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La bataille contre les pesticides soviétiques lancée au Tadjikistan

Après des décennies d'inaction, le Tadjikistan tente de dépolluer les terres traitées aux pesticides soviétiques. Chez les riverains des zones polluées, on observe un système immunitaire affaibli. Les dents des enfants tombent parfois, les habitants souffrent d’infections de la peau et leur bétail meurt.

Pesticide Tadjikistan
Dans le raïon de Kabadiyan, les zones contaminées se trouvent aux portes des maisons

Après des décennies d’inaction, le Tadjikistan tente de dépolluer les terres traitées aux pesticides soviétiques. Chez les riverains des zones polluées, on observe un système immunitaire affaibli. Les dents des enfants tombent parfois, les habitants souffrent d’infections de la peau et leur bétail meurt.

Novastan reprend et traduit ici un article initialement publié le 23 octobre 2019 par le média tadjik AsiaPlus.

C’est un problème sanitaire majeur au Tadjikistan. Depuis des décennies, des pesticides utilisés durant l’Union soviétique polluent les sols, contaminent les habitants et diminuent leur espérance de vie. Après un temps infini d’inaction, dans les districts (raïons) du sud-ouest du pays comme Abdurahmon, Djomi, Nosiri Khousrav ou Kabadiyan, des zones ont été délimitées et des analyses en laboratoires ont été menées. Depuis début novembre, le nettoyage par étapes a commencé.

Dans le cadre du séminaire, les ONG du pays ont présenté un rapport portant sur le repérage et la dépollution des sites contaminés par des pesticides périmés au Tadjikistan.

D’où viennent les pesticides ?

On faisait déjà venir au Tadjikistan soviétique des pesticides pour la mise en valeur des terres destinées à la culture du coton. Le pesticide le plus utilisé était le DDT, appelé « Dust » par la population. Jusqu’aux années 1970, le Tadjikistan a utilisé des pesticides aujourd’hui interdits.

Les autorités soviétiques ont, par la suite, entrepris d’éliminer en toute sécurité les résidus de pesticides contenant du DDT. Pour cela, ils ont aménagé un polygone dédié à la chimie des produits toxiques sur une surface de six hectares à Vakhch, dans le sud-ouest du pays.

«Mais, malheureusement pour nous, certains ont pris la question à la légère, c’est pourquoi on se retrouve avec des résidus de DDT enfouis directement sur les terrains des entrepôts», a décrit Oumed Oulougov, de l’ONG Peshsaf.

D’après lui, les dépôts de pesticides étaient auparavant disposés de sorte qu’autour soit instauré un cordon sanitaire que les riverains et le bétail ne pénétraient pas. Il était notamment interdit de construire des maisons dans un rayon allant de 500 à 1 000 mètres.

Entre temps, tous les entrepôts de l’ancienne industrie phytosanitaire soviétique du Tadjikistan ont été privatisés. Certains d’entre eux ont été complètement détruits et les matériaux ont été réutilisés pour la construction de maisons ou de locaux agricoles.

Pesticide Tadjikistan
A l’époque soviétique, le pesticide le plus utilisé était le DDT

« Beaucoup des entrepôts ont été détruits, les propriétaires se sont eux-mêmes chargés d’éliminer les pesticides, dans quelques raïons les gens ont gratté le sol et l’ont déversé dans les rivières, d’autres ont simplement laissé les matériaux pollués sur les berges » explique Oumed Oulougov. « Dans le raïon de Nosiri Khousrav, par exemple, ils ont été délicatement étalés sur la route, sans penser aux conséquences. Les pesticides ont tendance à remonter vers la surface avec une nocivité accrue et continuent à nuire à la santé humaine ».

Où y en a-t-il le plus ?

Dans le cadre du plan de travail, des dépôts de produits toxiques de la période soviétique et des sites d’enfouissements de pesticides ont été localisés et étudiés dans les provinces de Khatlon et Soughd mais également dans la région de subordination républicaine, autour de la capitale Douchanbé.

Les investigations ont couvert entre autres les localités de Gissar, Kuljab, Shakhritus, Dusti, Tursunzoda, Farkhov, Kushoniyon, Pyandj, Pendjikent ainsi que d’autres villes et districts.

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Les pesticides toxiques ont été principalement trouvés dans d’anciens dépôts de stockage, dans des garages et des sites d’enfouissement près de villages et sur des aérodromes agricoles. Une grande quantité de ces produits toxiques a aussi été trouvée dans des fermes privées.

Dans le cadre de l’étude, des traces ont été détectées jusque dans les maisons, dans des régions où s’observe déjà une pollution importante aux pesticides, par exemple dans le raïon de Pendjikent, dans le nord-ouest du pays. « Les endroits étudiés sont des lieux de vie, des enfants y jouent, dans la majorité de ces zones la rivière qui coule est polluée par les pesticides », décrit Elyor Saidov, le président de l’organisation Elyor, basée à Kabadiyan.

Il en va ainsi de l’entrepôt de produits toxiques d’un des aéroports du raïon de Kabadiyan, où, malgré de fortes odeurs et des indices de pesticides, les terrains ne sont pas clôturés, les gens y passent, les enfants y jouent, les vaches y paissent. L’entrepôt de produits toxiques du terrain de Sangob, localité du même raïon, se situe à 300 mètres de la rivière Kafarnigan. «Les premiers riverains habitent à 10 mètres de la zone. Là-bas vivent environ 30 personnes, 15 d’entre elles sont des enfants. Ils ont tous accès au site », rappelle le président d’Elyor.

