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Comment une professeure de mathématiques a ouvert une auto-école pour femmes à Tachkent

Dourdona Moukhiddinova a partagé avec le média Spot l'inspiration derrière l'ouverture de son auto-école pour femmes. Elle explique comment ce choix d'audience ciblée a impacté le nombre de clients et détaille les stratégies qui lui ont permis de tripler son chiffre d'affaires en un an. De plus, elle souligne l'importance de la flexibilité et de la capacité à s'adapter rapidement dans ce domaine.

Auto ecole Tachkent Dourdona Moukhiddinova
Mourdina Moukhiddinova. Photo : Spot.

Dourdona Moukhiddinova a partagé avec le média Spot l’inspiration derrière l’ouverture de son auto-école pour femmes. Elle explique comment ce choix d’audience ciblée a impacté le nombre de clients et détaille les stratégies qui lui ont permis de tripler son chiffre d’affaires en un an. De plus, elle souligne l’importance de la flexibilité et de la capacité à s’adapter rapidement dans ce domaine.

Dourdona Moukhiddinova est professeure de mathématique, mère de trois enfants, et s’est lancée dans l’ouverture d’une auto-école pendant la pandémie, avec ses propres économies et en contractant des crédits. Cette école présente une particularité puisqu’elle est destinée uniquement aux jeunes filles.  

Dans cet entretien avec le média ouzbek Spot, elle raconte comment lui est venue l’idée d’ouvrir une auto-école pour femmes, si le choix d’un auditoire spécifique avait réduit le nombre de clients, comment elle a triplé son chiffre d’affaires en un an. Enfin, elle explique pourquoi la flexibilité et la capacité à s’adapter rapidement sont nécessaires dans ce secteur.

Son témoignage est retranscrit ici.

L’ouverture d’une auto-école au temps de la pandémie  

Mi 2020, pendant le confinement, mon amie m’a proposé d’ouvrir une auto-école seulement pour les femmes. A cette époque, il n’existait pas d’école de ce type dans le pays. A ce moment-là, elle tenait une petite pâtisserie. Je n’avais jamais travaillé dans le commerce. Pour ma part, cela faisait six ans que je travaillais en tant que professeur dans une école privée. Mais l’idée me plaisait et j’ai soutenu mon amie.

Nous avions planifié de commencer après l’assouplissement des restrictions, c’est-à-dire à l’automne 2020. Nous avons débuté avec un investissement minimal de 65 millions de soums (4 750 euros), dont 20 millions (1 460 euros) provenaient de nos économies personnelles et le reste d’un crédit. Tout cet argent a été dépensé pour louer des locaux, acheter du matériel (un simulateur, le squelette d’une voiture), des ordinateurs, du mobilier, des manuels et autres matériels de formation.

Nous n’avions que deux voitures, à savoir celles qui nous appartenaient personnellement. Nous les avons équipées puis nous avons obtenu les documents nécessaires pour la pratique. Nous avions en location deux bureaux, dont la superficie était d’un peu plus de 140 mètres carrés, au sein d’une école privée qui se situait au centre-ville pour 3,9 millions de soums (285 euros) par mois.

A la fin de l’année, après avoir tout préparé, nous avons demandé une licence. C’était l’étape la plus rude qui a nécessité beaucoup de ressources : du temps, de l’énergie, des moyens financiers. A plusieurs reprises, nous avons corrigé des lacunes identifiées lors de l’examen de notre dossier. Puis il y a eu des retards administratifs.

Un début très compliqué

A cette période, mon amie s’est retirée du projet. Le lancement de notre société a été difficile. Il y a eu des larmes, des malentendus, des changements d’avis, des peurs. Ceci est complètement normal. Certains tiennent bon et vont de l’avant, d’autres ne résistent pas. En conséquence, je me suis retrouvée à tout gérer seule. A cette époque, je continuais à travailler à l’école et il était difficile physiquement de tout combiner en même temps.

