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Les raisons du soutien kirghiz à la Russie

Le Kirghizstan semble rester le plus fidèle soutien à la Russie en Asie centrale du point de vue politique. Cependant, le pays essaye de prendre ses distances par rapport au conflit en Ukraine.

Kirghizstan Soutien Russie
Le Kirghizstan demeure un soutien pour la Russie (illustration).

Le Kirghizstan semble rester le plus fidèle soutien à la Russie en Asie centrale du point de vue politique. Cependant, le pays essaye de prendre ses distances par rapport au conflit en Ukraine.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 14 juin 2022 par le média kirghiz Kloop.

Cet article exprime les opinions personnelles de l’auteur et non celles de la rédaction de Kloop.

L’invasion russe en Ukraine a divisé le Kirghizstan. Les tentatives de maintien d’une salutaire neutralité se heurtent à l’implacable dépendance du pays à la Russie, à la nostalgie soviétique d’une partie de la population ainsi qu’au désir naturel de se protéger des vents de l’histoire, en s’accrochant à quelque chose de plus grand.

Ainsi, les Kirghiz ne se projettent pas dans un autre univers que dans celui du monde russe, tandis que la culture politique du pays évoque de plus en plus celle de la Russie. À terme, la République kirghize pourrait en payer de sa souveraineté, la réduisant à un statut similaire à celui de Kaliningrad, à une exclave asiatique de la Russie, encerclée par des voisins farouchement indépendants.

Des distances difficiles à prendre avec le conflit

Le Kirghizstan essaye cependant de prendre ses distances avec cette guerre. Comme au Kazakhstan voisin, afficher la lettre Z sur sa voiture est puni d’une amende et il est demandé de ne pas utiliser ce symbole pendant les fêtes. De même, les deux pays ont annulé le défilé militaire du 9 mai, bien que la marche du Régiment des immortels ait eu lieu.

Ici, la police a traité avec indulgence les alpinistes russes qui ont planté un drapeau ukrainien sur le pic Poutine le jour du Forum économique eurasiatique, tandis que le ministère de la Culture a annulé le festival de cinéma russe Le temps de la vérité, avec ses films de propagande sur la guerre dans le Donbass, expliquant cette décision par « la position de neutralité du Kirghizstan. »

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Pour autant, le 26 février dernier, le Kremlin a révélé qu’au cours d’un échange téléphonique avec Vladimir Poutine, le président Sadyr Japarov avait soutenu « les actions décisives du côté russe pour protéger la population pacifique du Donbass ». Le bureau du président n’a apporté aucun démenti clair.

Des manifestations interdites

Les manifestations devant l’ambassade de Russie ont été interdites, de même que tout rassemblement sur le sujet de l’Ukraine. La police n’a pas empêché le rassemblement en soutien à la Russie place Gorki, auquel a participé le mouvement panrusse Iounarmia, alors qu’un évènement pro-ukrainien a, lui, été dispersé et ses participants arrêtés.

Il ne s’agissait pas formellement d’une manifestation, mais plutôt d’une marche en direction de l’ambassade de Russie, devant laquelle les tribunaux avaient interdit tout rassemblement. Alors que la garde d’honneur kirghize participe aux enterrements des morts russes, une procédure pénale a été initiée à l’encontre d’un Kirghiz combattant du côté ukrainien.

À l’origine de la dépendance kirghize

Cette position prend racine dans la profonde dépendance économique du Kirghizstan vis-à-vis de la Russie. Le Kirghizstan s’avère être le partenaire idéal du puissant conglomérat d’entreprises qui dirige la Russie moderne. L’argent gagné en Russie par ses citoyens est principalement dépensé en carburant et produits de consommation, eux-mêmes produits dans ce même pays. Pendant ce temps-là, l’économie nationale ne se développe pas.

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Sur les 20 dernières années, le principal partenaire économique du Kirghizstan a préféré lui donner du poisson plutôt qu’une canne à pêche. À l’exception du gisement d’or de Djerouï, les investisseurs russes n’ont pas construit une seule installation industrielle d’importance qui aurait pu contribuer à poser les bases de l’indépendance économique du pays. Et ce malgré les accords passés.

Si RusHydro et Inter RAO avaient construit comme promis les cascades pour les centrales hydroélectriques kirghizes de Verkhne-Naryn et de Kambarata, la production d’énergie aurait été aujourd’hui suffisante pour couvrir non seulement la demande locale, mais aussi celle de l’export.

Des projets sans cesse repoussés

Pourtant, Moscou a retardé ces projets. En 2015, après la mise en place des sanctions qui ont suivi l’annexion de la Crimée, Moscou a dû avouer que les fonds étaient insuffisants pour les financer. Si le chemin de fer Chine-Ouzbékistan-Kirghizstan avait été construit, le Kirghizstan aurait pu bénéficier des revenus du transit de marchandises. Néanmoins, depuis 20 ans, les litiges perdurent, notamment ceux concernant les revendications de Moscou au sujet de la largeur d’écartement des rails.

