L’extraction et le traitement de l’or est en augmentation au Tadjikistan. Selon les données officielles, la production des métaux précieux a augmenté de 26,2 % entre 2018 et 2019. Selon les experts, si la tendance maintient ce rythme, les stocks de la République pourraient être épuisés d’ici 35 ans.
Novastan reprend ici et traduit un article publié le 26 mai 2020 par le média russe spécialisé sur l’Asie centrale, Fergana News.
L’heure est à l’accélération tous azimuts pour l’or au Tadjikistan. Selon le ministère de l’Industrie, 8,1 tonnes d’or ont été produites en 2019, soit 26 % de plus qu’en 2018. L’extraction et le traitement de l’or se font dans 26 mines, selon le fonds national d’information géologique sur le sous-sol du Tadjikistan. Alors qu’en 1991, quatre entreprises travaillaient dans cette branche de l’industrie, aujourd’hui, leur nombre s’élève à 29.
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Les leaders de l’industrie sont des consortiums tadjiko-chinois, Zarafshon (70 % du marché), Pakrout (14 %), l’entreprise nationale Tilloi Tochik (8 %) et le consortium tadjiko-canadien Aprelevka (5 %). Les 3 % restants sont partagés entre plusieurs entreprises de taille moins importante. La production de Zarafshon, Pakrout, et du complexe des métaux précieux Kombinat redkikh metallov répond à un standard intergouvernemental selon lequel le lingot d’or est affiné à 99,99 %.
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La quasi-totalité de l’or est acquise par le ministère des Finances et la Banque nationale du Tadjikistan (NBT). Ce n’est qu’en cas de refus d’acquisition de ces derniers que les producteurs sont autorisés à diriger leur marchandise vers un autre acheteur. Ce système est destiné à constituer des réserves de change et à maintenir le cours de la monnaie nationale.
Selon le ministre tadjik de l’Industrie et des nouvelles technologies Zarobiddin Faizoullozoda, au cours des cinq dernières années, les plus grandes exploitations ont attiré des investissements dépassant 575 millions de dollars (486 millions d’euros). Ces sommes ont été utilisées pour développer de nouvelles technologies de traitement de l’or et ont permis un accroissement de l’industrie.
Les projets se multiplient
Plus largement, la production de la branche de l’industrie minière du Tadjikistan a atteint 6,9 milliards de somonis (565 millions d’euros) en 2019 – soit 25,2 % de la production industrielle globale du pays. La moitié de la production minière relève de la production de métaux précieux (3,4 milliards de somonis). Selon Zarobiddin Faizoullozoda, le volume de la production des métaux précieux a été multiplié par 5,6 en 12 ans.
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L’un des exemples de cette accélération continue est visible dans le district d’Ayni, dans le nord-ouest du pays. Ici, l’entreprise chinoise TBEA a commencé à construire une usine de transformation sur les gisements de “Koumargui Bolo” (Le Haut Kumarg) et “Duoba Sharki” (Le Du-Oba de l’est). Le coût du projet d’élève à 180 millions de dollars (152,2 millions d’euros). TBEA prévoit de créer en 2021, dans cette même région, l’usine “Talko Gold”, qui sera chargée de la transformation de matières premières extraites de l’ancienne mine “Konchoch”.
De leur côté, des investisseurs allemands se sont intéressés au gisement d’or “Sangvori bolo” dans le district de Sangvor. La réalisation de ces différents projets va permettre d’augmenter le volume de la production d’or dans les années à venir de 30 %, selon Zarobiddin Faizoullozoda.
Un secteur largement dominé par l’État tadjik
Dans le détail, le droit tadjik a été revu en 2019 pour permettre aux personnes privées d’acquérir des métaux non-ferreux, précieux, et des pierres précieuses et semi-précieuses. À ce titre, une licence sur l’acquisition non industrielle de ressources minérales par des personnes physiques doit être attribuée par le ministère des Finances et ses établissements délégués. Le propriétaire des pierres précieuses a l’obligation de revendre son bien à l’État.
Pour l’instant, peu de personnes privées désirent acquérir de l’or. Pour ce faire, il faut se plier à d’importantes exigences juridiques et maîtriser les instruments techniques nécessaires, notamment les appareils de lavage. En février 2020, 48 citoyens ont reçu la licence, décrit le média tadjik Avesta.tj. En 2019, les orpailleurs avaient acquis 4,5 kilogrammes d’or.
Les acheteurs principaux de l’or national sur le marché intérieur sont les bijouteries du Tadjikistan. Depuis 2006, le gouvernement leur impose d’acheter des matières premières exclusivement nationales. Les entreprises les plus riches sont Tochi Zarrin (qui occupe 39 % du marché de la bijouterie), Zari Tochik (27 %), Tochik Kristall (13 %), Akika (8 %) et Zargari Tochik (7%). Par exemple, l’entreprise Zari Tochik présente dans la capitale Douchanbé est capable de transformer 36 kilogrammes d’or et 60 kilogrammes d’argent en une année. Elle crée des bijoux, des pièces de monnaie, des insignes, des couverts.
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Néanmoins, la concurrence est rude : nombreux sont les Tadjiks qui préfèrent se procurer des produits en provenance de Russie et de Turquie. Ils les préfèrent pour leur qualité, leur design, et leur prix plus attractif.
