Ces dernières années, la Chine mène une politique médiatique plus globale visant à améliorer son image en Asie centrale. Avant la pandémie, Pékin mettait régulièrement l’accent sur l’éducation et la culture en accordant des bourses aux étudiants, aux journalistes et en organisant des voyages pour les fonctionnaires. Ces activités ont eu du succès auprès des jeunes qui souhaitaient étudier en Chine, apprendre la langue et découvrir la culture chinoise.
Avec la mise en place des confinements, l’attrait de la Chine en tant que destination pour les études a quelque peu diminué, tout comme les autres possibilités de visiter le pays. Mais la Chine n’a pas abandonné l’espoir de développer des liens culturels plus profonds avec l’Asie centrale. Aujourd’hui, l’ambassade de Chine au Kirghizstan, par exemple, organise activement des réunions avec les autorités, les médias et les universités pour parler de l’importance des relations bilatérales et du maintien de la paix et de la stabilité.
D’une façon générale, les relations entre le Kirghizstan et la Chine méritent une attention particulière. Bien que Bichkek ne soit pas un partenaire énergétique de premier plan pour Pékin, elle joue un rôle important en tant que corridor de transit et banc d’essai pour tester ses nouvelles technologies et approches diplomatiques. L’influence chinoise sur la sécurité au Kirghizstan et dans l’ensemble de la région d’Asie centrale devient également tangible. Par exemple, il existe des précédents de sociétés militaires privées chinoises qui gardent des objets d’investissement au Kirghizstan.
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Adina Massalbekova est chercheuse associée à l’Académie de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Bichkek et chercheuse à Oxus Society. Ses recherches portent sur les relations entre la Chine et l’Asie centrale, le développement sociopolitique de l’Asie centrale post-communiste et le fondamentalisme religieux. À l’Académie de l’OSCE, les recherches d’Adina Massalbekova se concentrent sur l’impact de l’influence de l’enseignement supérieur au Kirghizstan en termes d’emploi, de compréhension de la politique chinoise actuelle et de contribution aux carrières politiques.
Central Asian Analytical Network (CAAN) : Pouvez-vous parler un peu de vous ?
Adina Massalbekova : Je m’appelle Adina Massalbekova. Je travaille actuellement comme jeune chercheuse associée à l’Académie de l’OSCE, où mes travaux portent sur l’analyse de la politique étrangère de la Chine. Plus précisément, mes recherches traitent de la manière dont les étudiants qui ont étudié en Chine évaluent la structure politique et, d’une manière générale, sur leur propre expérience de la vie et des études en Chine. En outre, j’ai également été et je continue d’être impliquée dans l’analyse de la politique étrangère chinoise. Dans le cadre d’autres projets, j’ai travaillé avec Oxus Society pendant l’été, en examinant et en mettant à jour une base de données sur les investissements chinois en Asie centrale.
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Mon éducation est également liée à la Chine, c’est-à-dire que j’ai moi-même étudié directement dans le cadre du programme 2+2. Il s’agissait d’une initiative de la partie chinoise en collaboration avec l’université d’État de Bichkek. Puis j’ai suivi un programme de maîtrise à l’université pédagogique de la Chine de l’Est, dans la ville de Shanghai, où j’ai étudié la théorie politique, à partir de questions philosophiques, mais avec des exemples de politique et d’histoire chinoises.
Quelle est l’attitude de l’élite politique actuelle du Kirghizstan à l’égard de la Chine ? En règle générale, dans les États d’Asie centrale, la Chine est perçue comme une source d’investissement et les différents représentants de l’élite politique tentent d’établir des relations avec la République populaire de Chine dans un but économique. Mais au Kirghizstan, la situation est légèrement différente. Même pendant les élections présidentielles, lorsque Sadyr Japarov est arrivé au pouvoir, il a été rapporté qu’un lobby pro-chinois était actif au sein de l’élite kirghize.
