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Une collection venue d’URSS : pourquoi un jeune musicien de Douchanbé collectionne et restaure des guitares soviétiques

Un jeune habitant de Douchanbé, Rouslan Karimov, achète des instruments soviétiques venus de tout le Tadjikistan, les répare et leur redonne leur apparence d'origine. Il le fait pour redonner à ces objets de collection leur place dans l’histoire de la musique.

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La collection de guitares soviétiques de Rouslan Karimov.

Un jeune habitant de Douchanbé, Rouslan Karimov, achète des instruments soviétiques venus de tout le Tadjikistan, les répare et leur redonne leur apparence d’origine. Il le fait pour redonner à ces objets de collection leur place dans l’histoire de la musique.

Novastan reprend ici et traduit un article publié le 25 octobre 2020 par le média tadjik Asia-Plus.

La passion de Rouslan Karimov pour la collection d’instruments soviétiques apparaît à l’adolescence. Alors qu’il apprend la guitare, il acquiert à 15 ans une guitare électrique de la marque soviétique Aelita, pour seulement 15 somonis (1,11 euros). Aujourd’hui, sa collection s’élève à 19 instruments, dont une partie nécessite encore des réparations.

“Tout s’est passé spontanément, je n’ai pas eu dès le début l’idée de collectionner des instruments soviétiques”, raconte Rouslan Karimov. Après avoir essayé de maîtriser la guitare électrique, il se tourne finalement vers la guitare basse.

La pratique est même devenue son mode de vie. Ne pouvant pas s’offrir une guitare de marque, il fait l’acquisition d’une basse soviétique de la marque Kavkaz pour la sommes de 100 somonis (7,4 euros). Sa conception et son allure lui plurent vraiment.

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Le jeune bassiste explique que les instruments soviétiques diffèrent en effet énormément des modèles venant d’autres pays. Non seulement du point de vue de l’apparence extérieure, mais aussi sur le plan de la qualité des sons et de la manière dont ils ont été élaborés. ”Ces guitares sont uniques en leur genre et c’est particulièrement cela qui m’a intéressé”, poursuit-il.

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Rouslan Karimov réalise alors, que d’ici trois ou quatre décennies, des instruments similaires à ceux-ci finiront par disparaître sans laisser de traces. Il n’en restera alors qu’un vague souvenir dans de vieux journaux soviétiques décrépits.

C’est ainsi que le jeune homme a décidé d’en conserver ne serait-ce qu’une partie. Et à force de volonté il est possible de parvenir à de belles choses.

S’improviser luthier

La plupart des guitares qu’il a acquises ont exigé une réparation. Elles étaient pour l’essentiel différentes de leur état d’origine. Ainsi, une guitare Tonika pouvait avoir un micro d’une guitare Aelita et des mécaniques d’une guitare Jolana. Il n’est pas surprenant que de telles pièces viennent à manquer, étant donné que ces instruments ont plus de 30 ans.

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Rouslan Karimov et sa collection.

Rouslan Karimov ne connaissait pas de luthier, et n’avait pas non plus l’argent pour payer une réparation. Mais grâce à sa volonté, le jeune homme se met à tout faire tout seul. Il commence à visiter différents sites et forums où il échange avec des férus de lutherie, où sont montrées des astuces de professionnels. À force d’essais et d’erreurs, il parvient à ce qu’il voulait et apprend à réparer les guitares de ses propres mains et à comprendre ce dont elles ont besoin. 

Désormais, il lui suffit d’à peine un coup d’oeil furtif pour comprendre quels composants sont d’origine, lesquels ne le sont pas, et si tout est en ordre sur la guitare. L’oeil expérimenté du luthier remarque immédiatement les différences atypiques d’une pièce particulière, par exemple un bouton de volume. 

Pour le jeune homme, il est très important de redonner à l’instrument son apparence d’origine, car il les considère non pas uniquement comme des instruments de musique, mais aussi comme des objets de collection. Le son que l’instrument rendra n’est pas important pour lui. Il est plus important pour lui de voir chaque composant à sa place, comme l’avaient pensé ceux qui l’ont produit initialement. 

Selon le jeune collectionneur, une guitare avec ses composants d’origine possède une valeur, mais un instrument composé de pièces détachées chinoises n’est que du bois de chauffe, que certains s’efforcent de rendre jouable. 

