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Pourquoi le premier journal de Chine est-il désormais disponible en kazakh ?

Le média du parti communiste chinois est désormais disponible en kazakh. Les avis divergent chez les experts : certains considèrent qu’il ne s’agit que d’une reconnaissance de la langue kazakhe, d’autres pensent que la Chine utilise son soft power afin de renforcer l’influence du parti au Kazakhstan.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 septembre 2021 par Radio Azattyk, la branche kazakhe du média américain Radio Free Europe.

Kazakh Quotidien du peuple
Capture d'écran de la page d'accueil du Quotidien du peuple traduit en kazakh.

Le média du parti communiste chinois est désormais disponible en kazakh. Les avis divergent chez les experts : certains considèrent qu’il ne s’agit que d’une reconnaissance de la langue kazakhe, d’autres pensent que la Chine utilise son soft power afin de renforcer l’influence du parti au Kazakhstan.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 septembre 2021 par Radio Azattyk, la branche kazakhe du média américain Radio Free Europe.

Rénmín Ribao, en français le Quotidien du peuple, est le principal journal du gouvernement chinois. Déjà diffusé à travers le monde, le média est disponible en kazakh, italien et swahili depuis le 1er septembre 2021. La version numérique internationale du journal a déjà été publiée en anglais, japonais, français, russe, allemand, arabe, coréen, espagnol et portugais.

Ces trois nouvelles langues sont censées apporter « aux populations des régions concernées des informations sur différents domaines, y compris la politique chinoise, l’économie, la société, la culture, la science et l’éducation » d’après les rédacteurs du site. L’objectif est d’améliorer la compréhension et les interactions entre les Chinois et les résidents des pays où le journal est publié.

« Le rêve chinois »

« L’arrivée de trois langues étrangères supplémentaires est une étape importante dans le développement de l’inclusion de la Chine à travers le monde. Le journal mobilise toutes ses forces pour mondialiser le rêve chinois et la voix du pays en diffusant des informations véridiques » a communiqué le journal.

Créé en 1948, le Quotidien du peuple est le porte-parole du parti communiste chinois. Il s’agit de l’une des publications les plus influentes de Chine : la version papier serait publiée à trois millions d’exemplaires. La rédaction dispose d’un vaste réseau de journalistes qui travaillent dans plus de soixante-dix pays.

Un journal du parti communiste

Le contenu de la version kazakhe est divisé en différentes rubriques. Une attention particulière est portée aux dirigeants du parti. La section Chine – Kazakhstan couvre l’actualité du Kazakhstan en lien avec la Chine. Les journalistes y racontent par exemple la rencontre de l’ambassadeur de Chine avec les dirigeants politiques ou encore publient des données sur le nombre de wagons qui ont traversé la frontière.

L’un des articles, intitulé Les héros sont rentrés, contient une rhétorique anti-américaine sous couvert d’informations sur la restitution des corps de soldats chinois provenant de Corée du Nord. Il est écrit qu’il y a « un demi-siècle, des millions de soldats chinois se sont rendus au front pour aider le peuple coréen et résister à l’agression américaine. Certains d’entre eux n’ont jamais revu la mère-patrie et sont morts en terre étrangère. »

Pendant la guerre dans la péninsule coréenne dans les années 1950, les États-Unis ont apporté une aide militaire au Sud, tandis que la Chine a soutenu le Nord. À la fin de la guerre, la Corée a été divisée en deux États. Aujourd’hui, la Chine est l’un des rares pays à entretenir de bonnes relations avec la Corée du Nord.

Diffuser la littérature

Parmi les derniers articles figure celui sur la création de l’Union littéraire à Pékin, nommée La ceinture et la route, créée avec le soutien de l’association des écrivains chinois. Le nom de l’association coïncide avec celui de l’ambitieux projet d’infrastructures des Nouvelles routes de la Soie mené au cours de ces dernières années.

L’objectif de l’Union littéraire est de faire circuler la littérature, de renforcer l’amitié entre écrivains, de promouvoir la traduction et la diffusion d’œuvres littéraires exceptionnelles. Selon le site, « l’Union rassemble 30 groupes littéraires influents de 35 pays, dont les Émirats arabes unis, le Pakistan, la Palestine, les Philippines, le Kazakhstan et la Corée, plus 19 unions d’écrivains et de traducteurs ».

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La présentation du contenu du site est similaire au style des informations publiées au Kazakhstan. Le sinologue Douken Masimkhanouly, directeur de l’Institut d’études orientales d’Almaty, suggère que les auteurs des articles peuvent être des spécialistes formés au Kazakhstan ou qui y ont fait un stage.

L’utilisation de la langue est en pleine expansion

Le poète et chercheur Almas Akhmetbekoul a quitté la Chine il y a de nombreuses années. Il considère que l’apparition de la langue kazakhe dans le média n’est pas un événement politique et ne devrait pas être associée à l’expansion chinoise. Selon lui, la publication en kazakh témoigne seulement du fait que l’usage de cette langue se développe.Selon lui, le fait que le kazakh soit utilisé par la plus grande publication gouvernementale au monde, au même titre qu’une langue plus pratiquée, n’est pas mauvais en soi puisque cela marque une certaine reconnaissance ; bien que le parti communiste chinois veuille diffuser sa propagande le plus largement possible dans le monde, il n’est pas nécessaire de s’en inquiéter.

