Accueil      L’impact de la guerre en Ukraine sur l’Asie centrale : vers la fin d’une « politique multidirectionnelle » ?

L’impact de la guerre en Ukraine sur l’Asie centrale : vers la fin d’une « politique multidirectionnelle » ?

Les pays d’Asie centrale sont fortement dépendants de la Russie, et les sanctions imposées à l’encontre du pays après l’invasion de l’Ukraine risquent d’avoir de fortes répercutions économiques et sociales pour les États de la région. Radio Ozodi fait le point sur la situation. Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 mars 2022 par la branche tadjike du média américain Radio Ozodi. L’isolement économique et politique de la Russie consécutif à l’invasion de l’Ukraine complique la situation du pays et de ses alliés en Asie centrale. Selon les dires des experts, les difficultés économiques des pays d’Asie centrale sont susceptibles d’affecter leur stabilité sociale et leur positionnement vis-à-vis des différents centres de pouvoir. D’après l’Institut national de recherche économique et sociale du Royaume-Uni (NIESR), la crise pourrait réduire l’économie mondiale de 1 %, jusqu’à 1 000 milliards de dollars (environ 907 milliards d’euros), et l’inflation mondiale pourrait doubler d’ici 2023.

Conflit russo-ukrainien Conséquences Asie centrale Économie Politique
Les cinq dirigeants des pays d'Asie centrale.

Les pays d’Asie centrale sont fortement dépendants de la Russie, et les sanctions imposées à l’encontre du pays après l’invasion de l’Ukraine risquent d’avoir de fortes répercutions économiques et sociales pour les États de la région. Radio Ozodi fait le point sur la situation. Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 mars 2022 par la branche tadjike du média américain Radio Ozodi. L’isolement économique et politique de la Russie consécutif à l’invasion de l’Ukraine complique la situation du pays et de ses alliés en Asie centrale. Selon les dires des experts, les difficultés économiques des pays d’Asie centrale sont susceptibles d’affecter leur stabilité sociale et leur positionnement vis-à-vis des différents centres de pouvoir. D’après l’Institut national de recherche économique et sociale du Royaume-Uni (NIESR), la crise pourrait réduire l’économie mondiale de 1 %, jusqu’à 1 000 milliards de dollars (environ 907 milliards d’euros), et l’inflation mondiale pourrait doubler d’ici 2023.

Les pays d’Asie centrale dépendent fortement de l’économie russe. Le Kirghizstan et le Kazakhstan font partie de l’Union économique eurasienne (UEE), alors que le Turkménistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan restent les principaux partenaires économiques et politiques de la Russie. Les observateurs de la région s’accordent à dire que l’incertitude qui entoure le conflit russo-ukrainien aura un impact négatif sur les économies et la stabilité des pays centrasiatiques.

Une réaction en chaîne

Les effets de l’invasion militaire russe en Ukraine se sont fait sentir dès les premiers jours. Le marché des devises de la région, qui dépend de la Russie et était déjà instable, a été durement touché. Au cours d’une semaine de combats en Ukraine, le rouble russe a perdu jusqu’à trois fois sa valeur, ce qui a forcément nui aux monnaies centrasiatiques. En se basant sur des statistiques officielles russes de 2021, huit millions de citoyens d’Asie centrale pourraient perdre un tiers de leurs revenus. Et si les ménages perdent un tiers de leur pouvoir d’achat, les pays perdent le même volume en devises étrangères. Lire aussi sur Novastan : Guerre en Ukraine : l’Asie centrale affectée par ricochets« Les transferts de fonds fournissent les deux tiers des biens dont nous avons besoin. Si cet argent n’est pas importé, nous ne pourrons acheter qu’un tiers des biens nécessaires, et nous nous retrouverons avec une pénurie sévère dans les magasins, ce qui augmentera les prix et aggravera la pauvreté », explique Païrav Tchorchanbiev, expert économique à Douchanbé. « Si nous ne prenons pas de mesures efficaces, cette situation aura un effet en chaîne sur tous les secteurs », ajoute-t-il.

Une dépendance économique

En 2021, selon les statistiques russes, le nombre d’immigrants en provenance d’Ouzbékistan en Russie s’élevait à 4,5 millions, ceux venant du Tadjikistan à environ 2,4 millions et ceux du Kirghizstan à plus de 900 000. La Banque mondiale avait estimé que les envois de fonds depuis la Russie représenteraient 11 % du produit intérieur brut (PIB) ouzbek, 30 % du PIB tadjik et 28 % du PIB kirghiz. Fin 2021, l’institution financière avait prévu une augmentation de 3,8 % des envois de fonds en 2022. Il apparaît désormais clair que cela n’arrivera pas dans un avenir proche. Selon le ministère russe des Affaires étrangères, les investissements de la Russie dans la région sont estimés à 50 milliards de dollars (45 milliards d’euros). De ce montant, 36 milliards (33 milliards d’euros) ont été investis au Kazakhstan, plus de 10 milliards (9 milliards d’euros) en Ouzbékistan et 1,5 milliard (1,4 milliard d’euros) au Tadjikistan. Il y a également plus de 10 000 entreprises russes et coentreprises dans la région. Le chiffre d’affaires commercial de la Russie avec l’Asie centrale en 2020 a dépassé les 28 milliards de dollars (25 milliards d’euros). En conséquence des sanctions, les experts prédisent une réduction des investissements de la Russie, mais également d’autres pays qui jugent les États centrasiatiques peu fiables.

