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Les obstacles aux Nouvelles routes de la Soie

Le projet chinois de nouvelles routes de la Soie comporte un certain nombre de risques, à la fois pour la Chine et pour tous les pays voisins, particulièrement ceux d’Asie centrale. Les études scientifiques sur ces risques se sont multipliées au cours des dernières années.

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Un porte-conteneurs chinois.

Le projet chinois de nouvelles routes de la Soie comporte un certain nombre de risques, à la fois pour la Chine et pour tous les pays voisins, particulièrement ceux d’Asie centrale. Les études scientifiques sur ces risques se sont multipliées au cours des dernières années.

Novastan traduit ici un article initialement publié par le média russe Fergananews.

Le projet international « La ceinture et la route » (Belt and Road Initiative) a été lancé par Pékin il y a bientôt six ans et porte déjà ses premiers fruits. Pour l’heure, les véritables accomplissements n’égalent pas les attentes, les espoirs et les peurs. Cela dit, la recherche ne reste pas immobile et les économistes ont pu décrire avec de nombreux détails les principaux risques du projet : la corruption, les dettes des entreprises publiques chinoises et leur incapacité à investir, les inégalités, le chômage et les dangers pour l’environnement. Petit tour d’horizon de ces obstacles.

Historiquement, les routes de la Soie sont un réseau de routes caravanières qui ont relié la Chine et l’ouest de l’Eurasie à l’aube de notre ère. L’apogée de ce commerce a eu lieu au Moyen-Âge, mais la découverte, il y a six siècles, de voies maritimes entre l’Europe et l’Asie a provoqué son déclin progressif. Dès les années 1950, des initiatives visant à rétablir ces prospères routes de commerce continentales se sont retrouvées au cœur des débats. Sans toutefois atteindre de résultat concret avant 2010. Selon les économistes, le coût de la main-d’œuvre dans l’est de la Chine, en hausse régulière, pousse alors les usines à se déplacer dans l’intérieur et l’ouest du pays, ce qui a contribué à débloquer la situation. Par ailleurs, le taux de croissance économique ralentit dans l’Empire céleste. Ces facteurs défavorables ont conduit le président Xi Jinping, qui s’est exprimé le 7 septembre 2013 à l’Université Nazarbaïev, à annoncer le lancement du projet « La ceinture et la route ».

Résumé rapidement, le projet vise à relier la Chine à l’Europe par des voies terrestres et la Chine à l’Afrique par des voies maritimes. Les Nouvelles routes de la Soie sont un projet d’investissement majeur dans les infrastructures mondiales.

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On estime que le projet doit concerner de près ou de loin jusqu’à 60 pays, environ 32 % du Produit intérieur brut (PIB) mondial, 39 % du commerce mondial et 63 % de la population mondiale. « La ceinture et la route » vise à renforcer les positions géopolitiques de Pékin et, en particulier, à renforcer sa sécurité énergétique en réduisant la dépendance en pétrole acheminé par le détroit de Malacca et par d’autres « goulots d’étranglement ». D’autres pays peuvent bénéficier du projet en accélérant et en augmentant le flux de biens et de services et en intégrant les systèmes financiers et les échanges culturels. La liste exhaustive des programmes prévus dans le cadre de l’initiative n’a pourtant pas été publiée. Le montant estimé des investissements chinois, lui, est connu : pas moins de quatre trillions de dollars (3,5 billions d’euros).

Détroit Malacca Malaysie Indonésie Chine
Le détroit de Malacca.

Les obstacles politiques et géopolitiques de « la ceinture et la route » sont déjà au cœur des débats, mais le projet est-il par ailleurs adéquat en termes d’économie et spécifiquement de commerce international ? Rozana Himaz, de l’Université d’Oxford, a consacré une étude à ce sujet après avoir analysé tous les articles publiés sur le sujet dans des revues économiques internationales. La première chose qui l’a frappé est que les revues principales comme American Economic Review ou Quarterly Journal of Economics se détournent de ce thème, soit à cause de leur vision américano-centrée, soit parce que l’initiative de Pékin reste encore un projet vague, dépourvu de plan clair et d’une liste de programmes et d’acteurs. À l’inverse, d’autres magazines accordent une importance particulière au projet chinois.

