Le Kazakhstan, toujours marqué par la tragédie de Kostenko ayant coûté la vie à 46 mineurs, se trouve au cœur de débats autour du changement de propriétaire d’ArcelorMittal Temirtaou. Cette transition ne garantit pas nécessairement l’amélioration des conditions de travail.
Novastan reprend et traduit ici un article de Kouat Akijanov publié par Vlast.
Endeuillé par la tragédie de Kostenko du 28 octobre dernier, le Kazakhstan est témoin de discussions intenses concernant la reprise des investissements dans des secteurs stratégiques, notamment celui d’ArcelorMittal Temirtaou. Malgré la révélation des accords conclus dans les années 1990 avec des investisseurs étrangers, les débats se concentrent sur la question de la propriété.
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Des inégalités salariales criantes et des conséquences sociales désastreuses
C’est le résultat de l’adoption du néolibéralisme normatif par la deuxième Constitution du 30 août 1995, qui transforme de fait le Kazakhstan en kleptocratie autoritaire, caractérisée par le pouvoir brutal du capital rapace. Entre 1989 et 1994, cette évolution est précédée par une phase « guerrière », alors que sous couvert de slogans démocratiques et de réformes de marché, les droits sociaux des travailleurs se voient détruits et l’Etat providence saccagé.
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Les principes économiques qui sous-tendent cette vision favoriseraient ainsi les intérêts du capital, en particulier étranger, au détriment des droits et des conditions de vie des citoyens, entraînant des salaires dérisoires et des conditions de travail difficiles.
Alors que le salaire du dirigeant d’ArcelorMittal Temirtaou aurait dépassé les 31 millions de tengués par mois (62 680 euros), une famille de métallurgistes kazakhs survit dans le même temps avec environ 300 000 tengués (606 euros). En 2023, le coût horaire du travail des métallurgistes kazakhs ne dépasse pas quatre euros en moyenne. Cette disparité des salaires souligne une injustice sociale persistante et contribue à une accumulation alarmante de dettes parmi la population, dépassant les 500 milliards de tengués (1 milliard d’euros) en prêts à la consommation à la fin d’octobre 2023.
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A l’heure du néolibéralisme punitif, la responsabilité de tous les maux socio-économiques est rejetée sur les citoyens kazakhs, des “illettrés des finances ne respectant pas les normes techniques de sécurité”. Cela justifierait le changement de propriétaire, qui ferait prétendument appliquer les standards de sécurité occidentaux.
Légitimer les intérêts des plus riches
Cela rappelle l’exemple de la Bolivie où, en 2006, le président Evo Morales a remis en question les réformes économiques néolibérales en nationalisant des secteurs stratégiques tels que l’exploitation gazière, qui était le principal secteur exportateur. Le gouvernement bolivien a procédé de même avec d’autres services stratégiques comme les chemins de fer, l’électricité et l’eau. La mise à contribution supplémentaire des compagnies minières a permis d’augmenter les dépenses sociales.
Cette démarche a conduit à une croissance économique positive et à une réduction de la pauvreté et de l’inégalité des revenus. Un changement systémique similaire au Kazakhstan est nécessaire pour répondre aux questions fondamentales sur la répartition des profits, l’équilibre entre les droits des actionnaires et des travailleurs, et la coopération entre l’État et les syndicats.
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La classe politique et intellectuelle kazakhe a tendance à légitimer les intérêts des plus riches du pays, diabolisant systématiquement les alternatives, en particulier socialistes et socio-démocrates. Leur approche est également sélective alors qu’il s’agirait de s’inspirer de l’expérience des gouvernements étrangers.
Les leçons à tirer des modèles suédois et sud-coréens
Au lieu de réformer l’ensemble du système financier pour réindustrialiser le pays, le gouvernement kazakh, se référant au principe too-big-to-fail (trop gros pour faire faillite), a versé des milliards de tengués aux banques en 2010, ce qui a enrichi leurs propriétaires.
À contrario, les gouvernements suédois et sud-coréens ont par exemple été confrontés à des crises, en 1992 pour la Suède et en 1998 pour la Corée du Sud, causées notamment par les spéculations sur l’immobilier. Ils ont alors été contraints à réformer le système. Les banques ont été nationalisées, des mécanismes de contrôle ont été mis en place et des investissements dans l’industrie ont été entrepris.
Cela fait 30 ans que les travailleurs sont oppressés, que leur volonté de se syndiquer est réprimée. Or, les syndicats sont des mécanismes démocratiques. Leur rôle consiste non seulement à équilibrer le rapport de force entre travail et capital en garantissant la redistribution de la richesse produite par la société, mais aussi à permettre aux citoyens de s’impliquer dans la vie politique à travers eux.
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C’est exactement pour cela que, dans les pays où les dogmes néolibéraux ont imprégné toutes les sphères de la société, le monde des affaires perçoit les syndicats comme leurs ennemis jurés. D’où des crispations autour des nouveaux propriétaires dans les discussions après cette énième tragédie, qui prennent la place de l’analyse critique d’un régime socio-économique déjà bien installé.
« Un besoin de changements systémiques »
Tôt ou tard, le besoin de changements systémiques va se faire sentir. Sans eux, les Kazakhs ne pourront pas répondre à ces questions qui reviennent sans cesse : comment répartir les profits des grandes entreprises ? Quel équilibre trouver entre les droits des actionnaires et ceux des travailleurs ? Comment créer un compromis entre l’État et les syndicats ?
Il serait temps que le Kazakhstan aborde la question d’un nouveau mode de développement. Sinon, les Kazakhs continueront à soulager leurs symptômes au lieu de chercher de nouvelles connaissances et de reconnaître que l’État totalitaire soviétique a laissé la place à une oligarchie capitaliste dont les intérêts se résument à la démultiplication de son profit au prix de la vie des mineurs kazakhs.
Kouat Akijanov
Pour Vlast
Traduit du russe par Arnaud Behr
Édité par Macha Toustou
Relu par Elise Medina
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