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L’histoire de Cholpan Begaïdarova, mère de famille touchée par des tirs lors des émeutes à Almaty

Les émeutes qui ont eu lieu début janvier à Almaty ont fait de nombreuses victimes. Parmi elles, Cholpan Begaïdarova, une mère de famille qui a été atteinte par des coups de feu. Elle a survécu par miracle et raconté son histoire.

Kazakhstan Almaty Akimat Témoignage
Après les manifestations de début janvier à Almaty, de nombreux blessés sont à déplorer (illustration).

Les émeutes qui ont eu lieu début janvier à Almaty ont fait de nombreuses victimes. Parmi elles, Cholpan Begaïdarova, une mère de famille qui a été atteinte par des coups de feu. Elle a survécu par miracle et raconté son histoire.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 15 janvier 2022 par le média kazakh The Village.

Début janvier 2022, le Kazakhstan était secoué par des émeutes. Le 6 janvier, Cholpan Begaïdarova, 30 ans et mère de trois enfants qu’elle élève seule, a essuyé des tirs. Elle traversait le centre-ville d’Almaty en voiture lorsque les coups de feu ont été tirés : trois balles l’ont atteinte.

La jeune femme se trouve actuellement dans le service de chirurgie à l’hôpital de la ville d’Almaty. Le média kazakh The Village s’est entretenu avec elle à propos de la façon dont elle a miraculeusement échappé à la mort et de l’aide dont elle a désormais besoin. Le texte qui suit est son témoignage.

Le jour des coups de feu

Je me rendais à la pharmacie le soir du 6 janvier. Je voulais acheter des médicaments pour les enfants, sans savoir si les pharmacies seraient ouvertes ou non.

J’étais à l’intersection des rues Fourmanov et Satpaïev, ou alors Fourmanov et Abaï. Je me souviens précisément du moment où j’ai entendu les coups de feu : je venais de dépasser le magasin Ramstore. J’étais au volant de ma voiture quand deux balles ont traversé la portière et m’ont touchée à la cuisse. Alors j’ai appuyé sur l’accélérateur et une autre balle m’a frappée par l’arrière en traversant le siège avant de ressortir par mon flanc droit.

Ensuite, c’est le flou complet. J’étais sous le choc. Ma voiture était couverte de sang. Je me souviens vaguement avoir hurlé et appelé à l’aide. Un fourgon est arrivé au bout d’un certain temps, des hommes en uniforme en sont sortis, des membres des forces spéciales ou de la police antiémeute, je ne sais plus. Ils m’ont transportée dans ce fourgon jusqu’à l’hôpital. Par moment je reprenais reprendre connaissance. Je me souviens qu’on m’ouvrait les yeux et on me répétait en kazakh : « Reste avec nous », « Ne t’endors pas. »

À l’hôpital

Quand je suis finalement arrivée à l’hôpital, j’ai vu un enfant de quatre ans mourir. Il était dans le lit voisin du mien. Il est mort sous mes yeux. C’est la chose la plus horrible que j’ai vue durant les brefs moments où j’étais consciente. J’ai été transférée hors de l’unité de soins intensifs quelques jours plus tard. Je suis finalement revenue à moi le 10 ou le 11 janvier. Avant cela, je naviguais entre pertes de connaissance et reprises de conscience, j’hurlais de douleur et prenais constamment des antidouleurs.

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Mes organes vitaux ont été touchés. On m’a recousu le côlon, ma cuisse a été perforée, mes organes génitaux et mon rein droit ont été touchés. Une balle m’a traversé le dos. Elle est passée à quelques centimètres de ma colonne vertébrale. J’ai reçu une balle dans la hanche, à deux millimètres du nerf sciatique.

Ma jambe a failli être amputée, mais le médecin qui m’a opérée est parvenu à la sauver, de même pour mes organes. On a ouvert mon abdomen et retiré les balles. Mon ventre, ma cuisse et ma jambe sont désormais complètement recousus. On vient tout juste de me retirer les tubes et les cathéters. Je ne suis pas sûre de pouvoir reprendre le travail et continuer à subvenir aux besoins de ma famille.

Une douleur invivable

Les enfants sont restés à la maison avec ma mère pendant tout ce temps. C’est grâce à eux si je suis encore en vie. Chacune de mes pensées envers eux me donnait de la force. Lorsque j’étais inconsciente, j’apercevais ma mère, qui m’a élevée. Je me souviens lui avoir dit : « Maman, tu me manques tellement, tu peux m’aider ? J’ai des enfants, je dois absolument travailler. » Ce à quoi elle a répondu : « Tout ira bien ma fille, va rejoindre tes enfants. »

À ce moment-là, j’ai vu mes enfants, je suis allée vers eux et j’ai pris mon fils dans mes bras. Ensuite, j’ai ouvert les yeux. J’avais un tube dans la bouche, mes mains et mes pieds étaient attachés. La seule chose que je pouvais faire était de lever la tête, voir mon ventre recousu et des tubes. Puis j’ai de nouveau perdu connaissance.