Depuis l’été 2017, la banque nationale du Tadjikistan a commencé à vendre des lingots d’or affiné de 5, 10, 20, 50 et 100 grammes. Selon le représentant de NBT Djamched Nourmakhmadzoda, 50 kilogrammes d’or ont été vendus entre l’été 2017 et le début de l’année 2020. Chaque citoyen tadjik peut s’en procurer dans la limite d’un kilogramme par an. Le prix de cet or est décidé quotidiennement par la banque nationale.
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Le Tadjikistan vend son or également sur le marché international. Au premier trimestre 2019, le pays est même entré dans le top trois des leaders de la vente d’or à l’étranger. Entre 2009 et 2019, l’exportation des métaux rares et des pierres précieuses ont rapporté plus de 225 millions de dollars (190 millions d’euros).
Tadjikistan-Chine : des échanges gagnant-gagnant ?
Selon les données officielles, le Tadjikistan est riche de 137 mines aurifères avec des réserves suffisantes pour une production industrielle et 127 mines aux capacités non industrielles. Les réserves de métal confirmées du Tadjikistan s’élèvent à 500 tonnes. Si l’extraction de ce métal continue à cette vitesse, d’ici 30 à 35 ans, elles pourraient se vider.
Au Tadjikistan, les économistes reprochent régulièrement au gouvernement de céder une grande partie des réserves à exploiter à des entreprises étrangères, en particulier chinoises. En investissant dans des projets non liés à l’industrie minière, la Chine se voit offrir, en échange, des opportunités dans le pays. Par exemple, l’entreprise chinoise TBEA a reçu la licence pour l’extraction d’or dans les gisements Verkhnij Koumarg et Vostochnyi Douoba dans le district d’Ayni en contrepartie de la construction de la centrale électrique Douchanbé–2.
À en croire les estimations des experts, ces gisements représenteraient 64 tonnes de réserve assurée en or. Ce chiffre n’est pas arrêté, avec une étude géologique en cours qui pourrait confirmer des montants largement plus importants, allant jusqu’à 100 tonnes. La Chine pourrait rester en possession des deux mines en question tant que celles-ci ne lui auront pas rapporté 331,6 millions de dollars, soit la somme investie dans la création de la centrale électrique.
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À Douchanbé, la création d’un nouveau parlement et d’un complexe gouvernemental a été lancée malgré le coronavirus, pour laquelle la Chine s’est engagée à donner 2,4 milliards de yuans (301 millions d’euros). En outre, la République populaire serait prête à accorder une subvention de 360 millions de dollars (304,7 millions d’euros) pour réhabiliter les autoroutes tadjikes. Nombreux sont convaincus qu’une telle générosité de l’Empire du Milieu ne peut être désintéressée : de nouveaux gisements tomberont sans doute bientôt dans l’escarcelle de la puissance voisine…
À cela s’ajoute la menace des conséquences environnementales auxquelles le Tadjikistan risque d’être confronté. L’extraction et le traitement de minerais, dont l’or, est une industrie dangereuse pour l’environnement, et les entreprises ne prennent pas toutes des mesures nécessaires pour réduire les risques. Les habitants du village de Ching-Pendjikent, dans le nord du Tadjikistan, près de Pendjikent où se trouve l’entreprise d’extraction tadjiko-chinoise Zarafshon, ont fait part à Fergana News de l’influence néfaste de l’industrie sur l’environnement local. Les arbres fruitiers par exemple produisent des fruits pourris, qui tombent avant même d’avoir mûri. Il est devenu difficile de cultiver la terre dans la région.
Les décharges où sont jetés les déchets industriels de Zarafshon sont à proximité des villages de Bedak et Khoumgaron. Les mauvaises odeurs émanant des déchets nuisent au quotidien des habitants. Cependant, la direction de l’entreprise n’accorde pas l’attention nécessaire à la protection de l’environnement. Elle n’apporte aucune compensation auprès du gouvernement ou des villages en difficulté, et ne propose pas de solutions pour améliorer l’infrastructure locale.
Fergana News a demandé des éclaircissements à l’expert en économie Azam Mourtazaïev sur les enjeux de la poussée de la production d’or au Tadjikistan. « Face à une balance commerciale négative, avec trois fois plus d’importations que d’exportations, le gouvernement n’a pas d’autre issue » que d’accélérer la production, estime Azam Mourtazaïev. « S’ajoute à cela un facteur supplémentaire d’augmentation de la production d’’or, celui de la limitation des transferts d’argent des migrants, qui est pourtant une source de monnaie étrangère pour l’économie du pays. Afin de combler le déséquilibre de la balance commerciale, rembourser les millions d’emprunts dus à l’étranger et investir dans son capital propre, il faut que le pays ait de plus en plus d’or », décrit l’expert.
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En parallèle, le Tadjikistan pourrait aussi utiliser cet argent pour pallier les conséquences économiques du coronavirus. « Il paraît envisageable d’utiliser une partie des réserves d’or pour réagir à des événements inattendus : celles du Tadjikistan pourraient couvrir les pertes des importations sur plus de cinq mois », explique Azam Mourtazaïev, qui décrit également les demandes d’aide du gouvernement tadjik. « Néanmoins, le résultat de cette procédure ne pourra être immédiat. Le temps que l’aide soit confirmée, que toutes les mesures bureaucratiques pour la rendre accessible soient mises en place, la mortalité s’aggrave, la crise économique s’amplifie, et le gouvernement n’a pas trouvé de solution alternative », conclut l’expert.
Tilav Rasoul–Zade
Journaliste pour Fergana News
Traduit du russe par Aniela Cornet
Édité par Christine Wystup
Relu par Anne Marvau
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