Tatiana Filimonova, chercheuse du département d’archéologie et doctorante en histoire, et Nouriddine Saïfoulloïev, responsable du département d’archéologie, racontent à Asia-Plus les dernières découvertes scientifiques de l’Institut d’histoire, d’archéologie et d’ethnographie de l’Académie des sciences du Tadjikistan.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 15 août 2021 par le média tadjik Asia-Plus.
Les plus grandes fouilles archéologiques concernent les sites de Sarazm, Karon, Vose, Farkhor, Balkh, le Pamir oriental et Danghara.
Sarazm
Actuellement, les archéologues du Tadjikistan s’intéressent principalement à l’ancienne ville de Sarazm, dans le district de Pendjikent. Nouriddine Saïfoulloïev souligne que la ville de Sarazm a fêté en 2020 son 5 500ème anniversaire. Pour l’occasion, le Tadjikistan a souhaité afficher la richesse de son histoire aux yeux de la communauté internationale.
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Il explique que les premières informations concernant l’existence d’une ville antique ont été relevées durant la période soviétique, mais les archéologues n’ont pu commencer à fouiller le site qu’après l’indépendance du pays. « Les fouilles se poursuivent. La superficie totale de la ville est d’environ 300 hectares », précise Nouriddine Saïfoulloïev.
Les archéologues ont exhumé plusieurs complexes de palais et la tombe d’une princesse de Sarazm, dont les restes et les bijoux sont exposés au Musée national du Tadjikistan. Quatre groupes d’archéologues originaires de Douchanbé, de Saint-Pétersbourg, de France, d’Allemagne, d’Italie et des États-Unis travaillent actuellement sur le site.
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Sarazm est la plus ancienne colonie de peuples sédentaires qui ont vécu du quatrième millénaire à la fin du troisième millénaire avant notre ère. En 2010, le site a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial. Les palais et les édifices dédiés au culte, bien conservés, ainsi que les bâtiments publics et résidentiels ont une valeur historique et culturelle inestimable.
Karon
Karon a été découvert en 2012 par l’archéologue et académicien Youssoufcho Yakoubov. Selon lui, la ville aurait été fondée il y a 4 000 ans. Les fouilles sont menées par l’Institut d’histoire, d’archéologie et d’ethnographie, avec la participation d’archéologues russes, iraniens, français et belges. Les fouilles ont permis d’exhumer les vestiges d’un terrain de polo, d’un observatoire, d’un moulin à vent et d’un sanctuaire zoroastrien, avec un temple du feu à cinq coupoles, un temple de l’eau, deux temples du vent et les fondations de bâtiments résidentiels et administratifs. Le stade, long de 300 mètres et large de 50, pouvait accueillir plus de 10 000 spectateurs. Jusqu’au Xème siècle, le zoroastrisme était la religion dominante à Karon.
Un autel du temple du feu et un bassin rituel ont été découverts sur la place centrale de la ville, un socle en pierre sur lequel se trouvait l’Avesta, le livre sacré des zoroastriens. La ville disposait de systèmes de distribution d’eau et de drainage. On y produisait des briques et des tuyaux en argile. Les archéologues sont actuellement occupés à restaurer un grand complexe de bâtiments au sommet de la zone d’excavation. Il s’agissait vraisemblablement du palais royal, où vivaient, outre le monarque lui-même, ses parents, ses proches et les vizirs. Nouriddine Saïfoulloïev souligne l’originalité des escaliers du palais de Karon.
Khoulbouk
Tatiana Filimonova mentionne également le chantier de fouilles de la forteresse de Khoulbouk, située dans le district de Vose, dans la province de Khatlon. Selon elle, la mise en place du chantier de Khoulbouk, capitale médiévale de la province de Khatlon, est pratiquement terminée.
« En accord avec le département de la protection des monuments du ministère de la Culture et la réserve historique et culturelle de Khoulbouk, un ouvrage dédié à Khoulbouk intitulé “L’artisanat de la principauté médiévale de Khouttal”, a été présenté à la presse», explique-t-elle. «Le livre décrit l’histoire de Khouttal depuis l’ancienne Bactriane (2 000 avant J.-C.), l’histoire de ses villes, la construction du palais du souverain, tout en mettant l’accent sur l’artisanat (poterie, métallurgie, travail du verre, de la pierre, joaillerie), illustré par de nombreuses photographies et dessins», poursuit l’archéologue.
Selon Tatiana Filimonova, avant Khoulbouk, la capitale de la principauté de Khouttal était la ville de Khoulbag. De nombreux artefacts témoignant du développement de l’artisanat et de la culture urbaine y ont été retrouvés. « Les services publics ont été particulièrement développés », explique l’experte. « Les vestiges de conduites d’eau, de piscines et de fosses profondes spéciales destinées à la collecte des déchets en témoignent. La culture urbaine de Khoulbouk a devancé l’Europe, où de telles structures d’ingénierie ne sont apparues que des siècles plus tard. »
Farkhor
Non loin de la ville de Farkhor, une expédition internationale composée de scientifiques tadjiks, russes et italiens a procédé à des fouilles sur un tombeau de l’âge du bronze.