Dans l’ensemble, le gouvernement et l’élite politique du Kirghizstan ont tout intérêt à coopérer. Tout d’abord, il n’y a pas que l’élite politique. Les masses voient aussi les avantages économiques. Il s’agit de la même sphère commerciale. Deuxièmement, cela est également dû au fait que la Chine est le plus grand créancier du Kirghizstan. Sa dette envers elle représente près de 2 milliards de dollars (1,8 milliards d’euros), sur un total de 5 milliards de dollars (4,6 milliards d’euros) de dettes étrangères. D’un autre côté, il s’agit également d’une sorte de dépendance économique. Le Kirghizstan doit donc entretenir de bonnes relations avec la Chine.
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Par ailleurs, outre la dette extérieure, il est question de construire un chemin de fer entre la Chine, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. La Chine accorde une attention particulière à la sécurité dans la région de l’Asie centrale et à la sécurité de ses entreprises qui, par exemple, travaillent au Kirghizstan. Elles sont très souvent critiquées par la population locale. Mais l’influence de la Chine s’accroît lentement dans la région, en dépit de l’existence d’un autre acteur politique : la Russie.
En même temps, sur la question du lobby pro-chinois, je peux dire qu’il y a eu des rumeurs pendant les élections présidentielles, lorsque des accusations ont été lancées contre Sadyr Japarov concernant ses liens avec les services spéciaux chinois. Le site factcheck.kg a mené l’enquête qui a révélé que Sadyr Japarov était ami avec un citoyen chinois, sans présenter aucune preuve établissant un lien avec les services secrets chinois. Certains ont également accusé Aïgoul Japarova, l’épouse du président, d’essayer de promouvoir une amie. Mais là encore, un porte-parole a déclaré que la candidate au Conseil suprême n’était pas une amie de l’épouse du président. En fin de compte, ces accusations ont disparu d’elles-mêmes, je pense.
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L’élite politique essaie d’être plus prudente dans ses relations avec la Chine, car un scandale a déjà éclaté autour d’une centrale électrique. En effet, un prêt énorme – 386 millions de dollars (352 millions d’euros) – a été contracté pour reconstruire la centrale électrique. Un an après l’achèvement de la construction, un accident s’est produit. Le New York Times a même écrit qu’il s’agissait d’une conséquence de certains prêts chinois. Les hommes politiques essaient donc toujours d’être prudents dans ce genre de situation.
Pendant la pandémie, le Kirghizstan a également été le premier à fermer sa frontière avec la Chine. Et cela aussi, comme l’ont prétendu certains politiciens, a quelque peu irrité et peut-être offensé les Chinois. Mais la Chine n’a pas ouvert ses frontières avec les pays d’Asie centrale pendant longtemps. Et cela pas seulement avec les pays d’Asie centrale, mais aussi de façon générale avec le monde entier, parce qu’il y avait des confinements très stricts dans toute la Chine.
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De même, au Kirghizstan, une affaire a été ouverte à la suite d’un attentat terroriste contre l’ambassade de Chine. Cela a dû avoir un impact très fort sur les relations entre le Kirghizstan et la Chine. Un autre point négatif dans les relations entre le Kirghizstan et la Chine est que les Kirghiz ont de très fortes opinions anti-chinoises, qualifiées de sinophobes. Et il y a très souvent eu des cas où des salariés chinois se sont faits attaquer. Il y a quelques années, les manifestations anti-chinoises étaient également très fréquentes dans les endroits où les entreprises chinoises opéraient. Compte tenu de tous ces facteurs, il est probable que l’élite politique tente d’adopter une approche très prudente dans le cadre des relations avec la Chine.
Jusqu’à récemment, la politique de la Chine en Asie centrale ne visait pas à se désengager. Au contraire, Pékin s’intéressait à la stabilité régionale. Cependant, il s’avère que cette approche a ses limites. Pékin a été très jaloux de toute initiative visant à rapprocher les cinq États d’Asie centrale. Ainsi, immédiatement après l’intensification de l’intégration régionale en 2018, la Chine a commencé à promouvoir le format C5+1, soit Chine+Asie centrale. De cette manière, la Chine a pu interagir avec les pays de la région sans la Russie, c’est-à-dire hors du cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai. Comment évaluez-vous le changement d’approche de la Chine à l’égard de l’Asie centrale ? Quelles sont les spécificités et les particularités que vous voyez émerger ?
