Asset Irgaliyev, chef de l’Agence pour la planification stratégique et des réformes au Kazakhstan, s’est entretenu avec les médias sur la nouvelle politique économique du pays.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 29 juin 2022 par le média kazakh Vlast.
Après les événements de janvier 2022, le président Kassym-Jomart Tokaïev a annoncé de nombreuses réformes. Ainsi, il a nommé Asset Irgaliyev, qui était auparavant ministre de l’Economie, à la tête de l’Agence pour la planification stratégique et les réformes. Ce dernier a été chargé d’élaborer une nouvelle politique économique visant à améliorer les conditions de vie matérielles de la population.
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Le média kazakh Vlast a échangé avec Asset Irgaliyev pour comprendre les principes qui formeraient la base de ces réformes. Les journalistes ont cherché à comprendre pourquoi elles ressemblent à de nombreux programmes antérieurs de développement et pourquoi l’Agence estime que ces politiques restent pertinentes et peuvent être mises en œuvre après 30 ans de tentatives qui ont donné des résultats discutables.
Vlast : Commençons par faire le point sur la situation actuelle. Le monde se fragmente en blocs d’influence. Les tensions politiques montent en raison de la guerre en Ukraine et de ses conséquences. L’instabilité s’accroit en Asie centrale en raison, entre autres, des conflits frontaliers et de la crise en Afghanistan. Dans le même temps, il existe des problèmes structurels à long terme : les inégalités mondiales, la crise environnementale et l’épuisement de l’ancien modèle de développement économique. Le Kazakhstan est-il à un point de basculement ? Quelles sont les opportunités et les perspectives qui s’ouvrent à lui ?
Asset Irgaliyev : Vous vous souvenez qu’après les événements du mois de janvier, le chef de l’État a fait remarquer que le Kazakhstan avait connu deux transitions clés au cours de son indépendance, des points de bifurcation dans son modèle de développement. Nous en sommes maintenant au stade de la troisième transition. Même en tenant compte des facteurs externes, le plus important est maintenant de revenir aux fondamentaux. Nous devons mettre en œuvre des éléments de base afin de poser une fondation solide sur laquelle construire tout le reste.
Si nous examinons les recommandations du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de divers consultants, et que nous les comparons ensuite aux programmes de l’État, nous avons tout fait correctement. Mais pourquoi alors n’avons-nous pas observé les résultats attendus suite à leur mise en œuvre ? La réponse réside dans la faiblesse des institutions, c’est-à-dire dans la mauvaise application des règles du jeu. Il s’agit, avant tout, de l’État de droit et de la protection de la concurrence.
Vous savez, et le chef de l’État l’a souligné à plusieurs reprises, que l’application inégale des règles et des lois généralement admises, ainsi que l’accès accordé de façon « privilégiée » aux ressources administratives et financières ont conduit à des situations de monopoles dans divers domaines de l’économie, ce qui a eu tendance à réduire à néant toute tentative de transformation qualitative.
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Par conséquent, lorsque nous parlons du modèle de développement économique d’un pays, nous devons revenir à l’essentiel dans toutes les discussions. Premièrement, l’État de droit. Nous devons réformer le système judiciaire. Il doit être neutre et équitable pour tous. Deuxièmement, la concurrence loyale et les libertés. Il est évident que c’est la faiblesse de la concurrence qui limite le développement du marché et l’afflux de capitaux. Elle entraîne une hausse des prix, une baisse de la qualité des biens et des services et entrave la diversification économique et, en général, le développement du pays.
Il est donc essentiel de garantir des conditions de concurrence équitables pour tous les acteurs du marché, indépendamment de leur appartenance ou d’autres critères. Des « règles du jeu » équitables, stables et justes nous permettront d’éliminer les déséquilibres et les distorsions qui empêchent des changements qualitatifs dans la structure de notre économie. Ce faisant, nous devons tenir compte des tendances mondiales et des possibilités de développement de nouvelles orientations prometteuses.
Il y a ensuite les questions liées à la politique macroéconomique, la politique fiscale et budgétaire. Quelle est notre politique fiscale : une relance budgétaire ou un outil de développement économique ? La politique budgétaire devrait jouer un rôle important dans la diversification de l’économie dans les directions que nous pensons être les mieux adaptées aux défis internes et externes auxquels nous sommes confrontés.
