Le 20 janvier, le Parlement européen a adopté une résolution sévère concernant les événements au Kazakhstan. Les autorités kazakhes ont réagi avec indignation.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 21 janvier 2022 par notre version allemande. Le Parlement européen demande une enquête indépendante sur les événements qui ont secoué le Kazakhstan durant la première quinzaine de janvier. Une résolution en ce sens a été adoptée le 20 janvier dernier par une écrasante majorité de 629 députés européens, 30 ayant voté contre et 31 s’étant abstenus.
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Après que des manifestants se soient rassemblés, principalement dans l’ouest du Kazakhstan, durant les premiers jours de janvier pour réclamer de meilleures conditions sociales, les manifestations se sont rapidement propagées dans tout le pays. Le 5 janvier, la situation a dégénéré dans certains endroits. C’est surtout à Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, que des affrontements violents ont eu lieu avec les forces de l’ordre et que des bâtiments officiels ont été pris. Lire aussi sur Novastan : Les manifestations à Almaty, point clé des troubles au Kazakhstan Les jours suivants, les événements se sont enchaînés. Le président Kassym-Jomart Tokaïev a alors demandé à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) de lui fournir des forces de maintien de la paix. Il a finalement donné l’ordre de tirer sur ce qu’il a qualifié de menace terroriste. Lorsque la situation s’est peu à peu calmée, après le 7 janvier, et que le blocage d’Internet imposé par les autorités a été levé, la complexité des événements est apparue au grand jour, mêlant situation politique et sociale intolérable dans le pays et luttes de pouvoir internes au sein de l’élite politique.
Le Parlement « se tient aux côtés du peuple du Kazakhstan »
Le texte de la résolution du Parlement européen donne également de nombreux détails sur les événements eux-mêmes. Il note qu’au moins 225 personnes ont perdu la vie et que plus de 10 000 ont été arrêtées, « les vrais chiffres étant probablement plus élevés et difficiles à vérifier en raison du manque de fiabilité des informations officielles ». Le Parlement fait également état d’une « tendance dangereuse » à la détérioration de la situation des droits de l’Homme au Kazakhstan, les autorités ayant fait usage d’une « force disproportionnée » contre les manifestants et initié une « vaste campagne de désinformation ». Elle cite également un certain nombre de journalistes et de défenseurs des droits de l’Homme qui ont été persécutés pendant et après les manifestations. En 27 points, la résolution pose ensuite des exigences aux autorités kazakhes, aux organisations internationales et aux institutions européennes. Le Parlement se dit « solidaire du peuple du Kazakhstan, qui devrait avoir le plein droit d’organiser une manifestation pacifique pour protester contre le manque de réformes au Kazakhstan pour un avenir prospère ». En particulier, le Parlement européen demande à l’Union européenne (UE) et à la communauté internationale « d’ouvrir immédiatement une enquête internationale en bonne et due forme sur les crimes commis contre le peuple du Kazakhstan » et envisage le recours à des sanctions personnelles contre les personnes et les institutions responsables de violations généralisées des droits de l’homme lors des récents événements. La résolution n’a pas de force juridique contraignante, mais elle est surtout considérée comme une invitation à agir pour les institutions européennes.
Le Kazakhstan indigné
Le ministère kazakh des Affaires étrangères a réagi avec indignation à la résolution. Dans un communiqué de presse du 21 janvier, il a déploré que le texte soit « biaisé et [qu’il] se fonde sur des conclusions et des données biaisées ». Il est « inacceptable d’adopter de tels documents avant que les résultats d’une enquête officielle lancée par les dirigeants de la République du Kazakhstan n’aient été publiés ». Le ministère des Affaires étrangères regrette, notamment, qu’aucune autorité officielle kazakhe n’ait été contactée dans le cadre de la préparation de la résolution. En outre, le ministère déplore les « graves divergences et inexactitudes » de certains reportages étrangers sur les « événements tragiques de janvier ». La veille, le président kazakh avait affirmé sur Twitter que le Kazakhstan restait « attaché à ses obligations internationales et aux principes universels dans le domaine des droits de l’Homme et de l’État de droit ». Mais aucune réforme ne peut avoir lieu dans le chaos : « Le droit et l’ordre sont la base de notre stabilité ».
Казахстан остается приверженным своим международным обязательствам и универсальным принципам в области прав человека и верховенства закона. Мы никогда не свернем с курса дальнейшей политической модернизации.
— Qasym-Jomart Toqayev (@TokayevKZ) January 20, 2022
UE et Kazakhstan, des partenaires économiques importants
Avant les récents bouleversements, le Kazakhstan était en fait considéré comme le partenaire privilégié de l’UE en Asie centrale. En mars 2020, un accord élargi de partenariat et de coopération entre l’UE et le Kazakhstan, le premier du genre dans la région, est entré en vigueur. Il existe également d’importantes relations commerciales. Selon les données de la Commission européenne, l’UE est le principal partenaire commercial du Kazakhstan et représente près de 30 % du volume total des échanges commerciaux du pays. En 2019, l’UE a exporté pour 6,3 millions d’euros de marchandises vers le Kazakhstan, soit presque deux fois plus que vers les quatre autres pays d’Asie centrale réunis.
En conséquence, l’évaluation des parties prenantes économiques diffère fortement de celle du Parlement européen. Dans une déclaration du 13 janvier, la délégation de l’économie allemande en Asie centrale s’est par exemple montrée optimiste quant aux développements futurs au Kazakhstan. « La direction donnée est la bonne et recèle toujours un grand potentiel de coopération économique pour les entreprises allemandes », a-t-elle affirmé.
Une dégradation des relations de mauvaise augure
Mais une détérioration des relations entre l’UE et le Kazakhstan ne serait pas seulement menaçante pour les intérêts économiques. Goulana Bajkenova, fondatrice et rédactrice en chef du média kazakh Orda.kz, ne voit dans la résolution du Parlement européen et la réaction kazakhe à celle-ci « aucune bonne nouvelle ». « Si les Européens insistent pour qu’une enquête internationale soit menée sur les événements de janvier et que les autorités kazakhes s’y refusent obstinément, notre pays pourrait peu à peu entrer en conflit avec le monde occidental. Et rejoindre les rangs des laissés-pour-compte », commente Goulana Bajkenova sur son canal Telegram. Selon la journaliste, un scénario comme celui que l’on peut déjà observer en Russie et en Biélorussie risque alors de se produire. Aux sanctions, les autorités pourraient répondre par une rhétorique plus agressive et conduire à une polarisation supplémentaire de la société. « La recette la plus simple mais la plus efficace pour les autorités kazakhes est de dire la vérité sur ce qui s’est passé, même sur les événements les plus douloureux […]. Tant que la vérité est cachée, cela ne joue pas contre les autorités, mais contre le pays », estime Goulana Bajkenova. Mais la journaliste appelle également les activistes kazakhs à ne pas pousser inconsidérément leur pays vers un conflit avec les pays occidentaux en exerçant une pression politique trop forte. « Ne poussez pas les autorités dans leurs retranchements, car elles y mordront très fort. Et ensuite, vous devrez demander vos visas au Kirghizstan. Mais ce sera le cadet de nos soucis », conclut Goulana Bajkenova.
Florian Coppenrath Rédacteur en chef de Novastan.org
Relu par Izold Guégan
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