Il convient peut-être de noter que la Chine entretient en matière de sécurité des relations assez étroites avec le Kirghizstan, qui est l’un des premiers membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Et toutes sortes d’exercices ont eu lieu depuis les années 2000. En d’autres termes, la plateforme de l’OCS visait et vise toujours, en général, à garantir le dialogue dans la région afin de maintenir la paix.
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L’interaction avec les pays de la région sans la Russie évolue dans un sens plus positif et se caractérise par une coopération plus étroite. Ainsi, la première visite à l’étranger de Xi Jinping, le président chinois, après la longue pandémie, s’est déroulée dans les pays d’Asie centrale. Dans le cadre de ces visites, des réunions bilatérales ont été organisées avec tous les dirigeants d’Asie centrale. Selon de nombreux experts, cela montre que l’Asie centrale est déjà une priorité de la politique étrangère chinoise.
L’actuelle ambassadrice chinoise au Kirghizstan initie activement des réunions avec les autorités, ainsi qu’avec les universités, les établissements d’enseignement qui ont des départements d’enseignement de la langue chinoise, où elle met souvent en avant les relations sino-kirghizes, l’amitié entre les peuples et l’importance du maintien de la paix et de la stabilité dans la région et du développement des relations stratégiques bilatérales.
L’ambassade a commencé à investir dans des initiatives à caractère social : il y a eu un investissement dans un fonds pour la formation des femmes à toutes sortes d’activités artisanales en 2021 et 2022. L’ambassade a soutenu un atelier pour apprendre aux femmes à coudre.
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Par ailleurs, la Chine a accordé et continue d’accorder de nombreuses bourses aux étudiants et aux médias : il s’agit de voyages permettant de s’intégrer davantage, de montrer la Chine, de présenter des informations et de les partager. Il y a de plus en plus d’initiatives de ce genre. Et comme c’est l’ère de l’information et des réseaux sociaux, ces initiatives sont également souvent promues et mises en avant sur ces réseaux, de sorte que la visibilité est déjà plus grande qu’il y a 10 ans.
Il convient également de noter qu’une résolution des Nations unies sur les questions ouïghoures a été adoptée récemment, à l’automne, et qu’une étude indépendante a été menée pour déterminer si les minorités ethniques étaient réprimées au Xinjiang. De nombreux experts, qui se concentrent généralement sur ce qui se passe au Xinjiang, ont également attiré l’attention sur le fait que les pays d’Asie centrale sont restés neutres suite aux résolutions des Nations unies par rapport à cette question. Après la visite de Xi Jinping, le Kazakhstan et le Kirghizstan ont voté contre. Ils ont donc voté en faveur de la Chine. Tous ces facteurs sont des indicateurs de la manière dont la Chine interagit. Elle est déjà plus active dans la région et sur le plan bilatéral.
L’influence informationnelle russe au Kirghizstan, ainsi qu’au Kazakhstan, reste profonde. Mais comment l’influence de Pékin évolue-t-elle dans cette sphère ? Par exemple, quels mécanismes les autorités chinoises utilisent-elles pour améliorer leur propre image dans le pays ? Et dans quelle mesure y parviennent-elles ?
Les bourses et les voyages ont déjà été mentionnés, mais d’autres travaux sont aussi éclairants. Un rapport a été publié par Niva Yau : Managing Sentiment on the Western Periphery : Chinese Information Operations in the Kyrgyz Republic. La recherche a été menée pendant deux ans et un très grand nombre de médias, d’organes de presse et d’influenceurs ont été analysés. C’est-à-dire ce qu’ils écrivent sur la Chine et comment elle est couverte. Les caractéristiques particulières de la stratégie utilisée par la partie chinoise ont également été montrées. Il s’agit de l’inclusion des médias kirghiz, c’est-à-dire de la coopération avec les journalistes des médias locaux. Il s’agit principalement de médias d’État. Ils participent également aux réseaux sociaux. De même, le média d’État chinois Xinhua en russe opère au Kirghizstan.
