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Le Tadjikistan, paradis des linguistes : rencontre avec un apprenant du tadjik

L'Américain Jacob Serafino a décidé de s'installer au Tadjikistan et d'y apprendre le tadjik. Pour lui, la diversité des langues du pays, peu étudiées, en fait un paradis pour les linguistes.

Rédigé par :

La rédaction 

Traduit par : ldaddazio

Your.tj

Jacob Serafino Tadjikistan
Le linguiste Jacob Serafino. Photo : Your.tj.

L’Américain Jacob Serafino a décidé de s’installer au Tadjikistan et d’y apprendre le tadjik. Pour lui, la diversité des langues du pays, peu étudiées, en fait un paradis pour les linguistes.

Jacob Serafino est un linguiste américain qui vit depuis quelques mois au Tadjikistan, où il s’est consacré à l’apprentissage de la langue tadjike. Il a passé huit ans en Ukraine, où il enseignait l’anglais à des étudiants étrangers. C’est à cette époque-là que son intérêt a été capté par l’Asie centrale.

Ce qui l’a particulièrement attiré au Tadjikistan, c’est son statut unique : c’est le seul pays de l’ancien espace soviétique où l’on parle une langue issue du persan au niveau officiel.

Bien qu’il ne vive au Tadjikistan que depuis récemment, il a déjà accompli des progrès remarquables dans l’apprentissage de cette langue. Dans une interview accordée au média Your.tj, il raconte son expérience, les défis, tout en exposant les aspects qui font du Tadjikistan un terrain d’étude du point de vue du linguiste.

Des mathématiques à la linguistique

Jacob Serafino est né et a grandi à Omaha, l’une des plus grandes villes du Nebraska. Après avoir obtenu un premier diplôme universitaire en mathématiques, il a travaillé pendant plusieurs années dans une entreprise de marketing, où il gérait les statistiques appliquées et la programmation.

Pendant ses études à l’université de sa ville natale, en plus des mathématiques, il a eu également l’opportunité d’apprendre le russe. À la fin de son cursus, il a obtenu une spécialisation complémentaire en russe. Lorsqu’il était étudiant, il s’engageait activement dans des activités sociales et du bénévolat, et, en évoluant dans un environnement multiculturel, il rêvait de vivre quelques temps à l’étranger.

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« J’ai toujours voulu aller dans un autre pays. Après avoir terminé l’université, j’ai travaillé dans mon domaine, économisé de l’argent et continué à nourrir l’idée de vivre ailleurs », explique le linguiste.

Il aimait travailler dans le domaine des mathématiques et de la programmation, mais son intérêt pour les langues et la linguistique a fini par prendre le dessus. En 2014, ayant trouvé un poste d’enseignant d’anglais dans une université privée à Odessa, Jacob Serafino s’est installé en Ukraine. Enseigner sa langue maternelle n’a pas été facile au début, car il ressentait un manque de connaissances dans ce domaine.

Philologie ou linguistique ?

Un an plus tard, il intègre l’Université pédagogique nationale d’Ukraine du Sud au sein de la faculté de philologie. Comme il y a obtenu un diplôme lui permettant d’enseigner non seulement la langue russe, mais aussi la littérature mondiale, il a également pu enseigner l’anglais.

De plus, il a rapidement obtenu le certificat CELTA de l’Université de Cambridge, qui permet d’enseigner l’anglais langue étrangère aux adultes. Cette formation a permis à Jacob Serafino de mieux comprendre le fonctionnement des langues en général. Bien qu’il ait étudié la philologie, il se considère linguiste.

« La linguistique étudie les mécanismes qui structurent les langues. La philologie représente une approche plus ancienne de l’apprentissage des langues à travers des textes. Les gens s’étonnent que moi, mathématicien de formation, ait évolué en devenant linguistique. Mais la discipline de la linguistique prévoit une méthodologie quantitative pour l’apprentissage des langues, contrairement à la philologie, qui les appréhende par des textes littéraires », ajoute-t-il.

« L’Asie centrale évoquait pour moi quelque chose d’exotique »

Après avoir terminé ses études à l’université d’Odessa, Jacob Serafino est resté y enseigner l’anglais. Il travaillait principalement avec des étudiants étrangers, notamment originaires d’Asie centrale. À partir de ce moment-là, il a commencé à nourrir un intérêt pour les pays de cette région.

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« Dans mon groupe universitaire, quand j’étudais la philologie, il y avait des étudiants originaires du Turkménistan. C’est alors que j’ai commencé à porter de l’intérêt aux pays d’Asie centrale. En communiquant avec eux, j’ai réalisé qu’il s’agissait d’une culture complètement différente, qui pour moi, en tant qu’Américain, représentait une sorte d’exotisme. Ensuite, je me suis mis en tête de visiter cette région, un jour », affirme-t-il.

« La langue tadjike a une grande valeur pour nous »

Jacob Serafino s’était tellement habitué à l’ambiance d’Odessa que les États-Unis lui semblaient lointains, étrangers, peu familiers. Le 24 février 2022, lorsque la Russie envahit l’Ukraine, il se trouvait à Odessa avec son épouse, Aliona, originaire d’Ukraine. Pendant un certain temps, il s’est engagé comme volontaire pour l’acheminement de l’aide humanitaire.

