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Dixième sommet de l’Organisation des États turciques : à la recherche de nouveaux axes de coopération

La réorientation de la politique étrangère turque en faveur de la Chine et de la Russie va compliquer la coopération entre les pays d’Asie centrale et l’Union européenne, estime Eldaniz Gousseïnov, spécialiste des relations européennes et internationales au Centre d’investigation Heartland. D’après lui, l’Organisation des États turciques (OET) doit se mettre en quête de nouveaux axes de coopération.

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Les présidents des Etats membres et observateurs de l'OET - Photo : president.az

La réorientation de la politique étrangère turque en faveur de la Chine et de la Russie va compliquer la coopération entre les pays d’Asie centrale et l’Union européenne, estime Eldaniz Gousseïnov, spécialiste des relations européennes et internationales au Centre d’investigation Heartland. D’après lui, l’Organisation des États turciques (OET) doit se mettre en quête de nouveaux axes de coopération.

Le 3 novembre dernier, à Astana, s’est tenu le dixième sommet de l’Organisation des États turciques (OET) sous le mot d’ordre Turk Time (tradition, unification, réformes, savoirs, confiance, investissements, médiation, énergie, ndlr). Au-delà de ces thématiques, les répercussions des crises mondiales sur l’action de l’organisation, la coopération avec la République de Chypre du Nord et les relations avec l’Union européenne (UE) ont été au cœur des discussions. La question d’une potentielle adhésion du Turkménistan à l’organisation a également attiré l’attention des observateurs.

En plus de la crise ukrainienne, qui a fortement influencé les relations au sein de l’organisation, l’escalade du conflit entre la Palestine et Israël se fait également sentir, surtout du fait de son impact sur les relations de l’organisation avec l’Union européenne. En 2022, l’un des principaux sujets à l’ordre du jour était la circulation des marchandises dans le cadre de l’Itinéraire international de transport transcaspien (TMTM), aussi connu sous le nom de corridor médian.

Samarcande : sommet historique

Le 9ème sommet de l’organisation qui s’était déroulé à Samarcande sous le mot d’ordre « Nouvelle ère de la civilisation turque : en route vers le développement global et la prospérité » avait marqué les esprits. Au cours du sommet, il avait été question de transport terrestre et de tarifs douaniers. Les différentes parties y ont signé plusieurs accords, l’un portant notamment sur la création d’un corridor douanier simplifié.

Il semble que des difficultés techniques pourraient empêcher leur pleine réalisation. De plus, l’application des accords signés à Samarcande pourrait être freinée par des accords conclus indépendamment par les différents États membres de l’OET dans le cadre d’autres organisations comme l’Union économique eurasiatique, la Communauté des États indépendants ou avec l’Union européenne. D’autre part, la participation de pays importants pour la réalisation du corridor médian comme le Turkménistan, voire au rôle crucial, comme la Géorgie, fait défaut aux accords de Samarcande. La réalisation du TMTM dépend enfin de l’existence d’un corridor placé sous la juridiction d’un membre de l’OET traversant le territoire arménien.

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Ce corridor est également connu dans les documents de l’OET sous l’appellation de corridor du Zanguezour, censé traverser la région arménienne du Siounik. Celui-ci est considéré comme un moyen d’établir une connexion avec l’enclave du Nakhitchevan et, par là même, avec la Turquie. Les discussions au sujet de ce corridor n’ont toujours pas trouvé d’issue favorable. Cet itinéraire a cependant perdu en intérêt depuis le lancement de la liaison routière entre l’Azerbaïdjan et la Turquie via l’Iran.

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Malgré cela, plusieurs déclarations récentes tant de la part de l’Azerbaïdjan que de la Turquie font du corridor une étape nécessaire pour l’obtention d’un accord de paix avec l’Arménie. Sans certitude autour de la création du corridor du Zanguezour, la mise en œuvre de l’accord de Samarcande demeurera incomplète, puisque la liaison envisagée devra traverser des pays qui ne sont pas membres de l’organisation, comme la Géorgie.

