Le Tadjikistan est autosuffisant en électricité depuis 2017, pourtant sa population s’est vu imposer des restrictions de consommation d’énergie durant l’hiver. Dans le même temps, les exportations d’électricité vers les pays voisins se poursuivent. Les habitants s’interrogent et envisagent plusieurs scénarios.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 1er février 2021 par le média russe spécialisé sur l’Asie centrale Fergana News.
L’hiver 2021 a été froid au Tadjikistan : en novembre déjà, les températures avaient significativement baissé et les premières neiges tombaient. De courtes périodes plus douces ont laissé place à des journées glaciales et à des nuits qui l’étaient encore davantage. Malgré cela, dès le 5 janvier, les régions rurales tadjikes ont été soumises à des restrictions de consommation d’électricité pendant les heures les plus froides, entre 23 heures et 6 heures du matin. Officiellement, ces limitations ne concernaient pas les villes, mais celles-ci ont aussi été sujettes à des coupures d’électricité.
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L’annonce de la mise en place des restrictions a choqué les habitants du pays. 70 % de la population vit dans des régions rurales où les conditions de vie sont déjà difficiles par ailleurs. Les coupures ont commencé dès début novembre, mais les habitants faisaient alors confiance aux explications des fournisseurs d’électricité selon lesquels elles étaient dues à des travaux sur les lignes et les postes électriques.
Mi-décembre 2020, le président Emomali Rahmon a appelé à économiser l’énergie, insistant sur le fait que la situation était en réalité bien plus préoccupante.
Des appels à économiser l’énergie
Des fonctionnaires de tous rangs se sont déplacés dans ces régions afin d’y rencontrer la population et d’y relayer le message du président. Le 13 janvier 2021, Amin Zavki Zavkizoda, le ministre du Développement économique et du Commerce, s’est rendu dans le district frontalier de Piandj, où il a demandé aux pouvoirs locaux de mener une campagne d’information auprès des habitants pour les pousser à maitriser une consommation d’électricité raisonnable.
En décembre 2020, Ramazon Rahimzoda, le ministre de l’Intérieur, a annoncé au district de Khovaling, dans le sud du pays, qu’il était indispensable que les habitants réduisent leur consommation de moitié.
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Les forces de l’ordre ont également été sollicitées : le ministre de l’Intérieur a créé un Commandement pour l’utilisation « raisonnable » de l’électricité, qui sanctionne les cas de détournements et réclame les remboursements. Sur ordre du président, chaque ville et chaque district a créé des groupes qui se rendent chez les habitants des zones rurales et dans différentes entreprises pour appeler « à utiliser de façon économe l’électricité et à lutter fermement contre le gaspillage ».
Fin décembre, l’agence de presse gouvernementale Khovara rapporté que la consommation d’électricité avait baissé de 10 à 20 % à la suite de la création de ces groupes.
Un problème insoluble
La déficience énergétique est apparue au Tadjikistan lors des années qui ont suivi son indépendance, depuis sa sortie du Système énergétique unifié d’Asie centrale. Pendant la période soviétique, l’approvisionnement continu en électricité était garanti à tous ces pays, qui compensaient les manques entre eux. Pendant plus d’un quart de siècle, le Tadjikistan a été soumis chaque année, d’octobre à avril, à de sévères limitations de consommation d’énergie : l’électricité n’était fournie que deux à trois heures le matin et le soir.
L’URSS a pourtant laissé en héritage au Tadjikistan 11 stations hydroélectriques et deux centrales thermiques, construites entre 1937 et 1988. Toutefois, la production d’électricité dans les centrales hydrauliques souffre d’un problème important : les rivières tadjikes, qui prennent leur source dans les glaciers de haute montagne, sont en crue en été, quand il fait chaud alors que les besoins en électricité sont peu élevés.
A la fin de l’automne, lorsqu’il fait encore bon dans les vallées, le froid s’installe déjà sur les hauts plateaux et la fonte des glaciers diminue fortement. En hiver, ils ne fondent presque plus, les rivières sont donc moins remplies et leur courant plus faible, la production d’énergie chute alors fortement en créant une pénurie.
