond ont été décorés par des moulages en forme de végétaux, dans du smalt, et sur lesquels ont travaillé les artisans ouzbeks M. Ousmanov et I. Chermoukhamedov.
Les motifs nationaux et le modernisme soviétique
Sur un mur de l’entrée de la station Hamid Olimjon, à côté des portiques, le portrait de l’écrivain est sculpté en haut-relief. L’auteur de cette œuvre est l’éminent sculpteur Ilkhom Djabbarov, auteur également des monuments en l’honneur de Tamerlan (1336-1405) de Tachkent, Samarcande et Chakhrisabz, des sculptures La mère en deuil, sur la Place du souvenir et des honneurs, et La mère heureuse sur la place Moustakillik, et du monument à Islam Karimov sur le territoire du musée Karimov.
Beaucoup de stations de métro sont dédiées à des écrivains et à des poètes. Les conceptions artistiques ne montrent pas seulement des portraits, mais aussi le sujet de leurs œuvres et des détails symboliques.
Ainsi, à la station Aïbek (1984), il y a, au-dessus des deux escaliers menant à la sortie, des bas-reliefs d’inspiration littéraire où sont représentés un portrait de l’écrivain et des scènes de ses romans. Aïbek est représenté sous un angle complexe, le visage de trois quarts, ce qui crée une certaine dynamique.
Le meilleur point d’observation est à droite, en bas des marches : la masse de travail et l’expressivité des visages apparaissent alors plus clairement. L’auteur des bas-reliefs, le sculpteur Ozad Khabiboulline a travaillé à l’élaboration des stations de métro et de bâtiments administratifs à Tachkent, à Saint-Pétersbourg et à Kazan.
A la station Alisher Navoiy (1984), l’artiste Tchingiz Akhmarov a exécuté une série de panneaux en céramique sur le thème des œuvres du poète. Ils sont répartis sur les murs en face des quais de la station et dans les couloirs à la correspondance avec la station Pakhtakor. Ces panneaux de céramique sont uniques en ce que l’artiste mêle le style des miniatures orientales, propres à l’absence de relief et à l’ornementation, avec le genre du bas-relief massif.
L’artiste s’est souvent référé à l’image du poète médiéval. Ses fresques sur ce thème sont exposées au Musée des arts appliqués et à l’Opéra de Tachkent, nommé en l’honneur d’Alicher Navoï. En 1948, Tchingiz Akhmarov reçoit le prix Staline pour cette fresque du théâtre Navoï.
La station a une structure spéciale : 48 coupoles s’appuient directement sur les colonnes. La décision de faire ces coupoles cintrées avait déjà été prise lors de la construction du métro. Les voûtes sont recouvertes de motifs ornementaux faits de gemmes, et ce même décor se répète sur les panneaux au-dessus de l’escalator. Les artisans ouzbeks R. Moukhamadjonov et A. Rakhimov ont travaillé à la conception de ces coupoles et de ces panneaux.
Il y a une correspondance entre les lignes O‘zbekiston et Chilonzor à la station Pakhator (1977), pour laquelle ont travaillé plusieurs artistes connus. Vladimir Bourmakine a créé la mosaïque de smalt coloré au-dessus des escaliers, représentant la course d’un athlète olympique. Les frères Jarski sont les auteurs de la mosaïque en céramique représentant du coton, le long du quai.
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La station G‘afur G‘ulom (1989), dédiée au poète soviétique ouzbek, est conçue par le sculpteur et céramiste Sarpaniaz Soultanmouratov. En plus des plaques de céramique aux murs, dans cette station se distinguent des colonnes bordées de verre vert.
Auparavant, le même artiste céramiste avait aussi conçu la station Tachkent (1984). Il y a représenté en céramique des symboles de l’amitié entre les peuples. L’idée des architectes et des artistes était que l’endroit devait incarner les portes de la ville car la station était proche de la gare. Au-dessus des escaliers est posé un bas-relief réalisé par Ozad Khabibouline, représentant l’emblème de Tachkent sous sa forme de 1981.
La station la plus riche, pour ce qui est de la diversité des matériaux, est la station dédiée aux cosmonautes, Kosmonavtlar. Le projet a gagné un concours organisé par la République et a été intégré en 1984 aux lignes de métro ouzbèkes. Selon Masaritdine Khalmouradov, en regardant les plans, Vladimir Alikhachkine, l’ingénieur en chef de l’Institut d’Etat de recherche et de construction du métro et des moyens de transport, avait remarqué des excès dans ce projet. Mais d’un autre côté, la station plaît à de nombreux spécialistes et aux visiteurs internationaux. Elle a été désignée comme meilleure station de la deuxième ligne par le magazine Arkhitektoura Ouzbekistana.
