L’Ouzbékistan a suivi avec attention les manifestations qui ont secoué le Kazakhstan voisin. Hook Report analyse ici la couverture médiatique des événements et rend compte des forces et des faiblesses des sites d’information ouzbeks. Novastan reprend et traduit ici un article publié le 14 janvier 2022par le média ouzbek Hook Report. L’année 2022 a débuté par des manifestations de grande ampleur au Kazakhstan. D’après les témoins, le 1er et le 2 janvier derniers, tout était calme à Almaty. Seuls des rassemblements pacifiques avaient débuté dans la ville de Janaozen, où la population protestait contre la hausse des prix du gaz de pétrole liquéfié (GPL).
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Cependant, la situation a rapidement dégénéré et les manifestations ont gagné l’ensemble du pays. En Ouzbékistan, pour de plus amples informations, le média Gazeta.uz a largement couvert les événements. Hook Report a également publié un article afin d’expliquer en quoi ces manifestations concernent l’Ouzbékistan.
Des sources difficiles d’accès
Les autorités kazakhes ayant coupé Internet par intermittence, de nombreuses rumeurs ou autres informations non vérifiées ont émergé à propos des manifestations. Pendant plusieurs jours, les médias pro-étatiques du Kazakhstan ont donc constitué la principale source d’information, aux côtés des quelques médias qui parvenaient à suivre en direct ce qui se passait dans le pays.
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Les événements ont été principalement couverts en Ouzbékistan par les chaînes d’information. Et jusqu’au 4 janvier 2022, les médias ouzbeks n’avaient encore rien publié.
Un traitement variable
Le média Gazeta.uz, qui a été le premier à relayer la situation, à partir du 4 janvier, s’est évertué à en rendre compte avec impartialité dans des articles détaillés, vérifiant soigneusement les faits et citant les sources officielles. Gazeta.uz a ensuite suivi avec attention l’évolution des événements. Au total, le média a publié plus de 35 articles sur le sujet. De tous les médias lus par les Ouzbeks, et à l’exception de l’agence de presse russe spécialisée sur l’Asie centrale Fergana, seule Gazeta.uz a relayé la nouvelle de l’arrestation d’un musicien kirghiz qui passait pour un casseur étranger. Les autres médias du pays ont ignoré cette information. Les portails étatiques tels que UzA ou le site du gouvernement ouzbek n’avaient presque rien publié, hormis le compte rendu des entretiens téléphoniques entre les présidents des deux pays, sans préciser ni sur quoi ils s’étaient entendus, ni ce sur quoi portaient ces conversations. Par ailleurs, en raison des problèmes informatiques sur le site de l’UzA, il était quasiment impossible de trouver les dates de publication des articles.
S’en tenir à la version officielle
Dans l’ensemble, les organes de presse du pays ont essayé de s’en tenir à la version officielle, ne rendant compte que des échanges entre les deux présidents ou d’autres informations similaires, sans plonger au cœur du problème. La majeure partie des médias, comme Podrobno, se sont limités à un aperçu général des manifestations et à des podcasts où les informations sur le Kazakhstan étaient mélangées aux autres actualités. Les médias Uznews et Novosti Uzbekistana sont ceux qui ont le moins couvert les événements, avec respectivement treize et neuf articles. L’accent a été mis sur le rapatriement de citoyens en Ouzbékistan, sur les annulations de vols et également sur les échanges téléphoniques entre les présidents. Lire aussi sur Novastan : Des dizaines de manifestants tués au Kazakhstan, des militaires russes envoyés sur place La version russe du média Kun.uz a relaté en détail ce qui se passait au Kazakhstan. Cependant, à l’inverse des articles de Gazeta.uz, ceux de Kun.uz étaient loin d’être impartiaux. Dans les titres se glissait souvent un jugement de valeur, comme dans l’article du journaliste Ouloukbek Akbarov, qui expose sa propre analyse et qualifie, comme l’a fait le gouvernement kazakh, les manifestants de « terroristes ».
Une tentative de diversification
Contrairement à d’autres médias, Kun.uz s’est efforcé de diversifier ces publications. Ainsi, un article a évoqué Dariga Nazarbaïeva, la fille de l’ancien président, ainsi que des criminels qui auraient été impliqués dans les manifestations. Il est difficile de dire dans quelle mesure ces informations sont objectives, mais il s’agit d’une tentative intéressante de diversifier les informations. Il est également important de mentionner que c’est Fergana qui a publié le plus grand nombre d’articles sur les manifestations au Kazakhstan et sur les réactions qu’elles ont suscitées en Ouzbékistan. C’est d’ailleurs à un article de Fergana qu’avait réagi le ministère kazakh de l’Information. Lire aussi sur Novastan : Nur-Sultan sans Nazarbaïev : causes et conséquences de la crise actuelle au Kazakhstan Les autorités ont en effet accusé le média d’avoir diffusé des informations mensongères. L’article parlait de la lutte pour le pouvoir entre les clans du Kazakhstan et du rôle de la famille de l’ancien président dans les manifestations. Il s’agit pour le moment du seul cas où les autorités kazakhes ont réagi à la couverture médiatique des événements faite en Ouzbékistan.