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« Au début, nous voulions rester à Odessa, car nous avons un amour profond pour l’Ukraine, et pour moi, cela représentait un lieu familier et confortable. Cependant, pour ma femme, il devenait très difficile de vivre sous les bombardements. Et pour moi, c’était dur de voir à quel point la guerre affectait ce pays », raconte-t-il.

Le couple a alors quitté l’Ukraine pour se rendre en Allemagne, puis s’est envolé vers les États-Unis. Après quelque temps, ils ont finalement décidé de vivre dans un des pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI) et leur choix s’est porté sur le Tadjikistan. D’après lui, le Tadjikistan l’a toujours attiré du fait qu’il s’agit non seulement du seul pays persanophone d’Asie centrale, mais aussi de toute la CEI.

Des langues rares et peu étudiées

Le couple a visité le Tadjikistan pour la première fois en 2024, en tant que touristes. Ensuite, ils sont revenus s’y installer début 2025. Actuellement, l’apprentissage de la langue tadjike revêt une grande importance pour cette famille : mari et femme étudient la langue ensemble.

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« D’un point de vue linguistique, je trouve qu’il y a des particularités interessantes dans la langue tadjike : une certaine partie des mots a été empruntée au russe, d’autres à la langue arabe. C’est assez extraordinaire, insolite. En outre, le Tadjikistan possède un nombre remarquable de langues rares et peu étudiées. Et, en tant que linguiste, je trouve cela passionnant. En général, le Tadjikistan est un paradis pour les linguistes. Peut-être que je vais me consacrer à l’étude des autres langues locales, mais j’ai décidé de commencer par la langue nationale », explique Jacob Serafino.

« La difficulté réside dans le fait que nous connaissons le russe »

Avec sa partenaire, Jacob Serafino étudie la langue tadjike dans deux établissements d’enseignement. Dans le premier établissement, NEKSOZ, où le couple a obtenu un visa d’études, il adopte une méthode plus traditionnelle par rapport à l’apprentissage de cette langue, avec des manuels scolaires, traductions de textes, dialogues, etc.

Cependant, les enseignants dispensent des cours en dehors de l’établissement, emmenant les étudiants en ville. Le couple suit aussi des cours dans une école de langue, Vision. Dans cet établissement, l’attention est portée à la langue parlée et les étudiants ne sont pas surchargés de devoirs.

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« Parfois, les locaux nous disent qu’il n’est pas vraiment necessaire d’apprendre la langue parlée mais seulement la langue littéraire. Cependant, nous apprécions l’approche employée par Vision, car nous devons savoir ce qu’on nous dit, par exemple dans les transports en commun », a-t-il souligné.

Cependant, selon le linguiste, le principal obstacle à l’apprentissage de la langue tadjike pour lui et sa femme a été la langue russe : « Avec ma partenaire, nous parlons parfois en ukrainien, parfois en russe, et chaque fois que les gens nous entendent parler russe, ils passent eux aussi immédiatement au russe. »

Un outil d’intégration

Jacob Serafino a déjà appris de nombreuses phrases en tadjik et il est en mesure de comprendre les bases de la langue. « Avec les chauffeurs de taxi, par exemple, j’essaie de ne parler qu’en tadjik. Même s’ils passent au russe, je fais semblant de ne pas comprendre », dit-il en souriant.

Il raconte qu’il a rencontré, au Tadjikistan, quelques étrangers qui étaient venus sans connaître ni le tadjik ni le russe. Et c’est justement parce qu’ils ne parlaient pas russe qu’ils ont réussi à apprendre le tadjik en peu de temps.

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« Je pense qu’ils n’avaient tout simplement pas d’autre choix, car c’est en quelque sorte une question de survie. Peut-être que moi aussi j’aurais atteint un meilleur niveau en peu de temps si je ne parlais pas russe. Cela dit, connaître le russe peut parfois être un avantage. Par exemple, cela nous a permis de trouver un logement et de gérer certaines situations du quotidien », explique Jacob Serafino.

Il affirme qu’il aimerait beaucoup apprendre le tadjik au moins à un niveau intermédiaire, voire plus avancé. Car la langue, selon lui, est l’outil d’une bonne intégration dans la société. « Pour nouer une amitié en tadjik, il faut au moins un niveau intermédiaire. J’ai déjà vécu ce type d’expérience en Ukraine. Et c’est ce niveau en tadjik que je cherche à atteindre aujourd’hui », conclut-il.

Somon Komilov
Journaliste pour Your.tj

Traduit du russe par Lisa D’Addazio

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Commentaire (1)

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Vincent Gélinas, 2025-07-14

Je suis bien d’accord avec l’opinion finale de cet aventurier: si la connaissance d’une langue internationale est assurément un atout pour se débrouiller, cette même connaissance est un obstacle dans l’apprentissage d’une langue locale.

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