J’avais l’impression que c’était irréel. La seule chose que je ressentais, c’était de la douleur. J’étais sous le choc. Maintenant ça va mieux, comparé aux premiers jours où la douleur était invivable. Je n’avais jamais ressenti cela de ma vie. Toute la partie en dessous de mon ventre a été recousue.

Un état encore instable

J’ai été opérée en soins intensifs puis transférée en unité de chirurgie où on me soigne et où j’ai complètement repris mes esprits. Les médecins ne peuvent pas encore poser de diagnostic précis. Ils me rassurent en me disant que tout ira bien, mais que je dois être surveillée en permanence, car il peut y avoir des complications.

Le médecin qui m’a opérée m’a dit que c’était un miracle car personne ne survit après de telles blessures. Je crois que je ne suis pas encore prête à savoir ce qu’il adviendra de ma santé, mais les psychologues avec lesquels je travaille tous les jours m’y préparent au mieux. Mais bon, je ne suis plus une enfant et je comprends que ce genre d’événement peut laisser des séquelles. On m’a retiré des balles de l’abdomen. Mon ventre a été complètement déchiqueté parce que, d’après ce que j’ai compris, les balles ont traversé la portière. On m’a même dit qu’il y avait des morceaux de peau sur les sièges.

Je me réveille chaque jour en me disant que je dois rester en vie pour mes enfants, ils sont tout ce que je possède. Je ne sais pas quand je pourrai les voir. Les médecins m’ont dit que je ne pouvais pas encore sortir de l’hôpital et que je devais rester sous observation. Mes pansements sont changés quotidiennement, les médecins viennent, vérifient mon état de santé et me disent qu’il vaut mieux rester à l’hôpital pour le moment.

La vie avant la tragédie

Je suis mère célibataire, j’élève seule mes trois enfants. Nous louons un appartement, mais je suis sur liste d’attente pour un autre logement. Pendant un temps, j’étudiais le journalisme à l’Université kazakhe Al-Farabi, mais j’ai dû combiner travail et études. J’ai finalement arrêté mes études.

Maintenant je suis entrepreneur indépendante. Nous gérons notre propre magasin avec ma mère. Celle-ci s’occupe des enfants pendant que je suis à l’hôpital, donc plus personne ne peut gérer le magasin. J’ai deux filles et un fils, ma fille aînée a sept ans et a commencé l’école récemment, mon fils a cinq ans et ma petite fille aura un an dans quelques jours.

La vie au sortir de l’hôpital

Je ne peux désormais plus payer le loyer de l’appartement dans lequel je vis avec mes enfants, mais les gens m’aident comme ils peuvent. Je suis reconnaissante à la communauté qui ne nous abandonne pas, les enfants et moi, mais je voudrais avant tout obtenir l’aide des autorités pour ma santé. Peut-être que je serai invalide, peut-être que je ne serai plus en mesure de travailler.

Je suis née au Kazakhstan, j’ai vécu ici toute ma vie et je paie des impôts, j’espère donc obtenir une aide de l’État. Ma petite dernière fêtera son premier anniversaire après-demain, elle a fait ses premiers pas alors que j’étais à l’hôpital. Je contacte ma famille en appels vidéo, ma fille se met évidemment à pleurer dès qu’elle me voit. Je l’allaitais encore avant l’accident, désormais je n’ai plus de lait. Ma mère a sûrement dit à mes deux autres enfants que j’étais malade. Ils savent que je suis à l’hôpital et me montrent chaque jour leurs dessins.

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Mes enfants me manquent terriblement, je m’inquiète beaucoup pour eux. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qu’ils deviendraient si je venais à mourir. Cela me fait énormément de soucis mais Dieu merci, je suis encore en vie et mes enfants ne seront pas orphelins. Ils n’ont personne à part ma mère et moi. Nous avions beaucoup de projets pour 2022. Je voulais les emmener en vacances pour la première fois de leur vie. Mais à présent, le plus important est de m’occuper de ma santé pour ne pas devenir un fardeau pour mes enfants. Ce n’est pas pour cela que je leur ai donné naissance. Heureusement je suis une femme, et nous les femmes sommes fortes.

La rédaction de The Village

Traduit du russe par Alexandra Béroujon

Édité par Judith Robert

Relu par Jacqueline Ripart

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