La présence de la Chine dans les médias locaux renforce son image favorable. L’accent est mis sur une image positive de la Chine pour le public kirghiz. On observe également que l’ambassade de Chine fournit des informations aux médias locaux. En d’autres termes, il y a une coopération avec l’ambassade de Chine sur la manière dont elle souhaite voir l’information. Comme il s’agit d’une représentation directe de la partie chinoise, ils insistent très souvent sur le fait qu’ils sont les seuls à pouvoir fournir les informations les plus fiables, et que d’autres sources, en particulier les médias étrangers, ne peuvent pas fournir d’informations fiables. Lors de conversations avec des médias indépendants, il a été mentionné qu’il y avait des cas où l’ambassade de Chine pouvait les approcher et leur conseiller de se référer à des sources chinoises afin que l’information destinée au public kirghiz soit fiable.
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Par ailleurs, il s’est avéré que la Chine offre très souvent de grandes opportunités lorsque les journalistes, en particulier ceux des médias d’État, sont invités à effectuer des stages et sont envoyés en voyage d’affaires en Chine. Tout est payé par la partie chinoise. Les journalistes reçoivent également une allocation. L’exemple des Jeux olympiques le montre clairement : un journaliste kirghiz s’y est rendu et a couvert tout ce qui se passait directement sur place. Dans l’ensemble, la réaction a été de dire que l’influence sur les médias au Kirghizstan ne se ressentait pas. L’important n’est pas les moyens, mais l’utilisation de tels mécanismes, qui ont leur public cible.
Il faut aussi parler des étudiants qui ont étudié en Chine : cela porte également ses fruits, ils diffusent des informations sur la Chine. Ces outils participent à la formation d’une sorte de sphère d’influence.
Adina, vous avez étudié le thème de l’influence culturelle de la Chine au Kirghizstan. Quelles sont les tendances observées dans ce domaine ? Les instituts Confucius et autres centres culturels et linguistiques chinois fonctionnent dans les pays centrasiatiques depuis de nombreuses années. Cependant, ils ne sont jamais devenus des centres importants qui éduquent les citoyens loyaux du Kirghizstan et du Kazakhstan. Vous avez également écrit récemment que l’éducation chinoise perdait de son attrait aux yeux des citoyens kirghiz. Quel est le rapport avec tout cela ?
En ce qui concerne l’influence culturelle chinoise au Kirghizstan et les raisons pour lesquelles elle n’a pas été si efficace, je peux dire que le modèle éducatif chinois dans la région est une question apolitique et culturelle spécifique. Pas seulement dans la région, mais en général. Pour ce qui est de la diplomatie éducative en Chine, certains domaines d’études politiques sont probablement plus des exceptions, ou ont une orientation neutre.
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La plupart des bourses disponibles sont axées sur les langues. Ou bien il s’agit d’une discipline qui vise à former des éducateurs qui enseigneront le chinois. À cet égard, de nombreux étudiants se concentrent sur l’étude de l’histoire. L’histoire de la Chine, vieille de 5 000 ans, est très riche, avec ses caractéristiques culturelles, ses traditions, l’art de l’écriture des caractères chinois et de la calligraphie. Une grande importance est donnée à l’apprentissage des instruments de musique. Des films, des séries télévisées sont montrés. Tout ce qui concerne la culture pop en Chine, que ce soit les séries télévisées, les films, la musique, tout est apolitique, parce qu’en Chine même, ce sujet est soumis à la censure. Tout est très contrôlé. C’est aussi dû aux différences culturelles. Le Kirghizstan est donc plus influencé par la culture pop russe et exposé à l’influence occidentale en termes de consommation d’informations.
Ces orientations que l’éducation chinoise propose perdent de leur pertinence au fil du temps. Un grand nombre d’étudiants est tout simplement fatigué d’attendre que les frontières s’ouvrent. Ou bien les étudiants qui étudiaient et étudient encore en Chine sont également fatigués d’être enfermés. Beaucoup sont venus au Kirghizstan pendant la pandémie. Je suis moi-même diplômée d’une université chinoise et je peux dire qu’il y a une grande différence entre l’éducation dans le pays, surtout s’il s’agit d’une université d’État, et l’éducation à l’étranger. Beaucoup d’étudiants ont donc commencé à chercher d’autres opportunités – plutôt vers les pays occidentaux.
