Les décideurs politiques et économiques font face à un projet colossal : l’extension du corridor médian reliant la Chine à l’Europe en passant par l’Asie centrale et le Caucase du Sud. Les perspectives pour rendre cette route de transport durable et compétitive en un temps record ont été examinées avec Jandos Keguenbekov, doyen de la faculté d’ingénierie et de technologie de l’information de l’Université germano-kazakhe d’Almaty.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie, survenue le 24 février 2022, a bouleversé la politique économique de nombreuses nations. Cet événement a également perturbé le secteur du transport et de la logistique. La Chine et l’espace économique européen ont un intérêt commun à maintenir l’approvisionnement de l’Europe en marchandises issues de la deuxième économie mondiale. Cependant, l’offensive russe et les sanctions mises en place depuis ont fortement réduit l’attractivité du corridor Nord passant par la Fédération de Russie.
Depuis le 5 décembre 2022, l’Union européenne applique un embargo sur les importations de pétrole brut russe transportées par voie maritime. Le Kazakhstan exporte environ 80 % de son pétrole, ce qui représente 53,1 millions de tonnes, principalement via le port de Novorossiysk, situé au Sud de la Russie.
Soutenez Novastan, le média associatif d’Asie centrale
En vous abonnant à Novastan, vous soutenez le seul média européen spécialisé sur l’Asie centrale. Nous sommes indépendants et pour le rester, nous avons besoin de votre aide !Le corridor central, aussi appelé corridor transcaspien, avait pour objectif initial de réduire le temps de transport entre la Chine et l’Europe à 12 jours. Cette réduction devait offrir un avantage par rapport au corridor Nord, qui nécessite 19 jours, et à la voie maritime, qui varie entre 22 et 39 jours. Cependant, l’infrastructure ferroviaire et maritime représente aujourd’hui l’obstacle majeur. Ce problème touche non seulement le Kazakhstan, mais également la Géorgie et l’Azerbaïdjan.
Perspectives et considérations d’avenir
En mai 2023, une étude sur les voies de transport durables entre l’Europe et l’Asie centrale a été présentée. Réalisée par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, avec le soutien de la Commission européenne, cette analyse met en évidence les domaines critiques liés au développement du corridor médian et propose des recommandations concrètes pour y remédier.
L’étude a examiné les corridors existants ainsi que les nouveaux itinéraires susceptibles de relier les cinq républiques d’Asie centrale au réseau transeuropéen de transport de l’Union européenne. Ce réseau connecte les 27 États membres, tout en incluant les Balkans occidentaux et les pays du Partenariat oriental, dont le Caucase et la Turquie.
Lire aussi sur Novastan : Les obstacles aux Nouvelles routes de la Soie
L’analyse a identifié 33 investissements dans les infrastructures physiques, notamment la modernisation des liaisons ferroviaires et routières, l’ajout de nouvelles connexions et l’augmentation des capacités portuaires. Elle a également défini sept actions coordonnées pour améliorer la connectivité immatérielle, telles que la facilitation des échanges ou la numérisation. Parmi les priorités figurent le développement d’un terminal à conteneurs au port d’Aktaou, l’électrification et le doublement du réseau ferroviaire kazakh ainsi que la rénovation des routes stratégiques.
En 2022, le volume de transport via le corridor moyen a connu une augmentation de 33 % par rapport à l’année précédente. Toutefois, la mer Caspienne n’est pas adaptée pour accueillir cette croissance du trafic, ce qui risque de provoquer une saturation de la route. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement prévoit d’investir jusqu’à 1,5 milliard d’euros dans les infrastructures du corridor transcaspien au cours des deux à trois prochaines années.
Un objectif ambitieux mais atteignable
La stagnation dans l’échange d’informations représente un défi majeur. La numérisation des échanges multimodaux de données et de documents constitue une priorité. Les instruments juridiques des Nations unies visent à garantir la fluidité de ces échanges d’ici à 2027.
« L’objectif de garantir un échange fluide de données d’ici à 2027 est ambitieux, mais atteignable », affirme Jandos Keguenbekov, doyen de la faculté d’ingénierie et de technologie de l’information à l’Université germano-kazakhe d’Almaty. Selon lui, la transparence et la rapidité sont indispensables. À ce jour, plusieurs plateformes informatiques ont été créées pour coordonner les efforts internationaux dans les domaines de la logistique et du transport. Le développement se poursuit activement, et toutes les parties impliquées y consacrent d’importants efforts.
Envie de participer à Novastan ? Nous sommes toujours à la recherche de personnes motivées pour nous aider à la rédaction, l’organisation d’événements ou pour notre association. Et si c’était toi ?
Le corridor médian ne sert pas uniquement les intérêts de la République du Kazakhstan. Des pays comme l’Azerbaïdjan et plusieurs États européens lui accordent également une grande importance. Enfin, l’initiative chinoise One Belt, One Road joue un rôle central dans l’avenir de ce corridor stratégique.
Développer les échanges de données et le numérique
Le gouvernement kazakh s’engage à développer rapidement le corridor médian afin de renforcer la compétitivité du pays. « L’expérience d’autres nations en matière de numérisation constitue un atout pour le Kazakhstan. Le pays dispose également d’exemples prometteurs, tels que la plateforme eGov, qui pourrait jouer un rôle déterminant dans l’accélération du transfert de données et l’amélioration de l’efficacité et de la fiabilité du transport de marchandises », explique Jandos Keguenbekov.