Ainsi, nous avons obtenu la licence seulement en février 2021 et nous avons commencé en mars.

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Après l’ouverture, nous avons continué à louer deux bureaux dans les locaux de l’école privée à un prix minime pendant six mois. Au départ, il y avait une professeure, une monitrice et moi-même. Au début, j’ai dû prendre plusieurs responsabilités à la fois, comme cela arrive fréquemment dans le monde du business. J’étais à la fois gérante, administratrice, monitrice et community manager.

Le début du succès

Grâce au bouche-à-oreille, nous avons réussi à créer un premier groupe constitué de connaissances, de voisins, de membres de la famille. Aussi, l’actrice Ferouza Youssoupova, qui dispose d’une audience de plus de 520 000 personnes sur Instagram, a pris des cours chez nous et a fait une belle publicité qui nous a permis d’avoir plus de clients.

En plus d’augmenter la clientèle, nous avons réussi à nous développer en employant du nouveau personnel, en louant de nouvelles voitures réservées à l’apprentissage auprès d’autres auto-écoles pour 1 million de soums (73 euros). Nous avons aussi loué un emplacement dédié à la pratique pour 920 000 soums (67 euros). Au bout de quelques mois, nous avons employé des femmes qui disposaient de leurs propres voitures. Elles ont suivi une formation à leurs frais pour devenir monitrices et ont obtenu un certificat. Puis nous avons équipé leurs voitures sur le compte de l’entreprise.

Cela dit, en travaillant pour nous, elles gagnaient un salaire, un remboursement pour la location de la voiture et pour les dépenses de carburant. De cette manière, nous avons non seulement agrandi notre parc automobile mais également créé de l’emploi. Ce système fonctionne encore aujourd’hui dans notre entreprise.

Une année 2021 qui enclanche les bénéfices

Initialement, le coût de la formation était de 1,6 millions de soums (117 euros). Tout l’argent allait dans le chiffre d’affaires, c’est-à-dire dans le développement de l’entreprise, en plus de l’achat de matériel et dans la publicité. A l’automne 2021, une petite crise est survenue. Il nous a fallu quitter dans l’urgence les bureaux que nous louions dans l’école privée. Nous avons été mises devant le fait accompli. Bien que le contrat était valable jusqu’à la fin de l’année, il fallait partir sur le champ et trouver dans l’urgence un autre emplacement.

Pendant que nous cherchions de nouveaux locaux, nous avons eu le temps d’être fermés et de nous voir retirer notre licence. C’est pourquoi il a fallu tout recommencer depuis le début, rééquiper l’école afin que tout soit conforme aux exigences. Nous y avons perdu 3 000 dollars (2 775 euros). Ensuite, comme nous étions en train de réorganiser l’école, nous avons demandé une nouvelle licence.

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Dans l’ensemble, l’année 2021 était plutôt réussie malgré les difficultés. Notre parc automobile était composé de dix voitures. Puis, nous avons cessé d’en louer auprès d’autres auto-écoles. De plus, nous avons été chanceuses car cette année-là, en raison de la pandémie, la formation se déroulait en format hybride : un peu à distance et un peu en présentiel. Grâce à cela, il y a eu beaucoup plus d’élèves. En une seule année, nous avions formé neuf groupes de 24 personnes et le chiffre d’affaires s’élevait à 345 millions de soums (25 240 euros). Par conséquent, à la fin de l’année 2021, nous étions en mesure de faire du bénéfice.

Une entreprise destinée à un public ciblé 

S’il faut parler de la raison pour laquelle ce projet est réservé directement aux filles, il y a deux motifs. Premièrement, lorsque ce projet nous est venu en tête, cette niche économique n’était pas exploitée. Nous voulions faire quelque chose qui n’existait pas sur le marché. Deuxièmement, considérant nos codes culturels, nous pensions que la demande serait élevée. Puis, nous voulions mettre en place quelque chose qui se distinguait des projets traditionnels. Enfin, je voulais personnellement créer une atmosphère où chaque jeune fille se sentirait confiante et libre.

