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Politique économique extérieure de l’Ouzbékistan : régionalisme et intégration en Asie centrale

La passation du pouvoir présidentiel ouzbek en 2016 a opéré un virage majeur vers une politique étrangère mettant l'accent sur la coopération économique régionale. Des réformes internes aux initiatives diplomatiques, cet article explore comment le pays ambitionne de renforcer ses liens économiques avec les nations d'Asie centrale.

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Chavkat Mirzioïev lors d'une conférence internationale à Samarcande. Photo: présidence ouzbèke.

La passation du pouvoir présidentiel ouzbek en 2016 a opéré un virage majeur vers une politique étrangère mettant l’accent sur la coopération économique régionale. Des réformes internes aux initiatives diplomatiques, cet article explore comment le pays ambitionne de renforcer ses liens économiques avec les nations d’Asie centrale.

La passation de pouvoir présidentiel en Ouzbékistan en 2016 a marqué un tournant significatif dans la politique étrangère du pays, mettant résolument l’accent sur une coopération économique régionale renforcée. Ici, Firdavs Kobilov, doctorant en sciences politiques à l’Université de Glasgow, explore en détail la transformation de la politique économique extérieure ouzbèke, soulignant les étapes clés qui ont conduit à une diplomatie axée sur l’économie et à un engagement accru envers l’intégration régionale en Asie centrale. Des réformes internes audacieuses, telles que la révision de la législation sur l’investissement et la restructuration du ministère des Affaires étrangères soulignent cette nouvelle orientation stratégique.

Après la transition de leadership, le nouveau gouvernement ouzbek a rapidement cherché à améliorer les relations interétatiques avec les pays voisins, soulignant son engagement envers la coopération économique régionale, la recherche d’un rapprochement social et de convergence politique. Lors de la 72ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le président Chavkat Mirzioïev a officiellement désigné l’Asie centrale en tant que priorité absolue de la politique étrangère ouzbèke, exprimant son intention de construire des relations de voisinage stables et un partenariat stratégique avec les États de la région.

L’Ouzbékistan tend alors à passer d’une approche politique à une approche plus axée sur l’économie dans laquelle le gouvernement promeut le développement des activités économiques étrangères au sein de secteur prioritaires. Cette manière d’opérer, par le principe dit du « bon voisinage«  est une approche pratique ancrée dans la rationalité économique, qui s’applique ici par une coopération régionale étroite avec les États voisins, un facteur particulièrement important pour un pays doublement enclavé.  

Réformes et réorientation de la politique étrangère 

La transformation de la politique économique étrangère régionale de l’Ouzbékistan pourrait être décrite en trois phases interconnectées. Tout d’abord, pour intensifier la politique d’investissements étrangers, le président Chavkat Mirzioïev a initié des réformes nationales telles que la révision de la législation sur l’investissement et la restructuration de la justice, la libéralisation financière et commerciale, l’activation des processus de privatisation, la promotion des partenariats public-privé, la réduction de la bureaucratie, l’amélioration du climat des affaires et de l’investissement ainsi que la stimulation d’initiatives dans le domaine de l’économie verte.

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L’étape conséquente, et décisive, a été la restructuration significative du ministère des Affaires étrangères. En 2018, Chavkat Mirzioïev a profité d’une réunion avec les représentants du ministère des Affaires étrangères et les diplomates ouzbeks en poste à l’étranger pour délibérer sur la nouvelle trajectoire de la politique étrangère de l’Ouzbékistan à mettre en place et les responsabilités des diplomates adéquates. Critiquant vivement le travail du ministère de l’époque, le président ouzbek avait souligné trois objectifs fondamentaux pour chaque diplomate servant à l’étranger : premièrement, la promotion de l’exportation des biens nationaux ; deuxièmement, l’attraction d’investissements étrangers; et enfin, l’engagement d’efforts supplémentaires en vue de l’augmentation du flux de touristes en Ouzbékistan. 

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En coopération avec le reste des pays d’Asie centrale, il a été suggéré d’élargir la main-d’œuvre responsable des questions économiques, commerciales et d’investissement avec les partenaires clés, en plus d’assigner des régions spécifiques du pays, des secteurs entiers de l’économie et des grandes entreprises à différentes ambassades. Cette politique étrangère économique proactive reflète la politique intérieure du pays. Dès le début de sa présidence, Chavkat Mirzioïev a mis l’accent sur le développement économique du pays, qui ne pouvait être réalisé que grâce à une politique étrangère ouverte sur l’extérieur et pragmatique. 