L’infrastructure comme moteur du commerce ?

Depuis 2009, la Chine est le leader mondial en termes d’exportation. Le pays écoule principalement ses produits en Asie. Mais comment transformer les coûts de construction des ports, des routes et d’autres infrastructures en vecteurs de développement commercial ? Pour les économistes, certains effets de débordement sont à prévoir, car l’ampleur des projets réduit les coûts et permet de réaliser des économies en raison de la croissance de la production, et donc du commerce.

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En outre, le projet de Pékin renforce les liens entre pays voisins, alors que, comme l’a écrit le célèbre économiste Paul Krugman, le commerce s’accroît proportionnellement à la proximité géographique. Un groupe de scientifiques a examiné l’économie et la distance entre les pays des anciennes routes de la Soie, a calculé les échanges commerciaux bilatéraux et a conclu qu’à l’heure actuelle, le commerce avec la Chine est bien en dessous de son potentiel. « La ceinture et la route » doit permettre notamment d’exploiter ce potentiel, en particulier dans les pays d’Asie centrale dépourvus d’accès à la mer.

Dans le détail, le projet des Nouvelles routes de la Soie se place dans le contexte d’une crise majeure de la stratégie d’exportation de la Chine. Depuis les années 1980, la croissance économique et les investissements étrangers ont été assurés par un faible coût des marchandises, une monnaie à faible taux de change et une main-d’œuvre bon marché et abondante. Or, depuis les années 2000, la devise nationale, le yuan, a augmenté, les salaires ont suivi cette hausse et le marché intérieur avec ses consommateurs est devenu plus prometteur que les exportations à moindre prix. Pékin doit à la fois développer la production dans ses provinces occidentales et réussir ses investissements dans l’économie des pays voisins.

Deux ans seulement après le lancement de son projet, la Chine avait ainsi considérablement augmenté ses investissements dans les régions terrestres de la « Route », à savoir l’Asie centrale, la Russie et l’Europe.

Aéroport Hambantota Sri Lanka Haut Commissaire britannique Visite Diplomatique
Visite d’un haut-commissaire britannique sur le site de construction de l’aéroport de Hambantota, au Sri Lanka, en 2011.

Cependant, comme l’ont souligné des études récentes, ces investissements se sont révélés toxiques. L’inefficacité des capitaux, les dettes des entreprises et la corruption ont empoisonné les projets d’infrastructure chinois. Les Nouvelles routes de la Soie risquent de reproduire l’effet des bulles immobilières : de grands quartiers résidentiels et des complexes commerciaux, abandonnés et en ruine. Les banques chinoises préfèrent investir dans des entreprises publiques non rentables plutôt que dans des entreprises privées génératrices de bénéfices. La croissance économique des projets d’infrastructures coïncide étonnamment avec la construction de maisons, de ponts et de routes, et se termine à l’instant précis de leur achèvement, creusant dans son sillage des dettes énormes et accentuant l’instabilité des marchés financiers, et la fragilité économique générale.

Une telle situation à l’échelle du projet « la ceinture et la route » serait encore plus dangereuse, puisque d’autres États à plus faible économie, comme le Sri Lanka, seraient cette fois impactés, en lieu et place des seules provinces administrées par Pékin. Les projets de construction d’un nouveau port et d’un aéroport à Hambantota se sont soldés par un échec : le magazine Forbes a décerné à l’aéroport la palme de l’aéroport le plus vide du monde et le pays, incapable de récupérer l’argent dépensé pour sa construction, en a abandonné l’exploitation à la Chine pour les 99 prochaines années.

Pauvreté, inégalités et dégradation de l’environnement

Des scientifiques de l’université de Pékin ont été surpris de constater que la Chine est l’un des pays où les inégalités immobilières sont les plus fortes : 1 % de la population possède le tiers du patrimoine du pays. Cette inégalité n’est pas due au hasard ; elle est une conséquence directe de la croissance rapide du commerce et du développement intensif des infrastructures au cours des 20 dernières années. Les autorités du pays se sont concentrées sur la croissance des revenus et des investissements en omettant de les répartir uniformément et de développer les services sociaux : soins de santé abordables, éducation, système fiscal efficace, système de retraite fonctionnel.