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L’éducation chinoise a pu perdre son attrait à cause de l’emploi post-universitaire. En effet, de nombreux diplômés d’universités chinoises à Bichkek, au moins, ont été confrontés au fait que de nombreuses entreprises chinoises ont quitté le pays pendant la pandémie ou ont fermé leurs portes. Les relations bilatérales se sont également fortement ralenties, voire arrêtées pendant un moment. Même les interprètes ou les assistants employés pour certains événements se sont retrouvés au chômage. Cela les a encouragés à chercher une alternative, à se reconvertir. Mais cela n’a touché que les étudiants qui ont été formés et diplômés en Chine. Quant aux étudiants qui apprennent encore la langue chinoise et qui ne sont pas encore allés en Chine, ils souhaitent s’y rendre.
Bien que la Chine ait récemment ouvert ses frontières, jusqu’à présent, les voyages, les visas, la logistique due à la pandémie et l’auto-isolement ont coûté beaucoup d’argent, de sorte que certains étudiants attendent toujours de voyager à nouveau et d’expérimenter la vie dont les étudiants qui sont allés sur place parlent. Mais la Chine a peut-être commencé à accorder moins d’attention aux étudiants étrangers dès la pandémie, et c’est devenu une priorité moins importante qu’il y a deux ou trois ans, par exemple. L’avenir dira si les choses évolueront une fois que la Chine aura totalement ouvert ses frontières au monde extérieur. Pour l’instant, c’est assez lent. Mais c’est en train de se produire.
Quant à la sinophobie au Kirghizstan, quelles sont les racines de ce phénomène dans la société kirghize ? Il y a quelques années, des habitants du Kirghizstan ont encore fait pression pour obtenir la fermeture d’une usine à capitaux chinois. Comment les autorités officielles évaluent-elles les risques de sinophobie dans la société ? Les autorités prennent-elles en compte les demandes de la société ?
De manière générale, la sinophobie n’est pas une spécificité de l’Asie centrale ; elle semble être présente dans le monde entier. Pour le cas du Kirghizstan, il s’agit probablement d’une interaction avec la communauté chinoise au Kirghizstan. Ce sont les travailleurs chinois qui exercent leurs activités sur les marchés de Dordoï et de Karasou, les plus grands marchés du Kirghizstan, ainsi que dans les usines. Il s’agit de la classe ouvrière chinoise. C’est pourquoi les gens ont formé des stéréotypes négatifs. Et puis l’image de la Chine elle-même se forme par l’intermédiaire de ces travailleurs, que les gens rencontrent, qu’ils observent. Le gouvernement kirghiz tente d’empêcher cela.
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La Chine voulait investir dans un centre logistique à Naryn, mais la population locale a protesté pendant longtemps. Et elle n’est toujours pas d’accord. Mais Sooronbaï Jeenbekov, l’ancien président, et maintenant Sadyr Japarov, organisent des réunions avec les résidents locaux, en essayant d’expliquer que c’est pour le bien du Kirghizstan, que cela apportera de la croissance économique et des emplois. Mais certains experts pensent que plus le Kirghizstan attire d’investissements chinois et plus la population kirghize ressent la présence chinoise, plus le sentiment anti-chinois se renforce. Il faut également tenir compte de ce qui se passe au Xinjiang, car cela aussi renforce le sentiment anti-chinois.
L’industrie de la sécurité et de la défense est encore liée à la Russie. Il n’est pas envisageable de substituer l’ensemble de la coopération avec la Russie par des liens sporadiques avec d’autres pays dans le domaine de la défense. Dans le même temps, il est évident que le monopole de la Russie dans le domaine de la sécurité diminue progressivement, ce qui est clairement visible au Tadjikistan, où les autorités coopèrent de plus en plus avec la Chine dans le domaine militaire. A quel niveau se situent aujourd’hui les liens de sécurité entre le Kirghizstan et la Chine ?
Au sein de l’OCS, il y a eu plus de 60 à 70 formations militaires et formations conjointes au Kirghizstan même, où elles ont été menées selon des scénarios probabilistes. Ces scénarios prévoyaient très souvent de combattre et de capturer des groupes terroristes susceptibles de pénétrer au Kirghizstan depuis le Xinjiang. L’accent est mis sur le fait que la mission de sécurité consiste précisément à lutter contre le séparatisme et le terrorisme. Et la partie chinoise attire l’attention sur le fait qu’il s’agit de la lutte contre les séparatistes du Xinjiang.