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Il est important de disposer d’une politique prévisible qui assure des conditions de concurrence équitable pour toutes les entreprises et qui stimule et soutient leur croissance et leur développement. De plus, elle devrait inciter les entreprises à travailler honnêtement et ouvertement. Et quoi que nous pensions, dans les politiques sectorielles et horizontales, nous avons besoin d’un appareil d’État professionnel. Il est évident pour tout le monde que l’appareil d’État a lui aussi besoin de réformes sérieuses.
Nous ne pourrons pas obtenir de résultats sans une bureaucratie compétente et qui vise à améliorer réellement le bien-être du pays et de tous les citoyens. Nous travaillons sur cette question. Comme vous le savez, notre agence développe actuellement un lot de réformes institutionnelles et structurelles en collaboration avec un large éventail d’experts nationaux et internationaux, de représentants des entreprises et des gouvernements. Une fois ces réformes adoptées, nous continuerons à travailler pour veiller à leur mise en œuvre.
Même après avoir examiné de plus près les modèles économiques américain et britannique, nous constatons que la libre concurrence et l’État de droit n’empêchent pas le problème de la monopolisation de l’économie, problème que vous qualifiez de central. C’est cette réalité, définie par des principes de base que vous venez d’énoncer, qui a cours depuis au moins les 40 dernières années.
Tout d’abord, l’État de droit doit être le fondement du développement économique. Regardez les pays développés : la corrélation est directe. Selon la théorie économique, la monopolisation se produit lorsqu’une nouvelle industrie émerge. Facebook et Google étaient clairement des monopoles. Il s’agit d’un processus normal du développement du marché. Regardez le marché du pétrole et rappelez-vous la Standard Oil. Qu’est-il arrivé à l’entreprise ? Le gouvernement américain a décidé qu’il avait besoin d’une concurrence et il s’est engagé dans cette direction. Dans tous les domaines de la vie, la compétition et la rivalité sont les moteurs du progrès.
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Bien sûr, le marché libre ne fonctionne pas toujours. C’est pourquoi l’État est là. Lorsque le marché échoue, l’État intervient et joue le rôle d’arbitre. Cela a été et continuera d’être le cas. L’État de droit est tout autant important. Il est le garant des droits des citoyens et des entreprises, il encourage le développement.
Vous parlez de la nécessité de se diversifier. Cela fait 30 ans que nous parlons de la possibilité de se diversifier en augmentant la capacité de production. Mais si l’on tient compte de la crise environnementale mondiale, le potentiel d’une telle stratégie sera sérieusement limité. J’aimerais comprendre pourquoi vous êtes attaché à l’idée de diversification et dans quelle mesure vous comprenez les coûts d’une expansion intensive du secteur industriel.
Tout d’abord, faisons la distinction entre les deux concepts. La diversification économique ne se limite pas uniquement à l’industrialisation. C’est un processus qui consiste à développer différents domaines de l’économie et à passer d’une source de revenu à plusieurs. Lorsque nous parlons de diversification dans notre pays, nous entendons le plus souvent la transition du secteur des matières premières vers d’autres secteurs – l’industrie ou une agriculture plus développée. Nous avons fait quelques progrès dans ce sens.
Mais dans l’esprit du temps, nous cherchons également d’autres directions. Le secteur des services joue un rôle important. Les questions de logistique de transport font partie de la diversification de l’économie, ainsi que le commerce de gros et de détail, qui constitue une partie importante de la structure de notre économie.
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Nous avons également l’agriculture, qui crée de belles opportunités. Les experts internationaux affirment que nous faisons partie des cinq premiers pays du monde en termes de potentiel du secteur agricole. En ce qui concerne l’agenda environnemental, vous avez raison, cela devient un problème critique dans le monde entier. Mais il y a aussi une place pour la diversification : le secteur de l’économie verte est un nouveau créneau à développer. Et nous en tenons compte dans notre nouveau paquet de réformes.
Mais les 30 années d’indépendance ne nous ont-elles pas montré que nous avons peu de chances de devenir un grand pays industrialisé ?