Cette problématique a récemment été reconnue au niveau gouvernemental. Lors de la visite d’État du chancelier Olaf Scholz à Astana en septembre 2024, le président Kassym-Jomart Tokaïev a souligné l’urgence de poursuivre l’intégration des systèmes de transport et de logistique entre l’Asie centrale et l’Europe. L’Allemagne, principal partenaire international du Kazakhstan, suscite de grands espoirs pour ces projets.
Lire aussi sur Novastan : Migration, économie, format 5+1 : le chancelier Olaf Scholz en visite en Asie centrale
Le Logistics Performance Index, un outil développé par la Banque mondiale, évalue l’efficacité du transport des marchandises dans un pays. L’Allemagne occupe la troisième position, tandis que le Kazakhstan se classe 79ème. Selon Jandos Keguenbekov, le développement du corridor médian dépend étroitement d’une coopération efficace dans les processus économiques et commerciaux.
Sécurité des investissements et de la planification
L’intégration au réseau transeuropéen de transport, également appelé TEN-T, et la stratégie Global Gateway pourraient générer d’importantes opportunités d’investissement pour les entreprises étrangères. L’industrie allemande tirerait également profit de ces développements. L’extension du corridor central contribuerait à réduire de manière significative les distances pour la livraison de l’énergie. Dans le secteur du transport et de la logistique, Deutsche Bank et Kazakhstan Temir Zholy, la compagnie ferroviaire nationale kazakhe, ont signé des accords avec plusieurs compagnies ferroviaires privées. Ces partenariats visent à améliorer l’efficacité du transport de marchandises.
Lire aussi sur Novastan : Global Gateway : l’Union européenne investit dans le corridor de transport transcaspien
La sécurité de la planification et la transparence sont cruciaux. Pour optimiser la gestion des stocks et la planification des cycles commerciaux, les entreprises doivent connaître avec précision le délai nécessaire pour qu’un conteneur atteigne sa destination finale et le coût associé au transport. L’utilisation de moyens de transport modernes et la mise en place d’une logistique performante sont essentielles pour réduire les coûts, raccourcir les délais de transit et intégrer les pays enclavés d’Asie centrale à l’économie mondiale.
Les plateformes de coordination du corridor central, comme celle au Turkménistan en octobre 2024, offrent aux pays situés le long de cet itinéraire une opportunité d’échanger sur les dysfonctionnements et les goulets d’étranglement. La durabilité, l’efficacité et la compétitivité doivent constituer les critères principaux pour évaluer cet itinéraire par rapport aux routes existantes.
Un potentiel de conflit
Le corridor central constitue un levier important pour le développement des énergies renouvelables. Sur les 600 000 kilomètres de voies ferrées au Kazakhstan, seulement 6 000 sont électrifiés. La modernisation et le développement durable de ces infrastructures ont récemment été reconnus comme prioritaires. Par ailleurs, la navigation sur la mer Caspienne devra intégrer des technologies innovantes pour devenir durable et respectueuse de l’environnement.
Lire aussi sur Novastan : Le Kazakhstan choisit l’Union européenne pour assurer sa transition verte
L’extension du corridor médian repose sur des intérêts collectifs qui surpassent les considérations privées. Parmi les enjeux figure la question de l’impact potentiel du transport de combustibles fossiles en provenance du Kazakhstan vers l’Europe via le Caucase du Sud sur les prix du gaz et du pétrole en Azerbaïdjan. « Une solution doit être trouvée au niveau politique », déclare Jandos Keguenbekov. Des efforts diplomatiques renforcés sont indispensables pour parvenir à un accord satisfaisant pour toutes les parties concernées.
« Garantir la compétitivité du corridor médian sur le long terme est essentiel », affirme Jandos Keguenbekov. Selon lui, « les sanctions contre la Fédération de Russie rendent les voies commerciales russes inenvisageables pour le moment. Toutefois, ces routes seront à nouveau empruntées dans un avenir encore incertain. L’objectif actuel est de rendre les itinéraires de transport traversant le Kazakhstan suffisamment attractifs pour qu’ils conservent leur pertinence après une éventuelle réouverture des routes russes. »
Envie d'Asie centrale dans votre boîte mail ? Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter hebdomadaire en cliquant ici.
Pour atteindre cet objectif, il est crucial d’assurer une croissance durable, d’améliorer en continu les infrastructures et les capacités existantes, tout en garantissant la transparence des processus pour l’ensemble des parties prenantes. La hausse de la demande pour le corridor médian, observée depuis le début de la guerre en Ukraine, soulève une question déterminante pour les investisseurs et autres acteurs au Kazakhstan : cette demande restera-t-elle durablement élevée, et les investissements dans un réseau de transport conçu pour le long terme sont-ils stratégiquement viables pour ancrer l’importance du corridor médian ?
Anton Genza
Rédacteur pour Novastan Deutsch
Traduit de l’allemand par Alexandre Beisel
Edité par Paulinon Vanackère
Relu par Elise Medina
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !