A Aksou, dans la province d’Aqmola dans le nord du Kazakhstan, les habitants se sont unis contre la construction d’une usine liée à l’extraction de l’or. Les conséquences de l’implantation de cette nouvelle entreprise seraient désastreuses pour l’environnement et la santé des riverains, mais les pouvoirs publics n’écoutent pas les principaux intéressés.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 novembre 2020 par le média kazakh Vlast.kz.
En 2020, les habitants de Stepnogorsk, d’Aksou et de Bestobé, dans la province d’Aqmola, ont commencé leur lutte contre la construction d’usines, de carrières et d’entrepôts de stockage de déchets contenant des polychlorobiphényles.
Chacune de ces localités rencontre un adversaire différent et ses propres confrontations, qui sont encore loin d’être finies. Ce sont les habitants d’Aksou se sont unis et ont protesté en premier.
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Chaque année, l’extraction de l’or augmente au Kazakhstan. En 2014 l’industrie a extrait 49,2 tonnes, et 85 tonnes en 2017. L’or est extrait dans plusieurs régions, dont la province d’Aqmola. Il y existe trois gisements importants : Aksou, Bestobé et Jolymbet.
Des villes fondées pour exploiter les mines
La ville d’Aksou est riche en or. Elle se situe à 200 kilomètres de la capitale Nur-Sultan et à 18 kilomètres de Stepnogorsk. En 1997, elle était incluse dans les limites de cette ville, c’est-à-dire que l’akim (l’équivalent kazakh du maire, NDT) de l’administration d’Aksou obéissait au magistrat de Stepnogorsk.
Cette petite ville a été fondée il y a 100 ans, quand l’exploitation de la mine a commencé. Au pic de son développement, environ 10 000 personnes y vivaient et il y avait un hôpital, signe essentiel de l’urbanisation au temps de l’URSS. Aujourd’hui, on y trouve a 4000 habitants et une polyclinique.
La majorité des habitants travaille dans l’entreprise Kazakhaltyn qui extrait de l’or. Il arrive que, quand les habitants ne sont pas embauchés, ceux-ci descendent illégalement dans la mine en corrompant le gardien. Parfois, ces « orpailleurs noirs » y périssent, ces incidents se produisent le plus souvent à Bestobé.
Une zone déshéritée
En plus de l’extraction d’or, il y a près d’Aksou un lieu d’enfouissement de déchets d’uranium. Il est le deuxième au monde par sa taille. Non loin se situe une prison où des prisonniers tuberculeux viennent de tout le pays. A ce triste tableau s’ajoutent des tuyaux de la centrale thermique approvisionnant Stepnogorsk.
Il y a longtemps, elle approvisionnait aussi Aksou, mais au début des années 2000, au plus fort de l’hiver, l’adjoint de l’administration locale de Stepnogorsk a pris la décision de cesser de fournir la ville en électricité et en chauffage, celle-ci ayant accumulé des dettes.
Une population oubliée
Alexandre Sizov est l’un des leaders de la contestation contre la construction de la nouvelle usine d’extraction d’or. Il a vécu toute sa vie à Aksou et se souvient que pendant cette période, Kazakhaltyn, entreprise ayant le monopole dans la ville, n’a pas payé ses salariés pendant plusieurs années.
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« On nous donnait des bons de rationnement pour les pâtes. C’était comme pendant la guerre. Au lieu de résoudre le problème avec Kazakhaltyn, les fonctionnaires nous ont coupé le chauffage et la lumière en décembre et ont ainsi tué la ville », raconte-t-il.
Les conséquences de cette décision sont visibles jusqu’à présent : les habitants ont abandonné quinze immeubles neufs de cinq étages, et cela fait presque deux décennies que leurs fenêtres vides donnent sur le secteur privé, rescapé, et sur les rares maisons à deux étages en ruine.