Comme je l’ai déjà dit, la diversification économique n’implique pas seulement l’industrialisation. Mais il existe un grand potentiel d’industrialisation, et il est en train de se réaliser de manière cohérente. Le gouvernement est conscient de ce potentiel et développe des projets.
Mais quel est ce potentiel et qui en a besoin alors que l’on nous parle constamment de ses limites : la population est peu nombreuse, on ne sait pas comment investir l’argent, les localités sont éloignées les unes des autres, il y a une trop grande dépendance par rapport à la vente des ressources, etc. ?
Systématisons tout. Le Kazakhstan est une petite économie ouverte, il faut le reconnaître. Nous sommes ouverts aux investissements et au commerce extérieur. Aucune petite économie ouverte dont l’objectif est un développement dynamique et qualitatif, visant à l’augmentation du bien-être de sa population, ne pourra jamais y parvenir seule, en se fermant au reste du monde. De tels exemples n’existent pas. Regardez l’Asie du Sud-Est. Tous les pays qui la composent se sont développés en s’intégrant dans les chaînes de valeur et d’approvisionnement mondiales.
Ce n’est pas une question de petite population, c’est une question de marché. Nous devons nous concentrer sur les marchés étrangers. Il est clair qu’il y a une base que nous devons développer chez nous. C’est pourquoi nous continuons de dire qu’il doit y avoir une sécurité économique de base, une certaine autosuffisance. Dans le même temps, nous ne devons pas nous engager dans une substitution généralisée des importations. C’est tout simplement irréaliste de le faire. Il y a des pays qui ont opté pour cette solution, et nous savons comment cela s’est terminé : résultat nul.
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Nous devons former un nouveau cycle d’investissements. En raison de ce qui se passe dans le monde extérieur, cela risque d’être plus difficile à mettre en œuvre. Mais nous devons encore travailler dans cette direction. Imaginons qu’un gros investisseur arrive dans un secteur et crée un nouvel écosystème. Cet acteur mondial ne se limitera pas au marché du Kazakhstan. Il produira quelque chose et approvisionnera également les marchés étrangers. Il s’agit d’investissements orientés vers l’exportation.
Mais en raison du désaccord croissant entre les États-Unis et la Chine, les investisseurs américains et européens réfléchiront à deux fois avant de venir dans notre région. Le marché russe est également fermé. En outre, nous arrivons probablement à la fin d’un super-cycle de prix élevés du pétrole. Les réserves nationales pour stimuler l’économie sont également limitées : le Fonds national s’épuise, les impôts ne sont pas augmentés, les capitaux retirés illégalement ne peuvent être restitués en grande quantité. Quelles sont les solutions dans cette situation ?
Commençons par le fait que le Fonds national a été créé pour répondre aux situations de crise et thésauriser les superprofits des matières premières pour les générations futures. Un autre point est que, comme vous l’avez souligné à juste titre, nous faisons partie du monde global. Depuis la crise financière mondiale de 2008, les pays développés ont suivi la voie de l’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire, qu’en gros, ils ont imprimé de l’argent et l’ont distribué pour presque rien. La pandémie a obligé à poursuivre cette pratique pour la mise en œuvre de mesures anti-crises.
De son côté, le Kazakhstan, qui dispose d’un impressionnant matelas de sécurité sous la forme de réserves stratégiques, a mis en place des programmes de grande envergure en matière de développement des infrastructures, de soutien aux entreprises et d’emploi. Mais cela ne peut pas durer éternellement. Il est clair qu’en cas de chocs économiques internes ou externes, nous n’avons toujours que deux acteurs : les entreprises et l’État. Dans de telles situations, le secteur privé se réduit pendant un certain temps. Il faut du temps pour redresser ses bilans. L’État vient alors à la rescousse et dit : nous allons remplacer ce différentiel de demande par notre demande nationale. Mais ce différentiel doit être remplacé de telle sorte que l’investissement privé ne soit pas évincé à long terme.
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C’est là que nous sommes confrontés à un choix : où allons-nous ? D’une part, des emplois sont créés, la demande de ressources est remplacée. Ensuite, à moyen et long terme, la productivité augmente parce que les infrastructures sont meilleures, ce qui créé les conditions d’une reprise économique plus rapide. Mais on ne peut pas le faire tout le temps. C’est un exemple de politique macroéconomique anticyclique, qui ne peut être permanente. Par conséquent, les défis systémiques doivent être relevés par des mesures systémiques.
