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Comment Sadyr Japarov et Kamtchybek Tachiev légalisent la mafia d’Etat

Déjà critiquée pour ses dérives autoritaires, la politique du président Sadyr Japarov a franchi un nouveau cap ces derniers mois en normalisant des pratiques criminelles. Kloop, média particulièrement visé, dénonce ces dérives mafieuses et l'hostilité de l'Etat aux libertés individuelles.

Sadyr Japarov Kirghizstan

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Sadyr Japarov, le président kirghiz, légalise la mafia d'Etat. Photo : Douma de la Fédération de Russie.

Déjà critiquée pour ses dérives autoritaires, la politique du président Sadyr Japarov a franchi un nouveau cap ces derniers mois en normalisant des pratiques criminelles. Kloop, média particulièrement visé, dénonce ces dérives mafieuses et l’hostilité de l’Etat aux libertés individuelles.

Cet article est publié dans la section Edito du média kirghiz Kloop et relève de l’opinion personnelle de son auteur et non de celui de la rédaction.

« Nous survivons dans un Etat autoritaire qui réduit à néant l’opposition, la société civile et la liberté de l’information. La réponse des pouvoirs kirghiz aux évènements d’août et de septembre prouvent qu’une mafia d’Etat est instaurée dans le pays, où les véritables criminels sont acquittés et les activistes emprisonnés », affirme le média khirgiz Kloop.

Le président Sadyr Japarov, qui s’est accaparé le pouvoir en 2020, ainsi que son co-dirigeant Kamtchybek Tachiev issu des services secrets, ont établi une dictature au Kirghizstan. Cette dernière a été maintes fois dénoncée par la rédaction de Kloop et d’autres médias. La liste des dérives du pouvoir kirghiz est longue : quasi-coup d’Etat en 2020, réécriture de la Constitution, mutation du pouvoir parlementaire en pouvoir présidentiel, interdiction des manifestations, fermeture des médias, arrestation des opposants…

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Ces dérives, déjà connues sous la présidence de Kourmanbek Bakiev (2005-2010), semblent s’intensifier depuis l’arrivée au pouvoir de Sadyr Japarov. Au regard des dernières actualités, il apparaît en effet que le pouvoir kirghiz devient de plus en plus criminel et hostile aux défenseurs de la liberté.

La paix dans les palais, la guerre dans les chaumières

Aux yeux des dirigeants kirghiz, il n’existe que deux camps : leurs alliés et leurs opposants. Et la liste de ces derniers s’allonge de manière inquiétante.

D’août à septembre, 20 évènements ont secoué l’actualité kirghize. Près de la moitié de ces affaires portait sur la réhabilitation des criminels, la relaxe de corrupteurs, ou encore la légalisation du népotisme. Les autres cas traitaient de l’emprisonnement abusif des opposants, de menaces proférées à l’encontre de ceux qui critiquent le pouvoir, ou encore de la restriction dramatique de la liberté d’expression.

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Ainsi, le beau-frère du procureur général Kourmankoul Zoulouchev a été libéré après un séjour en prison de quatre mois pour corruption aux douanes. De même, le parrain du banditisme Raïmbek Matraïmov a passé quelques jours en prison avant d’être acquitté en cour de justice. Akhmatbek Keldibekov, jugé pour corruption en 2011, a quant à lui été acquitté sous la présidence de Sadyr Japarov. De son côté, Oulan Japarov, parent du président, n’a toujours pas été inculpé malgré sa mise en détention depuis juin pour une affaire de corruption aux douanes.

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Selon le député Askar Akaïev, tous les condamnés pour affaire de corruption ont été libérés, ainsi que 88 coupables d’abus de mineurs. En revanche, les manifestants défenseurs du réservoir d’eau de Kempir-Abad sont emprisonnés depuis presque un an sans avoir été jugés publiquement. La plupart de ceux qui ont été libérés vivent en résidence surveillée après avoir passé plus de six mois en détention.