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Il y a également une fourniture d’équipements en provenance de la Chine. En 2021-2022, Pékin a fourni des équipements et du matériel militaire à la partie kirghize. Cela suggère qu’il est trop tôt pour dire que cette coopération peut remplacer la Russie dans le domaine de la sécurité, mais elle se développe. La Chine a pris la responsabilité de mener le projet Safe City, qui consiste en l’installation de caméras et d’équipements de surveillance. La Chine a également dispensé des formations sur la manière de traquer les criminels et s’est particulièrement intéressée aux dissidents de la région autonome du Xinjiang, de sorte que le Kirghizstan coopère avec la Chine spécifiquement sur la prévention des « actes terroristes ». Au cours des 20 dernières années, un certain nombre de dissidents ont réussi à s’échapper du Xinjiang.
Il convient également de mentionner les sociétés militaires privées, c’est-à-dire les sociétés de sécurité, qui sont des sociétés chinoises introduites dans le cadre de la coopération, pour protéger les investissements chinois au Kirghizstan. Il y a eu très souvent des rassemblements anti-chinois et des cas de résidents locaux battant des travailleurs chinois. La Chine a réussi à persuader le Kirghizstan que cette mesure était nécessaire pour protéger les investissements.
La présence de l’armée privée chinoise au Kirghizstan a-t-elle été officiellement confirmée ?
Oui, l’Oxus Society dispose d’une base de données indiquant quelles entreprises sont protégées. Il existe six sociétés militaires privées qui fournissent des services de sécurité en Asie centrale. C’est au Kirghizstan qu’elles sont les plus nombreuses, car la loi et la Constitution les y autorisent plus facilement. La loi est très décentralisée par rapport au Kazakhstan et à l’Ouzbékistan.
Dans quels domaines Bichkek devrait-elle limiter son engagement avec Pékin afin d’éviter les risques et une dépendance excessive, et dans quels domaines est-il important de stimuler la coopération bilatérale ? Quels sont les domaines de la politique étrangère à développer pour harmoniser les relations sino-kirghizes ?
Il convient de souligner que le Kirghizstan a peu d’analystes locaux susceptibles de fournir des analyses et des conseils à l’administration présidentielle ou à d’autres autorités. De nombreux accords et initiatives sont le résultat de réunions bilatérales avec la partie chinoise. Une plus grande attention devrait être accordée à l’augmentation du nombre d’experts locaux capables d’évaluer tout cela.
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Par ailleurs, la Chine, par exemple, n’a jamais remis de dettes à la partie kirghize, contrairement à la Russie. L’opinion générale veut que la Chine soit le plus gros investisseur au Kirghizstan, mais personne ne tient compte des subventions et autres aides accordées par l’Union Européenne et les États-Unis. En effet, il s’agit principalement de projets de développement social. S’il ne s’agit pas d’investissements économiques, ils ont également un impact sur la formation et sur certains processus qui aident la population locale dans différentes régions du pays. Il est donc faux de répandre l’idée ou de penser que le Kirghizstan a une dette énorme envers la Chine et que c’est un petit pays qui devient involontairement loyal envers telle ou telle grande puissance. Il faudrait construire une relation alternative. En d’autres termes, plus le Kirghizstan aura de liens et coopérera avec d’autres pays, moins il sera dépendant d’un ou de deux pays.
Le renforcement de l’intégration de l’Asie centrale ces dernières années est une bonne chose. Je suis moi-même un fervent partisan de l’idée d’unifier l’Asie centrale. La guerre en Ukraine a accéléré ce processus. Je pense que l’intégration de l’Asie centrale elle-même réduira considérablement la dépendance vis-à-vis de la Chine mais aussi de la Russie. Elle contribuera au renforcement de chaque pays de la région.
Propos recueillis par Rouslan Izimov pour CAAN
Traduit du russe par Alexei Vasselin
Edité par Lucas Morvan
Relu par Elise Medina
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