L’issue est d’avoir une réserve interne et cachée. J’en suis convaincu en tant qu’économiste. D’autre part, je comprends ce que vous sous-entendez à propos de l’environnement externe. Nous devons travailler sur ce point. Cette politique n’a jamais abouti à quoi que ce soit de positif. Nous devons travailler sur les investissements.*
Pensez-vous qu’il existe des opportunités pour ce type de travail ?
Je suis sûr à 100 % des opportunités internes. Dans le cadre du paquet de réformes, la stimulation de l’afflux d’investissements privés dans l’économie fait l’objet d’une attention particulière. Cette question est complexe et systémique. Par conséquent, les mesures visant à garantir l’État de droit, à établir un système judiciaire équitable, à promouvoir une concurrence loyale, à élaborer une politique macroéconomique durable et stable sont autant de composantes d’un climat d’investissement attrayant.
Le développement du capital humain est également un facteur important, et parfois décisif. De nombreux travaux ont également été envisagés dans ce sens. Je suis également certain des opportunités extérieures, mais nous devons travailler de manière ciblée, parler avec les investisseurs et les faire venir au Kazakhstan. Le gouvernement a constitué un pool de projets d’investissement.
La question est de savoir s’ils sont nécessaires et réalisables.
Des projets d’investissements dans les infrastructures avec des emplois permanents, de qualité et modernes seront créés. J’aime l’idée d’un modèle de croissance inclusif. Elle est, en principe, pertinente pour notre stade de développement. Elle dit que nous devrions essayer d’impliquer autant que possible la population économiquement active dans la génération de la croissance économique. Mais pour l’impliquer de manière productive et qualitative, et pas de manière temporaire. La productivité est en corrélation directe avec les salaires réels. Une augmentation des salaires réels signifie une augmentation de la probabilité de la création de petites et moyennes entreprises. Et c’est la clé de voûte de la durabilité à long terme, qu’elle soit économique ou politique.
Il est intéressant de parler de l’État ici. Dans les années 2010, l’État a tenté de se décharger, dans une certaine mesure, de la responsabilité des infrastructures en essayant d’impliquer des entreprises privées comme co-investisseurs dans ces projets. La rhétorique de maximisation de l’argent privé dans ce secteur commençait à dominer, car on pensait que c’était le seul moyen de résoudre cette partie des problèmes sociaux. Et la fonction stimulante de l’État, du moins en paroles, était vue comme quelque chose d’indésirable. Les opinions sur le rôle de l’État changent-elles aujourd’hui ?
Depuis la crise financière mondiale, l’État a utilisé des programmes de développement des infrastructures et de l’industrie comme mesure de réponse à la crise, avec une allocation considérable de fonds provenant du budget. En même temps, lorsqu’il s’agit de développer des outils de partenariat public-privé, il s’agit d’une pratique mondiale et d’un outil efficace pour la mise en œuvre d’infrastructures et d’autres projets.
On en trouve la preuve directe dans la crise des secteurs de l’énergie et des services publics, dont les problèmes cherchent depuis longtemps à être résolus par de l’argent privé, même s’il est difficile de le faire rentrer.
Faisons une distinction ici. Il y a des infrastructures qui sont très dépendantes des investissements publics directs. Il s’agit des questions liées aux routes locales et nationales et des questions liées aux infrastructures industrielles et de communication.
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Mais en même temps, il y a des choses qui dépendent des tarifs énergétiques. Par exemple, les infrastructures dans le secteur de l’énergie dépendent directement de la politique tarifaire. Si nous voulons des infrastructures de meilleure qualité, c’est un signal pour augmenter les tarifs. Sommes-nous prêts à les augmenter ? Nous savons sur qui retombera le fardeau. Le gouvernement doit donc évaluer la situation avec soin. Il y a un rôle stimulant de l’État, il n’a pas disparu. Il réside dans la mise à disposition des infrastructures ainsi que dans les mesures massives d’aide publique. L’État subventionne le taux d’intérêt des prêts dans le cadre de la Business Road Map. L’État fournit – notamment par le biais de ces programmes et de projets régionaux – des infrastructures aux fabricants.