Les lois changent mais n’évoluent pas

Sadyr Japarov et Kamtchybek Tachiev ne sont pas les premiers à blanchir les corrompus, contrebandiers et fonctionnaires, ni à s’acharner sur les activistes, opposants, journalistes et simples citoyens révoltés sur les réseaux sociaux. Mais à la différence des gouvernements précédents, le pouvoir œuvre aujourd’hui à en faire une norme légale.

L’Etat légalise les actifs corrompus des politiciens, qui seront même exemptés de déclaration fiscale pour la première fois cette année. Le gouvernement permet aux entreprises d’Etat d’avoir accès aux marchés publics, et restreint les appels d’offres concurrentiels. Il permet également au président de décider de ce qu’une entreprise achète, auprès de qui et à quel prix.

A l’inverse, le travail des observateurs électoraux est entravé. Les archives ouvertes du procureur général et du ministère de l’Intérieur, qui contenaient des informations importantes sur les condamnations de personnes influentes, ont été supprimées. Par ailleurs, les verdicts des tribunaux dans les affaires de corruption ne sont plus rendus publics.

A en juger ses prises de parole, le président Sadyr Japarov est convaincu que la corruption est moins néfaste que l’activité des journalistes, car elle permet des investissements dans l’économie du pays.

Corruption et népotisme sont pleinement assumés

Si les corrompus sont fidèles au gouvernement kirghiz, c’est que Sadyr Japarov ne condamne pas leurs fraudes. Plus grave encore, le président kirghiz normalise le vol et la corruption.

L’année passée, le chef d’Etat a ainsi évoqué la corruption pratiquée par ses prédécesseurs. Il a également loué le talent de gestionnaire du directeur de la raffinerie de Djalalabad, qui n’est autre que le neveu de Kamtchybek Tachiev. Ce dernier a notamment permis aux proches du chef des services de sécurité de gagner 37 millions de soms (380 000 euros) via la revente de produits pétroliers. Des actes restés non condamnés.

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Cette année, Sadyr Japarov a réprimandé les représentants des syndicats du pays pour avoir ruiné les hôtels d’Yssyk Koul, et les a accusés de « vol » et de « détournement ». Mais là encore, aucune condamnation n’a été prononcée.

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Le tandem dirigeant semble faire ce qu’il lui plaît, le plus souvent en dehors du cadre de la loi. Ainsi, le frère de Sadyr Japarov s’est rendu en Turquie pour vendre de l’or de l’Etat, sans jouir d’autre statut que de celui de frère du président. Le plus jeune fils du président, Roustam Japarov, est quant à lui impliqué dans plusieurs grandes entreprises du pays en qualité de fils du président. Le chef d’Etat le justifie ainsi : « Où est le problème ? Les investisseurs lui font confiance ».

Un point de bascule vers un Etat mafieux ?

Le pouvoir agit désormais selon ses propres lois de façon ouverte, ce qui constitue une nouvelle étape dans l’évolution du régime. D’une autocratie à un pouvoir autoritaire, le gouvernement kirghiz se rapproche à présent d’un Etat mafieux. L’ancien directeur de la Banque Mondiale, Naim Moises, définit comme mafieux un Etat où les pratiques illégales sont normalisées.

« Au lieu de lutter contre les puissants bandits, certains gouvernements ont repris leurs pratiques », déclarait-il en 2012. « Dans les mafias d’Etat, les fonctionnaires et leur entourage s’enrichissent, utilisant la violence, la pression politique et leurs liens avec des organisations criminelles mondiales pour élargir et asseoir leur pouvoir. En effet, les entreprises illégales les plus rentables au monde ne sont plus dirigées uniquement par des criminels, mais également par des fonctionnaires, législateurs et chefs de police. »

Bien que Naim Moises ne mentionne pas le cas du Kirghizstan, il est difficile de se défaire du sentiment qu’il parle de ce pays.

Viktor Moukhine
Journaliste pour Kloop

Traduit du russe par Thibaut Bacquaert

Édité par Juliette Savoret

Relu par la rédaction

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