Une ville qui se vide de ses habitants
Alors, après la décision inconsidérée des fonctionnaires, les secours ont été envoyés à Aksou : des tuyaux avaient éclaté et les gens avaient froid. Ceux qui vivaient dans les immeubles ont abandonné les appartements, sans recevoir aucune compensation.
Avant encore, dans les années 1990, les Allemands ont quitté l’endroit. Ils constituaient entre 50 et 60 % de la population.
Maintenant, les jeunes essaient d’aller étudier en Russie. Là-bas, les prix de l’enseignement supérieur sont deux fois plus bas que ceux du Kazakhstan. Les conditions de vie à Aksou ne sont pas comparables à celles de Nur-Sultan, de Kokchetaou, de Stepnogorsk ou de Novossibirsk.
Pas de chauffage et un mauvais accès à l’eau potable
Les journalistes de Vlast se rendent dans la localité grise et morne. Du ciel tombent de légers flocons. Il fait -4°C, mais le ressenti est de -12°C. Le vent traverserait le plus chaud manteau d’Almaty.
Auprès d’une maison, une adolescente ramasse du charbon dans un seau. Depuis qu’Aksou n’a plus de chauffage central, les habitants jettent ce qu’ils peuvent dans la chaudière. Alors même que la centrale thermique se situe à quelques kilomètres de là.
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Ce qui est encore plus étonnant est que pendant 25 ans, il n’y avait pas d’eau potable à Aksou. Elle a été réinstallée en 2018. Avant cela, un camion-citerne venait une fois par semaine.
Des habitants dépendants de l’agglomération voisine
« On mettait l’eau dans tout ce qu’il y avait à la maison, même dans les pots. Jusqu’à présent, je ne peux pas m’habituer au fait qu’elle coule du robinet. Je lave la vaisselle et ensuite, avec cette même eau, je lave le sol », raconte Antonina Nikolaïevna Regner.
Elle vit à Aksou depuis 1971, soit presque 50 ans, et vient de partir à la retraite. Elle a élevé quatre enfants et a déjà 7sept petits-enfants.
Il y avait auparavant à Aksou quatre jardins d’enfants. Il y a peu, un a enfin ouvert dans le bâtiment d’une école. Les habitants demandent d’installer un distributeur automatique à Aksou, afin de retirer de l’argent, ils doivent habituellement se rendre en ville.
La ville d’Aksou isolée pendant la pandémie
Quand la pandémie a commencé, les autorités ont arrêté la circulation des bus entre Aksou et Stepnogorsk.
« Quand le coronavirus a commencé à perdre de la vitesse, ils ont mis en route un seul bus, et les gens y voyagent comme des sardines en boite. Est-ce que c’est ça, la lutte contre le coronavirus ? », s’étonne Alexandre Sizov.
Parmi les choses positives qui se sont passées dernièrement, des travaux ont été faits sur la route entre Stepnogorsk et Aksou. C’était la première fois depuis l’indépendance, en décembre 1991.
Une « misère dorée »
Dans les années 1980, le magazine Ogoniok (Petite flamme, en russe) a publié l’article Misère dorée. Des journalistes y racontaient les conditions affreuses dans lesquelles vivaient les mineurs à Aksou, Bestobé et Jolymbet. Mais en 2020, il était évident que la situation restait comparable à celle des années 1980.
« Il se trouve qu’à cette époque, c’était mieux à Aksou : il y avait un hôpital, un système de chauffage centralisé, les routes étaient bétonnées et il y avait même des camions de nettoyage dans les rues. Je pense qu’une des raisons à cela est que le directeur de la mine habitait ici », raconte Alexandre Sizov.
« Maintenant, la direction est en ville et ce qu’il se passe ici lui est indifférent. Tant que leurs familles ne respireront pas le même air que nous et ne déambuleront pas par ces rues, rien ne changera », assure-t-il.
La ville enterrée sous la poussière des décharges
Depuis les années 1930, l’entreprise ayant le monopole à Aksоu est Kazakhaltyn, héritière du Kazzoloto soviétique. Ici, la teneur moyenne en or dans une tonne de minerai est de 1,99 grammes. L’extraction se fait à la fois à ciel ouvert et sous terre. L’usine peut extraire 500 000 tonnes d’or par an.
Pratiquement tout Aksou est entouré d’infrastructures de Kazakhaltyn. La localité est encerclée par des décharges et des carrières. L’été, quand le vent souffle fort, il ramène de la poussière depuis les décharges, un peu comme lors de la fin du monde du film Interstellar de Christopher Nolan.
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Antonina Regner raconte qu’à cause de la poussière, il faut laver les carreaux chaque semaine, mais qu’ils redeviennent aussitôt gris.
Une eau polluée
Un des bassins de résidus de Kazakhaltyn se trouve depuis l’époque soviétique à l’intérieur de la ville, juste à côté de la maison d’Alexandre Sizov. Il est censé s’étendre sur une distance de 150 mètres, cependant, l’écologue de l’entreprise l’a mesuré et mesurait en réalité 198 mètres.
Du fait qu’il n’y avait pas d’eau à Aksou, Alexandre Sizov a creusé un puits dans la cour de sa maison. Il y prenait l’eau pour des besoins techniques : l’arrosage, le ménage, le nettoyage de la vaisselle.
Il semble qu’il ait essayé de ne pas penser au fait que l’eau pouvait être contaminée au cyanure : à l’époque soviétique, les déchets étaient stockés sous terre sans couche de protection. La terre absorbait tout.
Maintenant, alors que l’eau courante est enfin arrivée, la vie est devenue plus facile et beaucoup ont commencé à construire et à remettre les maisons en ordre. L’arrivée de l’eau ne satisfait pas seulement un besoin de base, c’est aussi l’espoir d’une nouvelle vie. Cependant, la question essentielle reste l’écologie.
Une ville coincée entre les décharges et les carrières
« Nous sommes entourés de tous les côtés : à l’est, au sud, au nord, des bassins de résidus, des décharges et des carrières. La steppe n’était là que d’un côté. Nous nous réjouissions quand le vent venait de l’ouest : au moins, un côté apportait de l’air pur », raconte Alexandre Sizov.
Maintenant, du côté de l’ouest, une construction de la compagnie Adelya Gold est planifiée. Cet été, les habitants ont vu le sol être retourné dans les pâturages où ils emmenaient faire paître leur bétail, près de la rivière et des datchas.
C’est ainsi que les habitants d’Aksоu ont su que près du village serait encore construite une usine d’extraction d’or. Ils ont découvert avec étonnement que la compagnie avait mené des auditions publiques sur leur développement industriel le 3 août 2018.
Des « auditions publiques » gardées secrètes
« Internet fonctionne mal dans notre village, encore maintenant il n’est pas très bon. De ce que j’ai compris, en 2018, les employés d’Adelya Gold, de l’administration d’Aksou et quelques personnes de Stepnogorsk se sont réunis. Ces gens n’en ont rien à faire de ce qu’il se passe chez nous du moment qu’il y a du travail et un budget », raconte Alexandre Sizov.
« Et voilà que cet été la construction démarre sans que nous soyons au courant. Quand nous avons appris cela, nous avons commencé à montrer notre indignation. On nous a dit qu’il y avait tous les documents et les autorisations, que l’administration de Stepnogorsk avait signé, que les auditions étaient passées. On demande où les auditions se sont passées, on nous répond que c’était à Stepnogorsk », poursuit-il.
« Et pourquoi là-bas, pourquoi pas à Aksou ? Puisqu’on construit chez nous ! Selon les règles, il est nécessaire d’annoncer les auditions publiques d’une façon pratique pour la population, par exemple en placardant des annonces aux arrêts de bus et dans les magasins. Ils ont fait tout cela en silence, comme ça les arrangeait eux, sans penser aux gens », s’indigne le riverain.
La ville mobilisée contre la construction de l’usine
Les habitants d’Aksou ont rapidement créé un chat sur WhatsApp et ont rassemblé des signatures contre la construction. Ensuite, ils ont écrit une lettre au président Kassym-Jomart Tokaïev, au procureur général et au ministère de l’Écologie.
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Dans cette lettre à Kassym-Jomart Tokaïev, les habitants exposent la situation : ils rappellent qu’ils n’ont pas participé aux auditions publiques et que celles-ci n’ont pas eu lieu dans la localité concernée, mais à Stepnogorsk.
Une évolution inquiétante du projet
« Nous, habitants d’Aksou, avons à maintes reprises invité la direction de la SENCRL Adelya Gold à mener de nouvelles auditions publiques, cette fois-ci sur le territoire de notre village et avec la participation de nos habitants. Nous estimons que cette proposition est encore d’actualité parce que le projet d’Adelya Gold a, à ce jour changé significativement en comparaison avec celui présenté lors des auditions passées et l’étude sur l’impact environnemental effectuée en 2018 », détaille la lettre.
En effet, depuis les premières auditions publiques, certains aspects du projet ont changé. L’agent chimique utilisé pour l’extraction n’est plus le même, ni le bassin prévu pour les déchets, qui devait être situé à un autre endroit. Les technologies utilisées et les rejets de substances chimiques nuisibles sont également différents.
« De la même manière, le sens du vent en direction d’Aksou n’a pas été pris en compte. Nous estimons que nos droits d’accès à l’exhaustivité des informations concernant les auditions publiques n’ont pas été assurés de façon suffisante en 2018 », conclut la lettre.
Des normes non respectées
La journaliste de Vlast demande à Alexandre Sizov s’il a eu des réponses. Il agite la main négativement.
« Ils écrivent que même nous, nous en savons plus qu’eux. Par exemple, nous montrons qu’Adelya Gold a déjà empiété sur le lit de la rivière, alors qu’il y a une bande de protection de l’eau de 35 mètres, à l’intérieur de laquelle les travaux sont interdits », répond le militant.
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« Ils nous répondent : « Non, nous n’avons pas empiété ». Pourtant, dans les faits, ils ont ouvert une carrière de développement industriel et sont allés jusque dans la rivière. Leur usine se trouve à une distance de 600 mètres de la rivière, à soi-disant 1000 mètres de Kvartsitki (un quartier d’Aksou, NDLR) et le bassin de résidus à 2000 mètres », continue-il.
Les consultations publiques restent floues
Selon Alexandre Sizov, le vent souffle tous les jours à plus de 20 mètres par seconde et la poussière arrive dans les rues d’Aksou en 5 à 10 secondes. Les rapports expliquent pourtant que les normes sanitaires sont respectées. Cependant, les habitants n’en sont pas satisfaits et ils ont envoyé une deuxième lettre au président pour demander l’annulation du projet.
En outre, Adelya Gold doit, selon les règles, mener une étude d’impact environnemental et d’autres audiences publiques à propos de la carrière industrielle. Les dates prévues restent encore inconnues.
Alexandre Sizov est certain qu’il est tout à fait possible que les habitants même interdisent à Adelya Gold de construire la carrière, car il estime que les gens connaissent maintenant les études d’impact environnemental et leur milieu. Ce faisant, la construction de l’usine est en cours, mais elle ne pourra pas fonctionner sans la carrière.
Les habitants sont indignés car, de leur côté, tout cela donne l’impression que tout semble déjà avoir été décidé à l’avance, sans considération de leur opinion.
« Ils ont tout simplement décidé de nous étouffer »
Antonina Regner confesse que cela fait longtemps qu’elle a entendu dire que la construction d’une usine près de la rivière était prévue, mais qu’elle ne pouvait pas croire que les autorités donneraient l’autorisation de le faire.
« Comme s’il ne suffisait pas qu’on nous ait installé Kazakhaltyn ici, voilà encore qu’Adelya Gold est venue. Ils ont tout simplement décidé de nous étouffer. C’était notre seule fenêtre, nous sommes entourés d’usines sur trois côtés. Du côté de l’usine de paliers à roulement de Stepnogorsk, c’est en gros la zone des tuberculeux », raconte-t-elle.
« Et de l’autre côté, où a été prévue la construction d’Adelya Gold, il y a des datchas et le vent vient de là. Ils nous prouvent que ce n’est pas de ce côté-ci que souffle le vent. Alors quoi, nous vivons ici et nous ne savons pas de quel côté le vent arrive ? Ils ont décidé de nous étouffer, ils vont aussi détruire la rivière et les quartiers de datchas. Le bétail crève systématiquement et personne n’a à en répondre », continue-t-elle.
Des substances chimiques plus dangereuses qu’avant
Selon Antonina Regner, l’extraction de l’or était différente avant : il n’y avait pas de cyanure ni de chlore. Après l’extraction, l’or était élaboré ailleurs, dans des usines.
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« De nos jours, il faut un résultat prêt ici et maintenant. Ils ont reconverti les fabriques et maintenant ils travaillent avec du cyanure dans le village même. L’attitude de nos autorités me surprend », ajoute la riveraine.
Dans l’agglomération de Stepnogorsk, malgré une forte concentration d’entreprises dangereuses pour l’environnement, il n’y a pas d’environnementalistes.
Les conséquences dévastatrices ignorées par les industries
« Des écologues de Kokchetaou sont venus. Je leur ai demandé : pourquoi est-ce ainsi, sommes-nous la dernière génération qui vit sur cette terre ? Non, il y aura des enfants, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants, comment vivront-ils ? » s’indigne Antonina Régner.
« La science et les technologies se développent, l’extraction de cet or devient moins destructrice pour les humains, pour la nature, pour les animaux sauvages. Personne ne nous considère, il faut juste de l’or, de l’or, de l’or », continue-t-elle.
L’avenir incertain de la ville
La riveraine n’est pas la seule à poser des questions rhétoriques.
« Peut-être que cet or est notre malheur. D’un côté nous avons du travail, mais de l’autre, ils fraudent. Personne ne pense aux générations futures. Qu’y aura-t-il après, comment le village va-t-il vivre, comment va-t-il se développer ? Il faut tout prendre en deux ou trois ans à une allure frénétique, et après quoi ? Les villes et les villages deviendront fantômes ? » demande Alexandre Sizov.
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« Avant, d’une certaine manière, on s’occupait du travail et de l’écologie, tandis que maintenant on prend juste l’or et on s’en va », estime-t-il.
Dans le protocole des auditions publiques sur le projet de construction de l’usine pour la transformation de l’or, il est écrit que 60 à 70 personnes vont y travailler, dont la moitié sera d’Aksou. En d’autres termes, 30 à 35 habitants du village recevront un emploi.
Plus de ressources pour le bétail
Ierken Abdrakhmanov vit avec son épouse à Aksou depuis 1989. Il est sauveteur et se rend sur tous les lieux d’accidents dans les mines. Ici, il y a ses enfants et ses petits-enfants, son fils a par ailleurs dû partir à la capitale, souffrant d’asthme.
« Nous avons trois fabriques ici, c’est déjà la quatrième qu’ils construisent. Notre pâturage est ici. Où peut-on envoyer le bétail ? Nulle part, tout est déjà occupé par les constructions », constate Ierken Abdrakhmanov.
La pollution au cyanure
« Ils ont commencé l’exploitation et voilà que la fumée des cheminées nous arrive avec la poussière, la cendre, les vapeurs de cyanure et en plus les résidus. Tout vient par ici, au village. A la fabrique, on ne sait pas comment, un tuyau de cyanure a éclaté. Après les vaches ont bu l’eau et elles sont mortes. Et nous n’avons personne à qui nous plaindre », constate-t-il tristement.
Les habitants prennent connaissance des tuyaux de cyanure qui éclatent par une odeur d’amande douce et agréable.
« On nous dit : « Vos enfants travaillent à l’usine ? Oui ? Alors taisez-vous ». Avant, les mineurs partaient à la retraite à 45 ans, maintenant à 63 ans. Ils tiennent à peine debout et s’ils arrivent à la retraite, ils vivent encore 6 mois et c’est fini. Et encore, beaucoup ne survivent pas : ils attrapent le cancer ou la silicose à cause de la poussière », ajoute-t-il.
Impossible de déménager
Ierken Abdrakhmanov est sûr que s’il le faut, tous les habitants seront contre, puisque qu’il n’ont nulle part où aller. Pour déménager, il faut de l’argent. D’après les dires des habitants, Kazakhaltyn proposait 3 millions de tengues (environ 5855 euros) pour déménager. Mais avec cette somme, il est impossible d’acheter un appartement une pièce à Stepnogorsk.
Adelya Gold a déclaré ne pas avoir les moyens de reloger les gens.
« En contrepartie, ils ont proposé de payer les déjeuners des écoliers issus de familles défavorisées, ce qui fait quatre ou cinq personnes, et ceux-ci sont actuellement en apprentissage à distance. Cela devient même risible : vous allez empoisonner les enfants avec des déchets de cyanure, et en compensation vous leur donnez du porridge », s’indigne Alexandre Sizov.
Des réunions improductives
D’après le riverain, Sergueï Khaber, le directeur de l’entreprise, a mené plusieurs réunions.
« A chaque fois, nous disons que nous sommes contre. Lui, il répond : peu importe, je vais construire. Et voilà toute la conversation », rapporte Alexandre Sizov.
« Nous avons dit à l’administration de Stepnogorsk : puisque vous nous cernez, nous posons la question d’un déménagement du village tout entier. Mais ils nous disent que le déménagement de Kvartitsa n’est pas prévu. Alors, nous sommes forcés d’engager un combat à mort contre Adelya Gold », continue-t-il.
« Une zone purement industrielle »
Antonina Regner estime qu’Aksou est devenu une zone purement industrielle et qu’il est nécessaire de construire un nouveau village pour y reloger les gens.
« Ce n’est pas possible de vivre dans une usine, les gens sont très malades et les allergies sans fin. On perd ses dents, on attrape des cancers. Avant, nous n’entendions pas parler de cancer de stade 4, maintenant, il semble proche », déplore la riveraine.
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« La gare d’Aksou est submergée par les déchets. Relogez-nous et travaillez ici, piochez, détruisez la terre. Adelya Gold dit vouloir améliorer notre bien-être à ses frais. Peut-être qu’il y a vraiment des gens qui seraient d’accord pour être relogés, mais en général ce n’est pas le cas. Les gens ne brûlent pas d’envie de laisser leur maison, de quitter leurs terres, leurs racines sont trop profondes », continue-t-elle.
Un budget municipal trop peu élevé
Les habitants ont fait les comptes pour savoir quel argent serait nécessaire pour reloger tout le monde : 17 milliards de tengues (environ 33,1 millions d’euros). Bien entendu, personne n’a cet argent.
D’après Ierkeboulan Baïakhmétov, l’akim de Stepnogorsk, les contributions fiscales générales des entreprises industrielles de la ville sont de presque 24 milliards de tengues (46,8 millions d’euros). 16 milliards vont au budget national, 7 au budget local. Dans cette somme, 4 milliards (7,8 millions d’euros) sont alloués à la province.
Au total, il est prévu de dépenser près de 40 millions de tengues par an (un peu plus de 78 000 euros) pour le village d’Aksou. C’est le prix de 2,5 Audi Q3 de 2015.
De futurs rassemblements possibles
Alexandre Sizov estime que les autorités craignent plus que tout que les habitants d’Aksou organisent des rassemblements. Pendant l’hiver, les activistes s’occupent de questions administratives : ils écrivent des lettres, demandent à des spécialistes de s’occuper de la situation, suggèrent qu’une partie de l’argent des entreprises d’exploitation de l’or reste chez eux.
Mais peut-être qu’avec l’arrivée des beaux jours ils feront la demande d’un rassemblement, et que tous les habitants d’Aksou s’y rendront.
En plus de cela, il a été rendu public l’été dernier que Kazakhaltyn se préparait à construire une usine d’exploitation de l’or pour la transformation du minerai du gisement d’Aksou, avec un rendement de cinq millions de tonnes par an.
De l’inquiétude et du pessimisme
Les écologues sont inquiets : la nouvelle installation se trouve près du bassin de résidus nucléaires, dans lequel il y a 16 millions de tonnes de déchets. Si les opérations de dynamitage commencent, les conséquences pourront être perçues non seulement à Aksou, mais jusque dans la capitale.
Antonina Regner s’accorde à dire que les habitants d’Aksou se sont vraiment levés pour défendre leur localité, mais elle estime que la majorité d’entre eux est pessimiste. Parfois, il semble qu’après l’indépendance les autorités du pays aient singulièrement excellé dans l’art de rendre la population pessimiste.
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Antonina Regner remarque que tous les habitants sont indignés mais qu’ils espèrent que quelqu’un fera tout à leur place : écrire des lettres, étudier les lois, aller aux réunions, formuler des exigences. Elle dit que les personnes âgées craignent d’aller aux débats sur la construction parce qu’ils ont peur d’être déçus et que leur tension augmente.
Des rencontres entre les habitants et l’entreprise d’extraction
En juin, il y a eu une rencontre entre Sergueï Khaber, le directeur de l’entreprise Adelya Gold, et les habitants d’Aksou. Pendant celle-ci, il a annoncé que la compagnie venait s’installer à Aksou pour huit ou dix ans et qu’elle avait même refusé la construction d’un camp de base.
En plus de cela, la compagnie se prépare à acheter des maisons pour y installer les ouvriers en bâtiment. Le directeur a demandé aux habitants de ne pas transférer sur la compagnie une expérience amère, liée à la présence ici d’une autre entreprise.
Après deux semaines passées à Aksou, le directeur a dit avoir vu les problèmes liés aux déchets, mais il assure que ce n’est pas la faute de la compagnie.
Les questions environnementales prétendument considérées
« J’ai entendu tout ce que la communauté locale a dit. Et nous avons commencé à étudier comment régler ces questions. A propos des questions sociales, nous avons discuté avec la direction de la compagnie, elle a réagi de façon adéquate à la demande des habitants et a annoncé s’impliquer dans plusieurs projets », a déclaré Sergueï Khaber.
En ce qui concerne le cyanure, il a parlé d’un nouvel agent chimique qui peut être utilisé à la place de cette substance dangereuse et qui sert déjà dans beaucoup d’usines de traitement. Sergueï Khaber a certifié qu’il n’était pas dangereux pour l’écologie et qu’il était « moins nocif que beaucoup de gaz d’échappement des voitures ».
En plus de cela, il a promis d’organiser un groupe public qui pourrait, sans entrave, se trouver sur la construction et en cas de besoin aller dans l’usine.
« L’usine, que nous avons commencée et que nous allons construire, respecte les normes de distance par rapport aux habitations, aux installations et à la rivière », a indiqué le directeur aux habitants.
Ce que disent les autorités
L’adjoint de l’akim de la province d’Aqmola a produit une réponse écrite aux militants. Il y explique succinctement, sur quatre pages, l’origine de cette construction contestée.
