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Kirghizstan : encore des freins au développement des énergies renouvelables

Affecté depuis quelques années par une crise énergétique, le Kirghizstan cherche à développer sa capacité de production hydroélectrique tout en diversifiant ses sources d’énergies. Le gouvernement a créé plusieurs dispositifs afin d’attirer les investisseurs étrangers mais les faibles prix de vente, le manque de professionnels de l’énergie et le réseau vieillissant risquent d’entraver le boom tant attendu des énergies renouvelables.

Eolienne Energie renouvelable
Le Kirghizstan cherche sa place dans les énergies renouvelables (illustration). Photo : Cabar Asia.

Affecté depuis quelques années par une crise énergétique, le Kirghizstan cherche à développer sa capacité de production hydroélectrique tout en diversifiant ses sources d’énergies. Le gouvernement a créé plusieurs dispositifs afin d’attirer les investisseurs étrangers mais les faibles prix de vente, le manque de professionnels de l’énergie et le réseau vieillissant risquent d’entraver le boom tant attendu des énergies renouvelables.

La COP 28, qui a eu lieu à Dubaï en décembre 2023 et à laquelle le Kirghizstan a participé, a réitéré l’appel à développer les énergies renouvelables. L’accord signé par les participants prévoit que ceux-ci sont tenus de tripler leur capacité de production d’énergie renouvelable à l’horizon 2030 dans le but de réduire le recours aux combustibles fossiles.

Le Kirghizstan est également sous pression à cause de la crise énergétique qui touche le pays depuis plusieurs années et qui semble s’accentuer. A l’été 2023, l’état d’urgence a été déclaré par décret présidentiel dans le secteur énergétique du pays et celui-ci restera en vigueur jusqu’en 2026.

Il manque trois millions de MégaWattheure d’électricité. Selon le directeur du Fonds pour l’énergie verte, Emilbek Orozbaïev, pour combler ce déficit, il faut donner un coup de boost aux énergies renouvelables.

Une réponse adéquate de la part du gouvernement ?

Dans une interview accordée à Cabar Asia, Emilbek Orozbaïev explique que 12 petites centrales hydroélectriques ont été mises en service dans tout le pays en 2023. En 2024, ce sera au tour de 16 autres de produire leurs premiers kiloWattheures.

Depuis mars 2023, le président a simplifié par décret l’octroi de terrain pour l’installation de capacité de production d’énergie renouvelable. « Alors qu’auparavant un investisseur qui s’implantait dans le pays devait s’adresser aux différentes administrations locales pour obtenir des terrains, il peut aujourd’hui passer par un dispositif dénommé Fenêtre unique qui a été lancé par le Fonds. Il aide les investisseurs à obtenir les permis de construire et les parcelles pour l’installation d’unités de production d’énergie renouvelable », indique Emilbek Orozbaïev.

Une résolution du gouvernement a de surcroît établi une liste régulièrement actualisée de biens et d’équipements exemptés de la TVA à l’importation sur le territoire de la République. La loi sur les renouvelables, qui a connu ces dernières années plusieurs révisions, prévoit une durée de rachat de l’électricité à un tarif préférentiel. Pour les projets hydroélectriques, cette période s’établit à 15 ans. Les parcs éoliens et solaires bénéficient quant à eux de 25 années.

Des alternatives à trouver face au manque d’eau

« Supposons qu’un investisseur construise une petite centrale hydroélectrique, qu’il la mette en service, la raccorde au réseau et vende sa production électrique. Alors, pendant 15 ans, l’Etat garantit le rachat de l’électricité produite », explique Emilbek Orozbaïev.

Le directeur du Fonds pour l’énergie verte ajoute que les autorités du Kirghizstan ne limitent pas la construction de petites centrales hydroélectriques. Il en ira de même pour les centrales solaires et les installations éoliennes.

« Avant, nous avions toujours assez d’eau, c’est pourquoi nous avons pu garder le cap de production grâce à l’hydroélectricité et au réservoir de Toktogoul. Mais la pratique ces dernières années nous a montré que l’eau se raréfie à cause du réchauffement climatique, c’est pourquoi nous agissons pour construire une alternative », continue le directeur du Fonds pour l’énergie verte.

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Ainsi, par exemple, dans l’oblast d’Issyk-Koul, un projet de construction d’une centrale solaire de 300 MégaWatts a été lancé en avril 2023. Ce sont les compagnies kirghize Bishkek Solar et russe Unigreen Energy qui pilotent la réalisation du projet. De même, d’après Emilbek Orozbaïev, un accord a été signé avec la compagnie chinoise China Power pour l’installation d’une centrale solaire d’1 GigaWatt.

