Parmi les options existantes pour acheminer les marchandises chinoises vers l’Europe, l’itinéraire privilégié est celui qui traverse le Kazakhstan. Pour faire face à cet afflux important et rendre le transit plus fluide, l’État kazakh doit ajuster ses politiques et développer ses infrastructures. Les Républiques voisines contestent cependant le quasi-monopole kazakh dans ce secteur et proposent des voies alternatives à Pékin.
Novastan reprend et traduit ici un article publié initialement le 11 août 2020 sur le média kazakh Kursiv.
Le transit de conteneurs internationaux sur le territoire kazakh augmente année après année. En 2019, son volume total a connu une hausse de près de 25 % par rapport à 2018 et s’élevait à 664 600 équivalents vingt pieds ou EVP, une unité conventionnelle dans le transport de conteneurs. Le transit de conteneurs est l’une des activités les plus rentables de la société kazakhe Kazakhstan Temir Joly (KTJ). Parmi les leviers de cette croissance, on trouve les Nouvelles routes de la Soie (Belt and Road initiative), le méga-projet d’infrastructures chinoises visant à relier la Chine à l’Europe, notamment par le train.
À l’heure actuelle, le Kazakhstan est l’itinéraire privilégié pour les marchandises chinoises, avec des infrastructures ferroviaires achevées depuis plusieurs années et la ville frontière de Khorgos, véritable hub entre Kazakhstan et Chine.
Plusieurs routes existent déjà
L’itinéraire Chine–Europe–Chine représente traditionnellement le volume de transit le plus important pour le Kazakhstan. Jusqu’en juin 2020, trois axes ont été utilisés par la Chine pour acheminer ses marchandises vers la Russie et l’Europe : directement par la Russie, via le kraï de Transbaïkalie, la Mongolie et le Kazakhstan. Les biens sont ensuite expédiés en Europe depuis la Biélorussie.
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« Nous avons encore augmenté le volume du transit par le Kazakhstan, de sorte qu’en quatre mois, il a représenté 91 % du volume des trois itinéraires. Le volume a ainsi diminué sur les deux autres axes », a déclaré en juin le président du conseil d’administration de KTJ, Saouat Mynbaïev. D’après ses données, au cours des quatre premiers mois de l’année 2020, 123 800 EVP ont été acheminés de la Chine à l’Europe via les villes kazakhes de Dostyk et d’Altynkol, pour seulement 7 900 EVP directement vers la Russie et 2 600 EVP via la Mongolie. En comparaison avec la même période de 2019, ces volumes sont en hausse de 48,5 % pour l’option kazakhe, en baisse de 15,2 % pour la russe et en baisse de 65,1 % pour l’option mongole.
Un autre axe, reliant la Chine aux États d’Asie centrale et à l’Afghanistan via la ville kazakhe de Saryaghach, est en pleine croissance. De janvier à avril 2020, 65 000 EVP, soit 26 % de plus qu’en 2019, y ont transité.
Or, le transit de marchandises vers l’Europe est de plus en plus disputé entre républiques centrasiatiques. Le 5 juin 2020, le premier train de marchandises à destination de Tackhent, la capitale ouzbèke, est parti de la ville chinoise de Lanzhou. Ce trajet combine plusieurs moyens de transports : les marchandises atteignent Kachgar en train, puis rejoignent Och, au Kirghizstan, en camion avant d’être transportées à nouveau en train sur le dernier tronçon. Le train a livré à Tachkent 230 tonnes d’appareils électriques, pour une valeur de 2,2 millions d’euros, avant de repartir vers la Chine avec 525 tonnes de coton local, d’une valeur de 840 000 euros. Ce nouvel itinéraire représente la première partie du nouveau corridor reliant la Chine à l’Europe en contournant le Kazakhstan et la Russie. La deuxième partie passera par le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie.
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Le directeur général de KTJ Express Dmitri Abdoullaïev souligne que cette alternative de transport via le Kirghizstan et l’Ouzbékistan passe par un terrain difficile et implique jusqu’à présent le recours au transport routier. Les marchandises mettent 12 jours pour relier Kachgar à Tachkent, contre un et demi à deux jours d’Altynkol à Tachkent.
L’alternative d’une ligne ferroviaire via le Kirghizstan
De plus, il est peu probable que l’itinéraire qui contourne le Kazakhstan fonctionne en hiver en raison du relief et des conditions météorologiques difficiles, estime Zeïnolla Akhmetjanov, responsable du transit et de la logistique de transports au ministère kazakh des Investissements et du développement. D’autre part, le franchissement de plusieurs frontières pourrait entraîner des ralentissements et des problèmes d’ordres bureaucratique et politique. Enfin, le tronçon devant être effectué par camion réduit l’attractivité de cette alternative.
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Le directeur général adjoint de l’association internationale « Itinéraire international transcaspien de transport », Souat Chynybaïev, estime pourtant que cette alternative « a une chance de devenir attractive », bien que le volume de transit en provenance de Chine via le Kirghizstan soit pour le moment « dérisoire ». « Le transit de marchandises pourrait toutefois être sérieusement menacé par la construction de la ligne ferroviaire Chine–Kirghizstan–Ouzbékistan », a-t-il souligné. Cette ligne, imaginée dans les années 1990, a récemment reçu le soutien de la Russie pour être terminée rapidement. En outre, Souat Chynybaïev note qu’au Kazakhstan, les engorgements autour d’Altynkol et de Dostyk poussent les exportateurs vers l’Asie centrale à recourir au transport routier.