Pesticide Tadjikistan paysan champs
Les dépôts de produits toxiques de la période soviétique ont surtout été localisés dans les provinces de Khatlon et Sughd

Les participants du séminaire ont insisté sur le fait que, dans la majorité des cas, sur des sites avec une forte accumulation de pesticides, ils ont pu sentir des odeurs assez fortes. Les habitants ne connaissent pas les effets des produits toxiques, ou plutôt les connaissent mais ne s’en inquiètent pas.

Chez les riverains, on observe des immunodépressions, les enfants perdent leurs dents, ils souffrent de maladies de peau. Là-bas, il n’y a presque pas de végétation. A Shakhritus, dans le sud-ouest du pays, sur le terrain des entrepôts, on a compté plusieurs morts chez les bovins.

Les habitants vivent au contact du poison

Les riverains recouvrent avec du sable les endroits fortement pollués aux pesticides pour éviter les terribles odeurs et continuer à y vivre. A Pendjikent, entre autres, les enfants se plaignent de maux de têtes et de faiblesse, tandis que les vaches perdent leur peau.

Le président du comité de protection de l’environnement, Khajroullo Rakhmaoulloïev, raconte ainsi que, passant par le village de Pendjikent, il est tombé sur un entrepôt dans lequel on pouvait encore sentir des odeurs de pesticides. Ce dépôt servait à la fois de maison et de lieu de stockage de produits alimentaires. Et à côté de l’entrepôt, il y avait un salon de thé.

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«J’étais personnellement sur place, je suis entré et j’ai parlé au maître de maison. Sa femme l’a quitté avec ses enfants, parce que vivre avec de telles odeurs n’était pas possible. Mais l’entrepôt a continué à servir au stockage de denrées en gros destinées à la vente au détail», raconte le responsable. Confronté à cette situation, il aurait demandé que l’entrepôt soit mis sous séquestre. «Les pesticides peuvent tuer. Même si l’on nettoie les lieux, on ne peut y conserver des produits alimentaires, on peut seulement les utiliser pour des travaux techniques», fait remarquer Khajroullo Rakhmaoulloïev.

Selon Oumed Oulougov, les missions de l’organisation Peshsaf englobent la détection de pesticides mais aussi de métaux lourds, tels que le plomb, l’arsenic, le mercure et le cadmium. Grâce à un laboratoire mobile, on met en évidence la pollution de fond. Pour une analyse complète et détaillée, l’organisation envoie les échantillons à un laboratoire spécialisé, dans notre cas, à Saint-Pétersbourg, en Russie.

«Dès que nous recevons les résultats, nous ne faisons pas seulement des photos, mais aussi une carte, sur laquelle sont reportés la profondeur et le volume des substances nocives. L’étape suivante, c’est la dépollution. Pour cela, quel que soit le terrain à nettoyer, il est indispensable d’obtenir l’autorisation du comité de protection de l’environnement. A leur tour, ils font une étude d’impact sur l’environnement», explique le chef de l’organisation Peshsaf. Début novembre 2019, l’ONG a entamé la dépollution de terrains repérés en amont, a annoncé son président Oumed Oulougov en marge du séminaire.

Libérés des pesticides

Selon lui, il y a plusieurs manières de dépolluer des terrains : on peut enfouir les résidus des sols sur place, s’il y en a assez. Mais dans ce cas il faut bétonner, recouvrir avec une chape de béton et surveiller que personne n’utilise le terrain.

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On peut aussi mettre en sac la couche superficielle et l’envoyer au polygone de Vakhch, aménagé à l’époque soviétique. On peut aussi l’utiliser comme matériau de construction sur les routes. « Mais tout doit se dérouler sous la supervision des autorités publiques, pour qu’ils garantissent, que, par la suite, toute nouvelle occupation résidentielle soit interdite », ont rappelé les participants à la conférence.

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Une autre possibilité d’élimination des pesticides peut être l’incinération. « Bien que l’écologie et la convention de Stockholm (sur les polluants persistants, ndlr) s’opposent à un traitement à haute température des sols contenant des pesticides, des experts hollandais ayant séjourné au Tadjikistan ont rapporté qu’il est possible d’éliminer de telles concentrations en les exposant à des températures de 1 400 degrés. Or, deux cimenteries au Tadjikistan à Yavan (sud-ouest du pays) ont des installations fonctionnant à cette température. Il est prouvé qu’avec de telles températures, les dioxines n’ont pas le temps de se former» explique Oumed Oulougov.

Son organisation s’efforce aussi de sensibiliser les populations locales lors des études de terrain. «A l’ignorance des riverains s’ajoutent les craintes d’expropriation. Nous tentons de les raisonner et non pas de leur faire du mal», confie le responsable associatif. Il prend l’exemple d’habitants du raïon de Nosiri Khoursav, qui, grâce à un travail d’information, ont décidé de quitter sur le terrain des entrepôts en attente de leur dépollution.

Mekhrangez Tursunzoda
Journaliste pour Asia-Plus

Traduit du russe par Arnaud Behr

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