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Pourquoi les manifestations antichinoises au Kazakhstan sont paradoxales et ont peu de rapport avec la Chine ?

Le 27 mars 2021 a eu lieu à Almaty un rassemblement autorisé où étaient scandés des slogans antichinois. Selon les sources, la manifestation a réuni entre 150 et 300 personnes. Les principaux slogans étaient « Non à l’expansion chinoise » et « Non aux investissements chinois ». Cependant, l’orientaliste Adil Kaoukenov explique en s'appuyant sur les chiffres que, contrairement à ce que disent l’opinion publique kazakhe et le battage médiatique, le commerce et les investissements communs avec la Chine sont en baisse. C’est pourquoi il est nécessaire de décrypter cette tendance paradoxale.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 29 mars 2021 par le média kazakh Informburo.

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Noursoultan, capitale du Kazakhstan (illustration).

Le 27 mars 2021 a eu lieu à Almaty un rassemblement autorisé où étaient scandés des slogans antichinois. Selon les sources, la manifestation a réuni entre 150 et 300 personnes. Les principaux slogans étaient « Non à l’expansion chinoise » et « Non aux investissements chinois ». Cependant, l’orientaliste Adil Kaoukenov explique en s’appuyant sur les chiffres que, contrairement à ce que disent l’opinion publique kazakhe et le battage médiatique, le commerce et les investissements communs avec la Chine sont en baisse. C’est pourquoi il est nécessaire de décrypter cette tendance paradoxale.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 29 mars 2021 par le média kazakh Informburo.

Le Kazakhstan vend plus à la Chine qu’il ne lui achète. Ce supposé fait est paradoxal car, en pratique, on observe une tendance opposée à ce que disent ces mythes tenaces. Prenons par exemple, les échanges commerciaux du Kazakhstan et de la Chine. Depuis 2010, et même avant la pandémie, en 2019, les échanges ont été réduits d’un tiers. Et au milieu des années 2010, ces échanges ont même été quasiment divisés par deux.Si en 2010, ces échanges commerciaux dépassaient les 20 milliards de dollars (16,8 milliards d’euros), en 2019, ils n’atteignaient pas 15 milliards de dollars (12 milliards d’euros). En 2020, ils ont pu tant bien que mal tendre encore vers les 15 milliards, malgré le coronavirus. Mais de 2014 à 2016, les échanges commerciaux n’atteignaient pas même 10 milliards de dollars (8 milliards d’euros), ce qui est extrêmement peu pour ces deux voisins dont le développement est dynamique. Et même si l’on considère que les statistiques kazakhes ne conviennent pas, ces données peuvent être vérifiées facilement grâce à n’importe quelle source, dont les sources internationales comme la Banque mondiale ou d’autres.Le Kazakhstan vend donc plus à la Chine qu’il ne lui achète. C’est pourquoi la balance de ces échanges commerciaux penche en la faveur du Kazakhstan. En 2019, l’export constituait 54,4 % des échanges, soit 7,8 milliards de dollars (6,5 milliards d’euros), et l’import 45,6 %, soit 6,6 milliards de dollars (5,5 milliards d’euros). Avec la Russie par exemple, la situation est inversée : le Kazakhstan importe plus qu’il n’exporte.

La Chine investit de moins en moins au Kazakhstan

De 2013 à 2020, les parts de la Chine dans le flux brut des investissements étrangers au Kazakhstan ont baissé de 9,3 % à 4,7 %. En valeur absolue, ce chiffre était de 2,4 milliards de dollars (2 milliards d’euros) lors du pic de 2013, puis on observe une chute systématique.

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Les investissements étrangers au Kazakhstan.

