Les représentants du Kirghizstan et du Tadjikistan ont annoncé avoir résolu toutes les questions frontalières, un moment d’histoire qui pourrait marquer la fin de plusieurs années de conflits. Mais nombreux sont ceux qui restent prudents, l’accord n’ayant pas encore été dévoilé.
« La question des frontières est close. » C’est ce que les agences officielles des gouvernements tadjik et kirghiz ont fait savoir le 4 décembre dernier. L’agence de presse nationale tadjike Khovar a fait savoir que lors d’une réunion à Batken, dans le Sud du Kirghizstan, les délégations des deux pays étaient parvenues à un accord et avaient « entièrement achevé la description des sections restantes de la frontière entre les États tadjik et kirghiz ».
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Lignes démarquées, lignes floues
Pourtant, aucun des deux Etats n’en dévoile davantage. La délimitation en question n’a pas encore été indiquée. Trois jours après cette nouvelle, les équipes topographiques et les délégations gouvernementales se réunissaient encore une fois, cette fois-ci ayant » finalisé une description du projet », comme le rapporte la branche tadjike du média russe Sputnik.
L’absence de détails est presque partout accompagnée d’une communication officielle : « Les négociations se sont déroulées dans une atmosphère d’amitié et de compréhension mutuelle. »
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La seule précision est venue le 12 décembre dernier de Kamtchybek Tachiev, rapporte le média kirghiz Kloop. Le chef du Comité d’Etat pour la sécurité nationale a affirmé : « Nous avons terminé la description hier. Aujourd’hui, la délégation du Kirghizstan est partie pour le Tadjikistan et commence à réaliser des travaux cartographiques avec le pays voisin. Si Dieu le veut, nous présenterons le document [sur la délimitation des frontières] au Parlement à la mi-janvier ou fin janvier. Tout sera révélé. Je suis prêt à répondre du sort de chaque village et district », a-t-il assuré.
Une bonne nouvelle pour les deux côtés
Du côté kirghiz, le pouvoir essaie de montrer sa réussite à travers cet accord. Kabar, l’agence de presse nationale, rapporte ainsi que le député Jamin Akimaliev voit dans cet événement un succès de la volonté politique du président Sadyr Japarov. Il conclut que cet accord « prouve la sagesse des dirigeants de la république dans la résolution de problèmes très délicats et qui semblaient insolubles sur la scène internationale. »
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Ceux qui qualifient cet événement de moment historique n’on pas tort : si le processus de délimitation était mené à bien, il pourrait mettre fin à des décennies de conflits. Le Kirghizstan et le Tadjikistan partagent une frontière de 970 kilomètres, entourant plusieurs territoires disputés qui ont donné lieu à l’un des nombreux conflits territoriaux survenus à la chute de l’URSS.
En vérité, des affrontements sur ces territoires frontaliers avaient lieu avant même la dissolution de l’Union soviétique, dès 1974, rapporte Radio Azattyk, la branche kirghize du média américain Radio Free Europe. Mais après l’effondrement de l’URSS, la question des frontières est devenue plus grave. Comme les parties n’ont pas pu parvenir à un consensus sur les documents juridiques sur lesquels s’appuyer pour clarifier les limites, les discussions ont échoué et les disputes à propos de l’eau, des pâturages et des routes empiré.
Les deux pays s’appuyaient sur des documents différents, ce qui amenait à des malentendus, et finalement à des affrontements dès les années 2000. En fait, de 2012 à 2022, il n’y a pas eu une seule année sans conflit frontalier entre le Kirghizstan et le Tadjikistan.
Les habitants espèrent la fin de décennies de flou et d’affrontements
Les mortiers ont été utilisés pour la première fois en 2014. En 2019, après un conflit majeur, les présidents des deux pays se sont rencontrés à la frontière. Malgré cela, 2019 a marqué un autre année de conflits, en janvier, en mars, en mai ou encore en août, avec des jets de pierres et des fusils de chasse. L’année suivante, c’est le même scénario.
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2022 est l’année la plus catastrophique avec un grand nombre de victimes et de destructions. Du 14 au 17 septembre, le conflit prend pratiquement l’apparence d’une guerre. Il s’agit du plus grand conflit entre les deux pays depuis leur indépendance. En outre, des tirs sont entendus jusque dans le district de Tchon-Alaï de la région d’Och.
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Le ministère des Affaires étrangères du Kirghizstan déclare qu’il considère ces événements sur le territoire souverain de la République kirghize comme un acte d’agression armée planifié par le Tadjikistan. Douchanbé lance une accusation similaire. Cette année-là, 62 citoyens kirghiz et 74 citoyens tadjiks ont été tués. Dès deux côtés, 400 personnes ont été blessées. Côté kirghiz, plus de 140 000 habitants des villages frontaliers ont été contraints de quitter leurs foyers.
Une réouverture prochaine ?
Depuis mai 2021, le Kirghizstan a fermé ses frontières avec le Tadjikistan. Selon le média tadjik Asia-Plus, la fermeture des frontières entre les pays signifie des millions de dollars de perte pour les deux États, sous forme de droits et taxes, et pour les entrepreneurs des deux pays, sous forme de revenus. Les frontières ouvertes permettaient aussi aux habitants des villages frontaliers de commercer entre eux et de rendre visite à leur famille.
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Les populations ont nourri de grands espoirs quant à la réouverture des frontières, alors que les deux pays annoncent régulièrement depuis des mois, si ce n’est des années, que la délimitation touche à sa fin. Cet espoir a été renforcé par la déclaration du 30 juillet dernier, selon laquelle les deux pays étaient parvenus à un accord concernant 94 % de la frontière. Les 6 % restants, jugés « difficiles », auraient donc été résolus également lors des dernières déclarations de décembre.
Le président kirghiz a déclaré auprès de Kabar que « les postes frontières rouvriraient tout de suite après la fin des travaux de la commission intergouvernementale. » Il reste à voir si la mise en œuvre des accords sera à la hauteur des attentes.
Samad Alizade
Rédacteur pour Novastan
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