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Pourquoi le Tadjikistan et le Kirghizstan peinent à mettre fin aux conflits à leur frontière ?

Le 14 septembre dernier, des affrontements sanglants ont éclaté en divers points de la frontière tadjiko-kirghize et ont coûté la vie à des dizaines de personnes. Des pourparlers entre les présidents des deux pays ont eu lieu dans le cadre du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai, mais seulement après que les Comités de sécurité nationale des deux pays se soient mis d'accord sur un cessez-le-feu, qui n’a d'ailleurs pas été respecté.

Tadjikistan Kirghizstan Drapeau
Le conflit à la frontière entre le Tadjikistan et le Kirghizstan s'est intensifié (illustration).

Le 14 septembre dernier, des affrontements sanglants ont éclaté en divers points de la frontière tadjiko-kirghize et ont coûté la vie à des dizaines de personnes. Des pourparlers entre les présidents des deux pays ont eu lieu dans le cadre du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, mais seulement après que les Comités de sécurité nationale des deux pays se soient mis d’accord sur un cessez-le-feu, qui n’a d’ailleurs pas été respecté.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 16 septembre 2022 par le média kirghiz Kloop.

Introduction par les rédacteurs de Novastan : Depuis le 14 septembre dernier, les affrontements les plus graves se déroulent à la frontière tadjiko-kirghize. Alors que les conflits armés, récurrents depuis des années, sont généralement localisés et prennent la forme d’échanges de tirs, les affrontements les plus récents ont atteint un niveau inégalé en raison du grand nombre de foyers de conflit et de l’utilisation d’armes lourdes. Les deux parties s’accusent mutuellement et le cessez-le-feu convenu n’a pas été observé. Selon les dernières informations, 59 personnes ont été tuées et 163 blessées du côté kirghiz. Le Tadjikistan, pour sa part, fait état de 41 morts.

Il n’a fallu qu’une journée pour que les combats qui ont éclaté dans la région de Batken se répandent plus largement le long de la frontière entre le Kirghizstan et le Tadjikistan, rapporte le Comité d’État pour la sécurité nationale du Kirghizstan (UKMK). Le premier jour, des signalements ont établi que des résidents locaux avaient été blessés par des éclats d’obus de tirs de mortier. Le deuxième jour, des chars ont brûlé et explosé dans la zone de conflit. Les zones résidentielles de Batken ont été bombardées par des camions lance-roquettes BM-21 Grad datant de l’époque soviétique et les habitants de la ville se sont pressés dans des files d’attente pour acheter de l’essence et quitter la région.

À Bichkek, la capitale du Kirghizstan, tout comme lors de l’intensification du conflit l’année dernière, des citoyens inquiets se sont rassemblés pour exiger que les autorités cessent les affrontements armés. Un des militants, Temour Makhmoudov, s’indignait : « [Les présidents du Tadjikistan et du Kirghizstan] sont assis à la table de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), mais pendant ce temps, le peuple souffre », rapporte le média kirghiz Kaktus.

Un échange de terres pratiquement impossible

Les députés du Conseil suprême du Kirghizstan ont tenté de calmer les manifestants, mais les informations très attendues sur les négociations entre Emomali Rahmon et Sadyr Japarov à Samarcande ne sont parues que le 16 septembre 2022 en fin de journée.

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Temour Oumarov, un membre du comité scientifique de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, interviewé par le média kirghiz Kloop, estime que l’apparition tardive des rapports de pourparlers entre les deux présidents est normale. « Pour résoudre le problème [avec les frontières], il faut faire des concessions. Mais ni Emomali Rahmon, ni Sadyr Japarov ne seront en capacité de le faire. » Cela s’explique par le fait que le vieillissant président tadjik est occupé par la préparation de la passation du pouvoir à son fils, mais aussi parce que Sadyr Japarov organise un kurultai, une assemblée traditionnelle centrasiatique.

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« Comment une personne qui défend les intérêts des Tadjiks dans le monde entier peut-elle donner des terres au Kirghizstan, alors que des Tadjiks y vivent ? Si le président kirghiz fait quelque chose du même ordre, il est fort probable que son propre électorat organise des manifestations massives. Donner les terres est une décision très impopulaire. Et sans cela, il est impossible de résoudre ce conflit territorial. Par conséquent, comme la dernière fois, ces questions ne seront discutées que par les deux chefs des Comités d’État de la sécurité nationale », suggère le chercheur.

Un conflit qui se répète

Les affrontements actuels sur la frontière entre le Kirghizstan et le Tadjikistan découlent de dizaines de conflits de différentes ampleurs qui ont lieu presque chaque année dans les zones frontalières. Plusieurs raisons l’expliquent. Le Kirghizstan et le Tadjikistan ont 972 kilomètres de frontière en commun, dont 600  kilomètres seulement sont considérés comme régularisés par les deux pays. Plus de 70 sections de la frontière sont des zones controversées. Des conflits surviennent à certains endroits, autour des villages kirghiz d’Ak-Saï, Kok-Tach, Samarkandek et des villages tadjiks de Tchorkou et Sourkh, ainsi qu’autour de l’enclave tadjike de Voroukh.

Temour Oumarov Chercheur
Le spécialiste Temour Oumarov.

Temour Oumarov rappelleque les deux pays revendiquent les zones contestées en utilisant leur passé soviétique de la manière qui les arrange. Le Tadjikistan utilise les cartes de la période soviétique des années 1924-1939, expliquant que Voroukh n’est pas une enclave, mais une partie convexe du territoire du pays et ajoute que la route qui relie la ville au Tadjikistan fait partie de son territoire.Le Kirghizstan quant à lui préfère se fier aux cartes des années 1958-1959, selon lesquelles Voroukh est bien une enclave du Tadjikistan, entourée par le territoire kirghiz. Malgré ces disputes, les communautés tadjikes et kirghizes de ces villages ne sont pas séparées. Elles vivent proches les unes des autres sans distinction ethnique.

Des terres agricoles convoitées

L’économie contribue également à la naissance des conflits sur ces territoires : les trois quarts de la population de la région de Batken au Kirghizstan et de la région de Soghd au Tadjikistan vivent de l’agriculture. Il est assez difficile de gagner sa vie dans ces endroits dans d’autres secteurs d’activité. C’est pourquoi la question de la propriété foncière pour les résidents des deux côtés est particulièrement importante.

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Plus encore, le taux de chômage dans ces régions frontalières est très élevé. Au Kirghizstan, la région de Batken compte le taux de chômage le plus élevé du pays. Les habitants sont très dépendantsdes transferts d’argent de la part de leurs proches qui ont migré à l’étranger, et il leur est difficile de partir travailler dans d’autres régions du pays en raison de l’éloignement et de l’isolement de la région de Batken, précise Temour Oumarov. 

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La Russie a proposé sa médiation dans le conflit, mais la suggestion n’a pas provoqué de réaction de la part du Kirghizstan ou du Tadjikistan. Il faut noter qu’en 2020, le Tadjikistan avait rejeté une telle proposition du Kremlin.

Victor Moukhine
Journaliste pour Kloop

Traduit du russe par Jelena Dzekseneva

Edité par Frédérique Faucher

Relu par Élise Piedfort

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