Un jeune mineur de la région de Karaganda raconte qu’il a perdu son travail après avoir informé sa direction d’infractions à la sécurité. Selon l’entreprise Qarmet, son ancien employeur, le licenciement est dû à une « faute grave ».
Nikolaï Deviatkine, 23 ans, originaire de Chakhtinsk dans la région de Karaganda au Kazakhstan, gagne désormais sa vie en tant que fossoyeur dans un service de pompes funèbres. Or, il est mineur de profession, comme la majorité des hommes dans ces régions, et a passé près de trois ans à travailler sous terre comme électricien sur un des sites de la société Qarmet. À l’époque, l’entreprise était encore connue sous le nom d’ArcelorMittal Temirtau (AMT).
En décembre 2023, Nikolaï Deviatkine a été licencié. L’entreprise a affirmé qu’il avait commis une faute qui aurait pu mettre en danger la vie des autres mineurs. Il avait apporté un téléphone dans les souterrains, ce qui, d’après AMT, est proscrit par le règlement.
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De graves entorses à la sécurité
La faute de Nikolaï Deviatkine a été découverte après le visionnage des images de la caméra embarquée dans sa lampe frontale. Tous les mineurs qui descendent travailler en sont équipés, condition fixée par l’entreprise. D’après le mineur, il avait lui-même demandé à la direction d’étudier les vidéos, en insistant sur le fait que l’enregistreur avait capturé de graves entorses à la sécurité, et il exigeait que celles-ci soient traitées.
« Je filmais des tuyaux et des bornes d’incendie manquants, des extincteurs vides, des colmatages de courroies transporteuses, l’absence d’eau dans le dispositif d’incendie. Je signalais la mauvaise sensibilité des capteurs. En quoi c’est dangereux ? Par exemple, s’il y a une fuite de gaz et qu’un capteur est mal réglé, ce dernier sera défaillant et ne se déclenchera pas alors qu’il le devrait. C’est ainsi que des gens y perdent la vie », raconte Nikolaï Deviatkine.
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Lorsque que les inspecteurs ont commencé à étudier la vidéo, il a été mis en évidence qu’à un certain moment, le mineur tenait un téléphone portable dans les mains. Nikolaï Deviatkine ne nie pas les faits et explique qu’il souhaitait noter l’heure à laquelle il avait décelé un nouveau manquement à la sécurité dans la mine. Son explication n’a pas été considérée comme recevable par la direction et il s’est fait limoger.
« C’était plus simple pour eux de me renvoyer, plutôt que de changer quoi que ce soit. Pourquoi, lors du procès, n’ont-ils pas montré la vidéo en intégralité, mais seulement la partie où je suis avec le téléphone ? Parce que toutes les fautes que j’ai évoquées liées à la sécurité, et qui auraient pu blesser bon nombre de personnes, auraient été visibles », estime Nikolaï Deviatkine.
Contestation du licenciement
Le procès dont parle Nikolaï Deviatkine examinait son action à l’encontre de son ancien employeur. La société s’était déjà renommée Qarmet. L’ex-mineur avait exigé l’annulation de la rupture de son contrat de travail et le versement de son salaire pour la période où il a été contraint de s’absenter. Il a perdu en première instance et son appel a également été rejeté.
Lors des audiences, l’entreprise Qarmet est restée sur ses positions. Elle a déclaré que les téléphones et les équipements photo, vidéo et audio ne sont pas autorisés à pénétrer dans les galeries de la mine. Le matériel à usage spécifique demeure la seule exception. Les représentants de la société ont souligné que Nikolaï Deviatkine avait transgressé les mesures relatives à la sécurité et à la protection des employés. D’après eux, le téléphone pouvait provoquer une explosion qui aurait mis en péril « la vie de tous les ouvriers présents sur le lieu de travail ».
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Qarmet a rejeté les affirmations de Nikolaï Deviatkine selon lesquelles les enregistrements avaient été vérifiés à sa propre demande.