Quelles solutions pour désengorger le transit au Kazakhstan ?
Les itinéraires alternatifs ne représentent pas un danger pour le transit à travers le Kazakhstan, à condition que les travaux de modernisation des infrastructures de transport s’y poursuivent, explique Wu Jin Yu, directeur du Centre international de coordination des trains de marchandises Chine-Europe au sein de l’Association des Transports et des Communications de Chine. La croissance rapide du transit a déjà provoqué la saturation des voies ferrées et la mise en place de restrictions de transport à Dostyk et Altynkol. Or, si le trafic augmente, les difficultés risquent de se multiplier. « Au cours des deux derniers mois, on a relevé beaucoup d’engorgements aux frontières kazakhes. Le matériel roulant fait défaut aux postes frontières », a expliqué Wu Jin Yu, invitant le Kazakhstan à résoudre rapidement ces problèmes.
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Le gouvernement a déjà annoncé son intention de prendre des mesures pour améliorer la compétitivité des couloirs de transit ferroviaire kazakhs en réduisant au minimum les formalités administratives, en modernisant les infrastructures, en améliorant le service de fret et en augmentant la vitesse des trains de marchandises. L’inspection des trains de marchandises à la douane a par ailleurs été supprimée afin de rendre les convois plus rapides.
Ces engorgements à Altynkol et à Dostyka ont déjà eu des répercussions : le trafic total Chine-Europe-Chine du Kazakhstan est passé de 91 % entre janvier et avril à 89 % entre janvier et juin. La croissance du transit au Kazakhstan se poursuit malgré tout : 261 100 EVP (+ 96 %) ont été acheminés sur cette route entre janvier et juin. En outre, la Chine a livré 106 800 EVP (+ 32 %) à l’Asie centrale via le Kazakhstan.
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Le seul itinéraire où une baisse du trafic a été enregistrée au Kazakhstan est celui reliant l’Extrême-Orient à l’Asie centrale, avec 41 700 EVP, soit – 19 % par rapport à la même période l’année précédente. « En effet, nous avons réorienté les marchandises provenant de cet itinéraire vers le couloir Chine-Asie centrale-Chine. Nous avons signé un contrat direct avec les fabricants de composants automobiles coréens et nous les transportons à travers la Chine et le Kazakhstan vers l’usine General Motors en Ouzbékistan », a expliqué Dmitri Abdoullaïev.
Au total, le transit de conteneurs au Kazakhstan a augmenté de 54 % au premier semestre 2020 pour atteindre 450 200 EVP.
Le contrôle du transit, un jeu de rapidité
Tandis que les États voisins sont encore au stade de la réflexion stratégique, le Kazakhstan a une large avance et met déjà une œuvre une politique de transport international de marchandises. Le secrétaire général de l’organisation internationale « Itinéraire international transcaspien de transport », Rakhmetolla Koudaïbergenov, souligne que des tarifs fixes sont déjà proposés ainsi qu’un service sur l’ensemble de la route transcaspienne, entre la Chine et l’Europe. La section reliant Altynkol au port d’Aktaou s’étend sur 3 128 kilomètres. Depuis le 16 avril dernier, le navire collecteur de la société kazakhe Kazmortransflot livre chaque semaine 225 conteneurs au port de Bakou, la capitale azerbaïdjanaise, d’où les marchandises rejoignent la Géorgie et la Turquie par voie ferrée. Le trajet entre la ville chinoise de Xi’an et Istanbul dure 12 jours.
Dmitri Abdoullaïev souligne également la régularité du transport. Le train de marchandises reliant Altynkol à Bakou part tous les samedis et le navire collecteur d’Aktaou à Bakou part tous les mercredis, quelle que soit la charge. Le navire collecteur qui joint Turkmenbachy, au Turkménistan, à Bakou est quant à lui irrégulier. D’après Dmitri Abdoullaïev, si l’on compare les routes alternatives en termes de coûts et de délai de livraison, aucune ne risque sérieusement de détrôner l’itinéraire qui traverse le Kazakhstan.
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La durée de transit des conteneurs peut néanmoins être réduite, reconnaît le directeur général de KTJ Express. « À raison de 1 200 à 1 250 km par jour, c’est la Russie qui possède la vitesse d’acheminement la plus élevée. Cette référence guide notre stratégie et nous incite à augmenter progressivement notre propre vitesse », a-t-il déclaré.
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La vitesse pourrait également permettre d’améliorer la sécurité du transit. En 2018, plusieurs cas de marchandises volées ont en effet été relevés dans des conteneurs chinois à destination de l’Europe. En 2019, ce chiffre s’est réduit grâce à l’augmentation de la vitesse des trains, à la réduction du nombre d’arrêts dans les gares et à la mise en place de vidéosurveillance dans les centres de transfert.
Anbolat Mamichev
Journaliste pour Kursiv
Traduit du russe par Pierre-François Hubert
Édité par Guillaume Gérard
Relu par Anne Marvau
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