Mais l’État est invité à se contenir, à jouer un rôle aussi réduit que possible dans l’économie.
Fondamentalement, si nous voulons que notre économie se développe de manière durable et dynamique, le secteur privé doit être aux commandes. Il a été et doit être la principale source d’investissements et de création d’emplois. Vous voulez développer une activité, vous entrez dans ce secteur, et vous tombez sur le gouvernement. Ou bien vous avez votre propre entreprise, et puis l’État arrive et vous commencez à lui faire concurrence. Ce n’est pas tout à fait correct et efficace. Comment pouvez-vous concurrencer une entreprise d’État ? Cela dit, la réduction de la part de l’État dans l’économie ne doit en aucun cas conduire à la création de monopoles privés.
La question, toutefois, est de savoir ce que nous définissons comme des indicateurs clés de performance. Si nous parlons de l’objectif d’augmenter le PIB, c’est une chose, et parier sur le secteur privé est justifié. Mais si nous parlons d’entreprises d’État capables de fournir de meilleures infrastructures aux citoyens, de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés, ainsi qu’une meilleure qualité de vie, c’est autre chose.
L’histoire et la pratique montrent que les entrepreneurs privés sont toujours des gestionnaires plus efficaces que l’État. Si c’était l’inverse, alors dans tous les modèles de développement réussi, nous verrions que les entreprises publiques y occupent une part importante.
Au cours des trois dernières années, de nombreuses manifestations de travailleurs ont eu lieu dans l’ouest du Kazakhstan, dans la région de Manguistaou. Les travailleurs du secteur pétrolier demandent que les entreprises privées dans lesquelles ils travaillent soient nationalisées. Car dans les entreprises privées, même si elles appartiennent à des étrangers, il existe un facteur d’abus : salaires plus bas, absence de garanties sociales, surcharge de travail, mauvaises conditions de travail, etc.
Oui, vous avez raison, ce problème existe. Et il est abordé de manière cohérente dans le cadre des commissions spéciales. D’une manière générale, l’État doit bien sûr soutenir indirectement l’économie et réglementer ces questions, ce qu’il fait actuellement. Quant aux moyens directs de soutien, il faut y réfléchir. Ils apparaissent et s’intensifient en fonction du cycle de l’économie : on le voit dans le cadre du programme anti-crise. Ces mesures de soutien devraient être ciblées et viser les entreprises les plus efficaces, compétitives et orientées vers l’exportation.
J’essaie de vous renvoyer aux avertissements contenus dans les prévisions à long terme de la Banque mondiale, selon lesquelles l’économie mondiale sera en récession d’ici 2050. Peut-être même plus tôt. Il y a aussi le problème de la création d’emplois. Le secteur privé ne les créé que tant qu’il comprend qu’il peut générer un retour sur investissement. Dès que cela n’est plus possible, les emplois disparaissent. Il s’agit d’une politique de l’emploi insoutenable. Alors que l’expérience de divers programmes gouvernementaux en Europe et en Amérique latine montre que l’État peut être un garant en créant des emplois, y compris dans les infrastructures et les domaines liés aux problèmes sociaux.
Rappelons que la feuille de route pour l’emploi a été lancée en 2020. Oui, l’État s’en mêle. Il crée des emplois. Mais vous ne pouvez pas vous passer du secteur privé lorsqu’il s’agit de créer des emplois de qualité. Pourquoi ? Vous construisez des infrastructures, vous créez des emplois pour la période de construction. Et quand la construction est terminée, les gens doivent aller travailler ailleurs.
Ensuite, vous dites : lançons un programme de logement, et les travailleurs construisent des logements. Vous avez construit beaucoup de maisons et après cela vous dites : nous avons besoin des biens publics. Nous construisons des écoles, des hôpitaux, nous créons des emplois temporaires et permanents. Mais si nous voulons créer des emplois de qualité et permanents, nous devons prendre des mesures systématiques. Si un homme d’affaires part, un autre apparaîtra. Créons des conditions pour que cela se produise de manière dynamique.
Nous ne pouvons pas remplacer l’ensemble du secteur privé par l’État. Celui-ci peut devenir un co-investisseur dans un projet unique. Mais même si l’État entre dans le capital en tant que co-investisseur, il devrait idéalement en sortir ensuite. Bien sûr, il faut tenir compte des secteurs. Dans le domaine de l’éducation et des soins de santé, il pourrait s’agir de l’État. Mais dans d’autres secteurs, il devrait y avoir un secteur privé, et à juste titre. Nous devons développer le secteur privé, car il est plus productif.
Au début du printemps 2022, vous avez exprimé plusieurs priorités dans votre paquet de réformes. L’un des points était de créer une économie de marché avec une orientation sociale. Qu’entendez-vous par orientation sociale ?
Notre Constitution dit que nous sommes un État social. En d’autres termes, dans notre pays, l’économie du marché est fondée sur la propriété privée et la concurrence se conjugue avec la protection sociale de l’Homme et la justice sociale. Dans notre pays, l’État joue un rôle essentiel dans la fourniture des prestations sociales. Et nous n’allons pas nous en passer dans l’avenir proche. Nous ne pouvons pas rendre toutes les écoles et tous les hôpitaux privés en un instant. Les principes de l’économie de marché fonctionnent dans d’autres secteurs, la concurrence multilatérale continuera à se développer.
L’État se contente de payer, et après des chocs économiques brutaux, d’augmenter les salaires, les prestations et autres paiements. Souvent au détriment de l’augmentation des transferts du Fonds national, qui s’épuise et ne permettra pas la poursuite de telles pratiques à l’avenir. Dans le même temps, la structure des dépenses sociales ne change pas beaucoup. Dans les pays scandinaves, outre une égalisation plus importante des salaires et une régulation du coût des différents services pour la population, il existe un ensemble assez impressionnant de services médicaux et éducatifs qui aplanit les inégalités. Allez-vous changer le concept de politique sociale ou le vieux modèle va-t-il continuer à être reproduit ?
Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un nouveau code social. Il s’agit d’une question sensible et je ne veux pas m’avancer, mais une partie importante du nouveau code social va changer. Et cela sera annoncé.
Et avez-vous l’intention de réviser la feuille de route pour l’emploi, qui arrive bientôt à son terme ? Elle permettait de créer des emplois à court terme, peu qualifiés et mal rémunérés, mais elle pourrait être repensée pour en faire un outil de réduction des inégalités.
Pour résoudre le problème et fournir à l’économie des emplois productifs, nous devons revenir à des mesures systémiques. Nous sommes arrivés à un point où il est tout simplement impossible de parler d’un nouveau modèle de croissance, d’une nouvelle politique économique sans elle.
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Quant à l’inégalité, le vecteur est déjà fixé. Je pense que tout est clair. Nous parlons de l’inégalité des chances : le président a fait des réformes politiques, c’est déjà un premier pas. Là encore, la concurrence et l’État sont essentiels. Nous pensons aussi aux inégalités sociales, il faut les traiter. Nous analysons actuellement les services d’éducation et de santé dans les zones rurales et urbaines. Il y a des problèmes de qualité et d’accessibilité, il faut les corriger. L’inégalité des revenus n’est pas moins importante.
Voici ce qu’il convient de souligner à propos des revenus : l’État, puis le secteur privé, n’augmentent que légèrement les salaires après une forte poussée d’inflation. Chacun de ces mouvements s’avère être retardataire. Cela dit, nous sommes dans une spirale inflationniste constante, car après une hausse des salaires, les prix s’envolent à nouveau, annulant l’effet de la dernière hausse. Je n’ai pas de calculs exacts, mais je pense que si l’on tient compte de tous les pics d’inflation de ces dix dernières années, nous assisterons à une stagnation, voire à une baisse des revenus réels de la population.
La question de l’inflation comme facteur important de la croissance des salaires est également un point économique fondamental. Nous devons trouver un moyen de nous assurer que nous réduisons le taux d’inflation à tout prix. Nous devons comprendre quels sont les facteurs d’inflation monétaires et structurels. Les aspects monétaires sont clairs, mais les aspects structurels ne le sont pas autant. Et nous revenons ici à la concurrence, c’est un thème transversal. Pour la renforcer, il faut développer les infrastructures, comme l’a également dit le président.
