Le dernier sommet de l’Union économique eurasiatique (UEE), le 14 avril dernier à Bichkek, a accouché de plusieurs événements significatifs. Ils pourraient indiquer que les entraves qui empêchaient le bon développement de l’Union ont été brisées ou sont en passe de l’être.
Novastan reprend et traduit ici un article paru originellement sur Eurasia Expert.
La réunion du Haut conseil de l’Union économique eurasiatique (UEE) qui s’est tenue le 14 avril dernier à Bichkek, la capitale du Kirghizstan, a été couronnée de succès. Certes, elle n’a pas débouché sur la conclusion d’accords fondamentaux et des questions importantes restent en suspens, mais le sommet a été riche en tendances positives qui témoignent des changements notables dans la dynamique de l’Union, plutôt négative depuis sa création.
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De fait, depuis sa formation en 2014, l’UEE n’a pas encore atteint ses principaux objectifs. Conçue sur la base d’une union douanière, l’UEE veut renforcer l’intégration économique et politique entre ses pays membres, à savoir le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, le Kirghizstan et l’Arménie.
Une forte progression du commerce extérieur et bilatéral
Principale indicateur positif, les statistiques du commerce extérieur et du commerce bilatéral pour les mois de janvier et de février 2017 sont en très nette croissance. Selon la Commission économique eurasiatique (CEE), l’organe économique de l’UEE, les échanges commerciaux entre les Etats membres de l’Union en janvier-février dernier ont augmenté de 34,2% par rapport à la même période l’année précédente.
C’est l’Arménie qui mène la danse des pays ayant profité de la meilleure croissance. Ses échanges commerciaux avec les autres pays de l’Union ont augmenté de 52,8%. Suivent le Kazakhstan (42,6%), la Biélorussie (41,7%), la Russie (30,9%) et le Kirghizstan (8,6%).
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Pour ce qui est du taux de croissance du commerce extérieur, c’est la Russie qui affiche les meilleurs résultats. La croissance des échanges commerciaux russes avec des pays tiers en janvier-février 2017 était de 33,2%. Vient ensuite l’Arménie (19,5%), le Kazakhstan (15,6%), la Biélorussie (9,5%) et le Kirghizstan, d’à peine 4,8%.
Le pétrole, le gaz et les métaux, principaux secteurs d’échanges
Cette montée en flèche s’explique entre autres par l’augmentation des prix du pétrole après qu’un accord portant sur la réduction des volumes exploités a été conclu à la fin de l’année dernière entre les pays de l’OPEP et les autres pays exportateurs de pétrole. Cet accord explique pourquoi la Russie et le Kazakhstan, dont les exportations dépendent des hydrocarbures, ont présenté les indicateurs de croissance les plus élevés.
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Mais les livraisons mutuelles de pétroles ne sont pas les seules à s’être multipliées : le commerce de minerais a augmenté de 24,6% en deux mois, le commerce de métaux et de produits métalliques a lui doublé alors que le commerce de voitures, d’équipements et de véhicules a grimpé de 44,5%. Quant aux échanges de produits alimentaires et de matières premières agricoles, ils ont augmenté de 34,1%.
Si l’on en croit ces chiffres, les échanges commerciaux à l’intérieur de l’Union se sont davantage développés dans les secteurs autres que le commerce de produits minéraux, dont les composantes principales sont le pétrole et le gaz.
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Ces débuts en fanfare pour l’UEE pourraient laisser présager une croissance substantielle des échanges commerciaux intra-Union, ce qui permettrait de compenser les coups durs essuyés ces dernières années.
La levée des barrières commerciales à l’ordre du jour
Nombre de présidents présents au sommet (Noursoultan Nazarbaïev côté kazakh, Vladimir Poutine pour la Russie et Serge Sargsian pour l’Arménie) n’ont pas manqué de mettre en avant la croissance des échanges commerciaux. Mais les participants ne pouvaient pas non plus éviter les questions sensibles comme la levée des barrières commerciales qui entravent le bon fonctionnement des marchés communs.