Parmi une quinzaine de projets, c’est celui de Masaritdine Khalmouradov qui est sélectionné par l’architecte en chef de Tachkent, Sabir Adylov. Dans cette station, sur le thème de la conquête spatiale, le concepteur a dû relever plusieurs défis architecturaux. Le plafond a donc été surélevé et l’épaisseur des colonnes doublée pour donner une impression d’espace infini. Quatorze médaillons le long du quai représentent d’importantes personnalités liées à l’exploration spatiale.
Impossible de l’abandonner à la destruction
Le métro a été construit pendant la période soviétique et sa conception artistique correspond aux idées de l’époque, soit le réalisme socialiste. Avec la chute de l’URSS commence le rejet de tout héritage soviétique, idéologique ou esthétique : des monuments sont déboulonnés et des rues, des musées et des villes entières renommés.
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Le même processus a lieu dans le métro. Mais c’est ici plus compliqué, à cause de la spécificité de l’espace et de la forte dépendance des composantes artistiques vis-à-vis de la structure. Les noms peuvent être changés, les bas-reliefs enlevés, les symboles effacés et toutes les marques du passé remplacées par celles du présent, mais il est impossible de supprimer les murs porteurs ou de changer les principes d’ingénierie d’une station déjà construite. Dans l’idée, le métro de Tachkent est réellement un musée car il a conservé la conception de l’art de son temps et les idéaux artistiques soviétiques, bien que les passagers contemporains ne perçoivent pas toujours cette esthétique en connaissance de cause, ni ne comprennent le message initial des auteurs.
La situation de la station Buyuk Ipak Yo’li, officiellement renommée en 1997, est intéressante. Le nom de Maxime Gorki s’est tellement enraciné qu’il a fini par désigner tout le quartier autour de la station, et le nom de Buyuk Ipak Yo’li n’était plus utilisé que pour les avis au public et les documents officiels. Les éléments les plus importants consacrés à Maxime Gorki sont deux bas-reliefs de bronze monumentaux au-dessus des escaliers. Le travail du sculpteur Iakov Chapiro est presque invisible pour les utilisateurs non avertis du métro, à cause d’un mauvais éclairage. Il est possible que pour cette raison, ou à cause de la complexité de la structure et des difficultés techniques, ces œuvres n’aient pas été démontées malgré leur message idéologique clair.
Selon l’une des interprétations, le thème du panneau est l’illustration de la phrase : « Maxime Gorki est le pétrel de la révolution », ce que confirme une annotation dans l’angle en bas à gauche, traduite en ouzbek. « …Et le prophète de la victoire crie : « Que la tempête tonne plus fort ! » » : cette phrase issue de la Chanson du pétrel de Maxime Gorki a été un symbole de la propagande révolutionnaire. L’autre interprétation, aujourd’hui plus populaire et que confirme Iakov Chapiro lui-même dans ses interviews, est littéraire. Le thème d’un des panneaux serait l’intrigue du Cœur de Danko, issu du recueil La vieille Izerguil, et l’autre panneau représenterait des scènes du roman La mère. Comme toujours, la vérité est quelque part entre ces deux idées.
Iakov Chapiro a aussi travaillé sur un bas-relief de bronze qui décore l’entrée de la station Mustaqillik Maydoni. Le bas-relief a été refait au début des années 1990 : Lénine (1870-1924) au centre a été remplacé par des musiciens et des personnages ont été ajoutés. Une nouvelle inscription est aussi apparue : « L’image de la renaissance de Tachkent est le symbole de l’amitié inébranlable entre les peuples ».
Si dans le cas du bas-relief à la station Mustaqillik Maydoni, la question de la réadaptation de l’œuvre a été traitée de façon professionnelle, dans d’autres stations qui ont changé de nom, les sculptures et les œuvres à connotation communiste ont tout simplement été détruites, remplacées par des publicités ou leurs places laissées vides, donnant une impression piteuse et illogique.
A la station initialement nommée Droujba narodov, les emblèmes des républiques soviétiques en smalt coloré ont été démontés. Finalement, seulement six médaillons ont été complétés par de nouveaux travaux décoratifs, les dix autres restant vides.
A la station anciennement appelée 50 liet SSSR, les bas-reliefs thématiques au-dessus des escaliers ont été enlevés. La station a été renommée Mirzo Ulug‘bek, en l’honneur du petit-fils de Tamerlan, mais aucun autre décor n’a été conçu.
La station Do’stlik (« amitié » en ouzbek) était initialement nommée en l’honneur du pilote Valeri Tchkalov et des 50 ans du premier vol sans escale entre Moscou et Vancouver passant par le pôle nord. En 2012, le nom de la station a changé et le buste de l’aviateur a été remplacé par des affiches publicitaires. Mais il reste le plafond, décoré par des morceaux de métal en forme d’étoiles, et un éclairage spécial qui imite un ciel étoilé, donnant la sensation d’être à bord d’un vol. Seulement, de nos jours, le rapport entre ces motifs et l’amitié n’est plus très clair.