Il convient de créer un système national de production des marchandises, dont les centres de vente en gros et de distribution feront partie. Le problème de l’inflation des importations doit également être résolu par la même substitution des importations. Cette partie structurelle de notre économie est en train de s’effondrer. J’ai toujours été en faveur de choses plus institutionnelles, de réformes des infrastructures par nature. Cela est peut-être dû au fait que mon expérience à différents postes, tant dans le secteur public que dans les structures des organisations internationales, a confirmé leur priorité et leur efficacité.
Vous avez été ennuyé lorsque j’ai abordé les questions sociales, mais vos points de discussion indiquaient que vous travaillez sur une sorte de nouveau contrat social. Et j’essaie de comprendre le fondement d’une telle déclaration.
Le leitmotiv de la construction du « Nouveau Kazakhstan » est la croissance stable et durable des revenus réels et de la qualité de vie de la population. Les revenus de tous les groupes de la population doivent augmenter en fonction de la croissance de l’économie. C’est pourquoi, à mon avis, le nouveau contrat social stipule l’obligation pour l’État de protéger les intérêts de tous ses citoyens sans exception et sans groupes prioritaires.
Vous revenez toujours à l’essentiel. Pour être honnête, je ne vois rien dans vos propos qui ne figure déjà dans les précédents projets nationaux, programmes de développement de l’État et autres documents. Se pourrait-il que nous soyons dans une impasse idéologique ? Nous essayons de nous accrocher aux mêmes choses, en mettant peut-être en œuvre ces mesures de manière différente, mais nous nous retrouvons avec les mêmes problèmes. Entre-temps, de nombreux concepts nouveaux apparaissent dans les discussions économiques mondiales. Les experts parlent d’une nouvelle approche monétaire, d’un renforcement du rôle de l’État dans l’économie, d’un projet de garantie de l’emploi, de politiques écologiques anti-croissance et de nombreuses autres stratégies.
Au début de notre conversation, vous avez compris la logique qui m’a poussé à revenir à l’essentiel. Pour certains, cela peut sembler ennuyeux et évident. Sans ces éléments fondamentaux, aucune politique économique moderne ne pourra fonctionner efficacement. Nous sommes bien conscients de toutes ces nouvelles approches.
Nous rencontrons constamment la Banque mondiale, le FMI et des experts locaux. Nous disposons de spécialistes ayant des perspectives et des expériences différentes. Certains éléments de ces nouvelles idées sont utilisés dans le paquet de réformes. Mais ils doivent être annoncés par le président. Et quand je dis que nous devons revenir aux fondamentaux, cela ne signifie pas que nous devons cesser de suivre les tendances de la pensée économique moderne. Non, nous devons revenir aux fondamentaux et, en parallèle, nous devons faire des choses concrètes. Par exemple, la neutralité carbone est-elle un sujet d’actualité ? Oui. Les principes du développement durable ? Oui. L’économie créative ? Egalement.
Et pourquoi pensez-vous que vous serez capables d’aller au-delà des bases et de réaliser quelque chose dans ce domaine ? Surtout si l’on considère que l’appareil d’État est resté à peu près le même que lorsque vous travailliez sur les programmes précédents.
Nous ne le pensons pas, nous sommes sûrs d’atteindre nos objectifs. L’agence ne se contente pas d’élaborer un ensemble de réformes, elle en assurera le suivi à l’avance grâce à l’introduction d’outils de suivi modernes et transparents. Cela permettra de prendre des mesures correctives en temps utile en réponse aux changements internes et externes. En ce qui concerne l’appareil d’État, comme l’a noté le président lors de la première réunion du kurultaï national, « l’établissement d’un Kazakhstan juste ne signifie pas un changement de personnel. » Nous avons misé sur l’amélioration des performances des organismes publics par la mise en œuvre d’approches et d’outils correspondants.
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Pour le dire simplement et de manière concise : nous nous éloignons du formalisme dans notre travail et nous nous concentrons sur le résultat final. Cela nous aidera à mettre en œuvre plus efficacement les tâches auxquelles nous sommes actuellement confrontés.
Dmitri Mazorenko
Journaliste pour Vlast
Traduit du russe par Alexei Vasselin
Edité par Paulinon Vanackère
Relu par Véronique Tapponnier
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