« L’effet inverse est possible »

Certains experts estiment au contraire que l’isolement de la Russie vis-à-vis de l’Occident pourrait conduire à une coopération plus étroite avec ses partenaires les plus proches, y compris l’Asie centrale. Nourgoul Akimova, une économiste kirghize, a déclaré : « Je pense qu’après la fin des opérations militaires, le nombre de contrats d’importation d’énergie et d’autres produits augmenteront. La Russie et les pays d’Asie centrale sont souvent en désaccord, étant donné que la plupart des biens de consommation proviennent des pays de l’Est. »

Le Tadjikistan et le Kirghizistan, plus sujets aux problèmes sociaux

Le commentateur économique Abdoumannon Cheraliev estime que le Tadjikistan et le Kirghizstan sont les pays les plus à risque : ce sont les plus dépendants la Russie. « Si la guerre continue, il pourrait y avoir davantage d’immigrés qui reviennent. De plus, il est prudent de supposer qu’avec la réduction des revenus, ils accepteront de signer des contrats et de partir en guerre en Ukraine », a-t-il déclaré. Lire aussi sur Novastan : La difficile situation des migrants tadjiks installés en Russie Le service de Radio Ozodi en Ouzbékistan rapporte qu’un citoyen de ce pays a été envoyé en Ukraine, et cela en dépit de l’interdiction par la loi ouzbèke de participer à des guerres dans des pays tiers. À la suite de la dépréciation de la monnaie nationale, l’expert a indiqué que les prix des produits de première nécessité tels que la farine et l’huile ont augmenté. « La baisse des revenus et la hausse des coûts de production augmenteront l’insatisfaction et le risque probable d’une instabilité sociale », a précisé Abdoumannon Cheraliev.

Un espace politique multidirectionnelle réduit

Cependant, la détérioration des indicateurs économique ainsi que la possibilité d’une instabilité sociale ne sont que quelques-uns des problèmes auxquels les pays d’Asie centrale seront confrontés. Les tensions croissantes entre l’Occident et la Russie limitent leurs capacités à mener une politique multidirectionnelle, ce que confirme le résultat du vote à l’Assemblée générale de l’Organisations des Nations unies (ONU) du 2 mars, condamnant l’invasion russe de l’Ukraine. 141 pays ont en effet voté en faveur d’un document appelant la Russie à mettre fin à la guerre en Ukraine, à retirer ses troupes du pays et des frontières officiellement reconnues, y compris de Crimée. Seuls cinq pays, la Russie, la Biélorussie, la Syrie, la Corée du Nord et l’Érythrée, ont voté contre le texte. Le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan faisaient partie des 35 pays qui se sont abstenus. L’Ouzbékistan et le Turkménistan n’ont pas pris part au vote.

Un équilibre compliqué

« Il est clair que tous les pays d’Asie centrale tentent depuis 30 ans de trouver un équilibre entre les puissances internationales comme la Chine, la Russie et l’Occident.Auparavant, une telle politique était une bonne stratégie. De cette façon, il était possible d’obtenir des avantages de toutes les parties. Maintenant que la situation se complique, cette politique devient un peu déconnectée de la réalité », a déclaré l’historien russe Sergueï Abachine dans une interview au média kirghiz Kloop.

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Il estime qu’à long terme, les pays seront confrontés à la question de savoir quel camp soutenir. « Cela pourrait conduire au renforcement de la Chine – La Chine affirme : Je vais vous prendre sous mon aile et vous protéger. C’est l’une des possibilités d’escalade de la crise », a déclaré le professeur Sergueï Abachine. Les troupes russes ont envahi l’Ukraine le 24 février dernier. Moscou y voit une intervention militaire, mais Kiev et l’Occident la considèrent comme une agression. Les troupes russes ont traversé la frontière dans cinq régions ukrainiennes. Les combats font rage à Kharkiv, à Kiev, dans le Donbass et dans le sud de l’Ukraine. Les pays occidentaux ont imposé des sanctions sévères à l’encontre de la Russie.

Khoursand Khourramov pour Radio Ozodi

Traduit du tadjik par Jérémie Patot

Édité par Laure de Polignac

Relu par Jacqueline Ripart

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