Le 31 mars, la CEE a adopté un texte intitulé « Barrières, exceptions et restrictions au sein de l’Union économique eurasiatique », qui rassemble, pour la première fois en un seul document, une liste exhaustive comprenant 60 particularités dont 17 « exceptions », 34 « restrictions » et 9 « barrières ». Les « exceptions » sont des particularités juridiques du régime commercial commun établies au titre du droit de l’UEE. Les « restrictions » sont des mesures qui ont vu le jour parce qu’elles n’étaient pas prévues par les actes normatifs de l’UEE. Quant aux barrières relatives aux mesures « illégales », elles devraient être abolies.
Un sujet particulièrement sensible
L’existence de barrières commerciales est un sujet profondément sensible pour la majorité des pays de l’Union, c’est pourquoi une attention toute particulière a été accordée à la question lors du sommet. Par exemple, Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, a proposé la présentation, lors du sommet suivant, d’un rapport de la CEE relatif à la levée des barrières commerciales dans le marché intérieur de l’Union. En outre, il souhaite se consacrer davantage à cette question, puisque, selon ses dires « c’est là l’essence même de l’organisation, [ils] ne peu[vent] pas y échapper ».
Alexandre Loukachenko a de plus proposé de peaufiner l’accord portant sur la création de l’Union et d’élaborer un mécanisme d’action qui pourrait être enclenché si un des membres de l’UEE venait à adopter des mesures unilatérales à l’encontre de pays tiers. Ces mesures seraient semblables à celles prises par la Russie à l’égard de l’Ukraine après les événements de la place Maïdan, en février 2014.
Le président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev et son homologue arménien Serge Sargsian se sont aussi exprimés au sujet des barrières commerciales.
Toutefois, si les participants étaient unanimes quant à la nécessité de les éliminer, ils ne peuvent pas tous le faire dans des délais réduits. De plus, certaines exceptions relatives à la viabilité des économies nationales pourraient devenir définitives. Par contre, la CEE prévoit de lever les barrières « illégales » par des « feuilles de route » qui décriront les mécanismes et les rouages de toute initiative.
Au tour de la Moldavie ?
Le sommet de Bichkek a été marqué par une décision d’ordre officiel : la République de Moldavie a reçu le statut inédit d’observateur au sein de l’UEE. La situation est épineuse car, à l’instar de l’Ukraine ou de la Géorgie, la République de Moldavie fait déjà partie d’un accord d’intégration européenne. La Moldavie ne perçoit cependant pas cette situation comme une entrave à une coopération avec l’UEE.
« Nous avons fait le premier pas, ce n’était pas une sinécure. Le 3 avril, nous avons signé un mémorandum de coopération », a déclaré Igor Dodon, le président de la République moldave, qui était lui aussi présent lors du sommet. « Ce mémorandum nous donne la chance de mieux nous connaître. Depuis 2014, un accord d’association est en vigueur entre mon pays et l’Union européenne. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il est interdit de conclure d’autres accords mutuellement profitables pour les citoyens de la République de Moldavie et pour vos compatriotes », a-t-il ajouté.
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Le statut d’observateur a sans nul doute été octroyé au pays en prévision d’une collaboration encore plus étroite avec l’UEE. Il est même possible que la République adhère à l’Union. Le Tadjikistan serait lui aussi en réflexion avancée pour une adhésion.
Cette mesure est cruciale pour l’Union puisque la République de Moldavie pourrait devenir le premier pays de l’ouest de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), dont les populations sont majoritairement orthodoxes, à adhérer à l’UEE depuis sa création. Certes, elle ne jouxterait pas immédiatement la zone « continentale » de l’Union économique puisque qu’elle en serait séparée par l’Ukraine, très peu encline à la collaboration ces derniers temps. Mais l’éloignement n’a pas empêché l’Arménie d’adhérer à l’UEE, et ce malgré son voisin la Géorgie.
Traduit du russe par Thomas Rondeaux