Le DJ et producteur de musique bichkékois Jaya a sorti le 16 octobre dernier son sixième album studio, Akkara. L’album laisse beaucoup de place aux invités et se révèle être la vitrine des compétences musicales de l’artiste.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 29 octobre 2020 par notre version allemande.
Le titre du sixième album studio du DJ et producteur de musique Jaya, sorti le 16 octobre dernier, suggère différentes influences. Akkara, qui signifie blanc-noir en kirghiz, est aussi un prénom japonais et une allusion à la culture anime. Sur la tracklist, on trouve ainsi des titres en espagnol, anglais, portugais et russe.
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Musicalement, Akkara est une série de mélodies et d’ambiances différentes avec de nombreux détails sonores qui ne sauraient rendre l’album ennuyeux, même à la 10ème écoute. Les sonorités folkloriques traditionnelles sont particulièrement importantes dans la seconde moitié de l’album, mais la patte de Jaya y est évidente.
De DJ XTZ à Jaya
Jaya, de son vrai nom Erlan Arstanov, est né en 1992. Il est l’un des musiciens bichkékois les plus influents de la dernière décennie. Ayant débuté sous le pseudonyme DJ XTZ, il a été l’un des premiers à introduire l’electronic dance music et le Moombahton dans les pays russophones.
Dans son premier album, Xtazy Love (2012), presque toutes les paroles étaient en anglais. Dans Xtazy Music, sorti en 2014, il a également expérimenté l’électro dance music en kirghiz. Par exemple dans les chansons futuristes Men Kimmin (Qui suis-je ?) et Temir Kyz (Fille de fer), interprétées par la chanteuse Indira.
« L’extraordinaire mélodie de la langue kirghize est connue depuis longtemps, mais une transposition plus fraîche et plus ou moins juste de cette qualité n’a pas été observée depuis longtemps dans la scène pop de Bichkek », a commenté le journal en ligne Kloop.kg dans son bilan global plutôt mitigé de Xtazy Music.
Le projet Jaya Miyazaki
Au milieu de la décennie, Jaya compose en russe et en duo avec le rappeur Enot MC ses tubes les plus célèbres. Il s’agit notamment des morceaux de fête Manit (Ça attire) et Iskra (Étincelle), ainsi que Bazara niet (C’est ok). Ce dernier est un remix du morceau israélien Potahat Tik, que les musiciens ont finalement vendu au label russe Black Star.
Jaya et Enot MC ont également fondé le projet musical Jaya Miyazaki. Celui-ci a jusqu’ici sorti trois albums : Utopia (2017), Molly (2017) et Hayao (2018).
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Après que les chemins artistiques du duo se soient séparés, Jaya a continué le projet avec de nouvelles collaborations. Sous son nom de scène, il sort sa propre musique, « juste pour le plaisir », comme il le dit.
Jaya Miyazaki, pour sa part, affiche des aspirations plus artistiques. « La musique est la base, pas l’artiste, pas le nom. Ici, Miyazaki (le réalisateur japonais, NDLR) est à l’honneur : Hayao Miyazaki, qui est la source d’inspiration de ce groupe. Toute sa philosophie et ses idées sont simplement transférées à la musique », a expliqué Jaya lors d’une conversation dans son studio de musique en mars 2020.
Des influences éclectiques
Sur le mur du studio sont accrochées des images et des citations de différents musiciens dont le travail est une source d’inspiration pour Jaya. A côté des portraits de Michael Jackson, de Viktor Tsoï et de Daft Punk se trouvent également des producteurs de musique influents tels que Quincy Jones, Pharrell Williams et Timbaland.
« Tout le monde veut travailler avec le nouveau grand producteur ou le nouveau chanteur en vogue. La clé est de les trouver avant qu’ils ne soient en vogue », a déclaré ce dernier.
Une rencontre entre les musiciens de Bichkek
Dans cette même tradition, Akkara est avant tout un album de producteur. Jaya y offre aux autres musiciens de Bichkek une plateforme où ils peuvent se produire, en se basant sur ses propres productions musicales.
Il y a par exemple le rappeur plein d’avenir Ulukmanapo, qui participe au morceau Maria. Son clip sorti en février 2020 décrit une histoire d’amour tragique dans un cadre mafieux presque italien. La plume élégante et le flow d’Okean Tikhi, qui avait déjà co-écrit une partie de l’album Molly avec Jaya, se retrouvent sur quatre morceaux.
Un album multi-genre
« Akkara est un album en deux parties, multi-genre et très contemporain, dans lequel on retrouve un grand nombre de sons et de motifs différents. Chaque morceau ici peut trouver son auditeur », résume le journaliste Oulougbek Akichev dans sa courte critique de l’album sur Telegram.
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La première partie de l’album est un peu plus pop et éclectique que la seconde. Et la patte de Jaya est plus facilement reconnaissable en fin d’album.