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Cibler notre clientèle n’a pas eu d’effets néfastes sur le nombre d’élèves ni sur le développement de notre entreprise. Je ne pouvais pas m’imaginer comme cela était nécessaire avant d’avoir travaillé dans ce domaine. Il semblerait que certaines femmes aient attendu ce genre d’auto-écoles pendant dix voire 20 ans.

C’est pourquoi pendant notre deuxième année d’activité, en 2021, il y avait déjà 27 groupes dans notre école. Par conséquent, le chiffre d’affaires de l’entreprise a doublé.

Des nouvelles normes contraignantes 

Vers la fin de l’année 2022, des changements importants sont survenus dans notre domaine d’activité. Le centre d’examen est passé entre les mains du secteur privé. L’examen est devenu plus difficile, y compris pour la pratique. La durée de formation est passée à quatre mois et demi. Les gens craignaient de se rendre dans les auto-écoles. De plus, des contrôles avaient lieux dans les écoles afin de s’assurer qu’elles respectaient les nouvelles normes.

Ainsi, au début de l’année 2023, beaucoup d’auto-écoles ont mis la clé sous la porte parce qu’il n’y avait plus de clients. Elles ne pouvaient pas former un seul groupe. A cette date, rien qu’à Tachkent, plus de 70 auto-écoles avaient été fermées.

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Par la suite, nous sommes devenues l’une des rares écoles à surmonter cette crise puisque nous avons continué d’agir. Nous essayions de nous adapter rapidement au nouveau système, au marché. Si quelque chose ne fonctionnait pas, nous passions à autre chose mais nous ne nous arrêtions pas. C’est pour cela qu’en 2023, malgré les difficultés, nous avons réussi à former 27 groupes et à nous acheter quatre nouvelles voitures, des Nexia 3.

Des risques à surmonter

S’il faut parler des risques, je dois avouer que je n’ai pas à me plaindre sur ce point. Je n’ai jamais eu de grandes pertes, y compris financières. Il y a eu quelques désagréments : je me suis heurtée à des fournisseurs peu scrupuleux, à des gérants d’auto-écoles expérimentés peu enclins à partager avec moi leurs connaissances.

Il a fallu apprendre tout en travaillant, comme je l’avais fait précédemment au moment où j’étais institutrice. De plus, il n’était pas évident de s’intégrer dans un univers majoritairement masculin. Toutefois, je suis quelqu’un de déterminé : je n’abandonne pas et je vais jusqu’au bout.

La seule auto-école pour femmes de Tachkent

Pour le moment, nous sommes la seule auto-école pour jeunes filles à Tachkent. D’autres proposent des groupes séparés. Notre école est l’une des meilleures, avec un taux de réussite de 80 % dès la première tentative. A présent, le coût de formation s’élève à 3,2 millions de soums (233 euros).

Plus de 30 collaboratrices travaillent chez nous : des monitrices, des enseignantes, des administratrices. Tout le personnel est féminin.

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Il ne fait aucun doute que la capacité à conduire ne dépend ni du sexe, ni de l’âge ni d’autres attributs. C’est également le cas concernant les compétences du moniteur. L’important est qu’il travaille honnêtement, qu’il soit responsable et qu’il améliore constamment ses connaissances. Nos monitrices se conforment à toutes ces exigences.

A cela s’ajoute un point positif qui est qu’à leurs côtés, nos élèves se sentent à l’aise, détendues et qu’elles puissent vraiment se concentrer sur l’amélioration de leurs compétences. Notre parc automobile est constitué de 24 voitures, dont quatre nous appartiennent. Les autres sont celles de nos monitrices.