De nombreux réservoirs
Pour combler ce manque, des réservoirs de différentes tailles ont été construits près des centrales hydroélectriques. Celui du barrage de Nourek, d’une contenance de 10,5 km³ et d’une longueur de 70 kilomètres, est le plus important du pays. De toutes les centrales hydroélectriques, c’est celle qui produit le plus d’énergie.
L’ensemble de la population et, cela va sans dire, les spécialistes de cette industrie, surveillent très attentivement le niveau de ce réservoir en hiver. Pendant la période soviétique, le Tadjikistan recevait de l’électricité produite par les centrales thermiques d’Ouzbékistan. Depuis sa sortie du Système énergétique unifié d’Asie centrale, le pays manque cruellement d’électricité en hiver.
Atteindre l’autosuffisance en électricité
Le Tadjikistan tente donc à lui seul de réaliser un vaste projet soviétique : l’aménagement en cascade des centrales hydroélectriques de la rivière Vakhch et d’autres cours d’eau. Ces chantiers progressent lentement, principalement financés par l’étranger. Depuis son indépendance en 1991, la République a tout de même construit et mis en service deux nouvelles centrales hydroélectriques : Sangtuda 1 en 2009, d’une capacité de 670 mégawatts (MW), avec l’aide de la Russie, et Sangtuda 2 en 2014, d’une capacité de 220 MW, avec l’aide de l’Iran.
La capitale s’est dotée entre 2014 et 2016 de deux centrales thermiques et également d’environ 290 petites centrales hydrauliques d’une capacité de 5 à 4 300 kilowatts (kW), grâce aux financements de la Chine. En 2017, l’ensemble des stations électriques du pays avaient une capacité de 5 800 MW, avec une production s’élevant à 19,7 millions de kilowatt-heure (kWh). Pour la première fois depuis des années, tout le pays disposait d’électricité sans restrictions, ce que la population et les entreprises ont su apprécier.
La compagnie Barqi Tojik, fournisseur national d’électricité, a officiellement annoncé que les dernières centrales construites permettraient d’éviter les limitations de consommation d’énergie.
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Fin 2017, lors de son allocution annuelle au parlement, Emomali Rahmon a annoncé que le pays avait atteint l’autosuffisance en électricité. « Pour la première fois depuis l’indépendance, nous avons pu garantir à la population et aux sphères socio-économiques du pays un accès illimité à l’électricité pendant la période automne-hiver », a-t-il déclaré. Par ailleurs, le président a assuré qu’avec un usage raisonné de l’électricité, l’indépendance énergétique serait pleinement atteinte au cours des trois prochaines années.
La centrale de Rogoun
La centrale hydroélectrique de Rogoun, composée de deux unités d’une capacité de 600 000 kW chacune, devrait en outre démarrer peu de temps après. Il semblerait alors clair pour tout le monde qu’elle changerait radicalement la donne : plus personne ne devrait souffrir du froid.
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La première unité de la centrale de Rogoun a été lancée en novembre 2018, suivie de la seconde en juin 2019. Sa capacité totale était de 240 MW avec une production moyenne annuelle de 1,6 milliard de kWh. Les spécialistes de la centrale de Rogoun assuraient alors à la population que l’énergie produite par ces unités, combinée à celle des autres sources d’électricité, serait désormais suffisante pour les alimenter de façon illimitée.
La réalité s’est avérée bien différente : trois ans plus tard, les restrictions étaient de retour. Les coupures d’électricité ont commencé dès l’automne 2020 et se sont poursuivies l’hiver, alors que les températures peuvent atteindre -15°C la nuit.
Simples citoyens, fonctionnaires, journalistes et experts débattent des raisons ayant conduit au retour de cette pénurie. Malgré leurs multiples questions adressées aux autorités et aux responsables des énergies, aucune réponse concrète n’a encore été apportée. Deux hypothèses majeures circulent localement.
Version 1 : l’électricité est exportée en secret
Depuis plusieurs années, le Tadjikistan vend de l’électricité aux pays voisins, à des tarifs significativement plus élevés qu’à domicile. La construction des lignes à haute tension a débuté en 2009. Elles s’étendent sur 120 km en reliant le Tadjikistan à l’Afghanistan, de la centrale hydraulique Sangtuda 2 jusqu’à Pol-e Khomri. Deux ans plus tard, en 2011, l’électricité a commencé à être exportée par ces lignes vers les provinces du nord de l’Afghanistan.
