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La surprenante toponymie de Tachkent

D’où viennent les noms de certains quartiers de la capitale ouzbèke ? Le guide Aziz Khalmouradov a décidé de se pencher sur la toponymie inhabituelle de Tachkent. Il raconte comment une barrière est devenue un point de repère populaire ou encore comment le Gange s’est trouvé une place dans la ville.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 22 décembre 2020 par le média ouzbek gazeta.uz. À Tachkent, de nombreux endroits portent des noms que ne connaît pas la toponymie officielle et qui ne se trouvent sur aucune carte de la ville. Un exemple : le quartier environnant la station de métro Bouïouk Ipak Youli, anciennement nommée Maxime Gorki. Personne ne s’est habitué à l’abréviation BIY pour désigner le quartier. L’expression « à Gorki » ou « Gorki » est restée bien établie. Les habitants appellent également le quartier « Maximka ». Lire aussi sur Novastan : Le métro de Tachkent, ou la sauvegarde de l’esthétique soviétique Le « Broadway tachkentois » est aussi un bon exemple. En effet, personne n’utiliserait le nom officiel du quartier, Sayilgokh.

Tachkent Ouzbékistan Architecture
Une mosaïque dans le quartier de Karakamych.

D’où viennent les noms de certains quartiers de la capitale ouzbèke ? Le guide Aziz Khalmouradov a décidé de se pencher sur la toponymie inhabituelle de Tachkent. Il raconte comment une barrière est devenue un point de repère populaire ou encore comment le Gange s’est trouvé une place dans la ville.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 22 décembre 2020 par le média ouzbek gazeta.uz. À Tachkent, de nombreux endroits portent des noms que ne connaît pas la toponymie officielle et qui ne se trouvent sur aucune carte de la ville. Un exemple : le quartier environnant la station de métro Bouïouk Ipak Youli, anciennement nommée Maxime Gorki. Personne ne s’est habitué à l’abréviation BIY pour désigner le quartier. L’expression « à Gorki » ou « Gorki » est restée bien établie. Les habitants appellent également le quartier « Maximka ». Lire aussi sur Novastan : Le métro de Tachkent, ou la sauvegarde de l’esthétique soviétique Le « Broadway tachkentois » est aussi un bon exemple. En effet, personne n’utiliserait le nom officiel du quartier, Sayilgokh.

Les dénominations géographiques de la capitale, officielles ou non, viennent du perse, de l’arabe, du turc, de l’ouzbek, du russe, de l’anglais et de biens d’autres langues. Mais certains noms ont été créés par les Tachkentois eux-mêmes.

Chlamba

Dans le nord-ouest de la ville, dans le quartier d’Almazarsky, les habitants appellent Chlamba l’endroit qui relie la rue Nozartepa à la rue Keles Youli. À Chlamba, il y a quelques immeubles de quatre étages en briques et quelques propriétés privées. À la fin des années 1950, cet endroit se situait à la périphérie de la ville, où il y avait un poste de police avec une barrière, « schlagbaum » en russe, mot venant de l’allemand. Il était difficile de prononcer le mot « schlagbaum », c’est pourquoi les habitants l’ont simplifié en « Chlamba ». Lire aussi sur Novastan : À Tachkent, des militants veulent préserver la vieille ville Un peu plus loin dans la rue Nozartepa, qui s’appelait avant Dadabaïev, du nom d’un activiste ayant participé à la mise en place du socialisme en Ouzbékistan, se trouvent des entreprises industrielles.

L’usine de réparation de pneus

En 1962, l’usine de réparation de voitures n° 10 a été mise en service. L’usine réparait principalement des camions GAZ-51, GAZ-52 et des bus PAZ. À l’origine de l’usine se trouvait un atelier de réparation de pneus. À cette époque, le nombre de pneus ne suffisait pas au pays : les livraisons n’absorbaient pas la demande. C’est pourquoi les pneus réparés représentaient une réponse optimale au problème.