Une adaptabilité remarquable 

Nous occupons un nouvel emplacement, qui est déjà notre troisième. Ici, nous louons le bâtiment dans son ensemble. Il n’y a pas longtemps, nous avons effectué des travaux en guise de loyer, qui s’élève à 8,5 millions de soums (620 euros) par mois. Nous sommes situées dans la vieille ville. La localisation a été choisie en tenant compte de notre public ciblé, la demande étant plus élevée précisément dans ce quartier. La formation est dispensée dans deux langues, en russe et en ouzbek, afin que les jeunes filles, dans chaque groupe, puissent choisir la langue qui leur convient le mieux.

Maintenant, nous proposons aussi des formations courtes dont la durée va de trois jours à une semaine pour les jeunes filles en possession du permis de conduire mais qui souhaiteraient améliorer leur conduite. Il s’agit de pratique et aussi de théorie. Dans cette formation sont impliquées une professeure, une monitrice et une psychologue.

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En plus des frais liés à la pratique, il y aussi des coûts fixes pour la théorie. Par exemple, en 2023, il y avait un système pour lequel nous devions payer 10 millions de soums (730 euros) par an pour que tout le monde puisse utiliser et s’entraîner avec des tests sur la plateforme Avtotest Report. Il fallait encore payer 1,2 millions de soums (87 euros) pour l’utilisation de tests par les étudiantes dans chaque groupe. Par ailleurs, un accord a été conclu avec la société Transkasb pour 3,9 millions de soums (285 euros) par an afin que les enseignantes puissent utiliser la plateforme.

Une activité qui évolue vite

Depuis cette année, tout le système est passé sur le portail unique en ligne e-avtotalim, intégré à mygov.uz. Désormais, à la place de ce que je viens d’introduire précédemment, il faut payer environ 370 000 soums (27 euros) pour un professeur et l’utilisation de la plateforme.

Dans notre sphère d’activité, les changements sont assez fréquents, notamment sur le plan financier. Et c’est la cause pour laquelle il est difficile de maintenir son entreprise. Il arrive parfois que la formation de conduite change radicalement. En trois ans d’activité, tout a changé, si bien que ce que nous faisons aujourd’hui n’a plus de rapport avec ce que nous faisions au moment de l’ouverture.

En cela résident les principaux défis de notre secteur. Vous pouvez commencer à travailler dans ce domaine cette année et tout peut changer radicalement l’année suivante. Ainsi, la capacité à s’adapter rapidement et la flexibilité sont fondamentales pour réussir dans cette sphère.

Des plans pour l’avenir

J’ai l’intention de faire évoluer mon entreprise, de continuer à me former en tant qu’entrepreneuse. L’année dernière, j’ai participé à un programme pour renforcer son entreprise avec d’autres auto-entrepreneuses en Ouzbékistan, organisé par la Banque européenne de reconstruction et de développement et la TEAM University à Tachkent.

A cette occasion, j’ai appris beaucoup de choses et cela m’a permis d’avoir de nouvelles idées sur la manière d’agrandir mon entreprise. Grâce à ce projet, j’ai compris ce sur quoi je devais me concentrer afin d’augmenter mes profits. Actuellement, l’école possède suffisamment de ressources pour former 12 groupes par jour mais pour le moment nous n’en avons que cinq ou six.

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Afin d’attirer plus d’élèves, il faut que je développe mon marketing. Sur ce point, la Banque européenne de reconstruction et de développement va m’aider en couvrant 85 % des dépenses liées au développement publicitaire de l’entreprise. Seulement, il ne faut pas dépasser la limite budgétaire qui s’élève à 10 000 euros.

Plus tard, nous aimerions ouvrir des succursales à Tachkent mais aussi dans d’autres villes du pays. Puis nous planifions l’essor de formations courtes, d’ajouter des options plus utiles et de contribuer au développement de la civilité sur nos routes.

Aziza Islamova
Journaliste pour Spot

Traduit du russe par Lena Marin

Edité par Vladimir Przybylinski

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Commentaire (1)

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Vincent Gélinas, 2024-06-15

Quelle belle histoire! Vivement de tels beaux exemples d’entreprenariat ailleurs en Ouzbékistan.

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