Attirer les investisseurs étrangers

Le 26 mars dernier, au forum Atomexpo-2024 qui s’est tenu à Sotchi, le Kirghizstan a également signé un accord avec la division éolienne de Rosatom pour l’implantation de parcs éoliens. C’est l’oblast d’Issyl-Koul qui devrait accueillir les unités de production. Toujours d’après Emilbek Orozbaïev, il est prévu que des projets similaires soient réalisés également dans d’autres régions. Les investisseurs potentiels sont originaires de Corée du Sud, de France et des Emirats Arabes Unis notamment.

En résumé, pour Emilbek Orozbaïev, le Kirghizstan dispose d’un vrai potentiel de développement en ce qui concerne les énergies renouvelables. Au vu des plans, avant 2030, « la République va non seulement pouvoir développer le secteur mais aussi combler le déficit d’approvisionnement électrique et accroître la production dans le pays. »

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« Bien sûr, le point crucial, c’est le financement des projets. Alors que les petites centrales hydroélectriques peuvent être financées par des investisseurs locaux, les grands parcs éoliens et solaires demandent beaucoup de fonds. C’est pourquoi nous cherchons un moyen d’attirer les investisseurs étrangers », conclut-il.

Des prix de vente de l’électricité peu attractifs

Le prix de vente de l’électricité issue d’énergies renouvelables fait encore l’objet de discussions. En mars dernier, des changements à la loi sur les sources d’énergie renouvelable ont été adoptés en première lecture lors d’une session parlementaire.

Ces amendements proposent notamment de plafonner les prix de vente sur l’électricité de source renouvelable plutôt que d’imposer un tarif fixe, ce qui permet d’introduire un mécanisme d’enchères. Ainsi, le prix limite sera de 4,42 soms (4,7 centimes d’euro) par kiloWattheure, prix qui peut être encore abaissé.

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De plus, une correction mensuelle de ces tarifs sur l’électricité renouvelable sera instaurée. Cette correction sera fonction des taux de change entre la devise nationale et les devises étrangères de sorte à protéger les investisseurs des pertes encourues en cas de dévaluation.

Des prix fonction du taux de change

D’après la présidente de l’Association des énergies renouvelables, Eleonora Kazakova, le mécanisme de recalcul mensuel des tarifs reste flou. En effet, la loi sur les énergies renouvelables ne spécifie pas à partir de quelle devise étrangère le correctif sera calculé.

« Deuxièmement, la correction des tarifs, elle-même fonction de la variation du taux de change relevée au dernier jour du mois, va créer du désordre dans les opérations de facturation », explique Eleonora Kazakova. Selon elle, il serait plus raisonnable d’appliquer une correction annuelle, prenant en compte le coût de production réel qui, en 12 mois, peut évoluer, et le taux de change, qui est également déterminé par la loi.

Eleonora Kazakova
Eleonora Kazakova. Photo : Archives personnelles / Cabar Asia.

Dans le même temps, le directeur exécutif de l’Alliance verte du Kirghizstan, Ilguiz Kambarov, déplore le faible prix d’achat. Il en découle un faible intérêt pour les énergies renouvelables au Kirghizstan. « C’est pourquoi je pense qu’il faut envisager d’augmenter les tarifs », déclare Ilguiz Kambarov. « Et pas seulement pour développer les énergies renouvelables, simplement pour que l’électricité produite soit rentable. »

« Le prix de n’importe quelle marchandise doit couvrir au moins le coût de production, sinon produire n’aurait aucun sens », d’après la présidente d’Unison Group, Nourzat Abdyrasoulova. Elle affirme qu’il est indispensable de montrer distinctement de quoi est composée la taxe, de publier où et comment les moyens sont alloués. Il faudrait de même un système transparent de répartition des revenus. De la sorte, le consommateur final comprendra que chaque centime qu’il paie contribue au financement de l’infrastructure électrique et de la sécurité de l’approvisionnement dans son ensemble.

La fin de la manne hydraulique

Les experts s’accordent sur les opportunités de développement des énergies renouvelables au Kirghizstan. Cependant, pour que ce secteur fonctionne pleinement, il reste du pain sur la planche.

D’après Eleonora Kazakova, la question de l’approvisionnement en eau des petites centrales hydroélectriques reste en suspens : « Au fond, il manque un concept de droit à l’eau garantissant à l’investisseur le volume d’eau nécessaire à la production d’électricité pendant la durée d’exploitation de l’installation. La réponse à cette question doit clairement figurer dans la loi, en tenant compte du caractère prioritaire de l’irrigation. »

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Un autre problème est celui du volume d’électricité d’origine renouvelable que le Kirghizstan peut se permettre de produire. La presse évoque régulièrement un nouveau mémorandum tout juste signé qui prévoit la construction de nouveaux sites de production.