Bilan économique et diplomatie pragmatique : vers des relations renforcées avec l’Asie centrale

Les changements ont été rapidement observables : en 2017, plus de 200 traités internationaux ont été conclus avec des partenaires étrangers, ainsi que des accords et des contrats commerciaux, économiques et d’investissement d’une valeur d’environ 60 milliards de dollars (55,6 milliards d’euros) ont été signés. En outre, plus de 40 plans d’actions pour faire progresser la coopération avec des pays étrangers et des organisations internationales ont été approuvés. En 2023, les investissements directs étrangers captés en Ouzbékistan ont atteint 10 milliards de dollars (9,2 milliards d’euros), représentant une augmentation de trois fois par rapport aux chiffres de 2017. 

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Enfin, renforcer les relations bilatérales avec les pays voisins d’Asie centrale est crucial, puisque cela implique la volonté politique de s’engager dans un dialogue et de résoudre certains litiges persistants tels que la gestion de l’eau, les problèmes frontaliers et la question des ressources énergétiques. Ces différends de longue date constituent un obstacle significatif à l’approfondissement de la coopération économique régionale entre les nations d’Asie centrale. 

La politique économique régionale de l’Ouzbékistan 

Tenant compte des réalités géopolitiques et géostratégiques du pays dans la région et de la nouvelle tendance régionaliste, l’Ouzbékistan devait devenir un acteur régional pour assurer son développement économique. En l’occurrence, les activités économiques externes du pays, sa stabilité et sa sécurité, sa logistique, ses ressources énergétiques et ses problèmes climatiques sont interdépendants et interconnectés avec ses quatre voisins. 

La politique étrangère et la coopération économique régionale de l’Ouzbékistan avec les États d’Asie centrale consiste alors en une approche pyramidale qui a commencé au niveau intergouvernemental. Tout en haut des structures gouvernementales, il a été proposé d’initier une collaboration interparlementaire et d’organiser des forums, où les parties peuvent discuter des sphères d’interactions politiques et économiques à propos des questions régionales.

En particulier, le Conseil de coopération interparlementaire entre la Chambre législative de l’Oliy Majlis de la République d’Ouzbékistan et le Majilis du Parlement de la République du Kazakhstan a été institué, et sa première réunion a eu lieu en octobre 2023. Un autre thème soulevé au niveau institutionnel de la collaboration portait sur la réunion régulière des ministres des transports, de l’agriculture et du commerce des différents pays de la région. 

L’Ouzbékistan possède des caractéristiques distinctives, car le pays partage des frontières non seulement avec tous les pays d’Asie centrale, mais aussi parce que chacune de ses 13 entités politiques (composées de 12 régions et d’une République autonome) a des frontières communes avec les cinq pays voisins. Par conséquent, Chavkat Mirzioïev a proposé de créer l’Association des chefs (hokims) des régions et des communautés d’affaires des États d’Asie centrale pour faciliter et promouvoir la coopération économique aux niveaux provinciaux, où les chefs locaux peuvent collaborer en fonction des caractéristiques spécifiques du territoire et des besoins de leurs citoyens. 

Coopération régionale et vision stratégique : un engagement envers la numérisation et la complémentarité économique

Pour mettre pleinement en œuvre les multiples possibilités de la région, le gouvernement ouzbek a accordé une attention particulière aux accords commerciaux et économiques régionaux et bilatéraux. Par exemple, l’importance de la numérisation de l’économie a été soulignée, afin de réduire les coûts de production et d’assurer la compétitivité des produits. L’objectif est d’adopter un accord sur les directions que doit prendre la coopération commerciale et économique régionale, pour créer un système de zones commerciales frontalières pour la fourniture de biens disposant de règles et de procédures unifiées. 

Cependant, l’environnement politique et économique international instable a provoqué des perturbations dans le commerce régional, l’exportation et l’importation, et par conséquent, une augmentation des prix. Compte tenu de cette question délicate, le président de l’Ouzbékistan a proposé de renforcer la coopération industrielle et agricole sur la base du principe de « complémentarité » des économies de la région. Cette collaboration industrielle vise à faciliter la fourniture des matières premières nécessaires à la production dans les secteurs industriels respectifs et à réduire la dépendance de la région vis-à-vis des fournisseurs externes.