A la station Olmazor, les néophytes soulèvent une question légitime : pourquoi sur les colonnes y a-t-il des bas-reliefs représentant des soldats soviétiques, et quel est le rapport avec les pommes ? Olmazor signifie en ouzbek « bosquet de pommiers ». Certains locaux se rappellent encore qu’avant, la station portait le nom d’un général soviétique, héros de la Seconde Guerre mondiale, Sabir Rakhimov, et qu’elle a été renommée en 2010. Mais, comme les bas-reliefs sont sculptés directement dans les colonnes qui supportent la construction, il est impossible de les enlever.
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Le changement de nom de la station Hamza prend sens du point de vue de la toponymie, car elle se trouve à proximité de l’unité d’habitation Novza dont elle a pris le nom. Mais les traces de l’ancien nom demeurent en la présence d’un panneau sur le mur au-dessus de l’escalator. Des œuvres d’art ayant pour thème des intrigues issues des œuvres du poète Khamza sont réalisées en mosaïque florentine, technique éprouvante et coûteuse. L’œuvre reste pour le moment visible, bien qu’elle ait été endommagée : des caméras de surveillance ont été installées dans des roches précieuses.
L’auteur de la mosaïque représentant Khamza est le sculpteur Abdoulmalik Boukharbaïev, l’un des rares artistes d’Ouzbékistan à maîtriser cette technique. Il a pris part à la conception et à la construction de beaucoup de monuments architecturaux conséquents en Ouzbékistan : les hôtels Tchorsou et Le Meridian, le centre de radio et de télévision de la République et le palais de l’amitié entre les peuples.
Sur l’un des panneaux de la station O‘zbekiston, réalisés par le même artiste était auparavant représenté l’emblème de la République soviétique d’Ouzbékistan. Il a été remplacé par l’emblème de l’Ouzbékistan indépendant.
Après l’indépendance
Les dernières stations construites sur la ligne O‘zbekiston sont Chorsu et G‘afur G‘ulom (1989), ainsi que Tinchlik et Beruniy (1991). Elles conservent les traces d’une époque où l’on recherchait la singularité des décorations d’art et une richesse visuelle.
La ligne Yunusobod (2001-2020) a l’air beaucoup plus modeste que les autres puisqu’elle a été conçue dans des conditions bien différentes. A la chute de l’URSS, Moscou ne soutient plus la construction du métro. Il devient plus dur d’importer des matériaux et d’inviter des spécialistes d’autres républiques. Le budget pour la conception du métro est revu à la baisse, ce qui se fait ressentir sur la qualité et la quantité des matériaux utilisés, le niveau de maîtrise et la valeur artistique. Mais les stations ouvertes après 1989 n’ont pratiquement pas dû subir des démontages et des changements de nom.
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La seule exception est celle de la station Khabib Abdoullaïev, nommée en l’honneur du géologue ouzbek, et renommée Shahriston en 2015. Aujourd’hui, une seule des entrées du métro est ouverte, où il n’y a ni portrait ni carte. Soit les œuvres ont été enlevées, soit il en reste quelque chose dans le hall de l’entrée fermée.
Malgré le fait que la ligne Yunusobod ait été ouverte en 2001, le lien avec l’esthétique soviétique s’y ressent encore. Probablement parce que les architectes qui ont travaillé dans les années 1980 ont aussi collaboré à la conception des stations de cette ligne.
Bodomzor est la station la plus remarquable de cette ligne. Les motifs de l’amandier dominent, que ce soit sur des plaques de céramique sur les murs le long des escaliers, ou par des luminaires en colonnes qui imitent l’arbre.
La station Abdulla Qodiriy, nommée en l’honneur du poète ouzbek, se distingue par ses lustres en forme de pétales de fleur et par ses motifs en céramique sur les colonnes, qui sont parfois illuminés. La station Ming O’rik est décorée de panneaux de céramique au-dessus des escaliers et de moulures aux murs. Et la station Minor présente la curiosité de n’avoir pas deux, mais une seule rangée de colonnes au centre du quai. Cette structure existe aussi à la station Yunusobod.
Les stations ouvertes en 2020 ne conservent plus aucun lien avec l’esthétique soviétique. Les décors sont absents ou réduits au minimum. L’accent est mis sur leur modernité et fonctionnalité. Pour les uns, cela signifie la perte du charme du métro, mais pour les autres, moins attirés par la nostalgie et par l’exigence de la richesse artistique, c’est le signe que le métro retrouve sa fonction initiale.
Le métro s’est libéré du poids de sa responsabilité devant les générations suivantes, et il n’a plus à se plier aux ambitions artistiques de la direction. Impossible pour le moment de savoir à quel point les stations récemment ouvertes représentent l’époque actuelle, ni ce qui sera écrit sur celles-ci d’ici 20 ans. Mais qui sait, peut-être est-ce mieux que le métro soit devenu, purement et simplement, un moyen de transport ?
Viktoria Erofieïeva
Critique d’art
Boris Joukovsky
Rédacteur en chef de Hook
Traduit du russe par Paulinon Vanackère
Edité par Frédérique Faucher
Relu par Nathalie Boué
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