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Douchanbé renforce son partenariat stratégique avec son voisin chinois

Le président chinois s'est rendu en juillet dernier au Tadjikistan pour une visite d'Etat de trois jours. Les relations sino-tadjikes sont marquées par une frénésie d'investissements chinois ainsi qu'une coopération sur les enjeux sécuritaires communs.

Pamir frontière Chine Tadjikistan
Dans le Pamir, la frontière sino-tadjike (illustration). Photo : Ninara / Wikimedia Commons.

Le président chinois s’est rendu en juillet dernier au Tadjikistan pour une visite d’Etat de trois jours. Les relations sino-tadjikes sont marquées par une frénésie d’investissements chinois ainsi qu’une coopération sur les enjeux sécuritaires communs.

Le président tadjik Emomali Rahmon avait mis les petits plats dans les grands pour l’occasion. Les visites du président chinois Xi Jinping à l’étranger sont rares depuis la pandémie mondiale de covid. Mais du 4 au 6 juillet dernier, ce dernier était en visite d’Etat chez son voisin tadjik, rapporte le média russophone Azda.tv. Economie, environnement et sécurité étaient au programme.

Les deux chefs d’Etat ont inauguré le nouveau parlement tadjik, ainsi qu’un ensemble de bâtiments gouvernementaux. Un complexe financé par Pékin, dont les travaux sont estimés à 230 millions de dollars (207 millions d’euros). Le projet avait été validé et officialisé lors d’une visite d’Emomali Rahmon en Chine en septembre 2017.

« Aujourd’hui est un jour historique dans nos relations avec la République populaire de Chine », a déclaré le président Emomali Rahmon lors de la cérémonie d’inauguration. « La coopération devient de plus en plus profonde. Cette récente visite marquait la première fois que Xi Jinping se rendait dans le pays sans assister à un événement multilatéral« , développe Reid Standish, commentateur politique pour Radio Liberty.

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La visite s’est conclue par la signature de pas moins de 29 accords de coopération entre Douchanbé et Pékin. Le mémorendum de coopération entre le Parti démocratique populaire du Tadjikistan et le Parti communiste chinois couvre pêle-mêle le domaine des énergies renouvelables, de l’industrie et des nouvelles technologies, ou encore la reconnaissance mutuelle des diplômes.

Premier investisseur au Tadjikistan

La Chine est aujourd’hui le principal investisseur au Tadjikistan, le pays le plus pauvre de toutes les ex républiques soviétiques. Elle est aussi son premier créancier. Selon le ministère tadjik des Finances, rapporte le média tadjik Asia-Plus, la dette du Tadjikistan envers la Chine avoisinait début 2024 les 900 millions de dollars (soit 811 millions d’euros), ce qui représente 27,8 % de la dette extérieure du pays.

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Plus de 300 entreprises chinoises sont présentes au Tadjikistan. En juin dernier, à l’occasion du Forum de Douchanbé, les investisseurs chinois s’étaient encore engagés à investir plus de 500 millions de dollars (soit plus de 451 millions d’euros) au Tadjikistan, selon le Comité d’Etat pour l’Investissement et la Gestion immobilière du Tadjikistan, notait le média américain Radio Free Europe.

La Chine appelle à respecter « l’intégrité territoriale » du Tadjikistan

Longtemps traditionnelle terre d’influence russe, comme ses voisins centrasiatiques, le Tadjikistan suscite depuis l’indépendance l’intérêt grandissant de la Chine. Celle-ci cherche à sécuriser sa frontière occidentale, mais aussi à tenir à distance dans cette région carrefour d’autres puissances régionales, comme l’Inde. La Chine tend également à profiter dans la région d’un affaiblissement russe dû à son intervention militaire en Ukraine. Quelques jours plus tôt, au Kazakhstan, à l’occasion du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, Xi Jinping s’était entretenu avec le président russe Vladimir Poutine.

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« La Chine continuera de promouvoir sans relâche une coopération amicale et mutuellement bénéfique avec le Tadjikistan, et soutiendra fermement les efforts du Tadjikistan pour sauvegarder l’indépendance nationale, la souveraineté et l’intégrité territoriale« , a déclaré à Douchanbé le président chinois, selon des propos rapportés par Radio Free Europe. Sans préciser toutefois si cette « intégrité territoriale » était une allusion à l’intervention russe en Ukraine ou à sa propre conception de l’intégrité territoriale, comme au Xinjiang.

La région est au coeur du projet chinois des Nouvelles routes de la Soie, vaste projet d’infrastructures initié à l’automne 2013. Priorité de la diplomatie chinoise, elle doit notamment permettre de connecter la Chine à la mer Méditerranée via l’Asie centrale. Mais l’intérêt chinois pour son voisin tadjik repose surtout sur un impératif sécuritaire.

Les « trois fléaux », l’obsession de Pékin

Il s’agit pour Pékin de sécuriser la frontière occidentale de sa région autonome du Xinjiang, annexée par la République populaire en 1949. Pékin y met depuis en oeuvre sa politique de sinisation, et la région est régulièrement le théâtre de troubles. L’Organisation de coopération de Shanghai, à l’issue du dernier sommet d’Astana, a réaffirmé dans sa déclaration commune son objectif de lutter contre les « trois fléaux », que sont le séparatisme, l’extrémisme et le terrorisme.

