Hamid Ismaïlov est l’un des écrivains ouzbeks les plus lus et appréciés dans le monde. Après des études de journalisme à Tachkent, il est contraint de quitter l’Ouzbékistan à cause de son activisme politique et se réfugie au Royaume-Uni en 1992. Ses œuvres restent interdites dans son pays.
La revue littéraire Jentayu l’a rencontré pour parler de son dernier roman (encore inédit en France) et de la littérature d’Asie centrale. Novastan republie le début de leur entrevue.
Vous avez dit dans une interview : « je n’ai jamais vu cette diversité de cultures et de peuples décrite dans la littérature soviétique. » Vos romans Contes du chemin de fer, ainsi que votre dernier roman encore non-publié, Manastchi – Le conteur de Manas, sont de parfaits exemples de la coexistence, mais aussi des conflits des cultures en Asie centrale. Pourquoi ce thème est-il si proéminent dans votre œuvre ? Les autres écrivains d’Asie centrale soulignent-ils cet héritage mixte, ou, au contraire, se replient-ils sur leur propre culture dans un discours mono-ethnique ? Les frontières relativement jeunes de l’Asie centrale contemporaine isolent-elles les écrivains ?
Je pense que c’est un problème qui dépasse la spécificité soviétique. Prenez pour exemple la littérature anglaise ou française (ou tout autre littérature européenne), et vous verrez que tous les personnages principaux sont des Blancs. C’est pratiquement impossible de trouver des personnages non-Blancs, sauf si l’auteur est lui-même non-Blanc. Au contraire, le monde dans lequel j’ai grandi et vécu était un riche mélange de langues, de croyances, d’attitudes par rapport à la vie. Mon seul but est de dépeindre cette réalité qui m’entourait, et dont je faisais partie.
C’est la même chose ici au Royaume-Uni. Un de mes derniers romans, Gaya, la reine des fourmis, décrit des personnages divers : l’un est à moitié ouzbek, les autres sont turcs, irlandais, karakalpak, anglais, français, indiens, etc. Pour moi, c’est très étrange d’observer le gouffre qu’il y a entre la réalité telle qu’elle est décrite dans les livres ou dans les films, et celle qu’on vit au quotidien.
En ce qui concerne mes compatriotes, ils écrivent des romans purement ouzbeks, et pour des lecteurs ouzbeks uniquement. Et c’est la même chose pour les écrivains kirghiz ou tadjiks. Je considère que c’est précisément cette culture mono-ethnique, mono-raciale et ghettoïsée qui est responsable de l’état actuel du monde, de sa violence et de ce nationalisme omniprésent.
Comment est perçue la littérature d’Asie centrale aujourd’hui ? Tout d’abord, dans sa région d’origine : les gens lisent-ils leur propre littérature ? Existe-t-il des plateformes et des espaces pour accéder à ces textes ? Quel est le paysage linguistique – les gens lisent-ils en langues locales ou en russe ? Y-a-t-il des traductions entre le kirghiz et le tadjik, ou l’ouzbek et le kazakh ?
La littérature ne meurt jamais. Ceci est d’autant plus valable en Asie centrale où l’art de raconter des histoires a une tradition millénaire. Il suffit de mentionner le Manas, la plus longue épopée au monde. N’oublions pas que dans les Mille et Une Nuits, chaque épisode est raconté au frère du sultan de Samarcande.
Mon ami Marat Akhmedjanov, en charge de la maison d’édition Silk Road Media, organise chaque année un festival littéraire. Cette année, il a reçu 1400 manuscrits pour son concours littéraire. Les textes sont pour la plupart écrits en russe, mais certains écrivent aussi dans leur langue. Et le second prix du concours a été attribué à un écrivain ouzbek, Moukhammad Charif, pour une œuvre écrite en ouzbek.
En ce qui concerne les traductions, les gens sont relativement actifs en Ouzbékistan. De jeunes traducteurs introduisent des œuvres traduites de langues européennes et asiatiques, car il existe une revue de littérature mondiale, Jahon Adabiyoti. Mais les traductions entre langues d’Asie centrale restent extrêmement rares.
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Propos recueillis et traduits par Filip Noubel