La couverture prorusse
Concernant la couverture de l’actualité au Kazakhstan, il est impossible de ne pas citer l’agence de presse russe Sputnik, qui possède une rédaction en Ouzbékistan. Étant donné qu’elle appartient à Rossia Segodnia, organisme de communication officiel russe, il était tout à fait prévisible que les nouvelles du site aient une légère teinte et une prise de position prorusse. Sur le site web, une section distincte « Troubles au Kazakhstan » avait été créée, sur lequel38 articles ont été publiés. Contrairement aux autres médias du pays, certains articles concernent les réactions de Vladimir Poutine et de son secrétaire de presse Dmitri Peskov, l’avis des députés de la Douma, ou d’autres opinions sans rapport avec l’Ouzbékistan. Cependant, en dépit du fait que l’agence appartienne à une holding russe, le média a toujours essayé de rester neutre et de ne pas donner un point de vue personnel sur la situation.
L’analyse de la crise
Comme toujours, les médias ouzbeks sont peu variés. La plupart sont des médias d’information, et aucun des médias susmentionnés n’est spécialisé. Le média Spot.uz,, qui est axé sur le business et l’économie, n’a donné que quelques nouvelles du Kazakhstan, se dispensant d’analyse. Le site Gazeta.uz a quant à lui publié une étude sur les problèmes de l’économie de l’Ouzbékistan dans le contexte des manifestations chez son voisin. Le média a examiné les faits dans le détail, analysé les exportations et les importations entre les pays et présenté au public ses conclusions. Par ailleurs, Gazeta.uz a tenté d’analyser les manifestations au Kazakhstan d’un point de vue politique, en examinant la situation en Asie centrale. L’éditorialiste Youri Saroukhanyan a expliqué l’enjeu du conflit, ses causes et ses conséquences pour le futur.
Explications et projections
Podrobno.uz a publié trois articles comportant des évaluations d’experts. Cependant, l’un d’eux s’est avérée être une reprise d’un article du site Kommersant.ru, et un autre a repris le commentaire d’un article publié par l’agence de presse RIA Novosti. Les trois articles s’interrogeaient sur la possibilité que les manifestations au Kazakhstan se répètent en Ouzbékistan, et ils se demandaient si l’Ouzbékistan devait rejoindre l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Il est intéressant de noter que le titre même d’un des articles sur de possibles manifestations en Ouzbékistan, évoquant « la prochaine cible des extrémistes », contenait un jugement de valeur. Lire aussi sur Novastan : La crise kazakhe marginalise politiquement Noursoultan Nazarbaïev Sputnik a également repris les informations de RIA Novosti mais, contrairement à Podrobno, il a présenté deux articles analytiques. Le premier concernait les raisons de ces manifestations, rejetant la faute sur l’Europe et les États-Unis, le second expliquait comment l’OTSC pouvait sauver la région.
Diversification des analyses
Le site Fergana.ru a publié le plus grand nombre d’articles d’analyse concernant les manifestations, six au total. Si ce média est resté factuel au début, sa position s’est ensuite résumée à expliquer les protestations par la lutte de pouvoir entre plusieurs clans du pays. L’agence de presse a tenté d’aborder la question de manière objective, mais ne s’est concentré que sur les événements au Kazakhstan, ne mentionnant presque jamais l’Ouzbékistan. Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : nouveau gouvernement et retrait des troupes étrangères Par ailleurs, tout comme Gazeta, le média Kun.uz a pris l’initiative d’analyser le discours d’Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, et la manière dont les manifestations pourraient affecter l’Ouzbékistan. L’article de Choukhrat Chokirgjonov donne ainsi un aperçu des paroles du président biélorusse et donne sa vision de ce dont l’Ouzbékistan doit se méfier réellement.
Quel est le résultat ?
Pour se tenir au courant des événements qui ont eu lieu au Kazakhstan, et pour se forger une opinion relativement neutre de ses causes et conséquences, le public ouzbek doit suivre plusieurs sources. À l’exception de certains médias, comme Gazeta et Fergana, presque tous les autres se permettent d’évaluer les événements en cours ou de publier des reportages s’en tenant à la version officielle.
Si tout semble être plus ou moins acceptable en termes de compte rendu de l’actualité, l’analyse est le point le plus faible des médias ouzbeks. Par rapport aux médias kirghiz ou russes, il n’existe en Ouzbékistan que quelques médias qui tentent de donner une vision de la situation en analysant les causes et les conséquences. Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : Le bilan flou des troubles de janvier 2022 Cette situation s’explique peut-être par le manque d’experts ou par la difficile situation financière des médias spécialisés. Il est à espérer qu’avec le temps, le public ouzbek aura un accès plus aisé à l’information et aux analyses.
La rédaction de Hook Report
Traduit du russe par Alexei Vasselin
Édité par Laure de Polignac
Relu par Amada Blanc
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