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Refuge au crépuscule : un récit initiatique dans la nature d’Asie centrale

Avec Refuge au crépuscule, Grégoire Domenach signe un roman dont l’essentiel de l’action se passe au Kirghizstan et au Kazakhstan. Faisant la part belle à la nature et à la culture empreinte de nomadisme de ces pays, c’est aussi un livre où la fuite, la mort et les récits s’entremêlent dans les trajectoires des personnages.

Ala Artcha Kirghizstan
Dans son deuxième roman, Grégoire Domenach emmène ses lecteurs dans les montagnes du Kirghizstan et du Kazakhstan. Photo : Novastan.

Avec Refuge au crépuscule, Grégoire Domenach signe un roman dont l’essentiel de l’action se passe au Kirghizstan et au Kazakhstan. Faisant la part belle à la nature et à la culture empreinte de nomadisme de ces pays, c’est aussi un livre où la fuite, la mort et les récits s’entremêlent dans les trajectoires des personnages.

Publié le 7 mars dernier chez Christian Bourgois, Refuge au crépuscule offre aux amateurs de récits de voyage l’occasion d’accompagner les protagonistes dans la singulière région qu’est l’Asie centrale. Loin des kaléidoscopes de destinations exotiques, le livre rend hommage aux populations et à leurs cultures, à la nature, aux grands espaces, à l’immensité des steppes et des montagnes.

L’auteur, qui a accepté de s’entretenir avec Novastan, connaît bien l’Asie centrale. Pour lui, ce roman se veut « vraiment un hommage au Kirghizstan et au Kazakhstan. Je dois beaucoup à ces pays, à ces peuples, dans la construction de qui je suis. Ils m’ont appris beaucoup de choses. »

Cette volonté transpire dans le récit, où la quête, l’initiation rejoignent la thématique du voyage. L’Asie centrale y est montrée à hauteur d’homme : c’est le côté humain, vivant, directement expérimenté qui est donné à voir, avec ce qu’il a de tragique. Dans Refuge au crépuscule, les deuils et les tragédies qui touchent plus ou moins chaque personne rencontrée sont sublimées par le mouvement, le voyage ou l’exil. La nature se fait le théâtre de récits dans lesquels les interrogations des personnages trouvent du sens, à défaut de réponses exactes.

L’Asie centrale vue à hauteur d’homme

Grégoire Domenach a « beaucoup d’amour, de respect et d’estime pour le Kirghizstan et le Kazakhstan, et ce qu’ils [lui] ont apporté. Ils ont beaucoup de mérite dans leur façon de gérer certains problèmes. » Le récit envoie à ce titre des images marquantes pour qui n’a pas voyagé en Asie centrale : le respect de l’auteur pour les vies, les trajectoires qu’il présente est sensible.

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La dureté et les difficultés racontées et rencontrés ne suscitent cependant, à la lecture, pas d’apitoiement. Elles montrent simplement une partie de la réalité de la vie en Asie centrale, et surtout ce qu’elle a à offrir aux personnages. Hors du récit, cette réalité est ressentie comme une invitation à s’intéresser davantage à la vie au Kirghizstan et au Kazakhstan, et à ce qu’elle a à offrir plutôt qu’à ce dont elle priverait.

Les conséquences de la chute de l’URSS

Les conditions socioéconomiques cristallisent par bribes ces impressions, dans un monde où beaucoup de gens ont connu l’URSS et subissent les conséquences de sa chute. C’est par exemple le cas lorsque sont évoqués « ceux qui ont perdu leur équilibre mental dans la guerre » (d’Afghanistan, entre 1979 et 1989, ndlr) ou « les petits vieux qui vendent leur bibliothèque pour pas crever de faim. »

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Grégoire Domenach raconte de façon humaine des événements que l’Occident connaît plutôt de façon distante par des récits, documentaires, ouvrages ou articles. Avec une certaine délicatesse, des éléments presque anodins sont donnés au lecteur, pour qu’il puisse mieux sentir l’atmosphère. Une amulette pour protéger un malade, l’importance du jeu d’échecs, capable de suspendre l’attention, ou les sanatoriums, véritables lieux de renaissance, sont de ces éléments tangibles.

Le deuil et la mort, le mouvement et la vie

Le deuil et la mort habitent d’une façon ou d’une autre les vies et les décisions des personnages. Ceux-ci, qu’ils taisent leur deuil ou le partagent, savent susciter l’empathie, empreinte parfois d’une sorte de pudeur.