En principe, la Russie devrait dépoussiérer l’agriculture kirghize, à la fois respectueuse de l’environnement et de grande qualité. D’autant plus que celle-ci est relativement modeste : les entreprises agricoles russes ne souffriraient certainement pas des importations. Pourtant, dès que le Kirghizstan a rejoint l’Union économique eurasiatique (UEE), ses partenaires l’ont accusé de contrebande et les camions ont commencé à prendre du retard à la frontière avec le Kazakhstan.

En revanche, la Russie accorde volontiers des prêts, du carburant et des armes. Cela permet de soutenir le pays sans rien y changer, ou du moins de préserver la dépendance du Kirghizstan à la Russie. Ainsi, le comportement servile de Sadyr Japarov auprès du Kremlin, qui n’est pas sans rappeler celui des dirigeants de certaines régions russes, lui vaut les regards mauvais de ses collègues.

Se tourner vers la Chine

Le problème est que l’intérêt de la proximité économique avec la Russie se dégrade au fur et à mesure que la crise s’aggrave avec la guerre et les sanctions. Si les migrants n’ont plus rien à envoyer à leurs familles, la plateforme qui aura porté le président Sadyr Japarov au pouvoir pourrait se retourner contre lui.

Cependant, après les troubles de janvier survenus au Kazakhstan voisin, le président devrait pouvoir compter sur l’aide de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Plutôt que de chercher prudemment des alternatives économiques, le Premier ministre kirghiz fait des déclarations provocatrices : « Si la fenêtre vers l’Europe se ferme, nous sommes prêts à ouvrir les portes de l’Asie. »

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Mais de quelle Asie ? Celle de la Chine dont les entreprises réduisent les exportations de smartphones vers la Russie afin de ne pas avoir à se préoccuper de savoir s’ils contiennent des composants soumis aux sanctions ?

L’adoption d’une rhétorique russe

Ce pronom « nous » dans la bouche du Premier ministre Akylbek Japarov est symbolique : le Kirghizstan est presque le seul pays de l’UEE dont les dirigeants ont suivi la rhétorique du front russe anti-occidental. Les dirigeants du riche Kazakhstan ne sont pas les seuls à éviter cette rhétorique. Il en est de même pour le Tadjikistan, dont le PIB dépend pour un tiers des envois d’argent de Russie et de la modeste Arménie dont les monopoles russes possèdent la totalité des infrastructures. Peut-être le président et le Premier ministre croient-ils sincèrement au brillant avenir de l’UEE en tant que pôle géopolitique.

Toutefois, le zèle des fonctionnaires risque d’entraîner le Kirghizstan dans le périmètre des prochaines sanctions de l’Occident, ce qui serait une catastrophe pour l’État. Si Sadyr et Akylbek Japarov sont confortablement installés sur la proue du Titanic, tels Leonardo Di Caprio et Kate Winslet, qu’en est-il du reste du pays ?

Un soutien marqué par le Premier ministre

C’est bien là la question principale. Il n’existe aucune étude sur l’opinion des citoyens kirghiz au sujet de la guerre en Ukraine, mais le ressenti est que les soutiens de la Russie sont plus nombreux parmi les Kirghiz que dans tout autre pays d’Asie centrale. Cela est dû non seulement à l’économie et à l’influence des médias russes, mais aussi à la proximité des cultures politiques. « Je dois dire avec une grande fierté que nous sommes un pays où le russe est la langue officielle », a déclaré Akylbek Japarov dans une interview pour le média russe Kommersant.

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« Et nos enfants déclarent encore leur amour dans la langue d’Essénine et de Pouchkine. Nous avons préservé le 23 février. […] Nous avons gardé le 8 mars. Nous avons le 1er et le 9 mai (des fêtes de l’époque soviétique, ndlr), et tous les monuments aux vétérans de la Grande guerre patriotique sont protégés et entretenus. Nous remercions le sort d’avoir vécu à l’époque de ce qu’on appelait autrefois l’Union soviétique. Et aucun d’entre nous ne proteste contre les monuments de Lénine. C’est que nous sommes plus russophones que les Russes eux-mêmes », ajoute-t-il.

Nostalgie soviétique

Le Premier ministre n’est pas tout à fait précis dans ses propos : il ne s’agit pas tant de russophonie que de soviétisation, dont le niveau au Kirghizstan semble être plus élevé que partout ailleurs en Asie centrale. Les plus âgés sont atteints de la même nostalgie de l’URSS qu’en Russie. Celle-ci n’est pas tempérée par le bien-être pétrolier kazakh ou la fierté tadjike.

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Quant aux jeunes, ils soutiennent la Russie pour des motifs rationnels, craignant que leurs projets de vie ne s’effondrent avec l’économie. Pourtant, celle-ci s’effondre déjà : perte d’emploi, baisse de revenus, hausse des prix. Entre-temps, la politique intérieure du Kirghizstan se transforme rapidement en y incorporant les pires caractéristiques de la politique russe. La censure se renforce, les autorités menacent publiquement leurs détracteurs, harcèlent les journalistes d’opposition et perturbent les spectacles des humoristes.

Viktor Moukhine
Journaliste pour Kloop

Traduit du russe par Thomas Baconin

Édité par Paulinon Vanackère

Relu par Emma Jerome

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