Au Kazakhstan et au Kirghizstan, les responsables des mouvements féministes et LGBT+ constatent un grave recul de leurs droits. Outre les menaces directes dont leurs communautés font l’objet, ils dénoncent plus largement la déliquescence des sociétés et la généralisation des discriminations.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 25 mai 2021 par le média kazakh Vlast.kz.
La journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie, le 17 mai, a une signification particulière pour les militants féministes et LGBT+ kazakhs et kirghiz. Les obstacles auxquels ils font face demeurent considérables. Réunis à cette occasion lors d’une table ronde organisée par l’ambassade néerlandaise à Nur-Sultan, ils ont réaffirmé leur volonté de poursuivre la lutte en faveur des droits humains et contre toute forme de discrimination.
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Depuis 2009, l’association Kyrgyz Indigo représente la communauté LGBT+ au Kirghizstan. Ses membres s’inquiètent de la détérioration de la situation des droits humains depuis l’arrivée de Sadyr Japarov au pouvoir, à l’automne 2020.
Le piège de la nouvelle constitution kirghize
« Notre constitution a été entièrement réécrite. Elle a pour fil rouge de régir les valeurs des citoyens du Kirghizstan. Toute ONG dont l’objet serait de défendre les droits des personnes LGBT+ et les droits des femmes tombe ainsi sous le coup d’une forme d’interdiction, ne correspondant pas aux valeurs morales kirghizes telles qu’elles ont été définies », explique le représentant de Kyrgyz Indigo.
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Selon lui, les militants ont été placés sous la surveillance de la police, laquelle aurait exposé leurs données personnelles sur Internet. Malgré ces tentatives d’intimidation, ils ont décidé de poursuivre leur combat.
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« Dans l’ensemble, la politique menée par le nouveau gouvernement kirghiz est beaucoup plus répressive qu’auparavant, à l’égard des voix dissidentes. Les militants ou les blogueurs qui expriment des opinions critiques sont étroitement surveillés. La solidarité qui existait dans la société civile a disparu… Il n’y a plus d’actions d’ampleur. Nous avons beaucoup réfléchi après la publication de nos données personnelles mais nous en sommes arrivés à la conclusion que la lutte est plus forte que la peur, et que notre amour est plus fort que la mort. Notre objectif est de parvenir à ce qu’aucun membre de la communauté LGBT+ au Kirghizstan ou en Asie Centrale n’ait à souffrir de ce qu’il est ou de ce qu’il fait », poursuit le militant kirghiz.
Au Kazakhstan, le succès du mouvement « anti-genre »
« Il y a de l’espoir, mais la situation est critique », reconnaît la cofondatrice du mouvement féministe kazakh Feminita, Janar Sekerbaïeva. « Au Kazakhstan, on peut plus facilement se mobiliser et exprimer ses opinions, mais le développement des mouvements anti-genre nous a pris au dépourvu. »
« Je pense que nous n’avons pas réagi assez vite aux premières déclarations des mouvements anti-genre. Feminita a tout de même lancé un débat sur le genre, suite à la proposition de la députée du Majilis (la chambre basse du parlement kazakh, ndlr) Irina Ounjakova de remplacer le mot “genre” par le mot “égalité des sexes”. Nous avons retrouvé l’origine de cette expression : c’est une rhétorique fasciste développée par l’extrême droite allemande (…). Nous en sommes donc arrivés, dans le Kazakhstan contemporain, à reprendre les mots du fascisme. Il y a de nombreuses personnes sensibles aux propos des mouvements anti-genre, des anti-LGBT+, et beaucoup d’autres “anti” … », soupire la militante kazakhe.
L’enjeu de l’accès au droit
La pandémie de Covid-19 a également contribué à la détérioration de la situation et à placer les membres de la communauté LGBT+ dans une situation de grande vulnérabilité. Aupavant, ils pouvaient vivre en autonomie, sortir de chez eux pour fuir la réprobation ou le rejet de leurs familles. Ils se retrouvent désormais isolés et subissent la défiance de leurs proches, sans entrevoir d’échappatoire.
Pour lutter contre ce phénomène, la fondation AFEW Kazakhstan a formé dix militants aux principes de l’accès au droit. Ils sont chargés de délivrer des consultations en ligne aux membres de la communauté LGBT+. L’obstacle principal semble être l’ignorance des personnes concernées quant à leurs propres droits, comme le reconnaît le directeur exécutif de la fondation, Roman Doudnik.
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« Parfois, on a le sentiment de vivre au Moyen Âge. Mes poils se hérissent en lisant certains témoignages. Comment peut-on vivre ainsi ? Notre société trouve encore normal d’insulter une personne transgenre, de lui demander de se déshabiller pour montrer des parties de son corps. C’est inhumain ! La situation s’aggrave aussi parce que les membres de la communauté LGBT+ ignorent leurs droits. Ils ne réalisent pas certaines atteintes à leurs droits et ne savent pas où se renseigner », explique-t-il.
Pour Roman Doudnik, l’éducation juridique est la priorité. Il considère en effet qu’une personne doit connaître ses droits, savoir quand ils ne sont pas respectés, savoir où se renseigner et comment se défendre. La fondation a donc renforcé ses actions en ce sens et a formé de nouveaux assistants juridiques dans cinq villes du Kazakhstan.
Combattre toutes les formes de discriminations
Pour Evgueni Jovtis, directeur du Kazakhstan International Bureau for Human Rights, il est difficile d’être sans cesse victime de discrimination et de lutter en permanence, mais sans cette lutte, il n’y a pas d’avancée possible. Il cite l’exemple de la lutte contre la peine de mort dans les années 1990, qui n’a finalement été aboli qu’en 2020, après un moratoire de 20 ans. De même pour la torture, tabou absolu jusqu’à la fin des années 1990 mais dont on parle aujourd’hui ouvertement.
« La communauté LGBT+ est soudée, mais il est essentiel de comprendre que l’enjeu des discriminations qui traverse toute la société, ne concerne pas seulement notre communauté. De très nombreux groupes sont également touchés. Si l’on veut lutter pour éliminer toutes les causes de discrimination sur quelque fondement que ce soit, il est d’autant plus important de se battre tous ensemble contre tout type d’exclusion, de rabaissement, de négation de quelque droit que ce soit, qu’elle qu’en soit la raison. Parce qu’ainsi, chacun peut s’occuper de ses affaires, résoudre ses problèmes particuliers et vivre sa vie. Il est primordial d’éliminer les discriminations dans la loi et dans la pratique », résume Evgueni Jovtis.
Tamara Vaal
Journaliste pour Vlast
Traduit du russe par Juliette Amiranoff
Édité par Guillaume Gérard
Relu par Jacqueline Ripart
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