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L’accord garantit un approvisionnement jusqu’en 2029. Il prévoit d’augmenter petit à petit la quantité exportée, et les tarifs de 3 % par an. Selon les données officielles, 1,3 milliard de kWh ont été exportés en 2017, 1,4 milliard l’année suivante. En 2021, l’électricité fournie à l’Afghanistan rapporte environ 4,48 centimes par kWh contre deux centimes au Tadjikistan.
En avril 2018 s’est déroulé un événement capital : après neuf ans d’interruption de leurs relations, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan mettaient à nouveau en commun leurs réseaux d’énergie. Depuis, Douchanbé fournit 1,5 milliard de kWh à la république voisine, quantité qui augmentera probablement dans les années à venir. L’électricité tadjike passe en Ouzbékistan par deux lignes à haute tension de 220 kW, mises en service entre 2018 et 2019.
Des échanges avec les pays voisins
Bien que l’Ouzbékistan reçoive de l’énergie pour pratiquement deux fois moins cher que l’Afghanistan, il s’agit néanmoins d’une opération rentable pour le Tadjikistan. En échange, le pays a en effet accès à un gaz bon marché, absolument indispensable à la Compagnie tadjike d’aluminium (TALCO) pour fonctionner.
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L’électricité est aussi exportée au Kirghizstan. D’après les données du ministère de l’Énergie, 150 à 160 millions de kWh lui ont été vendues ces dernières années. Le fournisseur d’énergie Barqi Tojik est réticent à communiquer les quantités d’électricité exportées, préférant parler des bénéfices réalisés dans ce cadre. Avec des tarifs variant selon les pays, des surtaxes saisonnières et des volumes d’approvisionnement différents, il est complexe de définir précisément cette quantité qui reste élevée. Selon les estimations, en 2019, l’ensemble de l’électricité exportée s’élevait à environ 3,4 milliards de kWh.
Des exportations qui continuent malgré les pénuries
En novembre 2020 ont commencé les coupures massives de 7 heures à 17 heures. Les fournisseurs ont assuré qu’elles étaient liées à des travaux et que l’exportation avait baissé en partie à cause du manque d’eau dans le réservoir de Nourek. Cependant, comme toujours, seuls les bénéfices de l’exportation – d’un montant de 53 millions de dollars (environ 45 millions d’euros) –, ont été communiqués pour 2020, tandis que la quantité a été omise.
La population du pays, qui souffre des coupures d’électricité, ne croit pas ces informations. Une vague d’indignation a secouée les réseaux sociaux et la pénurie a fait les gros titres. Début décembre, le porte-parole de Barqi Tojik a démenti les rumeurs selon lesquelles les restrictions d’électricité imposées à la population servaient à favoriser les exportations.
« Afin de remplir le réservoir de Nourek, nous avons cessé d’exporter l’électricité vers l’Ouzbékistan et l’Afghanistan cet été déjà », a-t-il déclaré. Cependant, la branche tadjike de Radio Free, Radio Ozodi, ainsi que le média tadjik Asia-Plus, ont publié des données statistiques qui montrent que les exportations d’électricité n’ont pas cessé : en octobre et en novembre 2020, les bénéfices liés à cette activité s’élevaient respectivement à 2,7 millions et à 2 millions de dollars (environ 2,3 et 1,7 millions d’euros).
Version 2 : les autorités estiment mal la quantité d’énergie produite
« Depuis l’indépendance, plus de 2 000 MW de nouvelles capacités ont été mises en place. La production d’électricité est passée de 17 milliards de kWh en 1991 à 21 milliards en 2019 », a déclaré le président tadjik Emomali Rahmon le 26 janvier au parlement. Toutefois, cette année-là, Barqi Tojik n’avait déclaré sur son site que 20,6 milliards de kWh, ce qui constituait un écart de 400 millions de kWh, un chiffre trop élevé pour être dû au hasard.
Autant d’énergie suffit en effet à alimenter une ville d’un demi-million d’habitants pendant un an. En novembre 2020, les fournisseurs ont commencé à soutenir l’idée que la production d’électricité avait baissé de 5,1 % à cause du manque d’eau dans le réservoir de Nourek. Mais les experts doutent de la véracité de ces informations.