L’usine a réparé des pneus jusqu’en 1998. De nos jours, cette activité n’est plus rentable. Le marché regorge d’une large gamme de nouveaux pneus et cette usine de réparation automobile s’occupe plutôt des camions, des moteurs diesel, de l’installation d’équipements à gaz et de la fabrication de carrosseries. L’usine produit également des abribus, des cales en caoutchouc, des tapis pour les véhicules légers ainsi que des revêtements en caoutchouc pour les terrains de football. Les matériaux obtenus à partir du traitement de vieux pneus usés sont utilisés pour la fabrication de ces produits. L’ironie du sort a transformé la vocation de l’usine : désormais, elle ne répare plus les pneus, mais les recycle.

Karakamych

Après Chlamba, le quartier Karakamych 1/4 commence. Au premier regard, rien ne saute aux yeux : partout des ensembles d’immeubles préfabriqués de l’époque de Nikita Khrouchtchev, identiques à ceux des autres quartiers de la ville. Mais la spécificité du lieu se trouve dans la décoration artistique des façades. Les pignons sont recouverts de mosaïques colorées – un type d’art monumental onéreux : les immeubles et les intérieurs des cours en sont décorés. Des œuvres de style avant-gardiste et moderniste ornent ces immeubles en les distinguant les uns des autres. Certains artistes y anticipaient déjà l’émergence de nouveaux mouvements. Des bandes verticales violettes ornées de motifs géométriques recouvrent les façades. Avec une telle couleur habituellement absente des cours d’immeuble, un simple bâtiment devient tout à fait agréable. Lire aussi sur Novastan : Tachkent, une ville sans avenir : les sept problèmes majeurs de la capitale ouzbèke D’ailleurs, juste à côté de l’immeuble violet se trouvent des mosaïques représentant les héros du poème Farkhrad et Chirine d’Alicher Navoï. Malheureusement, la mosaïque représentant Fakhrad n’a pas été conservée : il n’en reste que de petits fragments. Et Chirine est assise seule, attendant Fakhrad, protégée du mauvais œil par des cosses de piment. Peut-être est-ce pour cela qu’elle est si bien conservée ?

Le Gange

L’expression « je vis sur le Gange » renvoie les Tachkentois à une idée bien connue. En 1981, au croisement des rues Sebzor et Abdoullah Kadyr, une nouvelle enseigne a ouvert dans ce nouveau bâtiment. Ce magasin qui vendait des produits artisanaux indiens et des tissus de production nationale sur 780 mètres carrés était nommé Le Gange, en référence au grand fleuve indien. Il est rapidement devenu prisé des habitants et des visiteurs de la capitale. L’enseigne approvisionnait Tachkent en vêtements indiens, décorations, sacs en cuir, vases en laiton, bâtons d’encens et souvenirs. À l’époque soviétique, les produits de ce magasin étaient considérés comme rares et luxueux.

Le temps a passé et le magasin n’est plus. Désormais, en face de l’ancienne boutique, dans le petit square de jeunes bouleaux, l’enseigne Le Gange vend du lavash, un pain arménien. Le plus triste est que les enseignes, écrites en hindi et en cyrillique, ont été retirées. Elles se trouvaient sur le fronton de l’immeuble, sous une jolie frise décorative en mosaïque. La roue de Samsara y était aussi représentée, symbolisant les cycles de vie. Il y avait aussi une ligne décorative, faite de la représentation graphique du son sacré « Om ». Tous les symboles et les lettres étaient doublés de néons colorés. Après la fermeture du magasin, les enseignes et les symboles ont rappelé encore longtemps l’histoire de ce lieu. Le Gange a accueilli des touristes internationaux alors qu’ils se dirigeaient vers la place Khast-Imam et le bazar Tchorsou. Sans doute que les touristes, voyant ces inscriptions, s’étonnaient et se réjouissaient de l’attention que portaient les Ouzbeks à l’Inde, plaçant à l’endroit le plus visible les symboles de ce pays fabuleux. Cependant, il y a quelques années, toutes les inscriptions et tous les symboles ont été démantelés et détruits. Mais le nom du Gange n’a pas disparu de la bouche des Tachkentois. Les habitants continuent, en dépit de la station de métro appelée Gafour Gouliam située à proximité, à appeler cet endroit le Gange.