Il se trouve qu’en 2019 l’administration de la province avait déjà autorisé la SENCRL Taouken-Stepnogorsk à utiliser des terres jusqu’en 2028, à titre onéreux et sur une parcelle de 104,9 hectares, pour l’exploitation et l’extraction de l’or.
En 2015, la SENCRL Taouken-Stepnogorsk a transmis le droit d’utilisation à Adelya Gold. En mars 2019, l’administration de Stepnogorsk a octroyé à la SENCRL Adelya Gold, de façon provisoire et à titre onéreux, le droit d’utilisation des terres sur une parcelle de 16 hectares pour la construction d’un bassin de résidus.
Sur une autre décision de l’administration de Stepnogorsk, la compagnie a reçu le droit d’utilisation des terres pour la construction d’une usine de traitement modulaire pour l’extraction du métal, avec une quantité de 350 000 tonnes de minerai, sur une surface de 10 hectares.
Les fameuses auditions annoncées par l’administration
L’administration de la province a annoncé de son côté que trois auditions publiques avaient été menées. La première d’entre elles a eu lieu en 2017 pour le projet de développement industriel à ciel ouvert du gisement d’or de Karaboulak dans la province d’Aqmola et pour l’évaluation de son impact environnemental.
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Les deux autres auditions ont eu lieu en 2018. Elles évoquaient d’abord l’usine de traitement modulaire pour la transformation du minerai aurifère de ce même gisement, puis la volonté d’extraire 350 000 tonnes d’or par an et d’évaluer à nouveau l’impact environnemental du projet.
Il est à noter que l’ensemble des trois auditions a été mené à Stepnogorsk. L’annonce de la tenue d’auditions publiques a été publiée sur le site de l’administration.
Des constructions parfaitement légales
Selon les informations de l’administration, la distance entre la rivière et l’usine de traitement modulaire est de 1,1 kilomètre, la même distance qu’entre Aksou et cette même usine. La distance entre la rivière et le bassin de résidus est de 700 mètres, contre 2,5 kilomètres par rapport aux habitations.
L’harmonisation des activités de production a été délivrée par l’Inspection du bassin dе l’Ichim pour la régularisation et la protection des ressources aquatiques du comité du ministère de l’Ecologie, de la Géologie et des Ressources naturelles.
Selon les affirmations de l’adjoint de l’akim, tous les actes attributifs de droit ont été établis en accord avec la loi. Le ministère de l’Écologie, de la Géologie et des Ressources naturelles a lui aussi répondu aux habitants d’Aksou que les auditions de 2018 avaient été reconnues par la loi.
Des mesures de protection du cours d’eau approuvées mais douteuses
La décision de l’administration de la province d’Aqmola du 28 février 2019 est curieuse. Elle traite de la « mise en place d’une zone de protection de l’eau sur une bande de la rivière d’Aksou, située sur le territoire de Stepnogorsk dans la province d’Aqmola, et du régime de leur exploitation ».
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En accord avec cette décision, la largeur de la zone de protection de l’eau est de 500 mètres et celle de la bande de protection de l’eau de 35 mètres.
Après ces changements, l’harmonisation avec l’Inspection du bassin de l’Ichim du comité des ressources aquatiques du ministère n’est plus nécessaire.
Cette situation rappelle les mots d’une des habitantes. Elle avait dit lors d’une rencontre avec la compagnie Adelya Gold : « Il est possible que tous vos documents soient parfaits. Mais vous ne pouvez tout simplement pas comprendre que vous n’êtes là ni au bon moment ni au bon endroit. Autour de nous, on ne voit que l’or, mais personne ne voit qu’il y a des gens ».
Svetlana Romachkina
Journaliste pour Vlast
Traduit du russe par Pauline-Clémence Baranov
Édité par Paulinon Vanackère
Relu par Robin Leterrier
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