Un expert de ce secteur a déclaré à Fergana News en souhaitant conserver son anonymat : « Si l’on en croit les données communiquées par la direction de Barqi Tojik, nous sommes revenus aux chiffres de 2016, quand la production d’énergie ne dépassait pas les 17 milliards de kWh. Les années suivantes, entre 2017 et 2019, alors qu’aucune limite de consommation n’avait été fixée, le pays a produit respectivement 17,9, puis 19,8 et 20,6 milliards de kWh. Il est tout simplement impossible de croire qu’en 2020, pour une raison obscure, la production d’énergie a brusquement chuté ».
Les justifications des autorités mises en doute
Selon le même interlocuteur, justifier cette baisse par le manque d’eau est tout à fait infondé, d’autant que, d’après une communication de Barqi Tojik, le réservoir de Nourek était rempli au maximum en septembre, contrairement aux années précédentes. En plus de ça, privée d’électricité 12 heures par jour, la population ne peut pas être source de surconsommation.
Au même moment, Barqi Tojik annonçait la reprise de l’exportation d’électricité vers l’Afghanistan, soi-disant interrompu à cause du faible niveau d’eau. Le chef de l’État a par ailleurs souligné que « même avec un niveau d’eau suffisant, dans le cas de consommations excessives d’énergie, il serait de nouveau nécessaire d’introduire une limite de consommation. »
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« Vraisemblablement, respectant les contrats avec l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, ainsi que les plans fixés par les pronostics des indices macroéconomiques, les autorités ont significativement augmenté la quantité d’énergie exportée. Cependant, il n’est pas exclu que la demande interne soit aussi fortement en hausse. Mais ce n’est pas la population, à qui l’on reproche d’utiliser l’électricité sans compter, qui devrait être mise en cause, c’est l’industrie », a déclaré l’interlocuteur de Fergana News.
Un consommateur principal : l’industrie de l’aluminium
Sur le site du ministère tadjik de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, les données de la consommation d’électricité des différents secteurs économiques du pays ne sont disponibles que jusqu’à 2017. Les informations plus récentes ne sont pas communiquées.
Selon les chiffres fournis par Barqi Tojik, les principaux consommateurs d’énergie du pays sont les services publics, c’est-à-dire un ensemble d’entreprises et de services destinés à la population, qui consommeraient 47 % de l’électricité. Viennent ensuite les entreprises industrielles, qui en consomment 41,1 %. L’agriculture occupe la troisième place avec 16 % de la consommation totale. Il est intéressant de constater que la somme de ces trois groupes s’élève déjà à plus de 104 %.
Et l’exportation n’est tout simplement pas mentionnée, bien qu’elle existe, comme indiqué plus haut, depuis 2011. L’interlocuteur de Fergana News considère que les informations fournies ne sont pas fiables. « D’après un calcul approximatif, l’exportation ne constituait pas moins de 9 % en 2017, et l’année suivante elle est montée à 16 % de la production électrique du pays, ce qui est significatif. Et la majeure partie de l’électricité est utilisée par la compagnie d’aluminium affiliée au clan Rahmon, avec ses nombreuses usines et ses prestataires », estime-t-il.
Un géant de l’industrie
En effet, lors de ces dix dernières années, ce géant de l’industrie, l’un des plus importants de la Communauté des Etats indépendants (CEI), et seule usine d’aluminium d’Asie centrale, la Compagnie tadjike d’aluminium s’est agrandie et transformée en un groupe d’entreprises, possédant des industries mécaniques, métallurgiques, minières et chimiques.
Parmi eux : TALCO Uzauto Truck, l’usine TALCO Cable, l’usine de production de coke métallurgique dans le district d’Aïni, TALCO Ressource, qui extrait le charbon du gisement Fon Yagnob dans cette même région, l’entreprise TALCO Chemical, TALCO Fluorite, et TALCO Gold, qui exploite des gisements d’or.
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Dans la vallée de Yavan, quatre usines ont été construites : des usines de production de cryolite, de fluorure d’aluminium, d’acide sulfurique et de soude. Elles dépendent de l’entreprise TALCO Chemical. Il est également prévu d’y construire entre autres des usines de production de matériaux et d’équipements dans les domaines de la construction et de l’exploitation minière.