La France tachkentoise

Le nom de la France tachkentoise est apparu au début des années 1990. Entre les anciennes avenues des Cosmonautes et de Sapiornaïa, dans la cour d’un des immeubles, il y avait alors, peinte en blanc sur le toit d’un kiosque, l’inscription en lettres latines : « France ». Mais les habitants ont commencé à donner ce nom à leur quartier à cause de la disposition des immeubles, « à la française ». Non, les Français n’ont pas planifié et construit ces immeubles. Il existe bien une version selon laquelle les panneaux présents dans ces ensembles d’habitations ont été produits d’après des plans français. Il est possible que l’œuvre du moderniste Le Corbusier, initiateur du brutalisme des immeubles d’habitation, ait influencé les architectes soviétiques. Il est aussi possible que les architectes se soient inspirés des projets d’autres collègues français, dont les œuvres ont été présentées lors d’expositions et de conférences internationales. Lire aussi sur Novastan : L’architecture soviétique de Tachkent a-t-elle encore de la valeur ? Les pignons des immeubles de huit étages sont décorés de panneaux de mosaïques des frères Jarski. Les artistes Piotr, Nikolaï et Aleksandr Jarski sont nés en France d’une famille d’émigrés russes.

Les frères Jarski

L’aîné des frères, Piotr Jarski, a étudié à l’école des Beaux-Arts en France. En 1947, sa famille déménage en URSS. Il termine alors ses études à l’Ecole supérieure d’art et d’industrie de Leningrad, tandis que Nikolaï obtient un diplôme de l’Académie des beaux-arts de Leningrad et Aleksandr de l’Ecole d’art de Kazan. Après le tremblement de terre de 1966 à Tachkent, les trois frères arrivent dans la capitale ouzbèke et travaillent en tant qu’artistes dans une usine de produits en béton armé. Lire aussi sur Novastan : Les mosaïques de Tachkent, héritage des frères Jarski Les ornements géométriques et végétaux des frères Jarski perpétuent la tradition des bâtisseurs qui ont décoré Samarcande et Boukhara en adaptant des motifs orientaux à ces immeubles « français ». Les entrées des bâtiments sont décorées de mosaïques bigarrées avec des éléments de décoration en relief. Il y en a huit dans chaque bâtiment – chaque entrée est parée de motifs différents. Les artistes ont paré de nombreuses villes de leurs mosaïques, mais Tachkent expose la majorité de leurs œuvres. Il faut espérer que dorénavant les mosaïques des frères Jarski seront protégées et non masquées par des panneaux publicitaires.

La maison des frères Jarski

Près de ce quartier se trouve une maison de trois étages. Les fenêtres du rez-de-chaussée à l’arrière de la maison sont originales : elles sont bordées d’auvents en béton dont les côtés sont biseautés. Sur la même façade se trouve un parapet avec des balustrades obliques reposant sur la visière en béton de la porte d’entrée. L’auvent au-dessus de la porte, à son tour, est biseauté dans le sens inverse des auvents des fenêtres. C’est la maison des artistes, construite en 1972. Au rez-de-chaussée se trouvent les ateliers d’artistes de renom, et aux étages supérieurs leurs appartements. Une plaque commémorative rappelle que l’artiste ouzbek Tchinguiz Akhmarov, auteur des célèbres peintures murales du théâtre Alicher Navoï et des compositions artistiques à la station de métro Alicher Navoï, a vécu et travaillé dans ce bâtiment.

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Dans la cour se trouvent des sculptures et des graffitis, ainsi qu’un atelier construit séparément par Yigitali Toursounnazarov, de l’Académie des arts. Des artistes ayant reçu de nombreuses récompenses vivent et travaillent dans cette maison, comme Damir Rouzybaïev, Ilkhom Djabbarov, Djavlon Oumarbekov, Bakhodir Djalalov, ou encore le sculpteur Touliagan Tadjikhodjaïev. En face de leur maison, dans le jardin pour enfants, prend place une grande volière avec des colombes. C’est l’une des rares cours de Tachkent où les oiseaux ont droit à leur propre espace.

Aziz Khalmouradov Auteur pour Gazeta.uz

Traduit du russe par Leonora Fund

Édité par Paulinon Vanackère

Relu par Emma Jerome

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