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Comment les femmes du Kirghizstan et de l’Ouzbékistan s’adaptent au changement climatique grâce aux savoirs traditionnels ?

Face aux défis croissants du changement climatique, les femmes jouent un rôle déterminant grâce à leurs savoirs traditionnels. Malgré les obstacles sociaux, économiques et éducatifs qu’elles rencontrent, leur inclusion active renforce la résilience des communautés locales. Zoom sur des initiatives portées par des femmes du Kirghizstan et d’Ouzbékistan, qui prouvent que ces savoirs ancestraux restent essentiels face à l’urgence climatique.

Plantes
Janara Algojoïeva sauvegarde les connaissances traditionnelles sur les plantes. Photo : Cabar Asia.

Face aux défis croissants du changement climatique, les femmes jouent un rôle déterminant grâce à leurs savoirs traditionnels. Malgré les obstacles sociaux, économiques et éducatifs qu’elles rencontrent, leur inclusion active renforce la résilience des communautés locales. Zoom sur des initiatives portées par des femmes du Kirghizstan et d’Ouzbékistan, qui prouvent que ces savoirs ancestraux restent essentiels face à l’urgence climatique.

Alors que les effets du changement climatique se font chaque jour plus visibles, certaines régions comme l’Europe orientale, le Caucase et l’Asie centrale subissent particulièrement ces transformations. Hausse des températures, modification des régimes de précipitations, phénomènes climatiques extrêmes : ces réalités impactent directement l’agriculture, l’approvisionnement en eau et les écosystèmes locaux.

Dans ce contexte, les femmes jouent un rôle crucial en mettant en œuvre des stratégies durables basées sur des savoirs traditionnels, notamment agricoles. Pourtant, leur leadership est freiné par des contraintes sociales, économiques ou encore un accès restreint à l’éducation. Des politiques ciblées pourraient néanmoins renforcer leur autonomie et, par extension, rendre ces communautés plus résilientes face aux bouleversements climatiques.

Cet article présente des femmes dont les actions illustrent comment leur inclusion et leurs savoirs traditionnels permettent aux communautés locales de mieux s’adapter au changement climatique.

Préserver les traditions au Kirghizstan

Janara Algojoïeva est une herboriste et guérisseuse originaire des pâturages montagneux de Sousamyr, dans la région de Tchouï, au Kirghizstan. Issue d’une famille de bergers, elle a passé toute son enfance au contact de la nature, observant notamment sa grand-mère travailler les herbes médicinales telles que le kerech (angélique-trifeuille), le kokomeren (le thym) ou encore l’adyrachman. Sa grand-mère les récoltait et les mettait à sécher dans des sacs en toile, avant de les utiliser en tisanes ou mélangées à du lait pour soigner les enfants.

Selon Janara Algojoïeva, la richesse de la biodiversité du Kirghizstan est liée à sa géographie montagneuse et à ses conditions climatiques uniques. L’alternance entre chaleur du jour, fraîcheur nocturne et changements atmosphériques soudains permet de préserver efficacement les principes actifs des plantes médicinales locales.

Transmettre des savoirs ancestraux

En 2014, Janara Algojoïeva franchit une étape importante en participant à la création de la fondation Amanat-Omour. Cette organisation œuvre à la conservation des traditions et à l’utilisation durable des ressources naturelles locales. Elle propose notamment des formations aux femmes et à l’ensemble de la communauté afin de préserver la biodiversité, protéger l’héritage culturel et améliorer la qualité de vie des habitants.

La fondation Amanat-Omour a notamment créé le premier jardin ethnobotanique du village de Kyzyl-Touu, dans la région de Tchouï. Ce jardin, agrémenté d’arbres fruitiers locaux, souligne l’importance de la préservation de la biodiversité régionale et de l’agriculture durable.

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Les membres du club écologique Iounyï Naturalist participent activement à ce projet, permettant ainsi aux écoliers d’acquérir des connaissances théoriques tout en les mettant directement en pratique. Des formations en apiculture traditionnelle, en agriculture biologique et en fabrication artisanale de savon à base d’herbes locales, comme le savon Chakar Samyn, complètent ces initiatives.

Des projets éducatifs

Dans la province de Naryn, d’autres projets mobilisent les savoirs traditionnels pour protéger la biodiversité locale. C’est le cas de l’association Konorbos Mouras, fondée en 2016 à At-Bachy par Begaïem Mourzalieva. L’association valorise les liens entre la communauté et son environnement en développant des projets éducatifs autour de la préservation des ressources génétiques et des savoir-faire ancestraux.

Begaïem Mourzalieva organise notamment des ateliers traditionnels diversifiés, permettant aux habitants de redécouvrir et transmettre leurs connaissances culturelles et écologiques, essentielles à la préservation de l’environnement local.

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Selon elle, de nombreux habitants âgés maîtrisent encore les savoirs traditionnels hérités de leurs ancêtres, notamment dans l’usage durable des ressources naturelles, des herbes médicinales et des plantes sauvages. Elle juge essentiel de recueillir ces connaissances auprès des anciens tant qu’elles peuvent encore être transmises aux nouvelles générations.