« A ce sujet, les autorités parlent constamment de l’usure du système électrique et des équipements, etc. Est-ce que notre réseau pourra supporter le volume additionnel d’électricité promis par les mémorandums ? L’état actuel du réseau ne le permet pas du tout », explique la spécialiste.

« Développer aussi l’éolien et le solaire »

D’après le directeur exécutif de l’Alliance Verte du Kirghizstan, Ilguiz Kambarov, il ne faut pas seulement compter sur les ressources hydriques et se limiter à quelques petites centrales hydroélectriques.

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« Je ne considère pas la politique de développement accéléré des petites installations hydroélectriques comme erronée mais, dans le même temps, il faut anticiper le risque de pénurie d’eau. Les dépenses pour l’entretien ou le renouvellement des grandes installations iront croissant avec les années. En revanche, on ne sait pas s’il y aura de l’eau dans 20, 30, 50 ans. C’est pourquoi il ne faut pas mettre tous les œufs dans un même panier, mais plutôt développer aussi l’éolien et le solaire », explique-t-il.

Un manque de cadres

Un autre élément crucial est le manque de cadres. D’après Eleonora Kazakova, la formule même « énergies renouvelables » est apparue plutôt récemment et une part significative des énergéticiens au Kirghizstan a été formée à l’époque soviétique.

« Il y a ainsi catastrophiquement peu de jeunes spécialistes actuellement. Il faut y faire très attention. Les étudiants doivent faire des stages pendant leurs études. Ils doivent voir de leurs propres yeux à quoi ressemble une petite centrale hydroélectrique pendant qu’ils étudient et pas cinq ans plus tard. Nous avons besoin d’experts en énergie comme de médecins et de professeurs, c’est pourquoi il faut préparer les cadres et le faire correctement », estime-t-elle.

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L’experte fait remarquer que ces questions ne vont pas être réglées d’un coup de baguette magique. Cependant, il ne faut pas traîner et les agences et ministères doivent avoir une feuille de route commune.

L’offre et la demande

Dans le cadre des accords de Paris, le Kirghizstan s’est engagé à diminuer ses émissions à l’horizon 2030 via des mesures dans les secteurs de l’énergie, l’agriculture, l’industrie et le traitement des déchets.

Pour la présidente d’Unison Group, Nourzat Abdyrasoulova, « c’est là que se manifeste probablement notre politique étrangère. En effet, nous sommes obligés de recourir à l’aide extérieure, aux dons, pour réaliser ces mesures. Pour d’un côté diminuer les émissions et de l’autre renforcer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. »

Nourzat Abdyrasoulova
Nourzat Abdyrasoulova. Photo : Archives personnelles / Cabar Asia.

D’après elle, la demande crée aussi l’offre. S’il y a un accord mondial et si l’humanité est mise au défi de tripler la capacité de production renouvelable, alors des moyens de financement, des parties prenantes, des investisseurs et des experts techniques finiront par émerger. « C’est pourquoi nous avons besoin ici de volonté politique qui, à son tour, accompagnera les opportunités économiques. Je pense que le Kirghizstan doit être ouvert au monde pour adopter les meilleures pratiques », estime-t-elle.

Impliquer la population

Selon Nourzat Abdyrasoulova, le processus de construction des petites centrales hydroélectriques, des parcs éoliens et solaires est assez fastidieux. La règle impose de respecter toutes les procédures. Au-delà de la recherche de fonds, il faut obtenir les permis, évaluer les sites, établir des contrats préparatoires, fixer les tarifs, discuter avec la population locale et ainsi de suite.

« D’habitude, toute une équipe de spécialistes comprenant des juristes, des économistes, des experts en génie civil et des énergéticiens est mobilisée. Il arrive que le processus dure plusieurs années. Bien sûr, la construction de grandes centrales est nécessaire et cela doit être un objectif stratégique mais je pense qu’il faut également prêter attention à la production domestique », explique l’experte.

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Le développement de la production domestique donne l’opportunité d’impliquer des investisseurs locaux, en l’occurrence les citoyens du pays. D’après Nourzat Abdyrasoulova, « il est possible que quelqu’un ait un grand terrain et qu’il puisse installer sur sa propriété 10-20 kiloWatts de génération. » Les habitants peuvent ainsi améliorer l’efficacité énergétique de leurs entreprises et de leurs logements, et cela contribue à l’indépendance énergétique du pays, à protéger l’environnement et à réduire les émissions de CO2.

« Naturellement, il faut alors faire une analyse technique des réseaux locaux, et dans cette perspective les experts ont un travail considérable devant eux. Mais si nous voulons développer les énergies renouvelables, nous avons peu de temps pour tergiverser. Il nous incombe d’augmenter la cadence tout en résolvant les problèmes qui se présentent en chemin », conclut-elle.

La rédaction de Cabar Asia

Traduit du russe par Arnaud Behr

Edité par Paulinon Vanackère

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