Impact des crises mondiales sur la coopération dans l’organisation : stimuli et obstacles

Comme l’ont souligné les chefs de gouvernement, le sommet de Samarcande a donné une grande impulsion à l’OET. En effet, la crise ukrainienne a conduit à une refonte des chaînes de transport terrestre et à une montée en puissance du corridor de transport transcaspien passant par le territoire des membres de l’OET.

Comme l’a fait remarquer le directeur du Centre des recherches et réformes économiques Obid Hakimov, l’import-export et le transit en Ouzbékistan s’effectuent par neuf voies dont huit traversant au moins un pays membre de l’OET. Mais en raison du manque d’infrastructures, des contraintes douanières et techniques, la région ne réalise pas son plein potentiel.

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Une autre crise majeure s’est fait une place à l’ordre du jour : la reprise du conflit entre Israël et le Hamas. Alors que les pays d’Asie centrale gardent une posture plutôt réservée, la Turquie, en tant que puissance régionale, a fait une série de déclarations au ton plus marqué.

Différentes positions sur le conflit israélo-palestinien

Le 19 octobre dernier était publiée une déclaration commune de l’organisation au sujet de la situation dans la bande de Gaza, dans laquelle elle condamne fermement le bombardement de l’hôpital arabe Al-Akhli. L’OET fournit ainsi un cadre pour une communication commune, la production de déclarations au nom de l’OET renforçant la dimension politique de l’organisation.

Les déclarations de Recep Tayyip Erdogan ont suscité diverses réactions sur la scène mondiale. Le 25 octobre dernier, le président turc a ainsi affirmé que le Hamas se bat pour la libération du peuple palestinien. Le vice-premier ministre italien Matteo Salvini a, en retour, qualifié les propos d’Erdogan de “répugnants” et nuisant à une possible désescalade.

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Toutefois, des désaccords entre les différents membres de l’OET peuvent voir le jour lors des discussions préalables à la publication d’un communiqué commun. Là où les États d’Asie centrale sont plus enclins à la réserve, la Turquie essaie de s’en défaire. Et dans ce cas, si l’organisation s’est mise en branle en réaction à la crise ukrainienne, le conflit israélo-palestinien pourrait, quant à lui, refroidir les relations au sein de l’organisation, en raison notamment de la position de la Turquie et de la possible détérioration de ses relations avec l’UE.

L’OET nécessaire pour les relations Asie centrale – UE

Le potentiel de coopération de l’Union européenne avec l’OET est un thème activement débattu par les experts. Les deux organisations ont en effet des objectifs convergents en Asie centrale : la levée des différentes barrières à la mobilité le long du Corridor médian.

Mais sur ce sujet, une communication ouverte entre les deux organisations autour du développement du corridor transcaspien fait défaut. Dans les faits, les avancées au sein de l’OET qui favoriseraient le développement des liens avec l’Union européenne semblent ignorées par la communication officielle de cette dernière.

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Ainsi, le communiqué commun de la 19ème rencontre des ministres des pays de l’Union européenne et de l’Asie centrale du 23 octobre dernier fait mention d’une rencontre à fin de consultation des dirigeants, mais il n’est jamais question de l’OET. Il en va de même pour la déclaration commune du chancelier allemand et des dirigeants d’Asie centrale à l’issue du sommet Allemagne-Asie centrale, et ces deux textes ne font pas exception. Pourtant, les premiers contacts officiels entre l’OET et l’UE datent de 2005.

Le potentiel de coopération entre l’OET et l’UE est relativement grand et il est difficile de concevoir des relations entre l’UE et l’Asie centrale sans inclure l’OET. Différentes voies sont possibles.

Chypre du Nord, un obstacle à la coopération avec l’UE

Tout d’abord, l’octroi de fonds européens au Fonds d’investissement turcique est dans l’objectif de résoudre les problèmes d’infrastructure affectant les différents membres. Ensuite, la coordination des actions ayant pour but de réduire les limitations et droits de douane sur les biens transitant dans les deux directions. Enfin, la promotion du commerce entre les différents États des deux organisations.