Préserver la biodiversité

À At-Bachy, Begaïem Mourzalieva met en lumière l’importance des savoirs ancestraux encore détenus par les personnes âgées du village. « Heureusement, certains habitants possèdent encore aujourd’hui les savoirs traditionnels de leurs ancêtres et savent comment les utiliser durablement pour soigner ou prévenir des maladies grâce aux plantes sauvages locales. Ils savent aussi interpréter les phénomènes météorologiques en observant les étoiles », explique-t-elle. Begaïem Mourzalieva et ses collègues ont ainsi entrepris de recueillir et de diffuser ces précieuses connaissances, avant qu’elles ne se perdent.

Au-delà de cette transmission orale, l’association Konorbos Mouras sensibilise également à l’importance d’une utilisation respectueuse des ressources naturelles. Située dans une région montagneuse et fragile, l’association alerte sur le fait qu’une simple perturbation écologique peut déclencher des conséquences dramatiques sur l’ensemble de l’écosystème local.

En collaboration avec les habitants du village d’Acha-Kaïndy, l’association a développé 13 jardins familiaux destinés à la culture du cassis et de l’argousier sans feuilles. « Ces jardins constituent une réponse efficace à l’insécurité alimentaire locale tout en protégeant la biodiversité. Ils permettent également aux femmes d’apprendre à fabriquer des produits finis à partir de ces cultures, renforçant ainsi leur autonomie économique », ajoute Begaïem Mourzalieva.

Des graines à la réussite : la culture de micro-plantes en Ouzbékistan

Goulzar Toreniyazova est une ingénieure agronome de la République autonome du Karakalpakstan en Ouzbékistan, qui développe des solutions agricoles innovantes pour contrer la sécheresse et les conditions climatiques extrêmes qui frappent la région de la mer d’Aral. Membre du Centre international de l’innovation sur la mer d’Aral, elle s’est spécialisée dans la culture des micro-plantes en intérieur, une alternative durable face aux défis environnementaux.

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Confrontée aux gelées tardives, aux réchauffements précoces et aux parasites qui rendent l’agriculture en extérieur de plus en plus instable, elle explore différentes méthodes sur Internet et découvre la culture de micro-plantes. Cette technique, qui ne nécessite ni sol ni espace important, lui apparaît comme une solution idéale pour s’adapter aux conditions locales. À force d’expérimentations, elle acquiert une expertise solide et commence à promouvoir cette méthode auprès des femmes de sa région.

Issue d’un village rural, Goulzar Toreniyazova a grandi au contact de l’agriculture et considère avoir « la main légère », une expression désignant l’aptitude à faire pousser facilement des plantes. Autodidacte, elle perfectionne ses compétences par des recherches en ligne, confrontée à des défis non documentés qu’elle apprend à surmonter par l’expérience.

Produire de la nourriture à domicile

Les micro-plantes, comme les jeunes pousses d’épinard, de radis, de moutarde ou de basilic, sont récoltées dès l’apparition de leurs premières feuilles. Riches en vitamines et minéraux, elles présentent l’avantage d’être cultivables en intérieur, réduisant le besoin en ressources naturelles. Leur cycle de croissance, compris entre 10 et 20 jours, permet d’économiser jusqu’à 90 % d’eau par rapport aux cultures traditionnelles, tout en occupant un espace minimal. Depuis chez elle, Goulzar Toreniyazova cultive ces jeunes pousses et les vend sur les marchés locaux et auprès de restaurateurs.

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Après plusieurs expériences réussies, elle décide de transmettre ses connaissances à d’autres femmes, notamment celles ayant une mobilité réduite à Noukous. En 2024, elle remporte un concours de start-ups et obtient un financement du ministère du Développement et de l’Innovation. Son objectif n’est pas uniquement économique : elle souhaite permettre aux habitants d’apprendre à cultiver leurs propres produits, aussi bien pour leur consommation personnelle que pour la vente.

En mai 2024, en collaboration avec l’Institut Mondial pour la Croissance Verte (GGGI), elle organise un atelier sur la culture des micro-plantes destiné aux femmes à mobilité réduite. Cette activité représente une alternative idéale à l’agriculture traditionnelle, offrant une source de revenus stable tout en demandant peu d’équipement. En plus de limiter l’exposition aux conditions climatiques extrêmes et aux parasites, cette méthode permet aux femmes de produire de la nourriture de qualité depuis leur domicile, renforçant ainsi leur autonomie financière.

S’adapter aux situations contemporaines

« Les femmes ont non seulement acquis des connaissances précieuses mais ont aussi créé des liens nécessaires qui vont les aider pour leur vie personnelle et professionnelle future », explique Goulzar Toreniyazova.

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Un mois plus tard, elle et le GGGI fournissent aux participantes des étagères et des lampes phytopharmaceutiques pour renforcer leurs compétences pratiques. Des ateliers individuels sont organisés pour les accompagner dans l’utilisation de ces équipements et optimiser leurs cultures.

« Je suis heureuse de voir l’envie de se nourrir avec des aliments de qualité de la part des femmes. Quand elles ont appris l’existence des micro-plantes, elles ont toutes démontré de la joie et de l’intérêt. Je suis heureuse de pouvoir les aider en partageant mes conseils et mon expérience. Je considère que nous devons toujours informer des possibilités qui peuvent aider les femmes à trouver dans la société ce qu’elles aiment et aussi à s’adapter aux situations contemporaines », dit-elle.

Anara Alymkoulova, Satenik Bakounts et Goulnaz Jadiguerova
Journalistes pour Cabar Asia

Traduit du russe par Léna Marin

Édité par Nine Apperry

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