Dans le Xinjiang, où la population ouïghoure est de peu majoritaire devant les Hans, cohabitent également de nombreuses minorités, parmi lesquels des Kazakhs, Kirghiz et Tadjiks. Les liens culturels et historiques avec l’Asie centrale sont très forts.

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Confronté dans les années 1990 à la guerre civile, qui a vu naître des groupes armés dans ses montagnes, Douchanbé s’inquiète régulièrement de leur potentielle résurgence. Rocailleuse, escarpée, très peu peuplée et très pauvre, la région frontalière est perméable aux trafiquants de drogues. « C’est dans le domaine de la sécurité que Douchanbé a le plus à offrir à la Chine« , affirme ainsi Reid Standish. « Le Tadjikistan a été un partenaire solide dans la lutte contre le terrorisme lié à l’Afghanistan et aux militants ouïghours présumés, permettant même à Pékin d’établir un avant poste de sécurité sur le territoire tadjik. »

Une présence militaire chinoise dans le pays

La Chine, toutefois, n’avait pas attendu le retour des talibans au pouvoir en août 2021 pour se préoccuper de la porosité de la frontière afghane. D’autant qu’elle-même partage avec l’Afghanistan 76 kilomètres de frontière, situés à l’extrémité du corridor de Wakhan, et qui bordent le Xinjiang. L’inquiétude chinoise ici est ancienne, et concerne autant l’activité des talibans que le trafic d’opium, historiquement cultivé en Afghanistan. En 2019, le journal américain The Washington Post affirmait que la Chine était présente sur le sol tadjik, non loin de la frontière afghane, depuis déjà « trois ou quatre ans« .

Une affirmation à l’époque démentie par les deux pays. Officiellement, rapporte Radio Ozodi, la branche tadjike de Radio Free Europe, cette base accueillerait un Détachement mobile à vocation particulière (OMON), rattaché à la Direction de lutte contre le crime organisé. Bien que Douchanbé et Pékin démentent régulièrement la présence de militaires chinois au Tadjikistan, Radio Ozodi affirme être en capacité de certifier la présence de personnel militaire chinois dans le district de Mourghab.

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Le Tadjikistan ne dispose que de peu de ressources matérielles et financières, ne consacrant qu’1 % de son PIB aux dépenses militaires. Mais « le Tadjikistan cherche à se rendre utile en participant volontairement aux initiatives de sécurité chinoises et en ne refusant pas les demandes ou les offres chinoises« , analyse Reid Standish. D’autant qu’au prétexte d’une surveillance accrue du corridor de Wakhan, Pékin sécurise opportunément le Sud-Ouest du Xinjiang.

Une dépendance volontaire

Des pays d’Asie centrale, le Tadjikistan n’est pas le plus convoité par les investisseurs. L’environnement des affaires, dégradé, et la rigidité du régime tendent à refroidir, sinon à décourager, les tentatives privées d’entreprendre. Alors les investissements chinois sont perçus comme une bouffée d’air. Au risque d’une dépendance préjudiciable. « Amasser la dette chinoise, c’est jouer avec le feu », analysait en 2022 le politologue tadjik Parviz Moullojanov dans le média anglophone Eurasianet. « A tout moment maintenant, cela pourrait servir de prétexte à une expansion politique et géopolitique. »

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La présence grandissante de la Chine en Asie centrale déclenche parfois l’hostilité d’une partie de l’opinion publique, qui peut aller jusqu’à la violence physique. Au Tadjikistan, la sinophobie apparaît moins visible publiquement qu’au Kazakhstan ou au Kirghizstan, probablement en raison du caractère autoritaire et répressif du régime qui, de façon générale, a une conception de la liberté d’expression sensiblement réduite.

« Le gouvernement ne semble pas disposé à mettre en oeuvre les réformes juridiques et en matière de droits de l’Homme nécessaires pour attirer un flux diversifié d’investisseurs et de partenaires », comme le fait remarquer Reid Standish. Et semble donc s’accommoder, pour l’heure, d’une forme de dépendance volontaire.

Ordre de l’amitié

« Pour sa précieuse contribution et son aide à long terme au développement et à l’expansion des relations de bon voisinage et du partenariat stratégique global », le président Emomali Rahmon est devenu en juillet dernier le premier chef d’Etat étranger à recevoir l’Ordre de l’amitié des mains du président chinois. Mais de « bon voisinage », il n’en a pas toujours été question.

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En 2011, le Tadjikistan s’était en effet résolu à céder 0,80 % de son territoire à son voisin chinois, soit environ 1 100 kilomètres carrés. Située dans le Pamir, la zone était depuis 1884 au coeur d’une dispute territoriale entre les deux parties et témoigne d’une lointaine rivalité dans cette région disputée alors par les empires russe et chinois, mais aussi par le Raj britannique.

Et si l’Union soviétique était en capacité de résister à l’insistance de Pékin, il en allait autrement du Tadjikistan indépendant. « Si nous n’avions pas pris la décision de céder ces terres, nous n’aurions pas pu résister aux pressions de la Chine« , confiait alors Soukhrob Charipov, directeur du Centre d’études stratégiques, un organisme rattaché au président tadjik.

Eléonore Darasse
Rédactrice pour Novastan

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