En 2014, les investissements s’élevaient à 1,8 milliards de dollars (1,5 milliards d’euros). En 2015, ils étaient de 0,8 milliards (674 millions d’euros). En 2016, ils étaient de 0,9 milliards (758 millions d’euros). En 2017, ils atteignent 1 milliard de dollars (800 millions d’euros). Enfin en 2018 les investissements remontent à 1,5 milliard de dollars (1,3 milliards d’euros).Le contraste est encore plus frappant si l’on se concentre sur des périodes de trois ans. Si entre 2011 et 2014 les investissements constituaient 8,1 milliards de dollars (6,8 milliards d’euros), ce chiffre atteignait en tout 4 milliards (3,4 milliards d’euros) entre 2015 et 2018, c’est-à-dire deux fois moins.

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Ces investissements sont divisés par deux et ne s’approchent pas même des indicateurs du début des années 2010. Peut-être est-ce parce qu’en principe la Chine investit moins ? Mais non, les chiffres sont à nouveau impitoyables envers les mythes : de 2013 à 2018, les investissements cumulés chinois à l’étranger ont été multipliés par plus de deux ; ils sont passés de 2 trillions (1,6 trillions d’euros) à 4,2 trillions de dollars (3,3 trillions d’euros), et la part du Kazakhstan est passée de 1 % à 0,36 %.

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Les investissements cumulés à l’étranger cumulés de la Chine et les parts qu’y possèdent le Kazakhstan.

D’ailleurs, les 0,36 % représentant les investissements chinois au Kazakhstan, en eux-mêmes, en disent déjà long : ils paraissent d’autant plus faibles que les pays en question partagent une frontière et sont partenaires stratégiques.

L’endettement du Kazakhstan auprès de la Chine est en baisse

Passons au sujet le plus délicat : l’endettement du Kazakhstan auprès de la Chine. Il est également en baisse. Si en 2013 cette dette était de 16 milliards de dollars (13,5 milliards d’euros), elle n’était plus que de 12 milliards (10 milliards d’euros) en 2018. Ces dettes ne sont pour la plupart pas d’État ; elles sont surtout constituées d’emprunts effectués auprès du secteur privé, ce qui est aussi révélateur.

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L’endettement du Kazakhstan auprès de la Chine.

Quant aux intérêts de la Chine au Kazakhstan, et plus largement en Asie centrale, on voit là aussi qu’en général ils sont assez isolés. Encore une fois, cela va à l’encontre de l’idée reçue répandue sur l’importance des intérêts de Pékin dans la région.Lire aussi sur Novastan : Vatel signe un accord avec une université kazakhe Lors d’une session de l’Assemblée nationale populaire, le ministre chinois des Affaires étrangères organise habituellement une conférence de presse, pendant laquelle il décrit les grandes lignes de la politique extérieure de la République de Chine. Cette année, comme pendant les années précédentes, l’Asie centrale et le Kazakhstan n’ont pas été évoqué une seule fois. Alors qu’ont été énuméré les perspectives et l’état des relations avec la Russie, les Etats-Unis, l’Europe, l’Inde, le Japon, les pays arabes, la Birmanie, l’Iran, l’Amérique latine, l’Afrique du Sud, l’Asie du Sud-Est et l’Organisation des nations unies (ONU).

À cause de la sinophobie ambiante, le marché kazakh devient peu commode pour les intérêts chinois