Avant toute chose, une deuxième usine d’aluminium, construite par la Chine, devrait ouvrir en 2021. Sa capacité de production serait de 503 000 tonnes par an. La vieille usine soviétique, qui produit 517 000 tonnes par an, continuera également à tourner. Presque toutes les usines susmentionnées ont vu le jour grâce à des emprunts accordés par la Chine : ces sommes constituent des centaines de milliers de dollars. Ainsi, la nouvelle usine d’aluminium a coûté 1,6 milliard de dollars (environ 1,35 milliard d’euros).
Des besoins faramineux pour l’industrie de l’aluminium
Païrav Tchorchanbiev, le chroniqueur en charge des questions économiques d’Asia-Plus, considère que les deux puissantes unités de la station de Rogoun ne suffisent pas à couvrir les besoins en énergie de TALCO.
« Cela signifie que nous pouvons toujours attendre la levée des restrictions qui était prévue au début du lancement de Rogoun, bien que les autorités et le chef de l’État lui-même nous aient répété cette promesse pendant des années », écrivait déjà Païrav Tchorchanbiev pour Asia-Plus en 2017. Par ailleurs, il est également prévu fin 2021 d’achever la construction des infrastructures pour le projet CASA-1000, qui doit également exporter de l’électricité depuis le Tadjikistan et le Kirghizstan vers l’Afghanistan et le Pakistan.
Les travaux ne sont pas encore terminés, mais les pays modifient déjà leurs accords, prévoyant d’augmenter la quantité d’énergie exportée vers le Pakistan. Les 1000 MW initialement prévus se sont ainsi changés en 1300 MW.
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En réalité, la mise en service en 2021, ne serait-ce que d’une des quatre unités hydrauliques restantes de la centrale de Rogoun est peu probable. Par conséquent, une augmentation significative de la production d’électricité n’aura pas lieu. La mise en service des six unités hydrauliques est prévue pour décembre 2029 mais les autorités ont cependant déjà reconnu publiquement que le pays n’avait pas assez d’argent pour achever la construction de ce complexe.
Vers une limitation encore plus stricte de la consommation ?
Vu le prix de l’électricité au Pakistan, qui est de 9,5 centimes par kWh, soit presque le double des tarifs afghans, on peut prédire que les autorités vont prochainement limiter plus strictement la consommation d’électricité de la population tadjike.
L’expert anonyme interrogé par Fergana News a son opinion sur la situation : « D’un côté, on peut comprendre les autorités, car le Tadjikistan a une dette extérieure énorme, de plus de 3,7 milliards de dollars (environ 3,14 milliards d’euros), ce qui constitue 43,3 % du PIB. La Banque mondiale a déclaré que le Tadjikistan allait se trouver en position de défaut de paiement, et que l’acquisition de nouveaux crédits augmenterait encore le poids de la dette publique ».
Selon cette même source, les accords intergouvernementaux qui engagent le Tadjikistan à livrer de grandes quantités d’énergie doivent également être respectés afin d’éviter des sanctions. Et il est encore trop tôt pour parler des futurs profits du projet CASA-1000, car les lignes électriques et les autres infrastructures ont aussi été construites grâce à des emprunts, qu’il faut rembourser avec des intérêts.
La population en première ligne
« D’un autre côté, il est du devoir des autorités de proposer à la population tadjike des conditions de vie acceptables. Il faut se rendre compte que les sources d’énergie gratuites, comme les vieux arbres et les arbustes vivaces plantés dans les villes et les villages pendant la période soviétique, ont presque toutes été utilisées comme combustible. Cela explique la flambée du prix du charbon et la plupart des habitants des zones rurales ne peuvent pas se permettre de payer entre 500 et 700 dollars (entre 425 et 600 euros) pour deux ou trois tonnes de charbon », continue l’expert.
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Ces coupures de courant inexplicables et la mise en place des restrictions de consommation d’électricité montrent clairement que les autorités ignorent les intérêts de leur propre peuple. « C’est de la cruauté, rien de plus », estime l’expert.
Résignée et impuissante, dans toutes les régions du Tadjikistan, la population profite des journées ensoleillées, bien que glaciales, pour aller ramasser dans les champs la dernière source d’énergie gratuite : la bouse de vache séchée.
Chavkat Nazarov
Journaliste pour Fergana News
Traduit du russe par Judith Robert
Édité par Laure de Polignac
Relu par Charlotte Bonin
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