La pierre d’achoppement s’avère être l’implication de la Chypre du Nord dans l’OET. La Turquie a déclaré lors du sommet de Samarcande que les membres de l’OET avaient unanimement approuvé l’admission de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) en qualité de membre observateur. Le jour du sommet, le 12 novembre 2022, le service des relations extérieures de l’Union européenne avait fait savoir par le biais d’un communiqué que l’UE condamnait l’octroi à la Chypre du Nord de ce statut.

Le ministre des Affaires étrangères de l’Ouzbékistan d’alors avait pourtant indiqué “qu’en fin de compte, aucune résolution au sujet de la Chypre du Nord n’avait été signée.” Cela signifie qu’aucun membre ne s’est clairement positionné contre l’adhésion de la Chypre du Nord. Cette situation est à même de générer des frictions avec l’UE, puisque la République de Chypre pourrait user de son droit de véto pour bloquer toute initiative de coopération avec l’OET, comme la ratification d’un accord de partenariat élargi avec l’Ouzbékistan et le Kirghizstan.

Certains membres de l’UE opposés à la reconnaissance de nouveaux États

Certains membres de l’Union européenne sont, de plus, particulièrement sensibles à la question de la reconnaissance de nouveaux États. Ainsi, la Grèce, la Roumanie, l’Espagne et la Slovaquie n’ont pas reconnu l’existence du Kosovo pour des raisons de politique intérieure. Et comme le fait remarquer Dietmar Krissler, le directeur de la section Asie centrale du Service européen pour l’action extérieure, pour l’entrée en vigueur du statut d’observateur, la décision doit être ratifiée par les parlements nationaux du Kazakhstan, du Kirghizstan et de l’Ouzbékistan.

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Lors du sommet extraordinaire de l’OET du 16 mai 2023 à Ankara, Ersin Tatar, le dirigeant de la RTCN, s’affichait avec d’autres dirigeants de pays de l’OET. Mais en s’attardant sur l’ensemble des rencontres, une tendance se dégage : la RTCN n’est présente que lorsque les événements se déroulent en Azerbaïdjan ou en Turquie. Si ceux-ci se déroulent en Asie centrale, la RTCN n’y participe pas. La présence du dirigeant de la RTCN n’était donc pas attendue au sommet de l’OET du 3 novembre dernier à Astana.

Le Turkménistan invité à rejoindre l’Organisation

Actuellement, les médias discutent activement de la possible accession du Turkménistan au statut de membre à part entière de l’OET. C’est une déclaration du président du Conseil du peuple du Turkménistan, Gourbangouly Berdimouhamedov, qui est à l’origine de ces spéculations. “Il espérait rencontrer [les autres membres] non pas en tant qu’État-observateur, mais déjà comme un membre de plein droit de l’OET”. Le sommet ne se tenant pas au Turkménistan, il était à prévoir que le pays ne deviendrait pas membre à part entière.

Les discussions à propos de son statut ont néanmoins été alimentées par la visite officielle du président du Turkménistan, Serdar Berdimouhamedov, en Turquie les 25 et 26 octobre dernier, pendant laquelle Recep Tayyip Erdogan a déclaré : “J’insiste, nous voulons que le Turkménistan, actuellement État observateur de l’OET, devienne membre à part entière de notre famille”.

Ce n’est pas la première fois que le changement de statut du Turkménistan est pressenti à tort. Déjà, avant le sommet de l’OET à Samarcande en 2022, l’ancien ministre des Affaires étrangères turc Mevlüt Çavuşoğlu avait déclaré que le Turkménistan deviendrait membre à part entière de l’organisation pendant le congrès de Samarcande, ce qui ne s’est pas réalisé.