Pour lui, il y a un plaisir esthétique à partir du moment où l’instrument, qui a déjà 40 ans, présente tous ses composants d’origine. C’est une impression similaire à celle que peut ressentir un passionné d’automobile qui aurait remis en état une voiture rétro de 30 ans, du siècle dernier, remarque le collectionneur. Pour comprendre l’enthousiasme du luthier et du collectionneur, il faut aussi être un peu fou.

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Il est difficile de trouver des composants, et grâce à internet,  leur recherche peut parfois mener au-delà des frontières du Tadjikistan. La livraison jusqu’à Douchanbé peut s’effectuer soit par la poste, soit par l’intermédiaire de quelqu’un. 

Certains composants se trouvent dans des pays d’Europe, d’autres, au sein des frontières de l’espace post-soviétique. A travers ses recherches, le jeune homme a pu faire connaissance de gens qui partagent sa passion et avec qui il échange son expérience et même des petits composants de guitare qui pourraient traîner dans les tiroirs.

Seul un petit nombre de personnes collectionne les guitares qui circulaient en URSS et dans les pays du pacte de Varsovie. Une véritable relation d’amitié et d’humanité s’est développée entre les vendeurs et les acheteurs. 

Cependant, d’ici 30 ans tout peut changer, selon Rouslan Karimov. Les gens se lasseront peut-être des sonorités idéales de guitares de la marque Ibanez et Fender. Alors dans l’arène entreront les vieilles guitares électriques soviétiques, uniques en leur genre. L’héritage de l’époque de l’URSS. Alors, leur prix montera, et il deviendra difficile de se les procurer.

 Le sauveur de guitare

“Environ 95 % des guitares qui tombent entre mes mains sont dans un piteux état, de plus il arrive même qu’un instrument soit rempli de pièces détachées, commandées sur des sites comme Aliexpress”, rapporte Rouslan Karimov. Il lui est arrivé de voir un micro grossièrement vissé avec des vis autoperceuses. Un travail qui fait peine à voir.

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Enlever tous ces éléments et ramener l’instrument à son apparence normale devient alors un processus très laborieux. Selon lui, ce type de comportement envers des objets si inestimables, c’est de la barbarie, car chacune de ces guitares électriques fait partie de l’histoire de la musique à part entière.

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Bien souvent, les instruments parviennent à Rouslan Karimov dans cet état.

Un jour, le jeune homme a sauvé du délabrement quatre guitares électriques soviétiques. Elles ont pris l’humidité à cause d’un toit qui prenait l’eau dans le débarras d’une des écoles de musique de Douchanbé. 

Elles y ont été entreposées plusieurs années. Des asticots commençaient à faire leur apparition dans le bois. Rouslan Karimov a passé beaucoup de temps à rénover les instruments. Cette trouvaille aura été l’une des plus inhabituelles, mais aussi un exemple de l’indifférence de l’homme et de son comportement négligent face à l’histoire. 

Aujourd’hui dans la collection de Rouslan se trouvent des guitares électriques d’URSS, de l’ex-Allemagne de l’Est (RDA) et des pays de l’ex-Tchécoslovaquie. Comme il s’occupe activement de musique, il utilise aussi pour son travail des instruments de musique de fabricants japonais ou américains. 

Une collection désintéressée

Rouslan Karimov est un collectionneur tadjik unique en son genre, qui collecte des guitares de l’époque soviétique et leur rend leur apparence d’origine. 

Après le travail de ses mains d’expert, chaque instrument sonne comme il sonnait au moment de sa fabrication. ”À mes yeux, cette collection n’a pas de prix, et je n’ai pas l’intention de la revendre”, dit Rouslan. ”Peut-être qu’un jour le besoin extrême de le faire surgira, mais je m’efforcerai de tout mon possible de ne pas en arriver là.” 

Cela ne concerne pas seulement l’argent, mais aussi le temps à sa disposition. Il lui faut parfois des années pour trouver des pièces détachées. Le prix de sa collection lui est inestimable. 

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Certains exemplaires peuvent se vendre pour 700$ (592,1 euros) sur certaines plateformes, ce qui vaut cher pour un instrument de cette époque. Seulement, il ne poursuit aucun objectif lucratif, et valorise trop son travail pour seulement recevoir un salaire de cela. Il existe bien d’autres moyens. 

Le jeune homme estime qu’un tel héritage de l’époque soviétique, comme celui que représente les guitares électriques, doit avoir une place, voire même un événement consacré, dans le monde actuel.

Anna Miftakhova pour Asia Plus

Traduit du russe par François Robic

Edité par Frédérique Faucher

Relu par Nathalie Boué

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