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À l’échelle internationale, une telle armada d’investissements ne peut qu’augmenter les inégalités et mettre en péril la répartition des richesses, à commencer par les voisins de la Chine. Les villes situées sur le tracé de « la ceinture et la route » doivent s’attendre à un développement exponentiel, tandis que les autres vont péricliter, notamment en termes de population. Pour éviter ce processus, les États doivent mettre en place des mécanismes efficaces permettant d’uniformiser le développement régional. Il serait malheureux de négliger l’impact des exportations de la Chine sur les économies des pays voisins : dans les années 1990-2000, ce sont ces exportations qui ont fait enfler les courbes du chômage et chuter celles des bénéfices des entreprises privées aux États-Unis et en Europe.

Enfin, le développement économique et la croissance du commerce nés de ce projet conduiront nécessairement à une inclusion des femmes dans la main-d’œuvre. Or, si cette situation comporte des aspects positifs comme de nouveaux emplois et des salaires élevés, elle n’est pas dépourvue d’inconvénients, les mères laissant leurs enfants à la charge de leurs propres parents. Dans de nombreux pays voisins de la Chine, comme les Philippines ou la Thaïlande, le recrutement des mères a déjà entraîné une baisse du niveau d’éducation des enfants, alors que le celui des pères n’a pas eu cet effet. Au fil du temps, la migration des travailleurs vers les zones de croissance économique affaiblira davantage encore les régions décentrées – à moins, là encore, que les autorités n’adoptent une politique adéquate pour égaliser les ressources.

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En outre, l’environnement sera la première victime du développement des voies de commerce. Le projet porté par Pékin exige une croissance industrielle rapide dans les pays voisins, bien plus rapide que les législations en matière de protection de l’environnement ne le permettent. La pollution en mer de Chine méridionale, envahie de déchets ménagers et industriels, est loin d’être une bonne publicité pour le projet. Les principaux itinéraires traverseront les steppes désertiques et semi-désertiques d’Asie centrale, écosystèmes très fragiles souffrant de pénuries d’eau et de salinisation des sols. Tout projet de développement d’envergure augmentera les risques environnementaux. Même si la Chine s’en déclare consciente et renforce le contrôle des infrastructures industrielles, réduit les émissions et commence à employer des technologies vertes, il est impossible de prédire dans quelle mesure cette politique concernera les projets d’infrastructures transfrontalières à grande échelle.

Les États doivent prendre des mesures

« La ceinture et la route » promet effectivement une intégration économique et une forte croissance du commerce et de l’industrie dans les États d’Eurasie. Pékin n’a certainement pas besoin de ce projet pour asseoir son influence politique sur ses voisins. En revanche, cette nouvelle route de la soie est conçue pour lui éviter une impasse économique avec un ralentissement de la croissance, même si les risques sont énormes et que la Chine a déjà été confrontée à des investissements inefficaces et a essuyé différents échecs. Si une crise financière survient, elle risque de contaminer les pays voisins. La dette sera alors proportionnelle aux investissement concédés.

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Mais même en cas de succès, les énormes profits dégagés ne pourront que déstabiliser les économies et les sociétés des États concernés, car les inégalités se creuseront entre les structures et les régions bénéficiaires du projet et celles qui demeureront mises à l’écart. Pour les économistes, l’urgence serait de tisser sans plus attendre un « filet de protection » au niveau de l’État, en mettant en place de nouveaux systèmes fiscaux, des règles d’allocation de pensions et d’autres concernant les systèmes éducatif et de soins de santé, de nouveaux contrôles des flux migratoires et de l’environnement. Le développement d’un marché libre sans politique claire serait en effet extrêmement dangereux.

Artiom Kosmarski
Journaliste pour Fergananews

Traduit du russe par Pierre-François Hubert

Edité par Magomed Beltouev

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