Le Turkménistan peu enclin à se lier davantage à l’OET

Le Turkménistan a-t-il véritablement besoin de ce statut ? Le pays a misé sur la livraison aux marchés européens de gaz naturel via l’Azerbaïdjan et la Turquie. Ce n’est pas la coopération que l’organisation ambitionne de développer. Bien que la politique extérieure du Turkménistan soit plus active qu’auparavant, comme le montrent l’implication dans la Communauté des États indépendants ou l’Organisation de Coopération de Shanghaï, le pays n’est pas devenu un membre de plein droit de ces entités. Sur fond d’intensification des conflits en Eurasie, le pays met fortement l’accent sur les questions de sécurité. L’OET, quant à elle, n’aborde pas ces problématiques de manière active.

La loi sur la neutralité perpétuelle du Turkménistan, adoptée en 1995, restreint de surcroît la participation du pays à des blocs et alliances militaires, ainsi qu’à « des associations interétatiques comportant des obligations strictes ou impliquant la responsabilité collective des participants ».

Eu égard aux ambitions de certaines puissances d’imposer leur agenda international au sein de l’OET, le Turkménistan, sur la base de son statut de neutralité, n’est pas intéressé par une adhésion. Le Turkménistan peut s’associer dans le cadre d’accords d’égal à égal, par exemple, pour développer le trafic terrestre en Asie centrale, dans la mesure où le pays trouve son intérêt dans le développement du transit sur son territoire et dans ses ports maritimes.

Quelles perspectives pour l’organisation ?

L’OET va poursuivre sa démarche de renforcement des relations entre les pays d’Asie centrale et l’Union européenne, mais le potentiel de l’organisation va dépendre de l’issue du conflit en Ukraine. Dans la configuration actuelle, il s’avère délicat de contourner la Turquie pour développer le corridor de transport transcaspien. Dans la mesure où la guerre en Ukraine déborde sur la mer Noire, la voie maritime depuis la Géorgie vers la Roumanie et la Bulgarie n’est plus aussi sûre.

Mais la Turquie cherche activement à utiliser sa position stratégique pour atteindre ses objectifs de politique extérieure, en témoigne le cas de l’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande. La Turquie pourrait donc également se servir de la croissance du commerce entre l’Europe et l’Asie centrale comme d’un levier pour sa propre politique extérieure.

L’affirmation des intérêts de chacun dans la relation entre la Turquie et l’Union européenne ne peut être systématiquement qualifiée de conflit. La Turquie peut se tourner vers la Russie et la Chine en cas de friction, ce qui pourrait interférer avec les efforts de rapprochement entre les pays d’Asie centrale et l’UE. De plus, il est probable qu’après la fin du conflit ukrainien, la Chine, l’UE et les pays d’Asie centrale reviennent à l’itinéraire traversant le territoire russe. L’OET devra alors chercher de nouvelles niches de coopération au sein de l’organisation.

De nouveaux axes à développer

La coopération énergétique et l’acheminement de ressources énergétiques d’Asie centrale via les territoires de l’Azerbaïdjan et de la Turquie est l’une de ces niches potentielles. Reste à savoir si l’UE, dont la politique énergétique est tournée vers les énergies renouvelables, aura toujours autant d’appétit pour ces produits énergétiques. Il ne faut cependant pas considérer l’OET exclusivement à travers le prisme des relations Europe-Chine. Les pays d’Asie centrale aspirent à développer de nouveaux axes de transport via l’Afghanistan par exemple.

Le cas échéant, les récents accords pourraient faciliter la communication de la Turquie avec l’Afghanistan et le Pakistan. La coopération économique va irrévocablement croître, motivée notamment par les crises économiques qui agitent certains des pays de l’organisation. Dans cette perspective, les projets d’ouverture de maisons de commerce et de zones franches présentent un intérêt certain.

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La concertation politique reste un axe de coopération important, comme en témoigne la réaction conjointe des pays de l’OET aux crises internationales par des communiqués communs. Cela plaide en faveur d’une action commune ayant pour but d’éviter que la situation intérieure des pays membres ne soit négativement affectée par les crises extérieures. Cette approche peut également servir à la recherche de nouvelles niches de coopération.

Eldaniz Gousseïnov
Journaliste pour Cabar

Traduit du russe par Arnaud Behr

Édité par Jean Monéger-Leclerc

Relu par Helene Witkowski

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