Un mélange de cultures et de rythmes
D’une part, Akkara, majoritairement russophone, sonne comme un mélange coloré, un mix de mélodies sud-américaines et sud-européennes, avec par ailleurs des allusions à la chanteuse soul allemande Sarah Connor. Le morceau From Sara with love fait allusion au tube de l’Allemande ainsi qu’à I wanna love you d’Akon et Snoop Dogg.
D’autre part, le rythme du Dembow, utilisé dans de nombreux morceaux de l’album et qui est typique du reggaeton, rappelle également la musique folklorique d’Asie centrale.
« Je l’ai [le rythme] repris. Je l’aime beaucoup car j’ai grandi dans le sud et il y a ce rythme aussi. Les Ouzbeks l’ont, c’est un peu leur rythme national », explique Jaya, qui a passé une grande partie de son enfance à Djalalabad, dans l’ouest du Kirghizstan.
Des thèmes classiques sur une musique rafraîchissante
« Chaque chanson est une histoire distincte sur des personnes avec lesquelles j’ai été proche au cours des deux dernières années », décrit Jaya sur Twitter. La première moitié de l’album parle de romance et d’affection, de femmes idéalisées, et donc inaccessibles, parfois décrites à la troisième et parfois à la deuxième personne.
On y retrouve des thèmes classiques sur une musique rafraîchissante. « Tu vas manger mon Coração, Coração » chante-il dans le morceau Coração (cœur en portugais). Dans ces morceaux, le narrateur est un rêveur silencieux. « Elle se retourne et danse pieds nus », dit-il en décrivant sa muse dans la chanson Rolling Stones. « Mais elle ne peut rien commencer avec moi » ou « Je serai là, mais pas avec toi » dans Sara with Love.
La deuxième partie de l’album est musicalement plus originale et utilise une musique folk plus ethnique. Le narrateur se retrouve soudain dans une position différente. « Toute la journée à l’ombre pour briller la nuit / Je peux lire à travers vous en quelques secondes », chante-t-il dans Teni (l’ombre, en russe), l’une des compositions les plus riches de l’album.
Évoquer l’actualité
Derrière les rythmes et les drops, les questions sociales n’en restent pas moins abordées. Dans la pièce Voïna (guerre, en russe) il y a par exemple : « Sous un même ciel, sous un même soleil, une guerre pour tous ».
La composition pensive de Phoenix, qui clôt l’album, parle de « toute la merde qui s’est produite pendant la pandémie, tous les hauts et les bas de la renaissance ». « Nous décollons pour tomber, et faire à nouveau nos premiers pas », a déclaré l’auteur sur Twitter.
Changer l’image des Kirghiz
Pour Jaya, Akkara est un album pour se défouler, une sorte de vitrine des compétences du producteur. Avec toute sa diversité, l’album offre néanmoins un ensemble tout à fait cohérent, un guide entre différents sons.
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L’auteur lui-même le décrit comme une œuvre « commerciale », contrairement à la musique plus conceptuelle du projet Jaya Miyazaki. L’objectif du musicien, qui est distribué par le label russe Zhara Music, est à terme de diffuser de la musique du Kirghizstan dans les pays russophones.
« Au cours des 15 à 20 dernières années, l’attitude à l’égard des Kirghiz dans les pays russophones s’est détériorée. […] Nous voulons améliorer la situation », explique Jaya à propos de ses projets de création d’une plateforme musicale à Moscou avec son groupe artistique On-S-Tream.
Faire connaître la musique bichkékoise
« Je connais beaucoup de gens qui ont un diplôme universitaire et qui travaillent comme déménageurs ou livreurs. Certains d’entre eux sont plus talentueux que moi. J’ai eu la chance que ma famille se porte plutôt bien économiquement », continue-t-il.
Si les artistes du Kirghizstan se retrouvent sous les projecteurs, cela pourrait également donner un coup de pouce à la scène locale. C’est ce qui est arrivé au Kazakhstan, qui occupe aujourd’hui une part importante de l’industrie du divertissement russophone. Le succès de musiciens comme Skriptonite et Jah Khalib ou de comédiens de stand-up comme Nourlan Sabourov y est pour beaucoup.
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Jaya est un musicien passionné, mais pour lui, l’art n’est pas une fin en soi. « La musique est une activité dans la vie, mais il faut en quelque sorte la relier à un objectif plus large. Si vous n’avez pas d’objectif, tout devient simplement centré sur vous-même. À quoi ça sert ? », commente-t-il dans son atelier. « Je préférerais soutenir [les autres], trouver de nouveaux [musiciens], ouvrir la voie », conclue-t-il.
Akkara est disponible sur la plupart des plateformes de streaming.
Florian Coppenrath
Journaliste pour Novastan
Traduit de l’allemand par Clémence de Lacour
Édité par Paulinon Vanackère
Relu par Charlotte Bonin
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