Ainsi, malgré les intérêts du Kazakhstan dans les investissements et la nécessité de vendre plus sur le marché chinois, c’est exactement l’inverse qui se produit à cause de l’influence de l’opinion publique, guidée par un battage médiatique systématique. Le commerce et les investissements conjoints avec le voisin chinois, le plus important économiquement, diminuent. C’est compréhensible: car à ce niveau de mythification, de sinophobie et de rejet de la part de la société, le marché kazakh devient trop risqué et peu commode pour un travail commun avec la Chine.Il est intéressant que ce facteur ait joué à l’avantage de l’Ouzbékistan, qui a, à l’inverse, significativement intensifié sa collaboration fructueuse avec la Chine. Sur le territoire de l’Ouzbékistan, il existe 1125 entreprises dans lesquelles la Chine a investi, dont 344 qui ont été créé l’année dernière.En octobre 2020 en Ouzbékistan, l’inscription sur la plateforme commerciale chinoise Alibaba a été simplifié. Et un contrat de 3 millions de dollars (2,5 millions d’euros) a été signé avec une compagnie ouzbèke de pâtisserie.En peu de temps, l’Ouzbékistan a réussi à créer des plateformes en ligne permettant l’intensification de la coopération avec la Chine dans tous les domaines, surtout en ce qui concerne l’aide aux hommes d’affaires ouzbeks pour pénétrer le marché chinois.D’ailleurs, depuis plus de 20 ans, à différents niveaux, on parle sans cesse au Kazakhstan de la nécessité de créer une telle plateforme, mais on ne s’envisage pas à faire aboutir cette question. Et même si l’on se décidait à la créer, des rassemblements protestataires surviendraient immédiatement.Tachkent a l’intention de faire augmenter le montant annuel des investissements chinois à 5 milliards de dollars (4,2 milliards d’euros) d’ici 2025. De plus, les agences de voyage ouzbèkes attirent activement les touristes chinois : en 2019, ils étaient 61 900 à visiter l’Ouzbékistan.Lire aussi sur Novastan : Le transport ferroviaire de marchandise relancé en Asie CentraleMais surtout, le rejet kazakh d’une collaboration avec la Chine crée une situation où les routes de commerciales contournent le Kazakhstan. Aujourd’hui, la ligne de chemin de fer principale reliant la Chine à l’Europe et au Proche Orient traverse Khorgas, un point de transit près de la frontière kazakhe. Mais la question d’un nouvel itinéraire revient sans cesse : il contournerait le Kazakhstan par le Kirghizstan et l’Ouzbékistan, puis par le Proche Orient. On peut remarquer que ce nouveau projet prévoit une route 295 km plus courte qu’en passant par Khorgas, et celle-ci permettrait de gagner jusqu’à cinq jours de voyage.Cette route n’a pas été achevée pour des raisons politiques, plus exactement à cause des tensions entre Bichkek et Tachkent. Mais des expéditions expérimentales de conteneurs, passant du transfert ferroviaire au transport automobile dans un poste dont la construction est restée inachevée, ont déjà lieu depuis le centre logistique Dongchuan, dans la ville de Lanzhou, jusqu’à Tachkent.

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Les succès et la détermination de Tachkent s’appuient également sur des chiffres qui en disent long. Selon une enquête sociologique, en 2019, 65 % des ouzbeks déclaraient qu’ils « soutenaient fermement » les projets d’énergies et d’infrastructures réalisés en collaboration avec la Chine. Au moins 75 % des personnes interrogées sont sûres que les investissements chinois vont créer de l’emploi.À Tachkent, on comprend très bien que la Chine et les États-Unis, avec des économies développées, rivalisant activement pour attirer les investissements. Ces deux pays sont justement ceux qui reçoivent le plus d’investissements. Ainsi, selon les données de 2020, les experts de l’ONU ont estimé à 163 milliards de dollars (137 millions d’euros) les investissements directs étrangers en Chine, contre 134 milliards de dollars (112 millions d’euros) aux États-Unis. Et les investissements les plus faibles ont eu lieu dans les pays les plus pauvres d’Afrique comme le Congo, la République centrafricaine, le Zimbabwe, ou les pays subissant des conflits armés comme la Syrie, le Yémen, l’Afghanistan, l’Irak, etc.Ainsi, l’Ouzbékistan devient en Asie centrale un nouveau point d’attraction des investissements chinois, de collaboration, de commerce et de projets transcontinentaux au détriment du Kazakhstan.

Par la rédaction d’Informburo.kz

Traduit du russe par Paulinon Vanackère

Édité par Louise Duplenne

Relu par Robin Leterrier  

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