Interrogé au tribunal en tant que témoin, l’ingénieur en chef adjoint en charge de la sécurité sur le site de Chakhtinsk a signalé qu’il procèdait régulièrement au contrôle aléatoire des caméras embarquées. Il a indiqué avoir ainsi découvert la faute de Nikolaï Deviatkine et avoir rédigé un rapport.
« Une faute ne répare pas une faute »
Le mineur et son représentant, l’avocat Andreï Loukine, ont rétorqué qu’aucun cas d’explosion dans une mine causée par un téléphone portable n’a été recensé. L’avocat a ajouté que le poste qu’occupait Nikolaï Deviatkine n’interdisait pas l’utilisation du téléphone portable, et que sa spécialisation n’était pas concernée par l’arrêté du ministère des Situations d’urgence sur l’approbation du règlement pour les travailleurs du secteur de la sécurité industrielle.
« Je pointais les manquements à la sécurité sous terre et je demandais que les problèmes soient traités. Je craignais pour ma vie et pour celle de mes collègues. De ce que dit la direction, je ne leur en ai pas fait part, mais j’ai des preuves : un rapport, un enregistrement audio d’une conversation », a déclaré Nikolaï Deviatkine pendant une des audiences.

Lors des deux instances, les tribunaux ont jugé le licenciement conforme à la loi, déclarant que Nikolaï Deviatkine avait commis une « faute professionnelle grave ».
« Peu importent vos objectifs, peu importent vos bonnes intentions, une faute ne se répare pas par une faute, vous comprenez ? Si vous estimez que le dispositif de sécurité présente une défaillance, vous écrivez aux services concernés pour qu’ils viennent vérifier, mais ce n’est pas à vous de mener vos propres investigations », a déclaré le juge Jaksylyk Baïmoldine à Nikolaï Deviatkine, expliquant sa décision en appel.
Quelle est la suite ?
Nikolaï Deviatkine a la possibilité de se pourvoir en cassation devant la Cour suprême. Mais il ne se fait pas d’illusions. Père de deux enfants en bas âge, il travaille comme fossoyeur, un emploi qui était auparavant une source de revenus complémentaires, mais qui est désormais sa seule rentrée d’argent.
L’ancien mineur ne perd pas courage, cherche de nouveaux moyens pour subvenir aux besoins de sa famille et ne regrette rien.
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« J’ai inhumé beaucoup de mineurs. Je les ai vus morts, ou plus exactement ce qu’il en restait. C’est atroce. Je ne voulais pas mourir et que mes camarades meurent également. C’est pourquoi j’ai arrêté de me taire. J’ai dit la vérité et ils ne m’ont pas laissé travailler. Personne ne m’a ouvertement soutenu, j’étais seul. Les gens ont peur, n’osent pas. Alors oui, j’ai perdu mon emploi, mais je ne regrette pas d’avoir pris la parole », conclut Nikolaï Deviatkine.
Des accidents meurtriers
L’existence de failles dans la sécurité des installations souterraines de l’ancienne société ArcelorMittal Temirtau avait fait l’objet de plusieurs signalements de la part de mineurs victimes de divers incidents, de proches de mineurs décédés ou encore de personnels des services de secours miniers. En octobre 2023, l’incident le plus meurtrier de l’histoire presque trentenaire d’AMT s’est produit à la suite d’une explosion dans la mine de Kostenko à Karaganda. 46 personnes y ont laissé la vie.
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En décembre 2023, les autorités kazakhes ont annoncé un changement de propriétaire. L’homme d’affaire kazakh Andreï Lavrentiev a remplacé le milliardaire indien Lakshmi Mittal. Suite à sa prise de fonctions, l’entreprise s’est renommée Qarmet.
Elena Weber
Journaliste pour Radio Azattyq
Traduit du russe par Claude Foucaud
Edité par Paulinon Vanackère
Relu par Elise Medina
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