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Almas Akhmetbekouly estime qu’il est naturel pour un État de vouloir annoncer ses succès. La langue chinoise n’est pas aussi répandue à l’international que l’anglais. Les communistes ont donc décidé de traduire le journal du chinois vers le kazakh, affirme-t-il.Selon Douken Masimkhanouly, après l’effondrement de l’Union soviétique, la Chine a commencé à accepter le kazakh comme la langue d’un État voisin et non plus seulement comme la langue d’une minorité ethnique. C’est pourquoi la radio centrale de Pékin a augmenté le temps d’antenne de la section kazakhe.

Le soft power de la Chine

Le politologue et ancien diplomate Kazbek Beïsebaïev estime que l’arrivée du principal site web chinois en kazakh devrait être attribuée à une manifestation du soft power.La Chine est l’un des plus grands investisseurs au Kazakhstan. Elle peut donc, dans une certaine mesure, influencer le pays au niveau économique, mais une barrière linguistique demeure. Pour promouvoir la politique chinoise, l’emploi du kazakh est la solution. Cela s’appelle, en politique étrangère, le soft power, affirme Kazbek Beïsebaïev.

Le chercheur Eldes Orda, auteur d’études sur la politique chinoise et l’histoire politique des Kazakhs au Xinjiang, attire l’attention sur le fait que le kazakh a été ajouté simultanément à l’italien et au swahili sur le site multilingue du journal.L’Italie a beaucoup plus de relations avec la Chine que n’importe quel autre pays européen. Les pays swahiliphones d’Afrique de l’Est représentent l’objectif principal de la Chine sur le continent africain. De la même manière, la Chine a jeté son dévolu sur le kazakh, la langue officielle d’un État important en Asie centrale, considère-t-il.

L’intérêt chinois

D’après Eldes Orda, la Chine a commencé à investir dans les voies terrestres et montre un intérêt croissant pour les pays d’Asie centrale, en particulier pour le Kazakhstan. Les médias étrangers le qualifient de « boucle » sur la « ceinture », c’est-à-dire l’un des éléments-clés de l’initiative chinoise pour les Nouvelles routes de la Soie.

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La Chine surveille de près à la fois les questions linguistiques au Kazakhstan et les problèmes de sinophobie. À l’avenir, la Chine portera une attention particulière sur d’autres langues comme le persan, l’ourdou ou encore le kirghiz. Eldes Orda déclare que les Chinois veulent renforcer leur influence en Asie centrale.

La répression au Xianjiang

En parallèle de ces publications en kazakh, les autorités chinoises auraient renforcé la censure des médias dans le Nord-Ouest de la Chine. Ces soupçons sont aussi nés de l’oppression des ethnies autochtones du Xinjiang, qui s’est accrue ces dernières années.Depuis 2017, des signalements de déplacements de centaines de milliers d’Ouïghours, de Kazakhs et d’autres ethnies dans des « camps de rééducation politique » ont été émis. La Chine, qui a d’abord nié l’existence des camps, a ensuite reconnu la présence d’un réseau d’établissements fermés destinés à lutter contre l’extrémisme. L’Occident a critiqué Pékin pour sa politique discriminatoire au Xinjiang.

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La presse kazakhe du Xinjiang, où vit la plus importante partie de la minorité, fait l’objet d’une censure stricte, estiment les observateurs de la situation. Selon Almas Akhmetbekouly, la politique du parti communiste a fortement affecté la presse kazakhe en Chine. En raison des difficultés pour recevoir des nouvelles de leurs proches en Chine, ni Almas Akhmetbekouly, ni Douken Masimkhanouly ne peuvent parler en détail de la situation des médias kazakhs dans ce pays.

« On dit que les journaux et les magazines en alphabet arabe ont complètement disparu », explique Almas Akhmetbekouly. Pourtant, contrairement aux habitants du Kazakhstan, les Kazakhs de Chine utilisent encore l’alphabet arabe pour écrire dans leur langue maternelle.

La pression sur les médias en Chine

D’après Douken Masimkhanouly, même la fiction a fait l’objet de censure au cours des vingt à trente dernières années de répression politique. Selon lui, les auteurs qui ont ajouté des détails « pro-turcs » à leurs œuvres ont été persécutés.

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Dans la ville d’Urumqi en Chine, il existait trois chaînes de télévision en langue kazakhe. La première était une chaîne d’informations, la seconde était consacrée à la musique et à la danse et la troisième à des films et des émissions de télévision en chinois et dans d’autres langues. Les éditeurs de la ville publiaient également la revue locale du parti et des journaux consacrés à la vie culturelle. Il y avait beaucoup de magazines littéraires des régions de l’Altaï, de Tarbagataï et d’Ile. Difficile de dire combien d’entre eux sont encore disponibles, note Douken Masimkhanouly.

La Chine est un pays qui censure ouvertement la presse. Dans un classement de Reporters sans frontières, la Chine occupe la 177ème place sur 180 pays, devant le Turkménistan, la Corée du Nord et l’Érythrée.

Asylkhan Mamachouly
Journaliste pour Radio Azattyk

Traduit du russe par Joris Elima

Edité par Johanna Regnaud

Relu par Élise Piedfort

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