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Cet aspect du rapport à la mort touche aussi l’Asie centrale. Pour les nomades, « le vivant, c’est l’homme qui va. L’être qui passe, voué à l’éphémère et au mouvement, l’être soumis au temps, aux saisons, au destin, aux forces de la nature », explique un des protagonistes. Loin de se contenter de décrire la diversité culturelle historique de la région, et notamment la dichotomie entre nomades et sédentaires, l’auteur présente ainsi une sorte de dialogue entre le deuil et le voyage.

La nature au cœur

Dans Refuge au crépuscule, la nature est le principal théâtre de ce dialogue contrasté. Pratiquement omniprésente, elle est montrée sous ce qu’elle a de plus saisissant par rapport à l’Europe occidentale. Elle offre aux personnages la possibilité de s’interroger, de contempler les questions imprécisément formulées qui les habitent. Pour Grégoire Domenach, il est « certaines interrogations qui ne sont pas forcément franches, des réponses pas forcément précises, calibrées, concrètes, « cartésiennes ». Cette idée colle à l’histoire et à la géographie de la région. »

L’auteur, originaire de Chamonix, se dit très influencé par les paysages. « Ceux d’Asie centrale sont pleins de mystères, très différents des nôtres, dans les reliefs, la lumière… Je voulais que les deux personnages principaux soient aussi déboussolés dans ce paysage. J’aime bien ce flou à la fois artistique et géographique. »

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Grégoire Domenach avait cette volonté à l’esprit en écrivant Refuge au crépuscule. « Il semblait évident de faire un roman de contrastes, avec le mouvement et l’immobilité, l’ombre et la lumière, les saisons marquées, la typologie du paysage. C’était très volontaire, une des grandes ambitions du livre. Dans les beaux livres de voyage, on ne retient pas ce qui s’est passé ou les endroits, mais plutôt la puissance évocatrice du contraste. Ce qui nous reste d’un roman, ce sont souvent les effluves qui restent de ce contraste et qu’on retrouve dans l’art en général, la musique, la peinture, la photographie. La puissance de contraste est permanente, et happe le regard. La littérature aussi : les descriptions [des paysages] doivent refléter ce rapport de force. »

Au-delà du paysage, la nature est aussi présente par les animaux, en particulier les léopards des neiges. Une partie des protagonistes a pour activité principale la protection de ces animaux vulnérables au Kirghizstan.

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L’« amour profond » de Grégoire Domenach pour la nature et les animaux en ont fait un des premiers thèmes qui l’ont vraiment inspiré au Kirghizstan. Il avait, à l’époque, écrit pour Novastan sur le sujet. Ses rencontres avec les ONG, notamment « Snow Leopard Trust, qui fait un travail fantastique en Asie centrale » ont été à ce titre déterminantes.

Les récits dans le récit

Les différents éléments précédemment cités s’entremêlent avec d’autres. Le récit commence directement avec celui du destin des Anglais Charles Stoddart et Arthur Conolly à Boukhara dans les années 1840. Peter Hopkirk ouvrait son ouvrage documentaire Le Grand Jeu sur le même récit, et la version contée de Grégoire Domenach lui ajoute un charme indéniable.

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Les récits sont au cœur de Refuge au crépuscule : une grande partie de ce que font les personnages consiste à raconter des histoires, qui cherchent à expliquer le monde et ce qu’il s’y passe. Là aussi, le geste est volontaire : Grégoire Domenach dit être « persuadé que le monde a besoin de fiction », ce qu’il fait aussi dire à un de ses personnages : « Croyez-moi, à une époque où tout s’effondre, les histoires permettent de maintenir des équilibres. »

« Le conte est resté une tradition très forte, très vive des manastchis (conteurs des grandes épopées kirghizes, ndlr) », raconte Grégoire Domenach. Lorsqu’il était au Kirghizstan, il a assisté à une scène mémorable, où « dans une yourte de l’Issyk-Koul, un jeune garçon habité par l’épopée de Manas était capable de déclamer des vers de façon impressionnante. »

L’importance de la fiction

Les récits, pour l’auteur, sont « salutaires pour une société, ils lui donnent une colonne vertébrale pour résister aux événements. Un homme, une civilisation aura toujours besoin de fiction. On a besoin de cette fiction, de Manas. En France, on a cette proximité avec les Kirghiz, avec un côté romanesque. C’est beau de vivre l’histoire de cette manière. »

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Grégoire Domenach parle du Kirghizstan comme il l’écrit dans son roman. « Ce pays a traversé des périodes historiques intenses : l’URSS, la période un peu chaotique après l’indépendance. Malgré ça, il arrive à beaucoup s’appuyer sur les ressources qu’il a à disposition : l’élevage, le rapport à la nature, aux choses, aux autres, qui fait toute sa noblesse. »

Jean Monéger-Leclerc
Rédacteur pour Novastan

Relu par Léna Marin

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