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En expliquant les initiatives régionales du gouvernement ouzbek, Chavkat Mirzioïev a souligné que la coopération commerciale et économique sont les principales forces motrices du partenariat et de l’intégration régionale. Le nouveau gouvernement de l’Ouzbékistan a créé toutes les conditions pour développer une coopération efficace avec les pays de la région dans cette direction. 

Par exemple, le président ouzbek a appelé à renforcer les interactions entre les différentes populations d’Asie centrale pour améliorer l’actuel niveau d’amitié et de coopération mutuelle. Il a alors été proposé d’établir des contacts commerciaux directs entre les entrepreneurs, d’organiser des forums d’investissements réguliers, des expositions industrielles, de promouvoir des projets de coopération industrielle conjoints, des zones de libre-échange pleinement opérationnelles, et de fournir des plateformes pour organiser un Forum économique régional.

Coopération régionale et performances économiques croissantes : un bilan positif

La politique fiscale et monétaire commune est une composante indispensable de l’intégration économique. Dans le cadre de l’accord-cadre sur le commerce et l’investissement entre les gouvernements des États-Unis et des pays d’Asie centrale (TIFA), le ministre de l’Investissement, de l’Industrie et du Commerce de la République d’Ouzbékistan, Laziz Kudratov, a proposé la création d’un système de paiement unique dans la région. La mise en œuvre de ce système vise à rationaliser non seulement le commerce intergouvernemental, mais aussi à promouvoir la coopération commerciale entre les entrepreneurs.

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Cependant, il convient de noter que la politique économique régionale de l’Ouzbékistan n’entend pas créer d’institutions supranationales ou une nouvelle organisation régionale. Chavkat Mirzioïev est en faveur de la coopération institutionnelle sans intégration institutionnelle et organismes supranationaux, ayant noté que l’objectif principal de sa politique étrangère régionale est de faire de l’Asie centrale une région stable, économiquement développée et prospère grâce à des efforts conjoints. 

À la lumière des actions communes des pays d’Asie centrale, on observe alors une augmentation constante du volume des échanges entre les pays de la région. Par exemple, le chiffre d’affaires régional a augmenté plus de 2,5 fois, le volume des investissements mutuels a presque sextuplé, et les investissements étrangers directs ont augmenté de 45 %. Avec le seul Kazakhstan, les échanges commerciaux, multipliés par un facteur avoisinant 2,5, ont atteint 4,6 milliards de dollars (4,2 milliards d’euros).

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Le volume des échanges avec le Kirghizstan a quintuplé et le nombre de projets conjoints a été multiplié par huit. De tels projets ont été lancés par les deux pays à grande échelle dans les domaines du textile, de la production automobile, de la géologie, de l’industrie chimique, de l’agriculture, de la gestion de l’eau et de l’élevage.

Observations sur l’amélioration de la coopération régionale 

En réalité, la coopération régionale ne signifie pas l’intégration régionale, il s’agit d’une coopération économique étroite sans institutions et organisations supranationales. L’intégration économique nécessite une interaction approfondie et renforcée entre les gouvernements et la collaboration entre les peuples, néanmoins les pays peuvent coopérer dans des domaines spécifiques tout en maintenant leurs systèmes économiques et cadres réglementaires nationaux distincts.

L’Asie centrale, avec une population de plus de 70 millions d’habitants, n’utilise toujours pas pleinement son potentiel économique, de transport et énergétique. La coopération régionale implique de multiples participants, et un seul pays ne peut pas l’améliorer sans le soutien des autres, des efforts gouvernementaux conjoints et, surtout, de la volonté politique des dirigeants. Cette évolution positive de la coopération régionale s’est produite à la suite de différentes passations de pouvoir en Ouzbékistan (2016), au Kazakhstan (2019), au Kirghizistan (2021) et au Turkménistan (2022), faisant suite à une longue période de stagnation au niveau des relations bilatérales et régionales.

Firdavs Kobilov
Journaliste pour Cabar

Traduit du russe par Macha Toustou

Edité par Helmand Gardezi

Relu par Helene Witkowski

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