Sur la base des découvertes archéologiques, ils ont estimé que les premières traces d’exploitation humaine de ce territoire sont enregistrées sur deux sites néolithiques des VIème et Vème siècles avant J.-C., situés sur les terrasses côtières de la rivière Vakhch. Sur le même site, une tombe en tumulus et une colonie appelée Makoni Moron (fin du deuxième millénaire – début du premier millénaire avant J.-C.) ont été exhumés.
Parmi les artefacts retrouvés se trouvent notamment des vases en céramique, des sceptres en pierre, qui, selon les scientifiques, sont des signes du pouvoir royal, des brûleurs d’encens et des perles. Durant l’Antiquité, le territoire faisait partie des royaumes gréco-bactriens.
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Les annales historiques indiquent qu’au Xème siècle, Farkhor était une ville florissante, jouissant d’une agriculture développée et d’une population nombreuse. La ville médiévale de Pargar, sur le site de laquelle se trouve le Farkhor moderne, est mentionnée dans les sources à partir du XVIIème siècle. En 2014, les archéologues ont trouvé ici sept grandes cruches antiques, appelés khoums. Leur âge est estimé à environ 3 000 ans.
Lagman
Nouriddine Saïfoulloïev a lui-même dirigé cette année les fouilles de l’ancienne forteresse de Lagman, dans le district de Jaloliddin Balkhi. Une équipe d’archéologues a découvert des fragments de mur et d’architecture de la période samanide, ainsi que plusieurs pièces en céramique.
L’ancienne forteresse de Lagman est située sur les rives de la rivière Vakhch, dans le jamoat d’Ouzoun. Selon les historiens, les premières recherches sur cette localité remontent à 1875. La ville se trouve à 12 kilomètres d’un autre monument ancien : la ville de Khalevard.
La forteresse de Lagman occupait environ 42,5 hectares. On pouvait y entrer par quatre portes, dotées d’un mécanisme complexe et de minarets de protection. Les archéologues recherchent l’emplacement de ces portes. Les fragments sont conservés près des murs nord et sud-est de la ville. La ville a développé l’agriculture et un système d’irrigation. Selon les historiens, la fondation de la ville remonte aux Xème-XIIIème siècles, et sa destruction par les armées de Gengis Khan à 1221. Pour Nouriddine Saïfoulloïev, il reste encore un travail considérable à fournir pour percer à jour tous les secrets de la ville.
Mourghab
Les mystères ne manquent pas dans la ville haut perchée de Mourghab. En juillet 2018 s’est formée la première expédition archéologique, composée de chercheurs de l’Université d’État de Novossibirsk, de l’Institut d’archéologie et d’ethnographie de l’Académie des sciences de Russie et de l’Institut d’histoire, d’archéologie et d’ethnographie du Tadjikistan. En 2020, les archéologues de Novossibirsk ont poursuivi le chantier.
« Nous pouvons dire en toute confiance que des hommes ont vécu dans le Pamir il y a plusieurs millénaires, mais nous ne savons toujours pas ce qui les a poussé à venir dans ces terres difficiles, ni qui étaient ces premiers habitants », a déclaré Svetlana Schneider, responsable de l’expédition du Pamir.
Nouriddine Saïfoulloïev explique que l’expédition avait découvert des traces d’anciennes colonies où les gens vivaient, dès l’Antiquité, dans des conditions de haute montagne difficiles. Les travaux se poursuivront à Mourghab pour retrouver d’autres artefacts susceptibles de révéler davantage l’histoire de cette région.
Danghara
À 25 kilomètres du centre du district de Danghara, dans le village de Khouchdilon, une équipe d’archéologues tadjiks et allemands mène des recherches sur une colonie située au pied de la chaîne de Choltov.
Les employés du département d’archéologie de l’Institut d’histoire, d’archéologie et d’ethnographie et du département d’Eurasie de l’Institut archéologique allemand de Berlin ont trouvé, en 2017, un temple hellénistique dans le district de Danghara.
« Ce monument date du IIIème siècle avant J.-C. », explique Tatiana Filimonova. « L’intérêt pour ce monument fait suite à toutes les études antérieures sur la vallée de Danghara, qui ont démontré la présence de l’une des oasis importantes de la période gréco-bactrienne et kouchane. »
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Après plus de 70 ans de recherches, une douzaine de sites appartenant à différentes catégories de monuments ont été trouvés et étudiés : grandes et petites villes, colonies rurales et, sans doute, sanctuaires ou temples, ainsi que des tombes à tumulus.
Tatiana Filimonova ajoute qu’un site commercial a été exhumé sur le territoire de l’ancienne colonie. « Sur le sol, il y avait des récipients écrasés : une grande cruche pour transporter de l’eau, deux récipients spécifiques, des flacons d’eau, le tout attaché à un cheval. Un houm, sorte de tonneau en fer destiné à stocker les aliments comme la farine ou les céréales, avait été creusé dans le sol », poursuit-elle.
Saïfiddin Karaïev pour Asia-Plus
Traduit du russe par Pierre-François Hubert
Édité par Laure de Polignac
Relu par Emma Jerome
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lionel, 2022-04-4
Il y avait vraiment un terrain de polo à Karon ? Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt parler de bouzkachi ?
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